Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le
reste de ce site web, parle de tout et
de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait),
des maths à
la moto et ma vie quotidienne, en passant
par les langues,
la politique,
la philo de comptoir, la géographie, et
beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas,
ainsi que d'occasionnels rappels du fait que
je préfère les garçons, et des
petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le
nom collectif de fragments littéraires
gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines
entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes
traduites dans les deux langues) ; il est
maintenant presque exclusivement en
français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à
l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par
ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut).
Cette page-ci rassemble les entrées publiées en
mai 2016 : il y a aussi un tableau par
mois à la fin de cette page, et
un index de toutes les entrées.
Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs
« catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce
système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque
entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le
texte de l'entrée elle-même.
You are on David Madore's blog which, like the rest of this web
site, is about everything and
anything (mostly anything, really),
from math
to motorcycling and my daily life, but
also languages, politics,
amateur(ish) philosophy, geography, lots of
ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders
of the fact that I prefer men, and
some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the
collective name of gratuitous literary
fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning
(some entries were in English, others in French, and a few translated
in both languages); it is now almost
exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog
entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed
in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top).
This page lists the entries published in
May 2016: there is also a table of months
at the end of this page, and
an index of all entries. Some
entries are classified into one or more “categories” (indicated at the
end of the entry itself), but this organization isn't very coherent.
The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced
before and after the text of the entry itself.
Cette entrée n'a rien de
particulièrement zeitgemäß, mais le fait d'avoir
écrit la précédente m'a donné envie
de dire un mot à ce sujet.
Roland Emmerich est un réalisateur plutôt connu pour ses films
catastrophe
(Independence
Day, Godzilla, The
Day after
Tomorrow, 2012,
etc.), à gros budgets et plus ou
moins nanaresques. Dans cette
liste, Stonewall,
semble incongru : il raconte, à travers la vie d'un jeune homme gay
chassé de chez lui par ses parents, l'histoire des émeutes du 28 juin
1969 (soit juste après l'enterrement
de Judy
Garland) au bar homo de ce nom sur Christopher Street, Greenwich
Village, New York, et qui sont à l'origine de la Gay
Pride (les pays germanophones disent
d'ailleurs Christopher Street Day).
Une autre chose incongrue est que ce film a une note
sur IMDB très nettement inférieure aux autres que du même
réalisateur que j'ai nommés ci-dessus : aurait-il réussi à faire un
nanar encore plus intergalactique que Independence
Day ? le film nous fait-il nous découvrir que le Stonewall
était un repaire d'extra-terrestres et que les homos se sont ralliés
pour empêcher la Terre d'être envahie ? pas vraiment. Manifestement,
il y a eu une campagne virale pour donner à ce film la note la plus
basse — ce genre de campagne est la raison pour laquelle les notes et
les sondages sur Internet ne valent à peu près rien, mais passons ; et
la campagne en question ne vient pas des fans habituels des films
d'Emmerich qui se seraient agacés qu'il fît un film pour pédés, non,
ce sont essentiellement des militants et
sympathisants LGBT qui ont détesté le film.
Quel est le problème ? Il y a beaucoup de points précis sur
lesquels la vérité historique a été déformée (par exemple en laissant
penser que la mort de Judy Garland avait plus d'importance qu'elle
n'en avait, ou en résumant une réalité forcément un peu complexe).
Certains reproches se contredisent un peu : par exemple, d'avoir
minimisé le rôle des lesbiennes, des drag queens et transgenres (alors
qu'elles et ils étaient plutôt les premiers à lancer les émeutes),
mais en même temps d'avoir utilisé le personnage réel tout à fait
masculin de Raymond Castro pour inspirer un personnage fictif (Ray)
très efféminé ; ou encore, d'avoir essayé de rendre le film plus
digeste pour les hétérosexuels en se focalisant sur des personnages
bien « propres sur eux », mais en même temps de caricaturer les homos
ou drag queens, et d'avoir noirci
la Mattachine
Society qui proposait justement aux homos de se fondre dans
la masse et de ne pas faire de vagues et qui (selon le film) n'était
pas terriblement heureuse des émeutes.
En fait, les reproches se concentrent surtout autour d'un point :
une forme
de whitewashing,
en l'occurrence, d'avoir choisi de construire le film autour d'un
personnage blanc, jeune homme, de classe moyenne, bon élève,
cissexuel, pas du tout efféminé, « seulement » homosexuel, bref, tout
ce qu'il faut pour le rendre relatable (je ne
sais pas dire ça en français, tiens) par le public de spectateurs
(très majoritairement hétérosexuels) que Hollywood vise
principalement. En l'occurrence, ce héros (Danny Winters) est joué
par Jeremy Irvine, qui est
le poster-boy
presque trop parfait d'un tel rôle, avec son visage de gendre
idéal qui ne fera peur à personne. (Comme en plus il doit y avoir
beaucoup de garçons homos qui mettraient bien sur leurs murs un poster
du boy en question et qui rêvent qu'il puisse être homo, ça permet de
gagner sur tous les terrains.) Soulignons bien que le personnage du
Danny Winters en question est fictif : on ne reproche pas aux
scénaristes, ici, d'avoir transformé un personnage réel ; mais comme
ils lui font, tout à fait littéralement, jeter la première pierre qui
déclenche les émeutes, on peut dire qu'on lui donne la place de la
personne qui a vraiment jeté cette première pierre : certains l'ont
identifiée comme étant la drag queen
noire Marsha
P. Johnson (qui apparaît effectivement dans le film, et n'est pas
whitewashée)… sauf que les choses ne sont jamais simples, et en fait
on n'en sait rien, il n'y a probablement pas eu de « première pierre »
jetée, et pas une seule personne qui a déclenché les émeutes, fût-ce
Judy Garland, Marsha P. Johnson
ou Stormé
DeLarverie.
Tous ces reproches sont justes, et ne sont pas sans importance,
mais je crois qu'ils passent à côté de l'intérêt du film.
Car à mon avis le but — malgré le titre — n'est pas tant de
raconter l'histoire des émeutes de Stonewall, ou en tout cas pas de le
faire avec la précision d'un historien, c'est, à travers l'histoire
personnelle du héros, de présenter un débat, ou un dilemme, qui se
pose à (et parfois déchire) la communauté LGBT : veut-on
revendiquer le droit à l'indifférence ou le droit à la différence ?
veut-on se fondre dans la société ou se révolter contre elle ?
veut-on réclamer l'étiquette normal ou arborer la fierté
d'être anormaux ? Il va de soi que formulée dans des terme
aussi simplistes et caricaturaux, cette question n'admet pas de
réponse, et que toute tentative sérieuse pour y répondre doit
commencer par examiner les termes de cette fausse alternative : mais
la présentation caricaturale n'empêche pas que la problématique est
réelle.
Et je trouve que Stonewall pose cette question avec
une certaine finesse : Danny Winters est partagé entre le camp,
incarné par la Mattachine Society, des
homos blancs, financièrement aisés et « bien propres sur eux » qui
cherchent à se fondre dans la masse et espèrent faire évoluer la
société en ne faisant peur à personne, et celui, incarné par les
garçons et filles de la rue obligés de se prostituer, qui sont les
véritables héros des émeutes de Stonewall ; c'est justement parce
qu'il est blanc, cissexuel, etc., que Danny doit faire ce choix,
et que le choix en question est douloureusement intéressant : un de
ses amis lui dit justement, moi, je n'ai pas le choix — Danny
doit accepter de risquer sa place potentiellement privilégiée dans la
société, et possiblement sa bourse pour Columbia, s'il choisit de
rejoindre les révoltés. La scène où il jette la première pierre
incarne ce dilemme : l'instant avant, la drag-queen noire Marsha lui
demande how can it get worse? […] a society hating
and oppressing us for being gay, and you still wanna be polite? cause
it's going to take away your precious fuckin' scholarship if you get
arrested? cone on! ; puis un membre de
la Mattachine Society tente de le
décourager de jeter la pierre : no, that's not the way, Danny.
Tout ça n'est peut-être pas historiquement correct, mais le
développement du personnage est intéressant.
Et dans l'ensemble, je trouve que Stonewall montre une
subtilité que les films-catastrophe bourrins de Roland Emmerich ne me
laissaient pas du tout présager. Les personnages ont une réelle
profondeur, les acteurs jouent plutôt bien. La diversité de la
communauté LGBT est peut-être insuffisamment représentée,
mais il est injuste de nier qu'il y ait un certain effort pour
l'honorer. Le scénario est assez convenu, mais il marche plutôt bien.
Ce n'est le film de la décennie, probablement pas même le
film LGBT de l'année, mais ce n'est pas un nanar, et il
ne méritait pas le procès qu'on lui a fait.
Évidemment, le dilemme que j'évoquais ci-dessus se pose aussi au
niveau méta : doit-on souhaiter que l'industrie du cinéma
« mainstream » fasse des films abordant des
thèmes LGBT à destination d'un public majoritairement
hétérosexuel ? ou préférer que le cinéma LGBT reste
totalement différent (pour être plus libre, par exemple), et ne vise
que les spectateurs de cette population ? Je crois qu'il ne faut pas
sous-estimer l'importance
de Brokeback
Mountain, qui reste quasiment le seul film
« mainstream » (disons, avec des acteurs vraiment
célèbres) centré autour d'une histoire d'amour homo. (Il est vrai
qu'Ang Lee avait auparavant commis le
magnifique
喜宴 / Garçon d'Honneur / The
Wedding Banquet, mais il était beaucoup moins connu à
l'époque.) J'imagine que Roland Emmerich, dont je crois comprendre
qu'il est lui-même homo, a dû se poser la question, et j'imagine que
ça a été un peu un dilemme pour lui, qu'il a pensé prendre un risque :
je trouve vraiment dommage que la réaction ait été de lui faire un
procès plutôt que de dire qu'il aurait pu faire mieux.
Je dédie cette petite fiction à tous ceux et celles à qui la
société rend les choses plus difficiles qu'elles n'ont besoin de
l'être sous prétexte qu'ils ou elles ne rentrent pas bien dans
les petites cases binaires dans
lesquelles on veut ranger les
gens :
J'avais quinze ans quand j'ai expliqué à mes parents que j'étais un
garçon. J'avais espéré qu'ils comprendraient tout seuls. À force de
m'entendre me faire appeler garçon manqué. De voir comment je
m'habillais. Que j'insiste pour couper mon prénom. Je dois dire, ils
n'ont jamais chercher à m'imposer ce que je ne voulais pas : depuis
l'école maternelle, je refusais de porter des jupes, ils ne m'ont pas
forcé, ni pour les fêtes ni pour l'enterrement de mamie. Mais mon
père espérait quand même que cette phase me passerait, que je serais
sa petite princesse. Alors j'ai dû leur dire. J'ai cru que je n'y
arriverais pas, j'ai pas dormi de la nuit, j'avais une énorme boule
dans le ventre, j'ai pas su les regarder dans les yeux, mais j'ai fini
par arriver à articuler, papa, maman, voilà, je voulais vous dire,
je suis un garçon. Leur réaction était réglo : on te soutient,
Lé, tu seras toujours notre enfant, on t'aimera toujours, tout ça tout
ça. Grand soulagement. Mais je sentais bien que ma mère retenait ses
larmes. Après coup, j'ai su qu'ils pensaient que j'allais leur
annoncer que j'étais enceinte.
Quand j'y repense, j'ai eu de la chance. Mes parents étaient super
gênés lorsqu'on abordait le sujet, et moi aussi avec eux d'ailleurs,
mais c'était vrai qu'ils me soutenaient. Ils avaient du mal à me
parler au masculin, mais ils essayaient. Je suis allé voir un psy :
au début je n'aimais pas l'idée, mais il m'a expliqué qu'il n'était
pas là pour me juger ou pour me faire dire que j'étais une fille, il
était plutôt sympa et je pouvais lui parler vraiment. D'un autre
côté, ce qui se passait au bahut ne l'intéressait visiblement pas des
masses. Et au collège, puis au lycée, tous ceux à qui j'ai voulu
parler, médecin scolaire, assistante sociale, conseillers d'éducation,
se renvoyaient la balle et la renvoyaient à mon psy dès que le
mot transsexuel était prononcé.
Au moins j'ai pu me faire prescrire un truc pour arrêter presque
complètement mes règles. Ça c'est ce que je détestais le plus. Une
humiliation mensuelle imposée par ce corps dont je ne voulais pas et
qui me rappelait sa féminité. J'en pleurais à chaque fois. Un jour,
un petit con macho que j'avais agacé m'a demandé si j'avais mes
règles, j'ai bien failli l'envoyer à l'hosto, et j'ai eu des emmerdes
à cause de ça. Mais pour le reste, mon corps était plutôt androgyne.
Avec ma poitrine plate (heureusement !) sans besoin de la bander, avec
mes cheveux courts, avec des fringues assez larges, je pouvais
facilement passer comme un garçon tant que j'ouvrais pas la
bouche.
J'aurais voulu pouvoir être Léo au lycée, mais il y avait trop de
gens qui me connaissaient déjà et qui m'auraient trahi, et c'était pas
possible de changer d'endroit. Alors je suis resté Lé, ni
fille ni complètement garçon. J'y avais régulièrement droit : eh,
t'es un mec ou une meuf ? ; je répondais toujours : tu préfères
quoi ? — c'était une façon de savoir tout de suite qui était ami
ou ennemi. Une seule fois quelqu'un m'a répondu, et toi, tu
préfères quoi ?, même là j'ai pas osé lui dire vraiment, mais j'ai
retenu que ce Florian était un mec bien. Sinon, y'avait Chloé, ma
seule vraie amie pendant ces années, à qui je suis passé le plus près
de dire la vérité. Elle elle m'a dit qu'elle pensait qu'elle était
bi, on a commencé à faire des choses ensemble, mais ça n'a pas marché.
Elle m'a reproché de ne pas savoir ce que je voulais, ce qui était
vrai. Et nous nous sommes disputés. Puis réconciliés, mais c'était
plus pareil. Je me suis mis à réfléchir plus fort à ce que je
voulais.
Et à dix-sept ans, nouveau coming out à mes parents : au fait, je
préfère les garçons. Eux, ils ne comprenaient plus rien. Alors
finalement tu es un garçon ou une fille ? Je voyais bien mon père
penser, même s'il a pas osé le dire à haute voix : mais à quoi ça
te sert d'être un homme si c'est pour préférer les hommes ? Ben
oui papa, c'est comme ça : je suis pas lesbienne, je suis gay.
À la fac, je me suis fait appeler Léo. Enfin la liberté ! Les
enseignants, qui devaient forcément savoir que j'étais Léa sur le
papier, étaient plutôt cool avec ça, de toute façon ils nous parlaient
peu et nous connaissaient à peine. Plusieurs fois un autre étudiant
m'a démasqué, mais la fac était grande, c'était plus facile qu'au
lycée d'éviter les chieurs. J'avais appris à mieux déguiser ma voix,
aussi. Être un homme, je m'en suis rendu compte, apportait des
avantages dont j'avais même pas conscience : les gens me traitaient
différemment, c'était subtil, mais une fille qui veut faire de l'info
on lui fait des remarques (c'est bien, mais ce sera dur, vous êtes
sûre que c'est pour vous ?) qu'on ne fait pas à un garçon.
Évidemment, c'était pas les mêmes gens, j'étais à la fac et plus au
lycée, mais la différence se sentait. Mais j'ai aussi découvert qu'il
y a des choses que je n'avais plus droit de dire : un jour j'ai fait
une remarque sur le joli petit cul du chargé de TD de
maths, et ça a provoqué un grand silence, et au moins un type a changé
d'attitude vis-à-vis de moi après ça. Leçon retenue : les mecs n'ont
pas le droit de parler des mecs comme les filles.
J'ai pensé que maintenant que j'étais majeur je pourrais sans
problème me faire prescrire un traitement hormonal. Mais après avoir
essayé chez trois endocrinos (une vieille peau qui m'a regardé avec
horreur dès que je lui ai dit être trans, un mandarin des hôpitaux qui
m'a fait attendre six mois pour me voir et qui m'a à peine écouté, et
un petit jeune qui avait l'air complètement dépassé par les
événements), le mieux que j'ai obtenu était : revenez après encore
deux ans de suivi psychiatrique.
Bon, j'ai quand même fini par faire valoir que j'étais suivi depuis
longtemps, et par avoir ma testostérone un peu avant les deux ans.
J'ai eu des problèmes d'humeur au début : des phases euphoriques dans
les jours suivant l'injection et une énorme fatigue dans les jours qui
la précédaient, mais ça s'est stabilisé. J'ai eu mes premiers poils
au menton, et j'étais heureux comme un prince. Je me suis mis à faire
du sport beaucoup plus souvent, en espérant être devenu beaucoup plus
fort, ce qui n'était pas le cas, bien sûr, mais à force de persévérer
j'ai quand même bien progressé.
En fin de licence, j'ai rencontré un mec un peu plus vieux, sur un
terrain de sport de la fac. Très vite nous avons commencé à sortir
ensemble. J'ai voulu aller trop vite, sans doute. Mais j'étais
émotionnellement affamé, je voulais à tout prix avoir un copain :
alors quand il s'est ramené avec son visage de Zac Efron sur un corps
de gymnaste, et qu'il s'est mis à me draguer, mon cœur a fondu aussi
vite que de la neige au Sahara. Comme un con, j'ai pas osé lui dire
tout de suite que j'avais un vagin. Je voulais croire au grand amour.
Je voulais croire que ça n'aurait pas d'importance (pragmatiquement,
je me disais, j'ai une bouche et un cul, c'est ce qui compte).
Peut-être que je croyais qu'un homo serait forcément ouvert d'esprit.
Et ce qui devait arriver arriva : quand il a commencé à vouloir aller
plus loin que les dîners en tête à tête, les câlins tout habillés et
les pelles, j'ai dû lui parler de mon anatomie, et il est presque
parti en courant. Immédiatement après, il m'a envoyé
un SMS pour me larguer : dsl je pense pas pouvoir
sortir avec 1 trans. Quarante-quatre caractères (je les ai
comptés). Il a même pas eu le courage de décrocher quand je l'ai
appelé pour en parler, et quand je l'ai recroisé il a fait semblant de
pas m'avoir vu.
Je pense notamment aux femmes trans (i.e., « MtF »),
qui sont en ce moment dans certains états des États-Unis ciblées par
le nouveau dada des puritains : celui de les obliger à utiliser les
toilettes des hommes (en se basant sur l'argument aussi absurde
qu'abject : ah, mais si on permet à n'importe qui de fréquenter les
toilettes pour femmes, n'importe quel prédateur sexuel pourra se faire
passer pour trans et aller agresser les petites filles). Mais j'ai
préféré raconter l'histoire d'un homme trans (i.e.,
« FtM »), gay qui plus est, (a) histoire de rappeler que
ça existe, et (b) parce que ça m'aide à mettre un peu plus d'empathie,
donc de ressenti personnel, dans cette histoire.
Le chinois comme expérience mnémurgique, et autres divagations sur les langues
Je ne trouve pas de mot français
signifiant relatif à la mémoire (comme capacité psychique), à la
capacité et au travail de mémorisation : tous ceux auxquels je
pense (mnémonique, mémoriel, anamnestique, etc.)
ont un sens extrêmement spécialisé ; alors j'en invente un — en
cherchant à créer un hapax chez Google pour éviter tout ce qui aurait
déjà été pollué par des crackpots en tous genres. Je vous invite
cordialement à réutiliser ce mot dans la conversation de tous les
jours et à regarder votre interlocuteur comme un inculte s'il ne sait
pas ce que signifie mnémurgique.
J'ai récemment fait l'acquisition et commencé l'étude de l'Assimil
de chinois. Pour autant, j'hésite à ranger cette entrée dans la
catégorie langues et linguistique de ce blog, parce que mon but
n'est vraiment pas d'apprendre le (ni même, un peu de) chinois, et il
est quasi certain que mon expérience ne durera que très peu de temps :
en fait, le chinois en tant que tel ne m'intéresse que très peu, ce
qui m'intéresse, c'est de m'en servir pour comprendre comment
fonctionne ma mémoire. Généralement, quand j'entreprends l'étude
d'une langue, et même si je ne vais jamais loin faute de patience, ce
qui me motive est une combinaison entre la curiosité de connaître les
principes généraux de cette langue, l'intérêt pour sa phonétique ou sa
grammaire, un certain attrait pour la culture de ceux qui la parlent,
ou une volonté de m'ouvrir l'esprit au sens sapirwhorfien. Mais la
langue chinoise, pour ce qui me concerne à présent, est
essentiellement juste un gigantesque corpus de correspondances syllabe
↔ idée ↔ dessin, complètement dénué de logique, et surtout, dont je ne
connaissais rien a priori. J'aurais pu demander à un
ordinateur de tirer au hasard de telles correspondances, mais tant
qu'à faire, autant m'exercer sur celles que des centaines de millions
de personnes ont apprises : d'autant qu'elles ont l'avantage d'être
dûment documentées et répertoriées, les dessins d'être largement
disponibles sur ordinateur, et les sons d'être disponibles sous forme
pré-enregistrée dans ce qui fait l'intérêt de la méthode Assimil.
L'expérience mnémurgique est double. (1) D'abord savoir si
j'arrive à retenir les tons, sachant que j'ai une bonne oreille
phonétique mais que je n'ai jamais vraiment entrepris d'apprendre une
langue tonale. (J'ai fait un petit peu de suédois et de grec ancien,
mais je pense qu'il faut distinguer une langue ayant
des accents tonaux, comme les deux que je viens de citer, et
une langue véritablement tonale, même si comme d'habitude en
linguistique les distinctions sont un peu floues ; toujours est-il que
l'effort de mémoire ne me semble pas du tout comparable.)
(2) Ensuite, savoir si j'arrive à apprendre à reconnaître quelques
idéogrammes[#]. Là aussi, je
n'ai jamais vraiment entrepris d'apprendre un système d'écriture
idéographique : j'ai fait un tout petit peu de japonais, mais je m'en
suis tenu aux syllabaires, et j'ai déjà eu assez de mal avec ; et j'ai
appris une quantité encore plus infinitésimale d'égyptien
hiéroglyphique, dans lequel à peu près tout ce que je sais
dire/écrire,
c'est 𓏇𓇋𓅱𓃠𓅓𓉐𓏤
— le chat est dans la maison — et à part le dessin du chat, ce
n'est pas terriblement idéographique, c'est même vaguement
alphabétique.
Le (2) m'intéresse moins parce que je suis presque sûr que la
réponse est non, ou alors au prix d'efforts bien au-delà de ce que
je suis prêt à consentir. Le problème est que j'ai une mémoire
visuelle incroyablement nulle. En fait, j'ai une capacité
d'observation incroyablement nulle. (Quite
so, [Holmes] answered, lighting a cigarette, and throwing himself
down into an armchair. You see, but you do not observe. The
distinction is clear.) Par exemple, il m'est arrivé plus d'une
fois qu'on me demande si quelqu'un que je connais très bien et que
je vois presque tous les jours porte des lunettes, et je me rends
compte avec horreur que je n'en ai aucune idée. Il est probable que
ce ne soit pas exactement la même capacité qui soit en jeu, mais c'est
certainement mauvais signe. D'ailleurs, l'autre jour, j'ai passé très
longtemps à regarder les deux glyphes
和et知
(ils font partie des 200 caractères chinois les plus fréquents ; je
vais supposer que tout le monde a des polices installées permettant de
les voir), en cherchant quelle pouvait bien être la différence. J'ai
même recopié les dessins à la main, et je n'arrivais toujours pas à
voir la différence dans ce que j'avais moi-même dessiné !
Pourtant, l'ordinateur me disait qu'il y en avait une, ne serait-ce
que dans les numéros Unicode U+548C
et U+77E5. Ce n'est même pas un problème de ne pas
comprendre : il m'est arrivé aussi de regarder pendant longtemps deux
phrases en français, deux énoncés mathématiques, ou deux lignes de
code légèrement différents et de chercher en vain la différence.
(Combien souvent il m'est arrivé de lire un livre de maths qui
explique on a le théorème <…> ; en revanche, on se gardera
bien de croire que <…>, qui est faux comme on s'en convainc
facilement et de passer un temps fou à chercher la différence
entre les deux affirmations.) Je pourrais dire, encore un effet de
la lecture en diagonale, mais
j'étais complètement nul au jeu des sept erreurs déjà
quand j'étais petit. En revanche, je ne suis pas dyslexique, et je ne
sais pas comment cela se fait quand je mets ça en regard de cette
difficulté que je décris à observer les choses. Bien sûr, une fois
que je remarque la différence, par exemple entre les deux idéogrammes
ci-dessus, elle me semble tellement énorme que je ne comprends pas
comment j'ai pu la rater (et comment j'ai réussi à reproduire les deux
sans remarquer que je ne dessinais pas la même chose).
Outre ma capacité d'observation nullissime, ma patience est aussi
assez limitée pour apprendre des arrangements essentiellement
aléatoires de lignes : je n'ai aucune envie d'apprendre à les tracer
moi-même, ce qui est peut-être indispensable à leur mémorisation, et
j'ai consulté des sites d'étymologie graphique du chinois
(genre celui-ci) en
espérant que ça aide à retenir les zigouigouis, mais c'est
complètement décevant, j'ai beau avoir toutes les informations que je
veux sur le nombre de traits, la « clé », la décomposition graphique,
l'origine, etc., ça reste des zigouigouis informes pour mon cerveau.
J'aurais peut-être plus de facilité à retenir les numéros Unicode, en
fait. Mais bon, je vais essayer de persévérer un petit peu plus
longtemps avant d'abandonner complètement le (2).
[#] Je profite du
passage qui précède pour rappeler que je refuse d'utiliser le mot
ridicule de sinogramme pour désigner les caractères chinois —
que certains préfèrent à idéogramme parce que ces gens ont une
idée extrêmement limitée de ce qu'est, justement,
une idée. J'accepterai de parler de
sinogrammes quand le terme d'égyptogrammes sera devenu le terme
le plus courant pour parler des hiéroglyphes égyptiens (et qu'on dira
aux enfants en CP qu'on va leur apprendre
les romaikogrammesroméogrammes).
Bon, mais le (1), c'est-à-dire la question de la mémorisation des
tons, m'intéresse plus. J'ai remarqué que quand on est confronté à un
phénomène phonétique, il y a trois étapes de difficultés croissante :
(a) arriver à (re)produire le phénomène, (b) arriver à
l'entendre, et (c) arriver à lui créer une case mnémurgique
dans le cerveau.
(a) Prononcer des sons précis n'est, à mon avis, pas très
difficile : il y a bien longtemps, j'ai pris le manuel de l'alphabet
phonétique international, j'ai regardé tous les signes qui y figurent,
et je me suis convaincu qu'il n'y avait pas de difficulté fondamentale
à prononcer la grande majorité d'entre eux (je ne dis pas que je sache
tout faire : je n'ai jamais compris comment opposer une pharyngale et
une épiglottale, par exemple, et j'avoue que quand je regarde la
phonologie de
la langue
xhosa[#2], j'ai très peur ;
mais globalement, si on me dit de prononcer une affriquée
alvéolo-palatale sourde aspirée et labialisée, par exemple, je sais
faire). Il peut y avoir difficulté à articuler successivement
plusieurs sons qu'on sait réaliser isolément, mais dans l'ensemble, ce
n'est pas la prononciation qui est problématique.
[#2] Le xhosa n'est
peut-être pas le
pire. Ici il
est question d'un clic palatal selon une nasale pulmoniquement
ingressive sourde à aspiration retardée ou d'un clic dental
selon une plosive uvulaire prénasalisée suivie de frottement
vélaire, ce qui ressemble plus à un phonétigasme de linguiste qu'à
quelque chose de véritablement prononçable par l'anatomie humaine,
donc je pense que ces gens doivent être surhumains. J'aime aussi
beaucoup la phrase : Taa may have as few as 83 click
sounds, if the more complex clicks are analyzed as clusters.
(Remarquez qu'à côté de ça, ils n'ont pas le son [b]. Trop compliqué,
sans doute.)
La langue
oubykh n'est pas mal non plus, même si pour le coup c'est plutôt
le fait qu'on arrive à distinguer tant de consonnes, donc le (b)
ci-dessous, que leur réalisation elle-même, qui m'impressionne.
(b) Entendre, i.e., distinguer, des phénomènes phonétiques
dont on n'a pas l'habitude, est déjà plus délicat. Par exemple, il y
a quelques années, j'ai décidé de commencer à distinguer les sons /ɛ̃/
(la voyelle de brin) et /œ̃/ (la voyelle de brun) en
français, alors que mon accent « maternel » les
confond. Prononcer la différence ne me posait aucune
difficulté (prononcer les mots père et peur, mémoriser
la différence de position des lèvres, et reproduire celle-ci après
nasalisation) : mais je n'entendais aucune différence dans ce
que je prononçais. Mais à force de m'obliger à faire systématiquement
la distinction, j'ai fini par l'entendre, ce qui était le but de
l'exercice. Depuis, je me suis efforcé d'entendre toutes sortes
d'autres différences phonétiques (et non nécessairement phonémiques),
par exemple la position précise des voyelles des gens qui parlent
anglais : l'exercice présente des
risques, à la manière dont Knuth racontait que depuis qu'il
s'était mis à composer des polices de caractères il ne pouvait plus
commander dans un restaurant parce qu'il était trop occupé à regarder
les polices du menu : je me retrouve parfois à ne pas écouter ce
que les gens disent parce que je fais trop attention
à comment ils le disent ; mais tout ça pour dire que ce n'est
pas très difficile avec de l'entraînement.
Et notamment, il est faux qu'on ne peut entendre correctement que
des différences qui existent dans sa langue maternelle : je n'ai
jamais eu de mal à distinguer une sourde d'une sourde aspirée, par
exemple, alors qu'avant le chinois je n'avais jamais appris un seul
mot d'une langue qui les contraste (l'anglais n'a pas la même consonne
‘p’ dans pin et dans spin,
la première est légèrement aspirée et la seconde ne l'est pas, mais
cette distinction n'est pas contrastive, elle est mécaniquement due à
la présence du ‘s’). Mais dans l'autre sens, j'ai la plus grande
difficulté à entendre la différence entre une occlusive vélaire et une
occlusive uvulaire (le ‘k’ et le ‘q’ de l'arabe standard), même si je
sais les prononcer : si je m'amuse à parler en français en remplaçant
toutes les occlusives vélaires par des uvulaires, j'entends bien que
ça donne un accent bizarre, mais sur un son isolé, j'entends à peine
la différence.
Il est certain aussi qu'on peut apprendre à reproduire des
phénomènes phonétiques sans en avoir conscience. J'ai appris
l'allemand à l'école, par exemple, et je n'ai pas eu tant que ça
l'occasion d'écouter des locuteurs natifs parler. Pourtant, quand on
m'a fait remarquer que la terminaison -er (par exemple dans un mot
comme Berliner) est une voyelle en
allemand (un schwa ouvert [ɐ] ; en fait, le ‘r’ allemand standard se
vocalise dans plus ou moins les mêmes conditions que le ‘r’ des
accents anglais non rhotiques, mais sur un schwa plus ouvert), j'ai
été surpris de découvrir que c'était effectivement comme ça que je le
prononçais alors que personne ne m'avait jamais dit qu'il fallait
faire comme ça. Pour autant, je suppose qu'il est plus efficace,
quand on s'adresse à quelqu'un qui connaît la terminologie générale de
la phonétique, de lui donner les règles, au moins les plus
importantes, au lieu de le laisser patauger à les découvrir lui-même :
mais c'est une question non évidente dans l'apprentissage des langues
(entre donner des règles potentiellement complexes ou laisser le
cerveau les découvrir « naturellement », il faut trouver un
équilibre).
Bon, mais même si on arrive à réaliser et à entendre une
différence, il reste un troisième point non évident : (c) la
mémoriser. Le fait est que la mémoire filtre tout ce qui semble sans
importance dans un énoncé : si quelqu'un me dit quelque chose
aujourd'hui, je retiendrai le sens général plus facilement et plus
longtemps que les mots précis, et je retiendrai les mots précis plus
facilement et plus longtemps que les détails phonétiques même si
je suis capable de les entendre. (De même, si je lis un texte
écrit, je vais retenir les idées plus facilement que les mots précis,
et les mots précis plus facilement que les détails de la police de
caractères ou de la position de chaque mot sur la ligne de
texte, même si je suis capable d'observer ces détails au
moment de la lecture.) Or pour apprendre une langue, il faut
convaincre les circuits mnémurgiques du cerveau de conserver les
informations pertinentes pour cette langue, et ça, ce n'est
pas du tout facile, et je cherche encore les techniques pour y arriver
efficacement.
Par exemple, j'ai parlé du ʿayn
dans une entrée passée : quand j'ai appris un peu d'arabe, je n'avais
aucune difficulté à prononcer ce son, ou à l'entendre dans un mot
donné, mais si j'essayais de mémoriser un mot contenant un ʿayn, une
fois sur deux, ma mémoire me le ressortait plus tard avec un ʿayn
remplacé par un ‘r’. Pourtant, ces sons ne se ressemblent
pas, pas même vaguement : mais ce qui se passe est que le
ʿayn arabe ressemble vaguement au ‘r’ français, le ‘r’ arabe est
transcrit par la même lettre que le ‘r’ français, et donc mon cerveau
avait tendance à classifier le ʿayn comme une variante du ‘r’ et à
confondre les deux.
Je reviens au chinois. Si on met les tons de
côté, la
phonologie du chinois standard est plutôt simple, au moins du
point de vue de celui qui cherche à apprendre la langue, parce que le
nombre de phonèmes est plutôt réduit, ils sont assez faciles à
articuler et assez différents à l'oreille (à part des cas
comme ri contre re — dans la transcription pīnyīn —,
c'est-à-dire quelque chose comme /ɻ̩/ ou /ɻɨ/ contre /ɻɤ/ en alphabet
phonétique, ou peut-être ji /t͡ɕi/ contre qi /t͡ɕʰi/ parce
que la palatalisation rend l'aspiration moins audible). Même
l'ensemble des combinaisons possibles pour former une syllabe est
réduit, quelque part entre 404 et 412 selon ce qu'on compte
exactement. (Du point de vue du linguiste, il y a des questions
potentiellement délicates — peut-être intéressantes, mais peut-être
aussi simplement oiseuses — sur la façon la plus économique ou
pertinente d'analyser la combinatoire des syllabes chinoises : par
exemple, se demander si les syllabes transcrites si
et xi en pīnyīn finissent par le même phonème, ou de même
combien parmi celles transcrites le, lie, luo
et lüe. Mais celui qui apprend la langue se moque bien de
savoir si deux sons qui lui paraissent de toute façon différents sont
différents parce que ce sont des allophones d'un même phonème ou parce
que ce sont des phonèmes différents ; et je ne suis pas persuadé que
la question ait un sens plus profond qu'une simple convention sur la
description la plus agréable.)
Les tons sont, il me semble, faciles à produire, et pas trop
difficiles à entendre. (Au moins si on nous donne cette information
cruciale que le 3e ton est prononcé comme le 2e ton lorsqu'il est
suivi d'un autre 3e ton, et grave lorsqu'il est suivi d'un ton
différent : ce que l'Assimil ne disait pas, et franchement,
s'attendre que les gens l'infèrent par eux-mêmes en écoutant les
enregistrements, je trouve ça un peu coton[#3]. Après, je vois
que des
thèses entières ont été consacrées à la question de comment
expliquer le 3e ton aux étrangers qui apprennent le chinois.)
[#3] D'ailleurs, je me
demande bien comment le cerveau des petits enfants qui apprennent une
langue fait pour découvrir les motifs de ce genre, ou plus compliqués,
parfois complètement cinglés, que les langues vivantes semblent avoir
le don pour s'inventer : je disais plus haut que j'avais appris sans
m'en rendre compte la manière dont le ‘r’ allemand se vocalise, mais
ça a l'air plutôt simple même par rapport aux règles, sur,
disons, la
fermeture de la première composante des diphtongues /aɪ/ et /aʊ/,
que je n'ai pas acquise (ou alors, si je l'avais acquise, que
j'ai perdue avant d'apprendre à la remarquer).
Un signe qu'on peut être tout à fait sensible à l'intonation même
dans une langue non tonale m'a frappé dans le RER B à la
station Orsay-Ville : la voix automatique qui lit les noms des
stations prononce Orsay. Ville. : le son est parfait (je
suppose que c'est un enregistrement, pas une voix de synthèse), mais
l'intonation, descendante sur chaque partie, est complètement bizarre,
comme si elle prononçait deux phrases d'un seul mot, au lieu de lire
le nom composé Orsay-Ville. (Bon, il y a peut-être aussi une
pause excessive entre les deux mots qui renforce cette impression,
mais ce n'est certainement pas tout.)
Mais même si j'arrive à entendre correctement les tons du
chinois (ce qui semble être à peu près le cas), la difficulté, et
l'intérêt de l'expérience, est la partie (c) : savoir si je vais
convaincre mon cerveau de les mémoriser, et de les
mémoriser avec la syllabe, comme partie intégrante de l'unité
lexicale, et pas comme une donnée auxiliaire à la manière de
l'intonation.
Cela n'aide pas que le système de transcription choisi (le pīnyīn)
utilise des diacritiques pour représenter les tons : du coup, ceux-ci
sont considérés comme plus ou moins optionnels par ceux qui recopient
ces transcriptions. Quand on n'utilise pas le nom
francisé Pékin (qui est irréprochable parce que c'est un mot
français, du coup, à la manière de Londres, Munich, Florence ou
Moscou), la capitale chinoise est appelée Beijing parce que les
gens ont la flemme d'écrire Běijīng — c'est catastrophique pour
les gens qui veulent apprendre le chinois, parce que soit cela les
encourage à ne pas mémoriser les tons comme quelque chose d'absolument
indispensable, soit cela les oblige à faire semblant de ne pas avoir
la moindre idée de comment s'appelle en chinois la capitale chinoise.
Mais bon, j'ai déjà râlé sur le
fait qu'une bonne translitération doit avec des propriétés
d'inversibilité, et je pourrais pester des heures sur les gens qui
transcrivent l'arabe en enlevant les ʿayn et ʾalif et les diacritiques
qui indiquent les consonnes « emphatiques » (pharyngalisées), ou
encore les gens qui transcrivent le russe n'importe comment (il faut
dire que le seul mécanisme correct de transcription du
russe, ISO 9, n'est quasiment pas utilisé). Il
aurait été tellement préférable qu'on eût choisi de transcrire les
tons du chinois par des vraies lettres, si bien que personne n'aurait
eu l'idée saugrenue de les ignorer : par exemple, si je devais
reconcevoir le système, je noterais zy, cy et sy
ce qui est noté j, q et x respectivement en
pīnyīn, ce qui serait plus logique et libérerait du même coup les
trois lettres en question pour coder les tons sans avoir à faire appel
à des diacritiques (et peut-être que la capitalie chinoise aurait un
nom plus difficilement lisible, comme Beixzyingj, mais ce ne
serait pas pire que l'irlandais en
matière de lettres bizarres).
En tout cas, pour l'instant, ma conclusion sur (1) les tons est à
peu près aussi négative que sur (2) les idéogrammes : je retiens à peu
près les tons des mots que j'apprends mais je ne les retiens pas
dans la même unité mnémurgique que les sons eux-mêmes (i.e., si
je cherche à retrouver un mot, j'ai d'abord une
prononciation-sans-tons qui me vient à l'esprit, puis, en
faisant plus d'efforts, donc en cherchant apparemment dans une région
différente de mon cerveau, des tons qui viennent s'y ajouter), c'est
donc un échec pour l'instant, mais je suis curieux de savoir si cela
va évoluer avant que ma patience à passer une heure par jour à faire
du chinois ne s'épuise (i.e., vite). Car bien sûr, tout ça
est une question d'efforts consentis : je suppose qu'on finit par y
arriver, la vraie question est de savoir ce que ça coûte (le mythe
selon lequel les adultes apprennent moins bien les langues que les
petits enfants parce que leur cerveau est moins flexible a été pas mal
démonté : le problème est surtout que les adultes ont moins de temps à
consacrer et n'ont personne pour les corriger quand ils parlent
mal).
Ajout () : Sur le fait que
les adultes apprennent moins facilement les langues que les enfants,
et des raisons possibles pour
ça, cette vidéo, bien qu'il s'agisse essentiellement d'une pub
pour un site Web pour l'apprentissage des langues, est intéressante à
regarder. (Voir aussi ce que j'écris
dans mon billet sur la méthode
Assimil.)
Mais je suis étonné que peu de gens abordent la question. Il y a
toutes sortes de pages en ligne qui discutent de moyens
mnémotechniques pour le chinois, et notamment pour les tons (voir par
exemple cette
discussion), mais d'une part beaucoup s'adressent à des gens qui
ont plutôt une mémoire visuelle (par exemple, colorier les idéogrammes
selon leur ton), et d'autre part, comme je l'explique ci-dessus, je
trouve que c'est une question différente de
(i) simplement mémoriser les tons que de (ii) forcer le
cerveau à les mémoriser exactement au même emplacement que la syllabe
elle-même : si mon but était d'apprendre le chinois, ce qui n'est
pas le cas, les moyens mnémotechniques pour mémoriser les tons
séparément de la syllabe pourraient m'intéresser, mais je ne cherche
pas à apprendre le chinois, je cherche à savoir si (ii) est
atteignable et comment (et à la limite, si je me rends compte qu'il
est atteignable, ou si je me rends compte qu'il ne l'est pas, je peux
arrêter le chinois, parce que c'était simplement ça le but recherché).
Maintenant, il est aussi possible que (ii) vienne naturellement si on
réalise (i) ; toujours est-il que la réponse ne semble pas se trouver
en ligne. (Bizarrement, plus de gens sont intéressés à apprendre le
chinois pour apprendre le chinois que pour comprendre le
fonctionnement du cerveau humain. Comme c'est étrange.)
Le neuf mai est le jour où je me balade normalement dans la rue
avec un drapeau européen sur les épaules en fredonnant l'Hymne à
la Joie. Comme aujourd'hui je n'ai pas eu le temps, je vais
plutôt tâcher d'expliquer pourquoi je m'obstine à vouloir croire à la
construction européenne alors que, entre la montée du nationalisme et
de l'intolérance, les tergiversations autour de l'accueil des
réfugiés, les déboires économiques de différents pays, et le Brexit à
venir, la marée a l'air d'avoir tourné (<insérer
ici la
trop célèbre citation de l'acte IV scène 3 du Jules
César de Shakespeare>).
Fondamentalement, je serais plutôt universaliste ; mais un minimum
de réalisme m'oblige à concéder que la construction d'une communauté
des peuples mondiaux n'est pas pour demain, et toute imparfaite
qu'elle est, l'Union européenne est la meilleure implémentation que
j'aie une chance de voir, dans la vie qui m'est impartie, de la
devise : unis dans la diversité. Fondamentalement, je
m'intéresse plus à l'idée d'un rapprochement autour de certains idéaux
des cultures et des valeurs qu'à un projet politique ; mais de
nouveau, une forme de Realideologie(?) m'amène à soutenir la
construction politique comme un compromis raisonnable.
Ce qui est sûr, c'est que je n'arrive pas à me sentir un
attachement à ma nationalité française autrement que comme une mention
sur mon passeport : quelle que soit l'idée que j'essaie de faire de la
France, celle de Colbert (pour le roi, souvent — pour la patrie,
toujours) ou des instituteurs de la IIIe République (nos
ancêtres les Gaulois), elle ne provoque chez moi qu'une vague
d'indifférence. (J'ai un certain attachement pour la langue
française, mais il n'y a que les Français pour s'imaginer qu'ils en
sont en quelque sorte propriétaires ; et même la langue française, je
n'y suis pas tant attaché que simplement conscient du fait que je la
maîtrise mieux qu'une autre. J'ai aussi un profond attachement pour
des personnes et des endroits, chers à mon cœur, qui se trouvent être
en France, mais mon attachement les suivrait ailleurs s'ils
bougeaient.)
Si je considère les étiquettes qui peuvent servir à me définir
(geek, mathématicien, garçon, homosexuel, urbain, parisien, athée,
que sais-je encore), et que j'essaie de les ranger par ordre de
pertinence subjective ou d'attachement émotionnel, français
viendra loin derrière européen, peut-être même
derrière canadien (surtout depuis l'élection de M. Trudeau
fils), alors même que mes connexions personnelles avec le Canada sont,
disons, ténues. (En fait, si on doit trouver une valeur à mettre
derrière l'identité canadienne idéale, il est possible que ce ne soit
pas très différent de l'identité européenne idéale : à savoir, la
volonté d'une société tolérante et multiculturelle.) Assurément,
c'est avant tout parce que les personnes que je croise ou dont
j'entends parler qui revendiquent haut et fort leur lien avec la
France me sont généralement répugnantes, ce qui n'est pas le cas avec
ceux qui se revendiquent comme européens ou canadiens : mais c'est
inévitable, toutes ces étiquettes n'ont pas tant de sens en
elles-mêmes que par ce qu'en font les gens qui veulent bien les
porter. Or si je laisse un peu de côté l'idéal tous les peuples se
valent et que j'essaie d'imaginer un peu quelles sont les valeurs
spécifiquement françaises, je ne trouve pas grand-chose, ou en tout
cas pas grand-chose que j'aurais envie de mettre en avant. Les
valeurs européennes, en revanche, on peut encore imaginer qu'elles
soient à définir, à commencer justement par celle-ci : d'avoir réussi
à supprimer des frontières au lieu d'en créer (ces jours-ci, il faut
le dire vite, mais tout n'est pas encore perdu).
L'Histoire manque d'exemple de peuples qui se sont unifiés
autrement que par la force ou pour faire face à un ennemi commun.
Alors parfois on se sent obligé d'inventer un ennemi commun à l'Europe
(sur toutes sortes de plans : ça peut être des terroristes comme ça
peut être un concurrent économique). Je ne crois pas trop à cette
approche, ni à l'argument consistant à dire que les peuples d'Europe
n'ont pas d'autre choix que de s'unir s'ils veulent avoir une
importance quelconque dans le monde de demain : c'est sans doute vrai,
mais ça reste un très mauvais argument (ne serait-ce que parce que
« avoir une importance » n'est pas un but particulièrement louable, au
mieux c'est un moyen pour un but louable comme la défense de certaines
valeurs). Une Union européenne qui se construirait par opposition au
pouvoir économique de la Chine ne serait pas une construction très
intéressante. On peut aussi se rendre compte que les touristes
chinois, et même dans une certaine mesure les Américains, mettent déjà
l'Europe dans un seul sac sans trop chercher à différencier entre ses
provinces que sont l'Espagne, l'Italie, la Pologne, etc. ; et
peut-être bien qu'ils ont raison de trouver que les différences
culturelles entre ces provinces, même si elles sont réelles, sont
somme toute assez mineures par rapport à celles du pays dont ils
viennent. Les Européens ignorent peut-être trop souvent tout ce qui
les rassemble, i.e., pas seulement l'Eurovision (j'ai le souvenir
amusé de toutes sortes de discussions, sur des forums informatiques
entre Européens, où quelqu'un cherche à décrire une spécificité ou
bizarrerie de son pays, et bien souvent on se rend compte que toute
l'Europe a ça).
Il est de bon ton de se moquer des valeurs que l'Union européenne
et le Conseil de l'Europe essaient d'incarner : quand le prix Nobel de
la paix 2012 a été annoncé, il y a surtout eu des réactions d'hilarité
généralisée. Bien sûr nous disent les souverainistes qu'on
n'a pas besoin de cette usine à gaz pour ne pas faire la guerre à nos
voisins (c'est bien connu, les peuples d'Europe ne font jamais la
guerre à leurs voisins, ça fait tellement XXe siècle) : ça me
fait penser à la blague qu'on dit être la préférée d'Einstein, selon
laquelle le Soleil est bien moins utile que la Lune parce que le
Soleil éclaire alors qu'il fait jour tandis que la Lune éclaire
pendant la nuit — l'Union européenne ne sert pas à maintenir la paix
en Europe puisqu'elle a été mise en place pendant une période
paisible. Bien sûr nous disent encore les
souverainistes qu'on
n'a pas besoin de la Cour européenne des Droits de l'Homme, notre
Constitution garantit déjà très bien les droits fondamentaux (et
bizarrement, quand d'autres pays se font condamner, c'est qu'ils sont
moins bons que nous, mais quand notre pays, qui ne saurait mal faire,
est condamné, c'est que les juges sont des eurocrates déconnectés de
la réalité).
On attaque souvent l'idée d'un état fédéral européen en
demandant : mais tu ne voudrais quand même pas être dirigé par les
Allemands ? (ça marche aussi avec d'autres pays, mais ce sont
souvent les Allemands qui sont pris en exemple). Franchement, cette
objection me laisse de marbre. Le problème avec les Allemands qui ont
occupé la France il y a trois quarts de siècle, ce n'est pas tant
qu'ils étaient Allemands, c'est qu'ils étaient nazis et
qu'ils l'ont, justement, occupée militairement. Mais si
c'est fait dans le cadre d'institutions démocratiques et dans le
respect de mes droits fondamentaux, je ne vois pas pourquoi je
préférerais que les lois qui me gouvernent soient écrites (uniquement)
par des Français que (en partie) par des Allemands ; et en fait, au
rayon des démocraties qui fonctionnent relativement bien, l'Allemagne
me semble actuellement plutôt un des meilleurs exemples qui soient,
donc en fait je n'ai pas spécialement de problème à être aussi dirigé
par des Allemands. Mais les Allemands ne sont qu'un exemple : ce que
je voudrais croire, dans la construction européenne, c'est que les
défauts dans les cultures politiques des uns et des autres
s'annuleraient alors que leurs vertus se cumuleraient — c'est
évidemment idéaliste, mais ce n'est pas absurde si on imagine un
méta-débat sur la manière de gouverner, ou si on remarque que les
nationalistes ont plus de mal à se mettre d'accord entre eux que les
partis plus respectables. En tout état de cause, je ne trouve pas que
les institutions françaises, avec leur accumulation scandaleuse de
pouvoir personnel entre les mains du chef de l'État, l'Assemblée
nationale qui ressemble à une chambre d'enregistrement, et le Sénat
qui est une gifle au principe même de la démocratie, soient meilleures
que les institutions européennes.
Je crois beaucoup à l'équilibre des pouvoirs (ce que les Américains
appellent checks and balance), j'en ai par
exemple parlé ici. C'est pour ça
que je voudrais voir trois niveaux de gouvernement d'à peu près
égale importance : régional (en ce qui me concerne,
l'Île-de-France), national (la France) et continental (l'Union
européenne). En ce moment, l'échelon national a une puissance
démesurée par rapport aux deux autres (à commencer par le pouvoir de
supprimer la collectivité régionale et de quitter l'union
continentale ; pouvoirs que je trouve qu'il ne devrait pas avoir) :
c'est surtout pour cette raison que je me dis à la
fois régionaliste francilien et
fédéraliste européen — ce qui n'a rien de contradictoire. (Je force
le trait en parlant d'indépendance de l'Île-de-France, mais
une forme d'autonomie serait bienvenue.)
Bien sûr, je ne prétends pas que l'état actuel des institutions ou
l'intégration actuelle de l'Union soient parfaits. Je pourrais
décrire les changements que je voudrais voir apportés aux
institutions, mais ce serait un peu technique et d'intérêt limité : le
résumé simple est évidemment plus de pouvoir au Parlement !.
Mais ce que je voudrais surtout, c'est que l'Union serve de mécanisme
de solidarité, c'est-à-dire de répartition des richesses, et donc que
les pays les plus riches (dont la France, qui est un chouïa au-dessus
de la moyenne européenne sur la plupart des indicateurs de richesse)
payent pour les plus pauvres : cette solidarité est actuellement
inexistante, et l'idée en est quasi taboue, mais si il y a un
espoir qu'elle se mette en place, ce ne peut être qu'en passant par
l'Union européenne. Certains me disent que ce rêve de solidarité
européenne est impossible, ou ne pourra se réaliser que dans de
nombreux siècles : ils ont peut-être raison, mais quand on mesure la
rapidité du progrès déjà effectué, dans ce domaine mais aussi
concernant d'autres causes importantes (les droits des minorités
sexuelles), il me semble que le fait qu'il reste beaucoup de chemin à
parcourir ne doit pas être une raison de désespérer.
Je ne prétends pas non plus que les politiques de l'Union
me satisfassent. (Disons surtout que c'est un ensemble très
hétérogène, et impossible à résumer ou à juger en bloc ; je constate
cependant, sur beaucoup de débats, que je me sens globalement plus
proche des positions défendues par le Parlement que par celles
retenues par le Conseil : raison de plus pour vouloir plus de pouvoir
au Parlement, mais aussi, de trouver me méfier des États membres.)
Seulement, je m'abstiens de jeter le bébé avec l'eau du bain : quand
la politique du gouvernement français me déplaît, je ne brûle pas de
drapeaux français, je brûlerais éventuellement les photos de ceux qui
auraient pris des décisions que je rejette : je trouve idiots ceux qui
ne sont pas foutus d'appliquer la même logique à l'Union européenne
(ou, du reste, à n'importe quel pays étranger), et qui n'arrivent pas
à séparer mentalement les actions d'institutions quand même vaguement
démocratiques, et l'entité que ces institutions animent. En vérité,
je ne suis pas terriblement content des gens qui gouvernent
actuellement ni l'Île-de-France, ni la France, ni l'Europe.
Mais peut-être que ce qui me convainc le plus du bien-fondé de la
démarche de construction européenne, c'est de regarder quels sont ses
ennemis. Il est idiot en général de juger un projet par ses ennemis,
mais l'hostilité des mouvements d'extrême-droite à l'Union européenne
est plus qu'un accident : ils se rendent bien compte, et justement, à
quel point la construction européenne est le pire danger pour leurs
idées nationalistes ; comme je pense que l'essor des partis
d'extrême-droite est un des plus graves dangers qui menace l'Europe
(je devrais sans doute en reparler, mais une autre fois), il est
logique que je soutienne ce qui semble la meilleure arme contre eux.
Globalement, plus j'entends Mme Le Pen parler de son petit horizon
franchouillard étriqué, et plus je me sens europhile. (Quant à
l'idée, parfois avancée, que l'Union européenne serait justement
responsable, peut-être par son manque de démocratie, pour la montée du
nationalisme, à part que ça ressemble à rendre le médecin responsable
de la maladie parce qu'à chaque fois qu'on est chez lui on est malade,
de toute façon ça ne marche pas vu qu'en Suisse, pays censément
ultra-démocratique et non membre de l'UE,
l'extrême-droite — celle qui se prétend du centre — frôle les
30%.)
Je devrais finir par dire un mot du Brexit : là aussi, je devrais
peut-être en parler plus longuement une autre fois, mais toujours
est-il que je suis complètement persuadé qu'il aura lieu ; je ne sais
pas si je dois le déplorer (comme début du détricotage de l'Union) ou
m'en réjouir (comme début d'une intégration accrue), mais il est
certain que le Royaume-Uni n'a jamais voulu rien d'autre qu'une union
économique, et je préfère qu'il s'en aille que de limiter
l'UE à une simple union économique. La campagne du
camp Remain ne parle que des aspects
économiques (à quel point ce sera un désastre pour le Royaume-Uni s'il
quitte l'UE, ce qui est peut-être vrai ou peut-être pas,
mais ce n'est pas le point qui compte) ou parfois de sécurité :
peut-être qu'ils n'ont pas le choix parce qu'il est trop tard pour
expliquer aux électeurs l'intérêt d'une union politique quand on leur
a vendu une union économique, toujours est-il que maintenant ils sont
forcés d'être muets face à ceux comme M. Farage ou (l'ancien maire de
Londres et futur Premier ministre) M. Johnson qui parlent de perte
de souveraineté — c'est pour cela qu'ils (ceux qui proposent de
rester uniquement pour des raisons économiques et sécuritaire)
perdront leur referendum.
Pour ma part, cette fameuse perte de souveraineté pour la
France est exactement ce que j'attends de l'Union européenne.