Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le
reste de ce site web, parle de tout et
de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait),
des maths à
la moto et ma vie quotidienne, en passant
par les langues,
la politique,
la philo de comptoir, la géographie, et
beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas,
ainsi que d'occasionnels rappels du fait que
je préfère les garçons, et des
petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le
nom collectif de fragments littéraires
gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines
entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes
traduites dans les deux langues) ; il est
maintenant presque exclusivement en
français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à
l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par
ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut).
Cette page-ci rassemble les entrées publiées en
août 2018 : il y a aussi un tableau par
mois à la fin de cette page, et
un index de toutes les entrées.
Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs
« catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce
système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque
entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le
texte de l'entrée elle-même.
You are on David Madore's blog which, like the rest of this web
site, is about everything and
anything (mostly anything, really),
from math
to motorcycling and my daily life, but
also languages, politics,
amateur(ish) philosophy, geography, lots of
ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders
of the fact that I prefer men, and
some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the
collective name of gratuitous literary
fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning
(some entries were in English, others in French, and a few translated
in both languages); it is now almost
exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog
entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed
in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top).
This page lists the entries published in
August 2018: there is also a table of months
at the end of this page, and
an index of all entries. Some
entries are classified into one or more “categories” (indicated at the
end of the entry itself), but this organization isn't very coherent.
The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced
before and after the text of the entry itself.
Des figures que j'en ai marre de refaire, et des histoires de kaléidoscopes
Il y a des des figures que je me retrouve à refaire
encore et toujours, à chaque fois que je veux réfléchir à un certain
sujet. Parmi ceux que je reproduis avec une fréquence qui finit par
devenir vraiment pénible, il y a ceux qui apparaissent ci-contre à
droite, et que je me suis enfin de sorti les doigts du c** pour
produire en PDF avec TikZ
(suivez le lien
pour le PDF). Comme je ne suis certainement pas le
seul trouver ces figures utiles pour réfléchir, je les mets en ligne.
Et du coup, je peux en profiter pour faire un peu de vulgarisation sur
ce qu'ils représentent.
Je vais essayer d'expliquer ça sous l'angle de la géométrie
euclidienne élémentaire, à travers la question de classifier et de
comprendre les kaléidoscopes (simpliciaux). L'intérêt, outre
que c'est peut-être plus parlant, est ne pas supposer que qui que ce
soit ait lu mon récent rant
interminable sur les groupes de Lie (mais en même temps, essayer
de dire les choses de manière à quand même éclairer le rant en
question). En fait, après coup, je ne suis rendu compte que ce
n'était pas forcément une très bonne approche, et que cette entrée
ressemble beaucoup à une accumulation de faits qui partent dans tous
les sens et qui ne reflètent pas bien (pun
unintended) l'élégance du sujet. En plus de ça, comme c'est un
sujet que j'ai l'habitude de voir abordé autrement que comme de la
géométrie euclidienne, je ne suis pas très sûr de l'ordre dans lequel
les faits s'agencent logiquement, et je n'ai pas toujours une idée
très claire de la difficulté qu'il y aurait à les démontrer dans une
telle approche. Et aussi à cause de ça, il faut que j'avertisse que
je n'ai pas vérifié très soigneusement (je veux dire, encore moins que
d'habitude…) tous les résultats que j'énonce dans cette entrée, et
qu'il est fort possible que j'aie oublié une hypothèse ou une autre
pour me raccrocher à là où je veux en venir ; notamment, j'ai failli
complètement négliger la
« condition
supplémentaire » que j'ai finalement trouvé utile d'introduire
plus bas dans la définition d'un kaléidoscope. Malgré tout ça,
j'espère que ce que je raconte est au moins un peu intéressant.
Récemment j'ai parlé de
l'apocalypse, et mes lecteurs ont, enfin, avez, été
particulièrement nuls pour ce qui est de proposer ne serait-ce qu'un
grain d'optimisme en contrepoint aux inquiétudes que je formulais.
(Coucou !) Je donc évoquer aujourd'hui vais un sujet plus joyeux : la
mort (individuelle).
J'ai donné à cette entrée un titre un
peu clickbaity[#]…
J'ai failli faire encore pire : la mort comme construction sociale,
et comment l'éviter. Parce que je vais expliquer comment vous
pouvez ne pas mourir, même si, évidemment, il y a un truc, du coup les
grincheux ne seront pas d'accord et diront que c'est une arnaque :
I don't want to achieve immortality through my work; I want to
achieve immortality through not dying. I don't want to live on in the
hearts of my countrymen; I want to live on in my apartment.
— Woody Allen
[#] Tiens, j'ai appris
cette traduction rigolote — quoiqu'un peu vulgaire, mais c'est de
bonne guerre — de clickbait en
français : putaclic. Un titre un peu putacliquesque, donc.
Bon, en fait, non seulement c'est une arnaque, mais en plus, je ne
vais rien dire que je n'aie déjà dit. J'avais essayé de raconter
essentiellement ce que je vais dire
ici dans cette vieille entrée, mais
je pense que je m'y suis très mal pris (évoquer Kant, notamment, était
une erreur de tout point de vue). Puis je l'avais dit de façon
complètement différente, et beaucoup plus
pragmatique, dans ce texte-ci, en
inventant une peuplade appelée
les Qriqrx[#2]
constituée de gens qui s'arrangent, de façon tout à fait pragmatique
et sans magie aucune (ni contorsion philosophique particulière) pour
être immortels, en pratiquant la réincarnation. Mais comme
c'était dans un fragment littéraire gratuit, du coup, je n'ai pas eu
l'occasion d'insister sur le message qui me semble important, à savoir
que non, ce n'est pas une arnaque, les Qriqrx
sont vraiment immortels (enfin, le seraient s'ils existaient
et faisaient comme je le décris ; au moins tant que la tribu se
maintient), et il n'y a donc pas besoin de technologie médicale
extraordinaire[#3] pour rendre
les humains immortels, il suffit d'un peu d'organisation sociale. La
mauvaise nouvelle, c'est que nous ne pouvons pas simplement appliquer
la technique des Qriqrx parce que, ni socialement ni personnellement,
nous ne concevons pas notre identité comme éternelle.
[#2] Si certains se
demandent comment ce mot doit se prononcer, dans mon esprit c'est
quelque chose comme [qʁɪqʁʂ̩] (si vous ne savez pas lire l'alphabet
phonétique, cricrich sera une approximation passable).
[#3] Maintenant, je
n'ai rien contre le fait qu'on développe quand même une telle
technologie (surtout si elle lutte principalement contre le
vieillissement, ce qui est un problème assez différent de la
mort). Je précise ça parce qu'il y a des gens qui
font de la lutte contre le vieillissement et/ou la mort un cheval de
bataille et qui ont l'air de penser qu'il y a une mentalité
« pro-mort » (affirmant que la mort est non seulement inévitable mais
aussi souhaitable) contre laquelle ils doivent combattre avec des
spots de propagande
comme celui-ci. Je trouve ça un peu
surréaliste : oui, évidemment, si on trouve une technologie médicale
qui permet d'arrêter complètement le vieillissement, il faudra se
poser la question de comment persuader les gens de ne plus faire
d'enfants ou d'accepter quand même de mourir ou je ne sais quoi, mais
est-ce qu'il y a vraiment des gens qui ont besoin d'une campagne de
pub pour une technologie qui a présentement l'air aussi inatteignable
que la pierre philosophale ?
Je ne prétends à aucun titre à l'originalité : je suis sûr que des
auteurs de SF plus talentueux que moi ont décrit des
mondes très proches de ce que j'évoque avec mes Qriqrx. Et des idées
très proches de ce que je vais suggérer plus bas ont été évoquées à
propos de la conscience et de l'identité-de-soi : voir notamment vers
la fin
de ce
texte et l'ensemble
de celui-ci.
Bref, c'est parti pour encore une couche de radotage de ma
part.
*
Ce que j'ai déjà essayé à diverses reprises
(surtout ici, mais sans doute aussi
assez mal ; et peut-être également
dans ce fragment) de développer est
l'idée que, si le monde matériel n'est indéniablement pas une
invention de l'homme, la manière dont nous le structurons mentalement
est une construction humaine et sociale, et au cœur de cette
construction du « monde enchanté » repose la conception de
l'identité, qui peut prendre toutes sortes de formes. Je
trouve l'idée assez bien décrite dans ce passage assez célèbre :
Quelques points de vue (de matheux) sur les grandeurs physiques et unités de mesure
Dans cette entrée, je voudrais évoquer la question
des grandeurs physiques (longueur, durée, vitesse, masse,
courant électrique…) et des unités de ces grandeurs. Je vais
jeter un regard de matheux sur ce que ces choses sont, proposer
quelques points de vue ou (esquisses de) définitions formelles
possibles, et m'interroger sur l'utilité et la pertinence de ces
points de vue, notamment pédagogiques, mais aussi du point de vue de
la question de l'incertitude des mesures.
Je précise que cette entrée part un peu dans tous les sens, parce
que j'ai commencé par écrire de la façon dont les idées me venaient
(ou me revenaient, parce que ce sont des idées que je rumine depuis
longtemps), et j'ai voulu raconter trop de choses à la fois, donc il y
a plein de digressions. En plus de ça, j'ai un peu permuté les bouts
que j'avais écrits (il en reste certainement des incohérences comme
des je vais y revenir alors que les choses sont dans un autre
ordre), puis repermuté, puis re-repermuté au fur et à mesure que
j'ajoutais des digressions, et finalement je ne sais plus du tout dans
quel ordre je dis les choses. Heureusement, il n'y a pas trop de lien
logique clair ni de dépendance entre les différents morceaux ce que je
raconte, donc on doit pouvoir lire cette entrée dans le désordre
puisque c'est comme ça qu'elle a été écrite ! J'ai essayé de marquer
par des triples accolades {{{…}}}
(cf. ici) les digressions les plus
identifiables, dans l'espoir que ça aide à s'y retrouver un peu.
À l'origine je voulais parler de la manière dont un mathématicien
peut définir ce que sont les grandeurs physiques et leurs unités.
Mais je n'ai pas résisté à parler d'autres choses, à faire un tableau
de plein de grandeurs (ci-dessous) et à entrer dans des discussions
sur ce que sont les grandeurs dans la pratique, sur les incertitudes
et les échelles de masse. J'ai commencé à écrire des choses sur la
réforme du SI qui doit avoir lieu d'ici quelques mois,
puis je me suis dit que non, ça faisait vraiment trop, mais il en
reste quand même des bouts… (Je garde donc pour une entrée ultérieure
les explications précises sur la réforme du SI, même si
j'y fais allusion à diverses reprises ici.) Bref, voilà pourquoi
cette entrée est encore plus désordonnée que d'habitude. J'espère
qu'il y a quand même des choses à en tirer !
⁂
Pour essayer de fixer la terminologie, j'appellerai grandeur
(plutôt que dimension qui peut causer confusion) quelque chose
comme « la masse » de façon abstraite ; et j'appellerai quantité
[de cette grandeur] une masse particulière (par exemple 70kg),
mesurée, donc, dans une unité. Si on veut parler comme un
informaticien, donc, la grandeur sera, pour moi,
le type
(« la masse »), tandis que la quantité sera l'instance de ce
type (70kg). Et l'unité est une quantité particulière (de la
grandeur) qu'on a choisie pour exprimer toutes les autres. Comme
n'importe quelle quantité non nulle (disons peut-être strictement
positive) peut servir d'unité, la différence entre « quantité » et
« unité » est juste une question de regard qu'on porte dessus.
Je ne sais pas si ce choix terminologique était le meilleur, je
conviens que c'est un peu contre-intuitif de dire que la grandeur
de [la quantité] 70kg est la masse, mais je ne suis pas certain
qu'il existe de choix vraiment bon (et puis, maintenant que c'est
fait, je n'ai plus envie de tout rééditer). J'ai essayé de m'y tenir
systématiquement, de toujours utiliser le mot grandeur pour le
type et quantité pour la valeur dans le type, mais je ne peux
pas exclure quelques lapsus occasionnels.
Ajout () : En
fait, je ne distingue pas vraiment la grandeur et la dimensionnalité
de cette grandeur (définie formellement ci-dessous), par exemple je ne
distingue pas les grandeurs « énergie » et « moment d'une force »
(tous les deux ayant l'unité SI de kg·m²/s², même si dans
un cas on l'appelle plutôt le joule et dans un autre cas plutôt le
newton·mètre, la distinction est plus mnémotechnique que
fondamentale) ; de même, pour moi, le watt et le volt·ampère sont bien
la même chose, nonobstant le fait qu'on ne les utilise pas exactement
de la même manière ; je vais faire occasionnellement allusion à ce
problème.
⁂
Bref, qu'est-ce que c'est que toute cette histoire ?
Pour commencer, une des propriétés des grandeurs et des unités est
qu'on peut les multiplier et les inverser (donc, les diviser) ; alors
qu'on ne peut ajouter ou soustraire que des quantités de même
grandeur, mais ça j'y reviendrai plus loin. Par exemple, une unité de
longueur divisée par une unité de durée (=temps) donne une unité de
vitesse (mètre par seconde, kilomètre par heure) : et il s'agit bien
d'une division des quantités correspondantes (1km=1000m, 1h=3600s donc
1km/h = 1000m/3600s = (1000/3600)m/s = 0.2777…m/s). On peut dire que,
indépendamment des unités, la grandeur « vitesse » est le quotient de
la grandeur « longueur » par la grandeur « durée ». De même, la
grandeur « surface » est le carré de la grandeur « longueur » (son
produit par elle-même). Et la grandeur « fréquence » est l'inverse de
la grandeur « durée » (l'unité SI de fréquence, le hertz,
est l'inverse de l'unité SI de temps, la seconde).
Je persiste à ne pas comprendre la théorie quantique des champs
J'ai écrit il y a quelques jours
une tentative de vulgarisation sur
le sujet de la physique des particules, mais je dois être bien clair
sur le fait que c'est partiellement une escroquerie : pas que j'aie
dit des choses fausses (je pense que ce que j'ai raconté, dans la
mesure où ce n'est pas simplifié au point de ne plus avoir de sens,
est raisonnablement correct), mais que
fondamentalement je ne comprends
toujours pasde quoi il est question. Disons que j'ai
une certaine idée de la physique du modèle standard, une certaine idée
des mathématiques qui le sous-tendent, et quelques bribes sur la
manière dont ces choses se connectent, mais le dessin d'ensemble est
toujours extrêmement flou ; j'ai quelques bouts de puzzle qui sont en
place dans ma tête, y compris des bouts côté physique et des
bouts côté maths, mais malgré quelques pièces placés çà et là
entre les deux, il demeure un gros trou au milieu du puzzle, et je ne
sais pas le compléter ni même s'il est complétable. Et ce qui est
encore plus frustrant, c'est que ce n'est toujours pas clair pour moi
si c'est le cas pour tout le monde ou juste pour moi (je
pense que c'est quelque chose entre les deux : il y a des choses qui
sont floues pour tout le monde, et il y en a beaucoup plus qui sont
floues pour moi).
En tant que matheux, j'aime bien que les choses soient définies de
façon raisonnablement précise et rigoureuse, ou en tout cas avoir
l'impression qu'avec un peu d'efforts j'arriverais à les rendre
précises et rigoureuses, même si cette précision ne permet pas de
faire des calculs. Un physicien, lui, (s'il n'est pas théoricien des
cordes ), est en principe préoccupé par le fait de
savoir tirer des conséquences expérimentales de ses théories, peu
importe qu'elles soient mathématiquement rigoureuses. (Feynmann a
notoirement comparé la rigueur mathématique à
la rigor mortis, mais il semble que la citation
ait été déformée, je la trouve sous cette forme injustement
simpliste : ce n'est pas la rigueur mathématique qui devrait poser
problème à un physicien, c'est le manque de rigueur physique, or les
deux ne sont pas incompatibles.)
Dans la plupart des théories physiques que je connais (mécanique
newtonienne classique, électromagnétisme, relativité restreinte,
relativité générale, ou même la « première quantification »), j'ai
l'impression que l'intervalle entre ces deux approches n'est pas
infranchissable ; dans le cas de la théorie quantique des champs, je
me heurte vraiment à un mur.
Je souligne que quand je demande que les choses soient définies de
façon mathématiquement précise, je n'en demande pas tant que ça. Par
exemple, si une théorie physique s'énonce en disant que l'état du
monde est régi par telle équation aux dérivées partielles, ça me
convient assez bien : je ne demande pas forcément que ce soit
accompagné d'un théorème d'existence et d'unicité du problème de
Cauchy (des solutions de l'équation). C'est mieux s'il y en a un,
mais ça je comprends que c'est le boulot des matheux (et des
analystes, dont je ne fais pas partie) de le démontrer : il n'y a pas
de problème à ce que les physiciens disent l'équation est la
suivante, et physiquement on pense qu'il y a existence et unicité de
la solution dans les conditions raisonnables de validité de la
théorie. Mais je voudrais au moins que le problème soit
posé de façon précise.
D'ailleurs, je ne demande même pas que le problème soit posé de
façon précise dans les détails, mais au moins d'avoir quelques idées
sur comment il pourrait l'être. Je ne pense vraiment pas que ce soit
tomber dans la rigor mortis que d'en demander
tant.
Si je lis un livre de théorie quantique des champs pour les
physiciens, j'ai l'impression insupportable qu'on m'explique comment
faire plein de calculs (et à la limite, je comprends ces calculs, même
si je n'ai pas envie de les vérifier ligne par ligne, au moins je
comprends le principe de ce qui se fait). Essentiellement des calculs
(« perturbatifs »)
d'« amplitudes »
et de
« sections
efficaces », qui sont des choses qu'on peut relier ensuite à des
vraies mesures faites par des vrais expérimentateurs dans des vrais
accélérateurs de particules. Mais fondamentament j'ai l'impression de
ne comprendre ce que sont aucun des objets manipulés dans les calculs
(à commencer par la notion même de champ quantique). A
contrario, si je lis un livre de théorie quantique des champs pour
les matheux, on me donne des jolis axiomes
(notamment ceux
de Wightman), on me parle de groupes de Lie et de représentations,
de choses qui me sont plus compréhensibles, mais fondamentalement j'ai
l'impression de ne pas comprendre le rapport avec la physique, ou en
tout cas avec ce qui est raconté dans les livres pour physiciens. Où
est le dictionnaire entre ces deux points de vue ?
Un lieu commun repris dans toutes sortes d'œuvres de fiction
représente une sorte de gourou qui tient une pancarte disant la fin
du monde est proche ! repentez-vous ! (je crois même avoir vu
quelque chose de la sorte dans la vraie vie, mais c'était peut-être
un faux souvenir). Le gourou en
question est évidemment un illuminé. Je vais maintenant tenir des
propos semblables (sauf le repentez-vous), et j'aimerais bien
qu'on m'explique que je suis un crackpot et que mes inquiétudes sont,
sinon infondées, du moins exagérées.
J'ai déjà exposé des idées de ce
genre ici il y a longtemps (et dans
une certaine mesure ici), mais il y
a un certain plaisir à radoter exprès de temps en temps, et je vais
développer bien plus que je ne l'avais fait autrefois. Désolé si ce
n'est pas très drôle à lire, et si ça part un peu dans tous les sens.
(Désolé aussi si c'est confus, mais comme je redis plein de fois la
même chose, peut-être que la N-ième répétition sera la plus
claire.) Et si vous trouvez que c'est du pur délire, je répète : tant
mieux, et racontez-moi vos contre-arguments — il est évident qu'en la
matière je préfère avoir tort qu'avoir raison.
J'ai été traumatisé (je suis obligé de divulgâcher, et je ne vois
pas comment l'éviter, parce que dès que je dis le titre du livre, en
rapport avec le sujet de cette entrée, c'est chose faite, mais bon, il
y a plus dans le livre que je vais nommer que le petit peu que j'en
révèle) par la lecture du
roman Nightfall
d'Isaac Asimov et Robert Silverberg (en fait, c'est une nouvelle
d'Asimov que Silverberg a étendue en roman, mais peu importe qui a
fait quoi au juste). Pour ceux qui veulent un divulgâchis sérieux
(les autres, sautez la fin de ce paragraphe), je raconte un peu de
quoi il est question. Cela se passe sur une planète très semblable à
la Terre mais dont la surface est éclairée en permanence par plusieurs
soleils : à cause de ça, les habitants cette planète ne connaissent
pas le concept de « nuit » (ni d'« étoiles »), et ont une peur
absolument panique du noir. Mais une fois tous les 2000 ans, lors
d'un des moments où il n'y a qu'un soleil dans le ciel (d'une partie
de la planète, je suppose — je ne me souviens plus si on apprend qu'un
seul hémisphère est habité ou quelque chose comme ça), il se produit
une éclipse qui obscurcit ce dernier soleil, provoque la nuit, et
révèle les étoiles. Bien sûr, personne n'est au courant de ce fait
(ni même de l'existence du satellite capable d'obscurcir le dernier
soleil). Le livre commence par montrer en parallèle un groupe de
scientifiques qui découvre une perturbation anormale dans le mouvement
de la planète (qui va les conduire à déduire l'existence du satellite
et de l'éclipse périodique) ; un autre groupe qui mène des fouilles
archéologiques et découvre une civilisation plus ancienne que tout ce
qui était connu et qui a été détruite par une sorte d'incendie
cataclysmique il y a 2000 ans, puis une civilisation encore plus
ancienne qui a subi le même sort, et plusieurs autres couches de ce
genre, avec une sorte d'apocalypse tous les 2000 ans ; et enfin, un
groupe d'illuminés religieux qui prophétisent que la fin du monde est
proche. Je ne donne pas plus de détails, mais on devine qu'il y a un
Gros Problème.
Un autre livre dont j'ai entendu parler (plutôt en bien), mais
cette fois je ne l'ai pas lu et je ne compte pas le lire parce que je
n'ai pas besoin qu'on remue mes phobies plus que ça,
c'est Lights Out de David Crawford, qui, de
ce que je comprends, est l'histoire d'une coupure d'électricité
massive et de la difficulté à redémarrer le réseau électrique et de la
difficulté à survivre quand il n'y a plus de courant et que tant de
choses qu'on tient pour acquises en dépendent. (Voir aussi le petit
texte d'Albert-László Barabási intitulé We're All On
The Grid Together
sur cette
page, texte que j'ai déjà signalé dans une entrée précédente liée
ci-dessus.)
De quoi est-ce que je veux parler au juste ? Quand j'évoque
l'apocalypse, ce n'est certainement pas la fin de l'Univers (pour ça,
voyez ceci ou, en plus
précis, ici, mais ça ne m'empêche vraiment pas de dormir), ni
même de la Terre, ni même de la vie sur Terre, peut-être même pas de
la vie humaine, ni qu'un titan de l'espace rassemble sur son gantelet
les Six Pierres Magiques Qui Rendent Omnipotent et claque des doigts,
mais simplement l'effondrement de notre
civilisation[#]. Bêtement, je
me suis assez attaché à cette civilisation, malgré tous ses défauts et
toutes ses bêtises, pour être assez contrarié à l'idée qu'elle
s'effondre. Et aussi, le cliché usé
du monde
post-apocalyptique m'agace déjà assez prodigieusement dans sa
présentation stéréotypée au cinéma, je n'ai vraiment pas envie de le
vivre en vrai, merci.
[#] Une citation célèbre
attribuée à Mohandas
Gandhi, malheureusement
apocryphe (mais absolument géniale qui qu'en soit l'auteur), veut
qu'un journaliste ait demandé à Gandhi ce qu'il pensait de la
civilisation occidentale, et il aurait répondu I
think it would be a good idea.
J'aimerais bien comprendre d'où viennent tous ces PDF cassés
(Attention, râlerie !)
Tout le monde utilise le format PDF. Sur le principe,
c'est une bonne idée : un format standardisé de documents sous forme
vectorielle, c'est exactement ce dont on a besoin pour échanger des
documents pré-formatés et prêts à être imprimés. Sauf qu'en fait,
comme souvent dans le monde de l'informatique, il y a un truc qui est
censé être un standard, et il y a, en fait, mille et une façons de
l'interpréter, mille et une façons dont un document peut être rendu,
et mille et une petites crottes de ragondin qui viennent tout
compliquer. J'imprime mes PDF typiquement avec les
programmes evince, xpdf
ou okular, je suppose que, Unix étant Unix, les documents
sont convertis douze fois en PostScript et de nouveau
en PDF à travers
les entrailles incompréhensibles de
GhostScript, de CUPS, du système d'impression centralisé
mis en place à Télécom ParisPloum, et enfin du photocopieur
multifonction qui sert d'imprimante dans mon couloir (et qui accepte
certainement les PDF directement, mais ce serait trop
simple si on pouvait juste les lui envoyer !).
Par exemple, dès que j'imprime une page contenant de la
transparence, comme le format PDF supporte la
transparence mais pas le format PostScript (et je ne
comprends pas pourquoi on n'a pas juste décidé en fait, si, les
mécanismes de transparence de PDF sont rétroactivement
déclarés valables en PostScript, ce qui aurait tout simplifié),
quelque part dans ces entrailles incompréhensibles, un programme
décide que hum, je ne peux pas fabriquer un PostScript avec de la
transparence, ce n'est pas possible !, rasterisons ça en image bitmap
à la place, et la page sort à l'impression complètement différente
du reste du document, et beaucoup plus moche. (J'aimerais bien
trouver comment lui dire bordel, produis un PostScript contenant de
la transparence, ou passe par le format PDF tout du long
puisque l'imprimante le supporte, ou à la limite, démerde-toi pour que
la rasterisation produise un résultat parfaitement indiscernable à
l'œil nu si elle est fait à ton niveau ou plus bas dans la chaîne,
mais en tout cas, arrange-toi pour que les pages ayant de la
transparence dans le PDF ne s'impriment pas différemment
des autres ! ; mais ce n'est pas tellement ça l'objet de ma
râlerie aujourd'hui.)
Parfois mes documents s'impriment à l'envers ou sont agrafés au
mauvais endroit ou autre bug bizarre : pendant longtemps, tous les
documents PDF que je récupérais de l'arXiv étaient
imprimés avec la première page à l'envers (et juste la
première page), certainement à cause du numéro que l'arXiv appose sur
le côté de la première page, mais je ne comprends pas le rapport exact
de cause à effet ; à un autre moment, tous les PDF que
j'imprimais recto-verso n'étaient recto-verso qu'à partir de la
page 2, la page 1 s'imprimant toujours seule sur une page (et du coup,
la parité des pages était cassée). Bref, toutes sortes de bugs
incompréhensibles, que j'ai tendance à mettre sur le dos du
format PDF.
Mais parmi ces bugs, il y en a un que je rencontre particulièrement
souvent. Il semble apparaître sur des PDF issus de
vieilles versions de TeX, ou de vieilles sources, ou quelque chose de
ce goût. J'en ai un exemple
avec cet article
(cliquez sur PDF dans la
colonne download à droite). Selon l'outil que
j'utilise pour lire ce PDF, soit c'est très lent, soit
c'est très moche, soit il me crache des bordées d'injures.
Notamment, xpdf, quand je lis un tel PDF,
affiche des quantités énormes de lignes Syntax Warning: Bad
bounding box in Type 3 glyph, ce qui donne une petite idée de
ce qui se passe (les polices de Type 3 sont les polices
PostScript/PDF les plus générales, celles qui peuvent
contenir n'importe quelles commandes PostScript, et je suppose
qu'elles sont générées par pdfTeX ou je ne sais lequel des mille et un
mécanismes de conversion d'un fichier TeX en PDF — parce
que ce serait Trop Facile s'il y en avait un seul — lorsque la police
n'existe pas au format vectoriel compatible PDF et qu'il
faut faire appel à Metafont pour générer des polices bitmap ; et
une bounding box incorrecte doit signifier que la
police déclare des métriques qui sont incompatibles avec ce qu'elle
contient réellement ; mais ce que tout ça ne m'explique pas, c'est
comment on s'est retrouvé à produire des polices Type 3 ayant
une bounding box incorrecte ni, a
fortiori, comment réparer ce problème).
Et un des symptômes de ce phénomène de fichiers PDF
bizarrement cassés, c'est que parfois, quand on les manipule, tous
les signes moins disparaissent. Par exemple, si je prends
le PDF que j'ai donné ci-dessus comme exemple, et que je
le passe par pdftocairo -pdf (qui est censé transformer
un PDF en un PDF absolument identique, mais
parfois ça aide à nettoyer des problèmes périphériques au
format PDF), à la page 2, vers le milieu de la 4e ligne
du dernier paragraphe, où on est censée lire the
first i−1 induction steps, le texte devient the
first i 1 induction steps (le signe moins disparaît
complètement, quoi).
J'aimerais bien comprendre comment une merde de ce genre est
possible. Je devine que le problème est lié au fait que
la bounding box du signe moins est très peu
haute, peut-être même de hauteur nulle (ce qui serait évidemment un
bug en soi : aucun caractère visible ne peut avoir une boîte de taille
nulle), mais ça ne m'explique pas comment ce problème est apparu pour
commencer. Si le format PDF était bien foutu, ça devrait
être possible de dire avec clarté soit que le fichier PDF
distribué par l'arXiv est cassé (i.e., le programme qui l'a produit
est cassé), soit que pdftocairo l'est, mais en tout cas
que l'un d'entre eux doit être réparé. Mais je soupçonne que le
format n'est pas assez bien défini pour qu'on puisse dire qui est
coupable (et c'est peut-être « les deux »).
Je donne ici l'exemple de pdftocairo, on va me dire,
je n'ai qu'à ne pas l'utiliser. Certes, mais il y a toutes sortes
d'autres contextes où le même problème se produit. J'ai déjà entendu
des histoires de matheux qui ont envoyé des articles à publier et
quand le journal est sorti, tous les signes moins manquaient (sur le
papier). Ce qui, s'agissant d'un article de maths, est un peu
gênant ; et un peu mystérieux parce que ce n'était sans doute pas
la première fois que le journal rencontrait un article produit par
TeX. Le point commun entre tous les contextes « les signes moins
disparaissent » est obscur (voir par
exemple ce
vieux fil de discussion comp.text.tex, qui n'a
visiblement aucun rapport avec pdftocairo). On trouve un
bug de ce genre (le même ?) rapporté contre evince
dans ce
bug-report, qui est
censé avoir
été corrigé dans Cairo, mais soit la correction n'a pas atteint la
version 0.48.0 de pdftocairo que j'utilise, soit c'est
encore autre chose (de toute façon, je doute que ce soit le même bug
que celui signalé dans le fil comp.text.tex vieux de
17 ans, donc des variantes du même phénomène doivent réapparaître
périodiquement).
Mise à jour
() : En compilant
un cairo récent (version 1.15.12) et
un pdftocairo récent (poppler-0.67.0), le
problème du signe moins qui disparaît ne se pose plus. (Comme je le
dis en commentaire, c'est bien ma veine de tomber sur un bug vieux de
vingt ans(?) et de découvrir qu'il est corrigé dans la
version juste après celle que j'ai sur mon PC…)
Ça ne m'empêche pas de penser que ce PDF est foireux (ou
alors que les polices bitmap sont vraiment très mal gérées par tous
les programmes que j'ai), ne serait-ce que compte tenu de la lenteur
de l'affichage et de la laideur du résultat à l'écran : c'était
peut-être un bug de pdftocairo de ne pas reproduire les
caractères ayant une bounding box nulle, mais
c'est aussi un bug du document si des caractères non vides
ont une bounding box nulle.
Et surtout, j'aimerais bien savoir comment réparer
ces PDF tout cassés : comment les transformer en des
fichiers qui s'affichent à l'écran, avec tous les programmes que je
suis susceptibles d'utiliser, de façon jolie et semblable à ce qui
sortira effectivement de l'imprimante. (Dans certains cas,
j'utilise pdftocairo à cet effet, mais comme je viens
d'expliquer, là, ça ne marche pas.) Si c'est
la bounding box qui pose problème, est-ce qu'il
n'y a pas un outil pour recalculer la bounding
box de tous les caractères du PDF, ou pour
l'augmenter de 1 ou 2 points ? (ou, si ça ne suffit pas, la rendre
égale à la page tout entière, d'ailleurs). Si j'en juge par
l'ancienneté de l'article de l'arXiv vers lequel j'ai fait un lien, ce
problème existe depuis au moins 20 ans, c'est impressionnant qu'il
continue à poser problème maintenant…
(Merci d'avoir fait semblant d'écouter ma râlerie et merci d'avance
de vos témoignages de soutien et de compassion.)
Vulgarisation de la physique des particules avec un peu d'algèbre linéaire
Bon anniversaire à moi ! 🎉🎂 Comme cadeau, vous
pouvez lire le texte qui suit sur la physique des particules et faire
semblant de l'avoir trouvé intéressant !
Je ne sais même pas pourquoi je parle de ça, moi. J'ai plein
d'autres choses qui s'empilent dans la TODO-list (enfin, la
TORANT-list) de ce blog, mais bon, ce truc m'est revenu à l'idée,
voilà, voilà.
⁂
J'écrivais il n'y a pas
longtemps à propos de la vulgarisation scientifique que ça me
semble intéressant et important de faire de la semi-vulgarisation : de
la vulgarisation qui s'adresse non pas au grand public mais à des gens
qui ont déjà des connaissances préalables ou partielles dans tel ou
tel domaine proche (ou préalable) de celui qu'on cherche à vulgariser,
par exemple des scientifiques d'autres disciplines. Évidemment, cette
idée est d'autant plus féconde qu'on peut trouver des connaissances
intermédiaires relativement répandues et qui aident à bien mieux
éclairer la cible qu'on cherche à expliquer.
Il y a un exemple qui, depuis longtemps,
me semble particulièrement prometteur à cet égard, c'est celui
de :
connaissance présupposée = de l'algèbre linéaire (au moins en
dimension finie),
cible à expliquer = la théorie des particules (disons
le modèle standard).
Ça n'a rien d'original. J'en ai d'ailleurs parlé à plusieurs
reprises (voir notamment ici
et là), ne serait-ce que pour dire
que je ne suis pas la personne la mieux placée pour faire ça
(cf. ici) ; et j'en avais même fait
un petit bout à propos des
neutrinos. Mais je peux être un peu plus précis sur ce dont il
est question.
Il y a évidemment bien plus dans la mécanique quantique, ou a
fortiori dans la théorie quantique des champs, que de l'algèbre
linéaire ! Néanmoins, il me semble que beaucoup des phénomènes les
plus contre-intuitifs de la mécanique quantique, et beaucoup des
choses les plus difficiles à vulgariser auprès du grand public en
physique des particules, deviennent immensément plus clairs dès qu'on
introduit un petit peu d'algèbre linéaire. Or l'algèbre linéaire est
quand même quelque chose de moins ésotérique, et sa compréhension est
plus répandue, que les arcanes de la physique des particules : mais
comme en même temps comprendre un peu la structure de l'Univers à très
petite échelle intéresse beaucoup de gens, je pense qu'il y a matière
à ce que l'approche soit féconde.
C'est ce que j'avais fait (enfin, essayé de faire) dans mon petit
texte sur les oscillations des neutrinos, mais le principe général
devrait pouvoir s'appliquer à d'autres morceaux du modèle standard.
(Le modèle standard est la théorie qui décrit le tableau général de la
physique des particules élémentaires et forces fondamentales connues,
gravitation exclue, dans le cadre de la théorie quantique des champs.)
Je veux dire, l'image qu'on donne du modèle standard si on cherche à
la vulgariser auprès du grand public présente toutes sortes
d'inexactitudes difficiles à corriger, juste en listant les particules
élémentaires, notamment dans le secteur électrofaible ; alors que dès
qu'on introduit un peu d'algèbre linéaire, il devrait être
possible de dresser un portrait beaucoup plus fidèle de la théorie (y
compris la brisure spontanée de la symétrie et le condensat de Higgs),
sans aller jusqu'à en donner des équations (sans expliquer ce que sont
un lagrangien et la renormalisation). Essentiellement, il s'agirait
de rester globalement au niveau de la « première quantification »
(= « théorie classique des champs », la terminologie est
épouvantable), quitte à discuter plus tard des subtilités
supplémentaires apportées au niveau de la théorie quantique des
champs ; et de toute façon, même au niveau de la théorie classique des
champs, se contenter de choses comme compter les dimensions et évoquer
des changements de bases entre espaces de particules.
Mais, au risque de décevoir, ce n'est pas vraiment ce que je fais
ici. Même si cette entrée est déjà très longue, je n'ai pas du tout
la place d'y faire un portrait correct du modèle standard. (Si je
pouvais persuader un vrai physicien de prendre les choses vraiment au
sérieux, évidemment, ce serait parfait ; ou si on me dénichait un
texte déjà écrit dans ce genre.) À défaut, ce que je peux faire,
c'est donner, à travers des exemples (plus ou moins détaillés, et
parfois juste esquissés), quelques pistes sur ce à
quoi ressemblerait une telle vulgarisation.
Point de vue général
Le point de départ des explications c'est que ce qu'on
appelle particule élémentaire est une vibration, une onde, dans
un « champ quantique ». (On peut supposer que le lecteur, en plus de
connaître un peu d'algèbre linéaire, a au moins une vague idée de ce
que c'est qu'une onde et que ce n'est pas la peine de recourir à des
comparaisons fatiguées à base d'ondes sur la surface de l'eau.) Le
fait que ces champs soient, justement, quantiques (← « seconde
quantification »), a pour implication le fait que ces vibrations
viennent par quantités minimales, par « quanta », et c'est ce qu'on
appelle une particule (dualité onde-corpuscule) ; mais ce n'est pas
tellement ça le sujet de la vulgariation. Faisons comme si on avait
affaire à des vibrations prenant leurs valeurs dans un « espace
vibratoire »[#] (i.e., restons au
niveau de la « première quantification »).
[#] Je ne trouve pas de
terme générique pour désigner le ou les espaces vectoriels dans
lesquels les différents champs de la théorie (classique ou quantique)
des champs prennent leurs valeurs. Donc je sors de mon chapeau ce
terme complètement pourri d'espace vibratoire.
La chose que je veux plutôt souligner, c'est que cet espace
vibratoire est d'une certaine dimension, i.e., qu'il y a un certain
nombre de dimensions dans lesquelles les champs quantiques peuvent
vibrer. Naïvement, une dimension = une particule : l'électron est une
vibration du champ électronique, c'est-à-dire une vibration dans la
direction « champ électronique », le muon est une vibration du champ
muonique, c'est-à-dire une vibration dans la direction « champ
muonique », le photon est une vibration du champ électromagnétique,
etc. Mais c'est là qu'on peut commencer à ajouter des complications
intéressantes. D'abord, il n'y a pas une vibration « électron », il y
en a plutôt quatre (en gros, l'électron de chiralité gauche,
l'électron de chiralité droite, le positron [=anti-électron] de
chiralité gauche et le positron de chiralité droite, je vais y revenir
à l'exemple nº3) ; il n'y a pas
une vibration « photon », il y en a plutôt deux (la lumière polarisée
horizontalement et la lumière polarisée verticalement, les directions
étant choisies arbitrairement, et on peut d'ailleurs préférer les
polarisations circulaires). Mais surtout :
Le choix des dimensions dans lesquelles on considère les vibrations
n'est pas évident : il n'y a pas vraiment de base naturelle de
l'espace vibratoire (l'espace dans lequel les champs quantiques
prennent leurs valeurs) ; ou parfois, il y a plusieurs bases
naturelles différentes.
Plus précisément : beaucoup de phénomènes (comme la masse, ou les
interactions entre les particules) vont être décrits par des
opérateurs [=applications] linéaires (typiquement des matrices
hermitiennes sur un espace hermitien mais peu importe à ce niveau de
détails) diagonalisables dans une base orthonormée de l'espace
vibratoire ; mais comme ces opérateurs ne commutent pas, la base qui
en diagonalise un (qui n'est d'ailleurs généralement pas unique) n'est
pas forcément celle qui en diagonalise un autre.
Ce qui signifie que ce qui se comporte comme une particule pour un
phénomène, par exemple la masse (qui est en fait
l'interaction avec le Higgs, mais peu importe pour le moment), ne se
comporte pas comme une particule pour un autre phénomène, par exemple
l'interaction faible, et vice versa.
En gros, il y a un opérateur « masse » qui, dans une certaine base,
est diagonal avec pour valeurs diagonales (valeurs propres) : dans la
dimension « électron » la masse de l'électron, dans la dimension
« muon » la masse du muon, etc. ; donc si on veut définir la masse
d'une particule, ça a un sens à condition de définir les particules
comme des vibrations selon ces dimensions-là ; manque de chance, il y
a un opérateur « interactions faibles » qui, lui, a envie d'une base
différente. (Et la matrice de passage entre ces deux bases a un sens
et peut être mesurée expérimentalement,
cf. l'exemple nº2
ci-dessous.)
C'est essentiellement ce que j'avais essayé d'expliquer dans le cas
des neutrinos, mais j'ai essayé de le dire, là, de façon plus
générale, et je pense qu'une fois qu'on a compris cette idée générale
(qui nécessite, donc, un peu d'algèbre linéaire : le fait de savoir ce
qu'est une base, la non-unicité des bases, le fait qu'un opérateur
hermitien se diagonalise en base orthonormée, ce genre de choses), on
a une idée beaucoup plus précise de la physique des particules, ou en
tout cas, on aurait la possibilité de lire une vulgarisation qui donne
une image raisonnablement précise du modèle standard.
Je donne quelques exemples de ce qu'on peut expliquer comme
phénomènes physiques en partant, grosso modo, de ce que j'ai souligné
ci-dessus. Ces différents exemples sont assez banals (on les trouve
dans tous les livres d'introduction à la physique des particules ou au
modèle standard), mais ce que je veux surtout illustrer, c'est qu'on
peut en parler sans trop écrire d'équations et en restant à un niveau
intermédiaire entre la vulgarisation grand public et la description
mathématique précise. (Je ne sais pas si mes explications sont très
bonnes parce qu'il faudrait sans doute une entrée plus longue que
celle-ci qui l'est déjà assez, mais j'espère au moins que cela
convaincra que ça serait possible.) Je précise que les
différents exemples qui suivent sont largement indépendants (même si
le quatrième évoque des choses que j'ai dites dans les trois premiers)
et que, au sein de chacun d'eux, j'essaye d'aller de plus en plus dans
les détails. Mais auparavant, il faut que je fasse un tour d'horizon
ultra-rapide des particules élémentaires.