Bon alors juste quand je décide d'essayer d'écrire plus de billets sur des petites conneries sans intérêt, l'actualité politique française vient m'emmerder avec des Sujets Graves. Rassurez-vous, on ne m'a pas nommé Premier ministre (même si au rythme où vont les choses, je ne saurais être parfaitement rassuré… mais j'ai calculé qu'Emmanuel Macron pourrait nommer chaque électeur français Premier ministre pendant environ une seconde jusqu'à la fin de son mandat, et je suis peut-être ouvert à l'idée de faire le boulot pendant une seconde).
☞ Critique récurrente du parlementarisme
Mais plus sérieusement, je vois beaucoup circuler l'idée
que voilà, l'instabilité des gouvernements, c'est l'effet du
parlementarisme
. (Idée utilisée comme critique du
parlementarisme, sans doute avec en filigrane l'idée qu'un régime
présidentiel avec un Chef
Fort[#], c'est beaucoup mieux…
cf. un certain grand pays outre-Alantique où les choses se passent
merveilleusement bien dans une harmonie politique dont les deux
maîtres mots sont tempérance et compétence.) On montre du doigt la
IVe République française comme exemple pour illustrer la valse des
ministères ; ou bien on montre du doigt la Belgique pour montrer que
former des coalitions parlementaires est compliqué et peut prendre un
temps considérable. N'est-ce pas le signe que le parlementarisme, ça
ne marche pas ?
[#] Le fantasme du Chef est l'idée la plus détestable et dangereuse de toute la politique, mais elle est particulièrement étrange dans la France de ces dernières décennies quand on voit la manière dont les Français aiment détester les présidents qu'ils élisent : qui peut penser une seule seconde que ce serait une bonne idée de mettre plein de pouvoirs entre les mains d'une personne quand on voit les scores de popularité qu'ont toutes les personnes qui sont passées par cette fonction ? C'est fascinant.
☞ Difficile majorité absolue
Indiscutablement, dans un pays dont l'électorat est divisé en en gros trois tendances politiques grosso modo égales et en désaccord[#2] sur tout, imaginer un régime à la fois démocratique et stable est intrinsèquement compliqué, parce que c'est un fait indéniable qu'il serait difficile d'écrire un programme de gouvernement qu'au moins 50% des Français seraient prêts à soutenir. Le remède généralement admis à ce mal est d'utiliser un mode de scrutin qui, au moins à un certain niveau, n'exige pas une majorité absolue mais seulement relative pour gouverner. (Par exemple, on peut imaginer élire un Grand Chef et lui donner en gros tous les pouvoirs pendant une mandature. Je suis évidemment extrêmement hostile à ça, mais c'est pour illustrer l'idée.) Mon propos dans ce billet est d'expliquer qu'on peut très bien faire quelque chose de ce genre dans le cadre d'un régime parlementaire, et, surtout, qu'il n'y a aucune fatalité à ce que le régime parlementaire ait pour corollaire l'instabilité gouvernementale ou la difficulté à construire des coalitions.
[#2] J'ai déjà dû le
dire, mais je suis toujours fasciné par la tendance de chacune de ces
trois tendances à prétendre que les deux autres sont alliées et/ou à
peu près interchangeables (la gauche prétend régulièrement que la
droite libérale et l'extrême-droite se soutiennent mutuellement si
bien que l'extrême-droite est en fait déjà au pouvoir ; la droite
libérale prétend que les extrêmes se rejoignent
; et
l'extrême-droite parle encore d'UMPS
ou formules de ce genre
pour tout ce qui n'est pas l'extrême-droite). Ce qui revient à ce que
chacune revendique ne représenter qu'environ un tiers de l'électorat
contre un bloc d'environ deux tiers… donc n'avoir guère de légitimité
à gouverner. Pour scier la branche sur laquelle ils sont assis, tous
ces gens sont très forts.
C'est même assez facile, en fait. Je voudrais pouvoir prétendre que je vais démontrer mon talent de rédacteur de constitutions, mais il n'y a même pas besoin de talent particulier, parce que la solution est déjà connue. L'idée essentielle (que je vais quand même détailler un peu) est déjà utilisée dans divers régimes parlementaires, c'est celle de la motion de censure constructive : on ne peut renverser un gouvernement qu'en proposant un autre gouvernement pour prendre sa place. (Et s'il n'y a pas de gouvernement du tout, ou qu'il démissionne ? Je vais discuter cette situation aussi.)
☞ Régimes parlementaires et présidentiels
Mais revenons un cran en arrière. J'ai déjà dit (dans le billet que je viens de lier) que les rédacteurs de constitutions font preuve de fort peu d'originalité[#3] : en gros, quasiment tous les régimes politiques démocratiques du monde s'organisent en deux types. Le type présidentiel (modèles : les États-Unis d'Amérique et divers pays d'Amérique du Sud qui ont plus ou moins copié leur exemple), où le pouvoir exécutif est confié à un chef d'État élu (qui va déléguer une partie de ses pouvoirs à un gouvernement), le pouvoir législatif à un parlement élu, et aucun des deux ni le pouvoir judiciaire n'a vraiment de suprématie sur l'autre, ils sont censés agir chacun comme poids et contrepoids (checks and balances) les uns contre les autres. L'autre est le type parlementaire (modèles : le Royaume-Uni, l'Allemagne et en fait la majorité des pays d'Europe), qui conçoit l'exécutif comme émanant du législatif (lequel a donc une forme de prééminence), c'est-à-dire que le gouvernement est responsable devant le parlement et révocable par lui ; quant au chef d'État, il est souvent largement symbolique et sans pouvoir fort (le monarque du Royaume-Uni, le président allemand), typiquement limité à des pouvoirs de représentation ou peut-être de facilitation de la recherche d'une majorité parlementaire ou encore d'arbitre des institutions.
[#3] Si vous voulez un exemple d'originalité et que vous n'aimez pas les constitutions françaises du Directoire et du Consulat (ce que je peux comprendre !), regardez du côté des constitutions d'Athènes, de Sparte, de Rome, ou, pour sortir des poncifs du genre, de la confédération iroquoise : c'est très intéressant. Je ne dis pas que ce soit bien, mais c'est intéressant, et ça montre que plein d'idées sur les modèles politiques peuvent être revues.
La France de la Ve République est un peu à cheval entre ces deux
types : le gouvernement est responsable devant le parlement, mais en
même temps il y a un chef d'État qui a des vrais pouvoirs, parce que
Charles de Gaulle ne voulait pas se limiter à jouer la partition des
présidents de Jules Grévy à René Coty. La France a, au cours de
ses N constitutions (N grand), joué avec toutes
sortes de combinaisons possibles entre l'exécutif et le législatif :
je ne vous refais pas le résumé
du billet déjà lié. Mais la
Ve République est parfois qualifiée de semi-présidentielle
pour
cette raison. Si le président a une majorité à l'Assemblée nationale,
cette dernière joue le rôle de chambre d'enregistrement et le régime
fonctionne en pratique comme un régime présidentiel car le
gouvernement émane des décisions du président ; s'il a une
majorité contre lui, on est en cohabitation
, le
Premier ministre est le personnage fort, et le régime fonctionne en
pratique comme un régime parlementaire car le gouvernement émane de la
majorité du parlement ; et s'il n'y a pas de majorité du tout… ben ça
fonctionne mal parce que cette Constitution de merde n'est pas du tout
prévue pour ce cas de figure. (Et parce que des grocervos avaient cru
trouver un mode de scrutin qui assurerait toujours une
majorité[#4] à l'Assemblée.)
D'où des reproches variés sur le fait qu'elle est trop présidentielle
(et qu'il faudrait la parlementariser) ou au contraire qu'elle est
trop parlementaire (et qu'il faudrait la présidentialiser).
[#4] Et en fait, parce que les partis politiques français n'ont aucune culture de la formation de coalitions, ils ne savent même pas essayer. Justement parce qu'ils pensaient être à l'abri de cette éventualité.
☞ Discussion du cas parlementaire
Les lecteurs habitués de mon blog savent que j'ai une répulsion particulière pour le pouvoir et ceux qui veulent l'exercer, et notamment pour tout régime qui prétendrait mettre plein de pouvoirs entre les mains d'une seule personne. (Maintenant, je conviens aussi que la Constitution du Directoire, qui se donnait précisément comme objectif d'éviter ça, n'a pas été un franc succès[#5], et a conduit d'ailleurs exactement au régime qu'elle voulait empêcher.) J'ai donc tendance à préférer les régimes parlementaires en ce qu'il me semble moins dangereux de confier plein de pouvoirs à un groupe qu'à une seule personne : je ne prétends certainement pas que ce soit une solution magique au problème de la personnalisation du pouvoir (et si j'avais une solution magique, je m'empresserais de l'écrire ici). Mais on peut au moins réfuter certaines idées fausses à leur sujet.
[#5] On peut quand même
la défendre en disant que l'idée d'un chef d'état polycéphale, dont
le primus inter pares tourne fréquemment, ne
marche pas si mal en Suisse, dont la Constitution actuelle est en
bonne partie héritière de celle de la France du Directoire. Ceci
étant, je m'écarte un peu du sujet, parce que ni la Suisse actuelle ni
la France du Directoire ne sont facilement classifiables
en parlementaire
ou présidentiel
.
Je définis le régime parlementaire comme signifiant que l'exécutif émane du parlement et est responsable devant lui. Mais dire ça ne sigifie pas forcément que le gouvernement dispose à tout moment d'une majorité absolue et tombe dès que ce n'est plus le cas : c'est sûr que si on va imposer cette contrainte, les gouvernements seront difficiles à constituer et forcément instables.
Mais cette contrainte est totalement idiote : si on se donne comme idéal (certainement souhaitable) que le parlement représente l'ensemble des électeurs et agisse en son nom, c'est une contrainte incroyablement forte (et certainement irréalisable en France à l'heure actuelle) que d'imaginer que le gouvernement dispose à tout moment d'une majorité absolue de l'électorat le soutenant. Ce qu'on peut demander de façon plus réaliste, c'est qu'il n'existe pas une majorité absolue qui préfère autre chose. Vérifier cette contrainte sur l'ensemble de l'électorat est un peu compliqué[#6], mais au parlement c'est déjà plus réaliste.
[#6] On peut
certainement imaginer dans un régime politique d'avoir referendums
révocatoires constructifs : la possibilité pour l'électorat de
révoquer tel ou tel chef avant la fin de son mandat à condition qu'une
majorité absolue sorte des urnes non seulement pour mettre fin au
mandat du chef mais aussi pour le nom de la personne qui lui
succédera. Honnêtement, si on disait aux Français vous pouvez
mettre fin au mandat d'Emmanuel Macron, mais seulement en trouvant une
majorité absolue pour un nom pour le remplacer
, je doute qu'il ait
beaucoup d'inquiétude à se faire sur son maintien à son poste.
☞ Une proposition
Ce que je propose[#7], donc, c'est d'abandonner l'idée qu'un gouvernement soit forcément majoritaire, et soutenu par une coalition majoritaire. D'abandonner aussi les petits tripatouillages dans le système électoral censés garantir l'existence d'une majorité au parlement (et qui marchent assez mal) : donc, pensez plutôt un scrutin de type proportionnel[#8]. Et en contrepartie, de faciliter la stabilité des gouvernements minoritaires, selon le principe : le gouvernement reste en fonction tant que le parlement ne constitue pas une majorité absolue pour un gouvernement différent (et même si cette majorité est éphémère, le gouvernement restera en place jusqu'à ce qu'une majorité absolue se dégage en faveur d'un autre gouvernement).
[#7] Le
verbe proposer
doit se comprendre ici comme une proposition
intellectuelle. Ce n'est pas comme si on avait la moindre chance en
pratique de modifier cette Constitution de merde, et si ça devait se
faire on ne demanderait pas mon avis. (Je veux juste signaler que
j'en suis conscient : le verbe proposer
ne doit pas être
compris comme suggérant le contraire.)
[#8] Je ne dis pas qu'il doit forcément être strictement proportionnel (déjà, il y a plein de variations autour de ce mode de scrutin). À titre d'exemple, si on trouve qu'avoir trop de partis rend le parlement inefficace on peut imaginer soustraire, disons, 5% aux scores de toutes les listes avant de faire la répartition à la proportionnelle (donc une liste qui fait moins de 5% n'a pas de sièges, mais si quatre partis font 10%, 20%, 30% et 40%, ils obtiennent respectivement 5/80 ≈ 6%, 15/80 ≈ 19%, 25/80 ≈ 31% et 35/80 ≈ 44% des sièges), ce qui revient en quelque sorte à donner une prime de 5% à la fusion. On peut aussi inventer toutes sortes de systèmes d'attribution des sièges au sein des listes pour assurer que les élus aient quand même une sorte de « circonscription » même dans un scrutin proportionnel. (Le système allemand fait ça, mais a ses propres défauts. Mais cf. par exemple ici pour une idée simple.) Je ne développe pas parce que ce n'est pas l'idée. Je veux juste dire que je préconise un scrutin au moins grosso modo proportionnel, pas du tout ce qu'on a en France. (Enfin, en ce moment, l'Assemblée nationale française correspond à peu près à ce que donnerait uns scrutin proportionnel, et il faut s'en réjouir au lieu de s'en lamenter.)
Deux situations, donc :
- le cas normal : si un gouvernement existe déjà depuis le début de la législature, le parlement ne peut le renverser que par le vote d'une motion de censure constructive, c'est-à-dire en choisissant un nouveau gouvernement (ou au moins, un nouveau chef de gouvernement, qui nommera ensuite le reste du gouvernement) ;
- en début de législature, ou si le gouvernement a démissionné, ou si le chef du gouvernement est décédé : le parlement élit le nouveau chef du gouvernement, selon un mode de scrutin qui garantit un résultat en temps borné (et il nomme ensuite les autres ministres).