David Madore's WebLog: 2017-02

Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le reste de ce site web, parle de tout et de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait), des maths à la moto et ma vie quotidienne, en passant par les langues, la politique, la philo de comptoir, la géographie, et beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas, ainsi que d'occasionnels rappels du fait que je préfère les garçons, et des petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le nom collectif de fragments littéraires gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes traduites dans les deux langues) ; il est maintenant presque exclusivement en français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut). Cette page-ci rassemble les entrées publiées en février 2017 : il y a aussi un tableau par mois à la fin de cette page, et un index de toutes les entrées. Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs « catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le texte de l'entrée elle-même.

You are on David Madore's blog which, like the rest of this web site, is about everything and anything (mostly anything, really), from math to motorcycling and my daily life, but also languages, politics, amateur(ish) philosophy, geography, lots of ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders of the fact that I prefer men, and some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the collective name of gratuitous literary fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning (some entries were in English, others in French, and a few translated in both languages); it is now almost exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top). This page lists the entries published in February 2017: there is also a table of months at the end of this page, and an index of all entries. Some entries are classified into one or more “categories” (indicated at the end of the entry itself), but this organization isn't very coherent. The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced before and after the text of the entry itself.

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Entries published in February 2017 / Entrées publiées en février 2017:

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(jeudi)

Fragment littéraire gratuit #155 (les deux jardins)

L'organisation de la demeure est déterminée par la disposition des deux jardins qu'elle sépare. Le plan général, qui rappelle le symbole taoiste du yin et du yang, fait en sorte que, selon qu'on se tient à tel ou tel endroit, l'un ou l'autre côté donne l'impression d'être un jardin intérieur tandis que l'autre paraît nous entourer. Cette impression est accentuée par la présence de cloisons seulement face convexe, si bien que le jardin désigné comme « extérieur » n'est visible qu'à travers des fenêtres et que l'autre se situe dans la continuité de l'espace du bâtiment lui-même.

Le premier jardin, qu'entourent partiellement les salons et espaces de vie de la maison, et qui se prolonge sur le monde extérieur, porte le nom de « jardin diurne », tandis que l'autre, placé au milieu des chambres à coucher et qui finit sur le lac, est le « jardin nocturne », où l'insomniaque D… passait de longues heures à attendre de retrouver le sommeil.

Le jardin diurne est principalement un parc floral ; il est bordé d'une rangée de cyprès, et parsemé de quelques autres arbres qui apportent une ombre bienvenue les jours de grande chaleur. Une grande fontaine constituant l'« œil » du jardin fait contrepoint aux canaux de l'autre côté. Les essences plantées en massifs ont surtout été choisies pour leurs couleurs et leur odeur, comme telle rose bulgare au parfum enivrant : le jardin diurne, selon les mots de l'architecte, est conçu avant tout pour la vue et l'odorat.

Le jardin nocturne, au contraire, est un jardin pour l'ouïe et le toucher. Le moindre souffle de vent fait bruisser les hautes herbes, clapoter le lac sur ses berges, et s'entrechoquer les clochettes au tintement cristallin d'un carillon suspendu aux branches d'un arbuste. Pour vraiment apprécier le jardin nocturne, il faut s'y promener pieds nus, sentir la texture des allées de mousse, caresser les tiges des roseaux, tremper ses mains dans les ruisselets d'eau, s'asseoir dans l'herbe.

Mais la vue n'y est pas oubliée pour autant : symétriquement à la fontaine du jardin diurne, il y a un tertre au sommet duquel un banc permet à l'insomniaque de se détendre en observant les jeux d'ombre et de lumière dans le jardin — ou bien lever la tête et regarder la Lune jouer à travers les nuages.

Je m'étais pris, l'autre jour, en feuilletant des livres sur les œuvres de Frank Lloyd Wright et Mies van der Rohe, à essayer d'imaginer ce que pourrait être ma maison idéale : je ne suis ni architecte ni jardinier-paysagiste, mais si j'étais assez riche, je crois que je dirais à quelqu'un d'essayer de la réaliser en s'inspirant de ce que je viens de décrire. L'idée du jardin nocturne m'est venue pendant une longue insomnie. La fleur au parfum enivrant, la clochette au tintement cristallin, et la Lune dans le ciel qui joue à travers les nuages, sont une référence à cette ancienne entrée sur le zen. Ainsi, bien sûr, que le cyprès dans le jardin. L'image du tableau de Magritte L'Empire des lumières m'a aussi inspiré.

Il faut peut-être considérer ce fragment comme un pendant au #141 un peu comme le Domaine d'Arnheim de Poe est le pendant de la Philosophie de l'Ameublement.

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(mercredi)

La magie du nombre six redessinée sous forme pentagonale

L'avant-dernière entrée était consacrée au commentaire mathématique d'un dessin illustrant une propriété magique du nombre six : l'existence de six « pentades » (c'est-à-dire six façons de regrouper trois par trois les doublets sur six objets de manière que deux doublets regroupés ne partagent jamais un objet) ; ce dessin était présenté sous forme « hexagonale », c'est-à-dire que chacune des pentades montrait les six objets sous la forme des six sommets d'un hexagone régulier, ce qui à son tour suggérait une certaine disposition des pentades elles-mêmes (comme la permutation cyclique de l'hexagone fixe une pentade, en échange deux, et permute cycliquement les trois dernières, j'avais choisi une disposition et un coloriage qui mettait en évidence ces transformations). On m'a convaincu de refaire le même dessin sous forme « pentagonale », c'est-à-dire en disposant les six objets sous la forme des cinq sommets d'un pentagone régulier plus son centre. Voici le résultat (il s'agit donc, conceptuellement, du même dessin, mais où les objets ont été disposés différemment, les pentades aussi, et les couleurs sont différentes) :

Cette fois, la disposition pentagonale suggère de s'intéresser à la permutation cyclique des cinq objets disposés selon les sommets du pentagone : ce 5-cycle permute aussi les pentades selon un 5-cycle, ce qui suggère de les disposer elles aussi de façon pentagonale, avec au centre celle qui est fixée par le cycle, et en pentagone autour celles qui sont permutées cycliquement. J'ai donc choisi comme couleurs le noir et cinq couleurs maximalement saturées disposées régulièrement sur le cercle chromatique (bon, c'est plutôt un hexagone chromatique, mais peu importe). Du coup, tout le dessin est laissé invariant si on effectue une rotation de 2π/5 (=un cinquième de tour) en permutant aussi cycliquement les couleurs.

En plus de cela, le choix de la disposition définit ce que j'aime appeler une polarité symétrique sur l'ensemble à six objets : cela signifie que si on met en correspondance chaque objet avec la pentade qui occupe « la même place » dans la disposition graphique, alors l'automorphisme qui en résulte est involutif, au sens où une pentade de pentades va reprendre la place de l'objet qui lui correspond naturellement (on pourrait, du coup, se figurer ce dessin comme une structure fractale où le petit disque représentant chaque objet est remplacé par le dessin de la pentade correspondante, et ainsi de suite à l'infini). J'ai essayé de donner aux objets les mêmes couleur que les pentades, mais j'ai trouvé que ça embrouillait plutôt qu'autre chose.

Je n'arrive pas vraiment à décider, mais je crois quand même que je préfère la forme hexagonale du dessin. La forme pentagonale est peut-être un chouïa plus symétrique, mais c'est une symétrie moins bonne, parce qu'elle donne un rôle particulier à un des objets (en le plaçant au centre du pentagone) ; et, de façon plus grave, elle donne l'impression que la correspondance objets↔pentades que j'appelle polarité symétrique ci-dessus est naturelle alors qu'elle résulte de la disposition pentagonale (or tout l'intérêt de l'automorphisme extérieur de 𝔖₆ est justement que les pentades ne sont pas en correspondance naturelle avec les objets). Mais ça a certainement un intérêt de voir ces deux dessins (et d'essayer de se convaincre que c'est bien la même chose).

(Pour aller un cran plus loin, ça peut être intéressant de se convaincre que quelle que soit la manière dont on décide d'identifier les objets du dessin « pentagonal » avec les objets du dessin « hexagonal », il en découle une identification des pentades, et inversement, quelle que soit la manière dont on décide d'identifier les pentades, il en découle une identification des objets.)

Ajout () :

On me fait la remarque suivante : plutôt que disposer mes six objets selon un pentagone régulier plus son centre, ce qui en distingue un, j'aurais pu les disposer selon les sommets d'un icosaèdre régulier modulo antipodie (c'est-à-dire, en identifiant deux sommets opposés ; ou si on préfère, selon les six diagonales centrales d'un icosaèdre régulier). Je ne vais pas faire la représentation graphique parce que ce serait trop pénible, mais en fait c'est très intéressant : cette disposition icosaédrale évite de distinguer un objet, mais elle distingue toujours une pentade privilégiée, et c'est presque exactement ce qu'elle fait.

Plus exactement : le groupe des isométries directes de l'icosaèdre est isomorphe au groupe alterné (=groupe des permutations paires) 𝔄₅ sur cinq objets, et l'automorphisme extérieur de 𝔖₆ est justement une façon de se représenter les choses. Placer les six objets aux sommets d'un icosaèdre modulo antipodie définit une pentade privilégiée (à savoir, l'unique pentade laissée fixée par la rotation d'angle 2π/5 autour d'un sommet quelconque de l'icosaèdre) ; et les isométries directes de l'icosaèdre sont précisément les permutations paires sur les 5 pentades restantes (i.e., fixant cette pentade privilégiée). Les 5 synthèmes de la pentade privilégiée peuvent se voir comme 5 sextuplets d'arêtes de l'icosaèdre (sextuplets parce que ce sont des triplets d'arêtes opposées) dont les milieux forment un octaèdre, ce qui permet de retrouver une description classique du groupe des isométries de l'icosaèdre comme les permutations paires sur cinq octaèdres inscrits dans l'icosaèdre. (Il est pertinent de remarquer au passage qu'un permutation sur six objets est paire si et seulement si la permutation correspondante sur les pentades l'est.)

On doit aussi pouvoir faire le lien avec des structures de droite projective sur le corps à cinq éléments : comme les pentades sur six objets sont aussi en bijection avec toutes les façons de voir les six objets comme la droite projective sur 𝔽₅, ça veut dire qu'il y a une structure de droite projective sur 𝔽₅ « naturelle » (privilégiée) sur les sommets d'un icosaèdre modulo antipodie. Je soupçonne qu'il y a une jolie façon de la voir en réduisant modulo 5 les birapports des sommets de l'icosaèdre dans quelque chose, mais les détails m'échappent.

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(mardi)

Une râlerie sur la signalisation routière (l'A86 et la N186)

Voici ce que je crois avoir compris :

  • L'A86 est une autoroute qui fait grosso modo le tour de Paris. Son trajet reprend au moins en partie celui d'une (non-auto-)route préexistante, la N186.
  • Sur certains tronçons, l'A86 et la N186 et ne suivent pas exactement le même parcours ; sur certains tronçons, seule existe soit l'une soit l'autre. Voilà où les choses deviennent problématique.
  • Il existe des segments relativement courts où, sans doute pour des raisons de place ou je ne sais quelle autre contrainte, on n'avait probablement pas les moyens de faire remplir à la route les exigences techniques nécessaires pour lui donner les caractéristiques d'une autoroute. (Là, c'est moi qui devine. Je suppose qu'il y a des règles très précises pour pouvoir être une autoroute.)
  • Personne n'a le pouvoir de faire une dérogation à ces règles (c'est-à-dire arrêter quelque chose comme bien que la route ne réponde pas à toutes les exigences normalement demandées d'une autoroute, elle sera néanmoins classée comme telle afin d'éviter de changer inutilement de catégorie sur un segment très court). Ou si quelqu'un avait ce pouvoir, il était en vacances ce jour-là ou n'a pas reçu le mail. Du coup, sur ces segments, il s'agit bien d'une route nationale et pas d'une autoroute.
  • Il existe aussi des règles crétines qui imposent qu'une autoroute ait un numéro en Axyz et une nationale en Nxyz et on ne peut pas décider de donner à une route nationale un numéro en Axyz quand bien même ce serait bien pratique pour éviter de changer inutilement de numéro sur un segment très court. (Autrement dit, la catégorie de la route pour les besoins des règles de conduite et/ou d'administration doit coïncider avec sa catégorie pour les besoins de la terminologie, même si le contraire serait bien pratique.) Ou alors, de nouveau, la personne qui a le pouvoir d'autoriser une dérogation n'a pas pu intervenir parce qu'elle était à la piscine.
  • Du coup, on se retrouve avec des bouts de route où tout le monde imaginerait être toujours sur l'autoroute mais non, pouf, l'A86 cesse d'exister pour devenir N186 et réapparaît juste un peu plus loin.
  • L'emplacement exact de ces différents bouts n'a même pas l'air clair : apparemment, Google Maps n'a pas reçu l'information « pour des raisons de psychorigidité incontournable, ce tout petit bout n'est plus l'A86 mais la N186 » (elle est étiquetée A86 partout), et OpenStreetMap n'a pas l'air super au courant non plus ; pire, s'il y a des indications sur la route elle-même, elles sont très discrètes. Je pense notamment à la transition qui a lieu quelque part par ici : à l'est, vers Choisy-le-Roi, c'est clairement l'A86, au niveau de Rungis c'est clairement la N186, mais j'ai eu beau passer plein de temps sur Google Street View à faire le parcours dans les deux sens en cherchant une indication de où la transition a lieu, sans succès.
  • Bref, apparemment, il est indispensable que chaque petit bout s'appelle A86 ou N186 selon la catégorie exacte applicable au petit bout, mais personne ne pense prévenir les automobilistes « attention, pour des raisons de psychorigidité incontournable, la route sur laquelle vous êtes va présentement changer de nom ».
  • Personne non plus n'a eu l'idée brillante de se dire que peut-être on pourrait mettre une indication accessoire sur les panneaux de direction, genre =A86 ou même simplement vers A86, ou quoi que ce soit qui informe les gens pas au courant que les indications A86 et N186 peuvent être plus ou moins synonymes.

Bilan de tout ça : le poussinet et moi, ignorant toutes ces subtilités, étions dans une Autolib (en train d'essayer d'aller à Châtenay-Malabry), croyant suivre l'A86 parce que c'est ce que Google Maps/Navigation nous indiquait, et voilà que nous arrivons devant ce panneau pour lequel l'indication suivre l'A86 n'aidait pas vraiment à choisir entre la N186 vers Antony, Versailles et Fresnes, l'A6 (A10) vers Bordeaux, Nantes, Lyon, Évry et Palaiseau, ou l'A6 vers Paris. Stupidement, nous nous sommes retrouvés sur l'A6a retournant vers Paris, et celle-ci n'a aucune sortie avant le périphérique (il faut admettre qu'on aurait dû choisir la nationale même sans savoir si c'était la bonne, parce qu'a priori ça offre beaucoup plus de possibilités de changer de direction — mais le temps disponible pour faire le choix était très court et rien n'était indiqué à l'avance). Remarquez au passage que ce panneau montre qu'il est possible d'écrire A6 (A10), donc on ne comprend pas pourquoi il ne serait pas possible d'écrire N186 (A86). Et si on avait suivi le bon chemin, on serait bien tombé sur l'A86 (comme le témoigne ce panneau juste un peu après) sans que rien ne permette de savoir comment elle est apparue.

Est-ce que c'est moi qui suis un râleur invétéré ou est-ce qu'on se fout carrément de la gueule du monde, là ? Tout le monde se moque des spécifications techniques détaillée d'une autoroute : s'il y a une règle qui impose que la route sur laquelle on circule change brutalement de nom parce qu'il lui manque je ne sais quoi du cahier des charges, c'est cette règle stupide qu'il faut changer, pas le nom de la route !

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(lundi)

Sur la magie du nombre six (l'automorphisme exceptionnel de 𝔖₆)

J'ai posté dans une entrée récente le dessin suivant, avec la devinette d'essayer de trouver ce qu'il représente et ce qu'il nous apprend :

Les réponses dans les commentaires ont été intéressantes (et j'ai bien fait de proposer cette devinette), parce que plusieurs personnes ont remarqué des aspects différents du dessin, et ont fait des observations justes et pertinentes. La réponse mathématique que je vais tenter d'expliquer tourne autour du fait que les matheux énoncent classiquement en disant que le groupe des permutations sur six objets (et uniquement sur six objets) possède un « automorphisme extérieur non-trivial » ; mais cette formulation n'a aucun sens pour les non matheux, et même pour les matheux je trouve qu'elle ne fait pas vraiment ressortir pourquoi ce fait est remarquable et exceptionnel. Donc le mieux est peut-être de formuler le fait remarquable sous la forme suivante (qui est certes un peu de l'agitage de mains, mais qu'on peut rendre rigoureux, et que je trouve en tout cas plus parlant), et c'est ça que je vais essayer d'expliquer :

À partir de six objets, il est possible de construire, de façon systématique, de nouvelles « choses », également au nombre de six, tout aussi interchangeables que les objets de départ, mais qui ne peuvent pas être mis en correspondance systématique avec eux.

De plus, ceci n'est possible pour aucun autre nombre que six.

Pour les mathématiciens qui aiment la théorie des catégories, ce qui précède est censé signifier la chose suivante : le groupoïde formé des ensembles de cardinal 6 avec les bijections pour morphismes admet un endofoncteur fidèle (donc automatiquement une autoéquivalence) mais qui n'est pas naturellement isomorphe à l'identité ; et ce n'est vrai pour aucun autre entier naturel que 6.

C'est un exemple d'un de ces phénomènes exceptionnels en mathématiques, comme on nomme des structures intéressantes qui apparaissent uniquement dans un petit nombre de cas : en l'occurrence, cet « automorphisme exceptionnel de 𝔖₆ » fait partie d'une sorte de chemin magique d'objets exceptionnels, qui le relie aussi aux groupes de Mathieu ou au système de racines de E₆ et aux vingt-sept droites sur la surface cubique. Mais celui-ci a l'intérêt d'être raisonnablement facile à expliquer, surtout avec mon (j'espère) zouli dessin (censé représenter ces six « choses » qui, plus bas, s'appellent des pentades).

Au passage : la notation 𝔖₆ (vous devriez voir une S gothique avec un 6 en indice) désigne le groupe des permutations sur 6 objets, c'est-à-dire l'ensemble des façons de leur faire changer de place (ou pas) ; voir aussi cette entrée antérieure et cette vidéo YouTube pour une description animée des différents sous-groupes transitifs de 𝔖₆ (c'est-à-dire, toutes les façons de permuter six objets qui sont capables de placer n'importe quel objet à n'importe quel endroit).

Après, je dois avertir que, si je suis parti pour expliquer ça, mon enthousiasme s'est un peu atténué en chemin, et la fin de cette entrée est sans doute un peu bâclée (j'avoue que j'ai passé tellement de temps à trouver le bon chemin pour expliquer proprement la combinatoire des synthèmes et pentades ci-dessous qu'à la fin j'en avais marre, et j'ai plutôt traîné des pieds pour la finir). Je la publie telle quelle en espérant qu'elle ait un certain intérêt, même si je me rends compte qu'elle est bancale et un peu décousue. (Par ailleurs, si on n'est pas intéressé par les détails, ne pas hésiter à sauter les démonstrations, qui ne sont pas franchement indispensables pour la compréhension de l'ensemble.)

Partons, donc de six objets. On pourra imaginer si on veut qu'ils sont placés aux six sommets d'un hexagone, comme dans chacun des hexagrammes ci-dessus ; ou bien qu'ils sont numérotés 0,1,2,3,4,5 : ça n'a aucune importance (et je vais tâcher de préciser cette absence d'importance plus loin). Je vais introduire quatre termes désignant des structures de complexité croissante fabriqués sur ces six objets : outre les 6 objets eux-mêmes, je vais définir les 15 doublets, les 15 synthèmes et les 6 pentades (ces dernières étant, essentiellement, ce que j'ai représenté ci-dessus). Précisément :

  • Les objets sont ces six choses dont je suis parti. Il y a donc 6 objets.
  • Les doublets sont les paires d'objets : par « paire » j'entends la donnée de deux objets (différents) sans qu'il y ait un ordre particulier entre les deux. Ainsi, si mes objets sont représentés comme les six sommets d'un hexagone, les doublets sont toutes les arêtes et diagonales de l'hexagone (tous les segments représentés sur l'un des dessins ci-dessus). Si les objets sont numérotés 0,1,2,3,4,5, alors les doublets peuvent être numérotés 01,02,03,04,05,12,13,14,15,23,24,25,34,35,45 : remarquez qu'il n'y a pas de 21, par exemple, dans ma liste, parce que c'est la même chose que 12 (c'est en ce sens que je dis qu'il s'agit de paires sans ordre ou non ordonnées).

    Il y a 15 doublets : ceci peut se voir soit en comptant l'énumération que je viens de faire (et en se convainquant qu'il n'y a ni omission ni répétition), soit en faisant le raisonnement que pour choisir un doublet, on choisit un premier objet parmi 6, puis un second parmi 5, et on doit ensuite diviser par deux parce qu'on a obtenu chaque doublet deux fois (selon que l'un ou l'autre objet a été choisi en premier) ; bref, il y a 6×5÷2=15 doublets.

    Je dirai par ailleurs que deux doublets distincts sont enlacés (c'est moi qui invente le mot, il n'est pas standard) lorsqu'ils ont un objet en commun : par exemple, si j'ai numéroté les objets, les doublets 02 et 23 sont enlacés (ils ont l'objet 2 en commun), tandis que 02 et 13 ne sont pas enlacés.

  • Maintenant, ça se complique. Un synthème est la donnée de trois doublets (distincts, sans ordre) dont aucun n'est enlacé avec un autre, c'est-à-dire, ne faisant intervenir aucun objet en commun ; autrement dit, il s'agit d'une façon de regrouper mes six objets en trois doublets, l'ordre n'ayant pas d'importance. Si on préfère, c'est une façon d'apparier (« marier ») les objets deux par deux. Par exemple, si je numérote mes objets, 01/23/45 est un synthème (formé des doublets 01, 23 et 45 : on apparie 0 avec 1, et 2 avec 3, et 4 avec 5) ; de même, 03/14/25 est un synthème. Sur les dessins ci-dessus, si vous regardez un quelconque des hexagones et une couleur particulière, il y trois segments de cette couleur, c'est-à-dire trois doublets, qui constituent un synthème (autrement dit, ils n'ont aucun objet/sommet en commun).

    Combien y a-t-il de synthèmes ? On peut faire le raisonnement suivant : pour construire un synthème, je choisis un parmi les 15 doublets ; puis je dois en choisir un autre qui ne fait intervenir aucun des objets du premier doublet, ce qui me laisse 4×3÷2=6 possibilités pour le second doublet ; puis je choisis le troisième, et là, je n'ai plus du tout de possibilité ; et en faisant tout ça, j'ai compté six fois chaque synthème puisque j'ai pu prendre ses trois doublets dans n'importe quel ordre, et il y a six ordres possibles : je me retrouve donc avec 15×6÷6=15 synthèmes. Voici un raisonnement peut-être plus simple : pour construire un synthème, je choisis l'objet que je vais apparier avec l'objet 0, j'ai donc 5 possibilités de choix (tous les objets sauf 0), puis je considère le premier objet non encore apparié et je choisis avec quel objet je vais l'apparier, ce qui me laisse 3 choix possibles (à savoir, n'importe quel objet autre que les 2 déjà appariés et l'objet que je cherche à apparier), et une fois ces choix faits, le synthème est complètement déterminé (car il ne reste que deux objets à apparier, et on ne peut donc que les mettre ensemble), donc j'ai 5×3=15 synthèmes.

    On peut aussi les énumérer exhaustivement : visuellement, cela se fait très bien, et voici les 15 synthèmes représentés graphiquement (faites défiler horizontalement) :

    Ou si on préfère numéroter les objets, ils sont (dans l'ordre utilisé ci-dessus si les objets sont numérotés de 0 à 5 dans le sens contraire des aiguilles d'une montre à partir de celui qui est à droite) : 03/14/25, 01/23/45, 05/12/34, 03/15/24, 02/14/35, 04/13/25, 03/12/45, 05/14/23, 01/25/34, 04/12/35, 04/15/23, 02/15/34, 02/13/45, 05/13/24, 01/24/35.

    Je dirai par ailleurs que deux synthèmes distincts sont enlacés lorsqu'ils n'ont pas de doublet en commun. (Je sais, ça peut sembler inversé : j'ai défini deux doublets comme enlacés lorsqu'ils ont un objet en commun ; mais on va voir que c'est logique.) Par exemple, 03/14/25 et 01/23/45 sont enlacés, tandis que 03/14/25 et 03/15/24 ne le sont pas (ils ont le doublet 03 en commun).

  • Quatrième et dernière définition : une pentade (également appelée pentade synthématique ou total synthématique) est formée de cinq synthèmes (distincts, sans ordre) qui sont tous enlacés les uns avec les autres : autrement dit, c'est une façon de répartir les quinze doublets trois par trois pour former cinq synthèmes.

    Pour dire les choses de façon un peu différente : une pentade est une manière de colorier les quinze doublets avec cinq couleurs de façon que deux doublets distincts enlacés (=ayant un objet commun) ne soient jamais de la même couleur (il est facile de se convaincre qu'il y aura alors forcément trois doublets, donc un synthème, de chaque couleur) ; je souligne que l'identité des couleurs n'a aucune importance (si on échange deux couleurs, la pentade reste la même), seul compte le fait que deux doublets aient ou n'aient pas la même couleur.

    Chacun des six hexagones de mon dessin initial représente une pentade, figurée par un coloriage des segments : si on se concentre sur un des hexagones, chacune des couleurs représente un synthème de la pentade, et la pentade est la répartition des doublets en ces cinq synthèmes. On peut se convaincre que les six pentades dessinées sont toutes distinctes (j'insiste : il ne s'agit pas simplement de voir que les couleurs sont différentes, mais que la répartition des doublets entre les synthèmes est différente).

    On pourrait s'imaginer qu'il y a beaucoup de pentades, mais en fait, il y en a a exactement six (i.e., je les ai toutes dessinées, chacune une seule fois, ci-dessus). Je démontrerai plus loin ce fait qui rend toute l'histoire intéressante.

Pour résumer tout ce qui précède, les 6 objets définissent 15 doublets (chacun formé de 2 objets distincts) ; on a aussi défini 15 synthèmes (chacun formé de 3 doublets distincts mutuellement non enlacés), et enfin des pentades (au nombre de 6 mais on ne le sait pas encore, chacune formée de 5 synthèmes distincts mutuellement enlacés). Mon but est d'expliquer qu'il y a une forme de « symétrie » qui échange objets et pentades en même temps qu'elle échange doublets et synthèmes.

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