Si vous voulez juste savoir quel goût ont les acides aminés sans lire les tartines que j'ai écrites avant, sautez directement ici.
Table des parties
- Entrée en matière sous forme de longue digression
- Petits rappels sur les acides aminés
- Comment goûter les acides aminés ?
- L'expérience que nous avons menée
- Les résultats :
glycine (Gly), alanine (Ala), valine (Val), leucine (Leu), isoleucine (Ile), cystéine (Cys), méthionine (Met), phénylalanine (Phe), tyrosine (Tyr), tryptophane (Trp), proline (Pro), sérine (Ser), thréonine (Thr), asparagine (Asn), glutamine (Gln), acide aspartique (Asp), acide glutamique (Glu), histidine (His), lysine (Lys), arginine (Arg)
Entrée en matière sous forme de longue digression
Depuis que je suis petit, j'ai une fascination pour la chimie qui se double, il est vrai, d'une certaine hostilité. L'hostilité vient essentiellement du fait que la chimie refuse de se plier à ma mentalité amoureuse de systèmes symétriques et élégants : mais, pire encore, non seulement la chimie refuse de se plier à ce genre de systèmes, mais souvent elle fait semblant de s'y plier, il y a toutes sortes de règles élégantes et apparemment systématiques en chimie… qui sont aussitôt ruinées par des exceptions ou des anomalies[#], parce que Le Monde Est Compliqué® et que les systèmes en question n'en sont que des approximations. (Le plus évident de ces « systèmes » est le tableau périodique des éléments, qui est censé dire que les éléments d'une même colonne ont les mêmes propriétés chimiques, mais on s'aperçoit bien vite que c'est très très approximatif, essayez de respirer du soufre si vous ne me croyez pas.)
☞ Mais en même temps, la chimie c'est incontestablement rigolo. ☜
Ce n'est pas juste que c'est rigolo de faire des expériences : ça
l'est assez, mais je suis terriblement malhabile de mes mains et les
quelques fois où j'ai eu l'occasion de faire des vraies manips
chimiques (soit quand j'étais petit avec des kits pour enfant qu'on
m'a offerts comme jouets pour Noël, soit dans mes études), soit elles
foiraient, soit elles n'étaient pas très impressionnantes (ah, le
pH a un peu changé
), soit les deux. Quand j'étais en terminale je
m'étais laissé convaincre de participer à la préparation dans mon
lycée aux olympiades de la chimie, c'est vrai qu'il y avait des manips
rigolotes, mais j'ai vite compris que ce n'était pas trop pour moi et
j'ai négocié ma désinscription.
Mais, si je m'en tiens à la chimie organique parce que c'est ce dont je veux parler ici, juste l'idée qu'il y a une infinité de molécules concevables, auxquelles on peut donner des noms systématiques[#2] et dont on ne peut que très vaguement deviner les propriétés en regardant la formule, je trouve ça quelque part complètement fascinant. Quel est le point de fusion de l'acide 4-méthylicosanoïque, par exemple, et combien diffère-t-il du point de fusion de l'acide 5-méthylicosanoïque ? Probablement personne ne sait, et c'est fascinant !
Or parmi les propriétés que j'ai envie de demander au sujet de
n'importe quelle molécule chimique dont j'entends parler, c'est :
quelle couleur elle a ? quelle apparence ? Mais
surtout : quel odeur ? quel
goût ?[#3] On connaît
tous l'odeur et le goût de
l'éthanol
(l'alcool
de nos boissons alcoolisées) ou de l'acide éthanoïque
(l'acide acétique
du vinaigre) : mais quels sont ceux
du propan-1-ol ?
du propan-2-ol ?
du butan-1-ol ?
du butan-2-ol ?
du 2-méthylpropan-2-ol ?
j'ai une infinité de questions comme
ça[#4] à poser ! Pour les
acides carboxyliques, on trouve quelques infos, d'ailleurs assez
amusantes, sur l'odeur de
l'acide
propanoïque ou propionique
, qui sent apparemment l'odeur
corporelle,
l'acide
butanoïque ou butyrique
, qui sent apparemment le vomi de
bébé, l'acide
pentanoïque ou valérique
, qui sent apparemment le fromage,
et l'acide
hexanoïque ou caproïque
, qui sent apparemment le bouc : ça
donne vraiment envie de poser la question avec des isomères comme
l'acide 2-méthylpropanoïque
(isobutyrique
), et là les infos sont beaucoup plus vagues
(somewhat unpleasant
dit Wikipédia). Et que dire
des esters ? Le pentanoate d'éthyle a apparemment une odeur de
fruit : difficile à prédire qu'en mélangeant un truc qui a une odeur
de fromage et de l'alcool on obtient une odeur de fruit, c'est magique
tout ça.
Cette question de l'odeur et du goût peut sembler assez anecdotique ou naïve, mais je pense qu'elle est vraiment naturelle et importante en chimie organique. D'abord pour des raisons de sécurité (il y a des odeurs qu'on doit apprendre à pour savoir qu'il faut les fuir immédiatement), mais aussi pour des raisons scientifiques : je pense qu'historiquement, et peut-être encore de nos jours, une bonne partie de l'identification des molécules passaient par ces sens. Nous avons tendance à sous-estimer notre odorat, qui n'est peut-être pas à la hauteur de celui des chats et des chiens, mais qui n'est quand même pas mauvais du tout, et souvent meilleur que ce que nous imaginons, et c'est un peu leur principe même que de distinguer entre des substances chimiques. L'ennui est surtout que nous manquons largement de mots pour décrire nos sensations.
Bref. Tout ça était une longue digression, j'en viens aux acides aminés. Parce que les acides aminés canoniques, contrairement à une substance chimique aléatoire, on peut les manger sans trop de crainte. Qu'on me pardonne quelques rappels à leur sujet pour les gens qui n'ont pas vu ça au lycée ou qui ont oublié depuis.