On m'a fait
remarquer que je n'essaie quasiment jamais, sur ce blog, et c'est
dommage, de faire de la vulgarisation mathématique : il y a à cela
toutes sortes de raisons, comme le fait idiot qu'il est très
fastidieux d'écrire des formules mathématiques, même
très simples, dans une page HTML (donc je préfère encore
le format PDF dès qu'il s'agit de faire quelque chose d'un minimum
sérieux) ; et puis il y a le fait fondamental que la vulgarisation
du savoir scientifique est un art très difficile, surtout quand on
sait qu'on sera lu aussi bien par des experts et par des gens qui n'y
connaissent rien, et qu'on doit s'arranger pour présenter les choses
de façon que les uns ne trouvent rien à redire (voire, trouvent ça
intéressant) et que les autres comprennent quand même ! Je me
contente donc le plus souvent de remarques rapides (et pas forcément très
compréhensibles) lorsque je tombe sur quelque chose qui m'excite
mathématiquement et qui soit vaguement communicable au profane.
Il y a cependant un sujet dont j'aimerais parler — mais je ne
sais pas encore sous quelle forme, parce que je risque d'avoir
nettement trop à en dire pour faire juste une entrée de blog, alors ce
serait peut-être un feuilleton, que je rassemblerais plus tard dans
une unique page HTML (avec encouragements à recopier ce
qu'on veut sur Wikipédia). Il s'agit de la géométrie plane.
Pourquoi la géométrie ? Parce que d'une part c'est un sujet qui
parle à tout le monde, qui ne rebute pas d'emblée, même les plus
réfractaires aux mathématiques : c'est généralement là que la notion
de démonstration passe le mieux. Mais d'autre part parce
qu'on peut quand même trouver énormément de choses mathématiquement
intéressantes à dire, autour de la méthode axiomatique, de la
géométrie projective (vue à la Artin et Coxeter), autour de la
géométrie algébrique, même. Et, tout simplement, parce que je suis
géomètre (c'est mon métier de chercheur, et c'est aussi quelque chose
sur quoi j'interviens comme enseignant dans le cadre de la prépa agreg
à l'ENS).
Malheureusement, qui dit géométrie dit
jolies figures à regarder. Et, mine de rien, c'est bigrement pénible
à réaliser correctement avec un ordinateur, des figures de géométrie.
À titre d'exemple, prenez la figure ci-contre, censée illustrer le théorème de
Desargues (qui assure que si deux triangles, coloriés sur la
figure, ont les sommets portés par trois droites concourantes, vertes
sur la figure, alors les points de rencontre des côtés correspondants,
en bleu sur la figure, sont alignés — enfin, il y a plein de
façons de lire la même figure, bien sûr, notamment comme la réciproque
de la même chose), un des théorèmes fondamentaux de la géométrie
projective. Ça n'a l'air de rien, mais ça a été un boulot important
de la produire (surtout que je voulais à la fois satisfaire mon idée
de comment les points devaient être placés et l'exactitude des
relations mathématiques d'incidence).
Et il n'y a pas que ça : il y a aussi la question
quel format graphique utiliser ?
. En l'occurrence, cette image
est à l'origine un fichier SVG, un format
d'images vectoriel : seulement, je ne sais pas dans quelle mesure ce
format est nativement compris par les navigateurs Web typiques, donc,
ci-contre, j'ai utilisé une image PNG plutôt que de
mettre directement le SVG. Mais si vous cliquez sur l'image
(faites-le !), vous obtiendrez le SVG, ce qui permettra
de savoir si votre navigateur gère ce format (normalement l'image
devrait être la même).
Voilà que je n'ai encore rien dit et qu'il faut déjà que je
m'arrête. Mais je précise déjà quel serait mon but : il ne s'agirait
pas vraiment de parler d'un sujet précis en géométrie, mais plutôt
d'expliquer de façon compréhensible au non-mathématicien quels sont,
dans l'esprit du programme
d'Erlangen de Klein, les différents niveaux d'étude qu'on peut
faire de la géométrie plane et des structures qui l'enrichissent, que
je pourrais résumer par le tableau suivant :
Géométrie projective d=8 |
Géométrie elliptique d=3 |
Géométrie affine d=6 |
Géométrie hyperbolique d=3 |
Géométrie euclidienne d=3 (voire 4) |
Pour dire les choses très succinctement, plus on descend dans ce
tableau plus on rajoute de la structure : alors que la
géométrie projective ne connaît que les droites et les points et une
relation d'incidence (un point est sur une droite, une droite passe
par un point), la géométrie affine a une notion de droites
parallèles, et la géométrie euclidienne a une notion de
distances et d'angles. Du coup, cela diminue les transformations qui
préservent cette structure : le nombre d que j'ai indiqué
dans le tableau mesure le nombre de degrés de liberté dont on dispose
encore, compte tenu de la structure imposée. Et de gauche à droite,
très grossièrement, on passe de la géométrie elliptique où deux
droites ne sont jamais parallèles, à la géométrie affine/euclidienne
où c'est un cas possible mais limite, et à la géométrie hyperbolique
où deux droites peuvent être, en quelque sorte, plus que
parallèles.