David Madore's WebLog: 2014-01

Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le reste de ce site web, parle de tout et de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait), des maths à la moto et ma vie quotidienne, en passant par les langues, la politique, la philo de comptoir, la géographie, et beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas, ainsi que d'occasionnels rappels du fait que je préfère les garçons, et des petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le nom collectif de fragments littéraires gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes traduites dans les deux langues) ; il est maintenant presque exclusivement en français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut). Cette page-ci rassemble les entrées publiées en janvier 2014 : il y a aussi un tableau par mois à la fin de cette page, et un index de toutes les entrées. Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs « catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le texte de l'entrée elle-même.

You are on David Madore's blog which, like the rest of this web site, is about everything and anything (mostly anything, really), from math to motorcycling and my daily life, but also languages, politics, amateur(ish) philosophy, geography, lots of ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders of the fact that I prefer men, and some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the collective name of gratuitous literary fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning (some entries were in English, others in French, and a few translated in both languages); it is now almost exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top). This page lists the entries published in January 2014: there is also a table of months at the end of this page, and an index of all entries. Some entries are classified into one or more “categories” (indicated at the end of the entry itself), but this organization isn't very coherent. The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced before and after the text of the entry itself.

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Entries published in January 2014 / Entrées publiées en janvier 2014:

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(jeudi)

L'étrange multiplication du bidual

Encore une surprise mathématique qui m'a fait tomber à la renverse…

Si k est un anneau commutatif et M un k-module (si ça peut aider certains à comprendre, on peut déjà imaginer le cas où k est un corps et M un k-espace vectoriel ; mais dans ce cas il faudra considérer M de dimension infinie pour que ce soit intéressant), on appelle dual de M, disons D(M), l'ensemble des applications linéaires Mk. Et on appelle bidual de M le dual du dual, DD(M). Il y a une application k-linéaire naturelle Φ:MDD(M) (à savoir x ↦ (uu(x))) : en général, elle n'est ni injective ni surjective (mais si k est un corps, elle est toujours injective, et si de plus M est un espace vectoriel de dimension finie sur k, elle est aussi surjective).

Maintenant supposons que A soit une algèbre commutative sur k (c'est-à-dire un k-module qui est aussi un anneau avec la même addition et une multiplication k-bilinéaire). Si on essaie de trouver une multiplication naturelle sur DD(A), on s'aperçoit que ce n'est pas du tout évident. Dans ce genre de situation, le réflexe mathématique est que les choses doivent être soit tout à fait évidentes soit impossibles. Pourtant, il existe bien une multiplication naturelle sur DD(A) : précisément, si ξ et η sont deux éléments de DD(A), on peut définir leur produit ξη comme l'application qui envoie uD(A) sur η(yξ(xu(x·y))) (ceci est bien un élément de k). C'est assez difficile à visualiser, mais rien qu'au niveau du typage on peut être assez convaincu que c'est la seule formule possible. Et entre autres propriétés, cette multiplication est k-bilinéaire, associative, et vérifie : Φ(a)•η = ηΦ(a) est la fonction uη(yu(a·y)), et en particulier, Φ(a)•Φ(b) = Φ(a·b). Je pense que la grande majorité des mathématiciens sera d'accord que dès lors qu'on a trouvé une formule simple, naturelle, qui définit sur DD(A) une structure de k-algèbre, et qui respecte Φ comme je viens de le dire, c'est forcément « la bonne » multiplication sur DD(A).

Eh bien ce qui surprendra certainement bon nombre de mathématiciens comme ça m'a surpris moi-même, c'est que cette multiplication n'est pas commutative en général !

Et ce n'est même pas facile du tout de donner un contre-exemple. (Déjà, il faut bien sûr un exemple où Φ n'est pas surjectif, puisque j'ai expliqué que les Φ(a) commutent les uns aux autres ; or si c'est le cas — grâce à l'axiome du choix — pour tout espace vectoriel de dimension infinie sur un corps k, le problème est qu'« on n'y voit rien » aux éléments du bidual qui ne viennent pas du primal.) Le contre-exemple que j'ai, c'est que si k est un corps fini et A=k[t] l'algèbre des polynômes en une variable t sur k, de sorte qu'en tant que k-espace vectoriel, A est la somme directe d'un nombre dénombrable de copies de k, et son dual est le produit d'un nombre dénombrable de copies de k, c'est-à-dire les suites à valeurs dans k : le bidual de A contient les fonctions qui à une suite u à valeurs dans k associent sa limite prise selon un ultrafiltre sur ℕ, et le produit de deux tels éléments (pour la multiplication que j'ai explicitée) est la limite selon l'ultrafiltre somme, pour l'addition usuelle sur le compactifié de Stone-Čech de ℕ — or il est « bien connu » que cette addition n'est pas commutative en général. (Si vous n'y voyez rien, c'est normal. Moi non plus.)

J'ai posé la question sur MathOverflow de trouver des critères intéressants pour que DD(A) soit commutatif, ou bien un exemple plus simple où il ne l'est pas. Je n'espère pas vraiment de réponse (et par ailleurs j'ai moi-même résolu le cas qui m'avait amené à m'intéresser à cette question : si A est finie sur un anneau k noethérien intègre), mais à vrai dire je serais déjà content si on pouvait me dire que cette multiplication a été explicitée à tel ou tel endroit dans la littérature. (Ah, en fait, on me souffle que ça s'appelle la multiplication d'Arens, au moins dans le contexte des algèbres de Banach.)

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(jeudi)

Les nombres dans les rêves

Il y a bien longtemps j'ai lu le petit livre de Freud sur les rêves (qui a un titre comme Über Träume, même si je ne sais pas exactement, et qui doit être la version abrégée du gros livre de Freud sur les rêves, Die Traumdeutung) : contrairement à ce qu'on imagine souvent, d'ailleurs, il ne prétend pas que tout ce qui apparaît dans un rêve soit un symbole sexuel. Une des remarques qui m'avaient frappé est celle-ci : que tous les nombres qui apparaissent dans un rêve sont des nombres qu'on a rencontrés éveillés — il semble que les rêves soient incapables de créer de nouveaux nombres. Et ceci a pour corollaire, je ne sais pas si c'est Freud ou moi qui le tire, mais en tout cas je l'ai souvent remarqué dans mes rêves, qu'on est incapable de faire en rêve la moindre opération arithmétique ; même quelque chose comme 100+50 semble presque impossiblement difficile, et quand on rêve qu'on fait des calculs, ces calculs sont presque toujours complètement délirants.

Je me demande s'il y a une leçon à en tirer sur le fonctionnement du cerveau. L'explication la plus évidente serait que le cerveau en état de rêve ne fait que rappeler et mélanger des souvenirs, il est incapable de réellement réfléchir, de créer de nouvelles pensées — mais je ne suis pas convaincu par une affirmation aussi large et catégorique. Notamment, il m'arrive de rêver de maths, et de faire des raisonnements mathématiques dans mes rêves[#], et si ces raisonnements sont globalement incohérents, voire dénués de sens, il y a généralement des bouts de raisonnement parfaitement sensés dedans, et je ne crois pas les avoir déjà rencontrés.

La moindre des questions qu'on peut se poser, et qui doit avoir une réponse expérimentalement atteignable, c'est de savoir si les régions du cerveau qui s'activent principalement quand un mathématicien réfléchit à un problème de maths abstraites ont un rapport avec celles qui s'activent quand on lui fait faire du calcul mental. J'aurais tendance à parier que non, pas du tout. Mais si on prend des exercices un peu intermédiaires entre les deux, comme multiplier deux polynômes sur un corps fini, il serait intéressant de voir ce qu'il en est.

[#] Récemment, par exemple, j'ai rêvé que je démontrais à Jean-Marc Ayrault que les boucles de Moufang vérifient la propriété de Lagrange. C'est-à-dire que l'ordre d'une sous-boucle divise l'ordre de la boucle : énoncé tout à fait vrai et que j'avais lu peu de temps avant sur Wikipédia, mais sans lire sa démonstration : donc celle que j'ai rêvée est évidemment délirante — ce qui n'empêche pas qu'il y avait des bouts sensés dedans.

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(mardi)

Exemple d'analyse d'une grammaire hors-contexte facile

On trouve sur le Web plein d'explications sur les deux principales méthodes pour analyser les grammaires hors-contexte que sont les analyseurs (descendants) LL et les analyseurs (ascendants) LR : par exemple, ce cours (je pense aux chapitres 8 à 15) n'est pas mauvais pour ce qui est du côté pratique ; l'article de Knuth définissant les analyseurs LR est aussi intéressant ; et ce résumé des différentes inclusions au niveau des grammaires et au niveau des langages est infiniment précieux pour s'y retrouver un peu. Néanmoins, il y a une chose que je n'ai trouvée nulle part, c'est un exemple simple d'une même grammaire simple avec la présentation explicite d'un analyseur LL et d'un analyseur LR pour celle-ci, afin de pouvoir vérifier à la main comment ils travaillent et comprendre par l'exemple comment ils fabriquent un arbre d'analyse.

J'ai donc pris l'exemple de la grammaire simple suivante (d'axiome S) :

  • Sε | aTS
  • Tε | bUT
  • Uε | cU | dSe

(où ε représente le mot vide) ; les mots du langage qu'elle définit sont, par définition, tous ceux qui s'obtiennent en partant de S et en effectuant une suite quelconque des substitutions indiquées (n'importe quel S peut être remplacé soit par le mot vide soit par aTS, n'importe quel T soit par le mot vide soit par bUT, et U soit par le mot vide soit par cU soit par dSe) jusqu'à tomber sur un mot qui n'a que des symboles (« terminaux ») a, b, c, d et e : par exemple, abcde (par SaTSabUTSabcUTSabcdSeTSabcdeTSabcdeSabcde, dite « dérivation gauche » parce qu'on remplace toujours le nonterminal le plus à gauche, ou SaTSaTabUTabUabcUabcdSeabcde, dite « dérivation droite »). Cette grammaire est inambiguë, c'est-à-dire qu'il existe un unique arbre d'analyse pour chaque mot du langage qu'elle définit (ou, si on préfère, une unique dérivation gauche, ou encore, une unique dérivation droite).

Si on a du mal à visualiser cette grammaire intuitivement, on pourra se dire que d et e sont des sortes de parenthèses, et que par ailleurs si on omet la règle UdSe, alors la grammaire produit exactement le langage décrit par l'expression régulière (a(bc*)*)*.

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(lundi)

Le mystère de mes voisins qui font du bruit à 6h

J'ai la malchance d'être très sensible au bruit quand il s'agit de dormir (parmi les différentes difficultés de mon sommeil), et comme j'ai le conduit auditif assez facilement irrité et le cérumen qui fait facilement des bouchons, je ne peux que très peu utiliser des protections auditives. Heureusement, l'immeuble où mon poussinet et moi habitons est relativement bien insonorisé et nous ne sommes guère gênés par nos voisins (qui par ailleurs sont plutôt âgés, donc pas trop le genre à écouter de la musique à fond pendant toute la nuit). Du moins c'est ce que je trouvais jusqu'à récemment, parce qu'il semble, depuis quelques semaines ou quelques mois, qu'il y ait eu un changement que je ne m'explique pas.

Nous entendons maintenant assez souvent des bruits de pas appuyés, des râclements comme des objets lourds ou des meubles qu'on traîne ainsi que des claquements de portes. Ils ne sont pas extrêmement forts, mais ils ont surtout ceci d'agaçant qu'ils durent très longtemps (parfois plus de deux heures de remue-ménage, or j'ai du mal à comprendre qu'on passe deux heures presque tous les jours à ranger son appartement ou à passer l'aspirateur), et surtout, ils commencent très tôt — à six heures du matin avec une grande ponctualité.

Déterminer l'origine d'un bruit est très difficile. Nous avons commencé par croire qu'il s'agissait des voisins du dessus (qui avaient emménagé récemment, donc qui étaient des suspects idéaux) : après leur avoir écrit une lettre restée sans effets, nous sommes allés frapper chez eux à 6h pour demander s'ils pouvaient faire moins de bruit, et ils nous ont expliqué qu'ils n'y étaient pour rien parce qu'ils dormaient. Nous nous sommes donc confondus en excuses, et nous en sommes restés au même point. Nous avons ensuite demandé à nos voisins d'à côté s'ils avaient changé quelque chose à leurs habitudes (ils sont là depuis longtemps et ne nous ont jamais dérangés ; il est vrai qu'ils se lèvent tôt, si j'en crois la lumière), mais ils nous ont assuré que non. Par ailleurs, personne d'autre que nous ne semble avoir remarqué un tel bruit, encore moins un changement soudain. J'ai mis un petit mot sur le tableau d'affichage des parties communes demandant si quelqu'un aurait une idée, mais sans succès (on m'a, il est vrai, fait remarquer que le bruit pouvait venir du dehors : ce n'est pas invraisemblable mais la nature des bruits me laisse plutôt penser à quelqu'un dans l'immeuble). La nuit dernière j'ai remarqué que la lumière était allumée à 6h (quand le bruit a commencé) trois étages au-dessus de chez nous, et comme le nom sur la porte est différent de celui sur la boîte aux lettres il est possible que ce soit un nouveau venu, mais j'ai un peu du mal à croire que nous soyons sérieusement gênés à travers trois étages.

Il est vrai que rien n'est sûr. Ces bruits pouvaient très bien exister depuis longtemps et ne s'être mis à me déranger que récemment, parce que j'aurais été particulièrement stressé ou parce que mes phases de sommeil auraient rendu plus facile un réveil vers 6h. Il se pourrait bien qu'il n'y ait pas qu'un seul voisin impliqué (peut-être que nos voisins d'à côté font un peu de bruit vers 6h, puis que ceux du dessus prennent le relai à 7h et que ce soit cette combinaison qui soit nouvelle). L'incertitude rend l'enquête beaucoup plus difficile. Toujours est-il que c'est une source de fatigue dont je pouvais bien me passer.

Un autre mystère auditif de notre immeuble, qui personnellement ne m'embête pas du tout mais apparemment trouble le sommeil de plusieurs de mes copropriétaires, concerne le bruit des impulsions électriques. Il faut savoir qu'EDF envoie à certaines heures sur le secteur une série d'impulsions électriques à 175Hz (2V) en plus de la tension nominale à 50Hz (plus exactement, jusqu'à 41 impulsions de 1s, séparées par des intervalles de 1.5s, codant une trame de 40 bits ; cette trame étant répétée plusieurs fois), ce qu'on appelle des impulsions « Pulsadis », qui servent à transmettre certaines informations notamment sur le passage heures pleines / heures creuses. Le mystère dans notre immeuble est que nous entendons ce signal, sous forme d'un bourdonnement sourd à certaines heures. Il n'y a aucun doute qu'il s'agit bien du signal Pulsadis, puisque mon poussinet est parvenu à décoder les trames à l'oreille (et que le son colle bien avec du 175Hz), mais le mystère est de savoir comment ce signal censément électrique devient audible ! Nous avons un transformateur EDF de quartier dans notre sous-sol, mais il semble que le bruit ne vienne pas directement de là (le signal doit venir de là puisque c'est sans doute le transformateur qui émet les impulsions à partir d'une commande de plus haut niveau, mais ce n'est pas directement lui qui rend ce signal audible) ; il y a probablement un rapport avec la ventilation de l'immeuble, peut-être un effet d'orgue, mais en tout cas le mystère n'est pas résolu et certains de mes voisins trouvent ce son vraiment gênant.

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(lundi)

Qui est l'héritier actuel d'Adam (une question stupide) ?

Encore une question un peu idiote au croisement des mathématiques, de la biologie (anthropologie ?) et de la généalogie.

On appelle Adam du chromosome Y (ou plus récent ancêtre patrilinéaire commun) le plus récent ancêtre de tous les hommes vivant actuellement par descendance purement patrilinéaire (=agnatique). Autrement dit, si on oublie totalement les femmes (désolé pour elles), de sorte que chaque homme a un et un seul géniteur, lui-même ayant un seul géniteur et ainsi de suite pour former la lignée patrilinéaire, Adam est le plus récent qui apparaît dans la lignée patrilinéaire de tous les hommes vivants. Il est donc celui dont le chromosomes Y de tous les hommes est directement hérité. On estime qu'il a vécu il y a entre 100000 et 200000 ans. Mais pour ce que je vais dire, peu importe qu'on considère le plus récent ancêtre patrilinéaire commun : n'importe lequel de ses ancêtres patrilinéaires, i.e., n'importe quel homme ayant vécu il y a suffisamment longtemps et ayant eu des descendants purement patrilinéaires (tous les hommes) à l'heure actuelle convient.

Supposons maintenant qu'on décide qu'Adam était un roi et que sa couronne s'hérite (comme la couronne de France, d'Espagne, etc.) selon les règles de la séniorité agnatique = « loi salique » = descendance patrilinéaire en ordre de profondeur (j'ai déjà évoqué ça). On peut donc[#] ranger tous ses descendants patrilinéaires et donc, par hypothèse, tous les hommes actuellement vivants (ainsi que tous leurs ascendants patrilinéaires jusqu'à Adam), dans l'ordre de succession pour cette couronne.

Donc il y a, quelque part sur terre, quelqu'un qui est le premier héritier d'Adam (et par ailleurs, tous les autres hommes peuvent être rangés de 1 à ~3.5 milliards par ordre de prétention à ce titre).

Je suis sûr que ça pourrait faire un bon (=très mauvais) roman à la Dan Brown, ça, où les héros devraient découvrir qui est l'actuel héritier d'Adam parce qu'il aurait seul le super pouvoir de sauver l'humanité de quelque chose.

Mais plus sérieusement, peut-on dire des choses à son sujet ? Peut-on essayer, sinon de l'identifier, au moins de trouver des candidats plus plausibles que d'autres ?

Évidemment, n'importe quel homme dont le père est vivant ne peut pas être le premier héritier d'Adam (puisque son père le précède dans l'ordre de séniorité agnatique). De même, celui qui a un frère aîné vivant, ou dont le frère aîné a des fils vivants, ou qui a un oncle paternel aîné vivant, ou dont un oncle paternel aîné aurait des fils vivants, ou des fils de fils, tous ceux-là ne peuvent pas être le premier héritier d'Adam. Le premier héritier d'une famille royale utilisant l'ordre de séniorité agnatique est au moins un candidat sérieux (plus sérieux que la moyenne) pour être l'héritier d'Adam, puisqu'il n'est pas trivialement déclassé sur quelques générations ; par exemple, ce monsieur (que des guignols considèrent comme prétendant à la « couronne de France ») est, si j'ai bien suivi et compté, descendant aîné d'Hugues Capet en ligne purement patrilinéaire par 31 générations, ce qui lui donne probablement plus de chances qu'un quidam lambda d'être le premier héritier d'Adam — mais encore faudrait-il vérifier qu'il n'y avait pas de bâtards plus aînés qui auraient été écartés dans l'ordre de succession et qui auraient pu avoir des descendants, et évidemment Hugues Capet lui-même est quelques milliers de générations après Adam donc il y a finalement peu de chances qu'il en soit le premier héritier (même parmi ceux qui ont un héritier patrilinéaire vivant).

Il ne faut évidemment pas non plus s'imaginer que le premier héritier d'Adam serait fils aîné d'un fils aîné d'un fils aîné d'un fils aîné sur plus de mille siècles : il y a forcément plein de branches plus aînées qui sont apparues et qui sont mortes.

On peut diviser les hommes en haplogroupes pour le chromosome Y en retraçant certaines mutations sur le chromosome Y, à partir desquelles on peut même reconstituer un arbre généalogique approximatif. Mais évidemment, quand une mutation apparaît, sous forme d'une séparation de l'arbre, rien ne permet de savoir si la mutation concernait plutôt une branche aînée ou cadette (et si c'est le deuxième fils de Monsieur Ugh qui a eu une mutation définissant un nouvel haplogroupe, les descendants du premier et du troisième fils sont classés dans le même haplogroupe alors que les uns sont plus haut placés et les autres moins haut placés dans l'ordre de succession d'Adam).

Voici donc une question de probabilités bayesiennes sur laquelle j'avoue ne pas avoir les idées très claires : peut-on estimer s'il y a une chance plus élevée que tel ou tel haplogroupe Y, ou telle ou telle région géographique, ait plus de chances de contenir le premier héritier d'Adam à l'heure actuelle ?

J'ai tendance à me laisser convaincre par l'argument selon lequel il serait presque sûrement Africain, parce qu'un groupe qui serait parti en migration n'a pas plus de chances d'être le groupe aîné qu'un groupe qui serait resté sur place, mais ce groupe donne beaucoup plus de descendants, qui sont donc classés de façon proche dans l'ordre de succession. Par exemple, quand je regarde l'arbre généalogique sur Wikipédia, j'ai tendance à imaginer qu'à chaque bifurcation le premier descendant d'Adam a une chance sur deux d'être de chaque côté de la bifurcation, ce qui lui donne beaucoup plus de chances d'être dans le haplogroupe A0 que dans le R (auquel il est probable que j'appartienne). Mais ce genre de raisonnement est très glissant, et je ne suis pas suffisamment confiant en ma maîtrise des probas pour être sûr que je ne dis pas de bêtises. (Un contre-argument pourrait être : la branche aînée, puisqu'elle passe uniquement par les aînés, est probablement séparée d'Adam par plus de générations que la branche cadette, et si on suppose que les mutations sont essentiellement liées au nombre de méioses — j'espère que ce n'est pas trop absurde biologiquement — alors la branche aînée a des chances d'être plutôt celle qui a le plus de mutations.)

Toujours est-il que je trouve l'idée fascinante qu'il y a quelqu'un parmi nous qui est le premier dans l'ordre de séniorité agnatique et que nous n'avons guère de moyen de savoir qui il peut être.

Bien sûr, on peut définir exactement la même notion pour la descendance matrilinéaire stricte (en remontant à l'Ève mitochondriale) : l'intérêt de la ligne patrilinéaire est que, comme elle a été mieux enregistrée par certaines sociétés (via les noms de famille, via les descendances royales) on s'en fait une meilleure idée. Et puis, comme mon père est fils aîné alors que ma mère n'est pas fille aînée, et comme je suis moi-même un garçon, je préfère la descendance patrilinéaire, nà. ☺️

[#] Possibilité toute théorique, bien entendu. Par ailleurs, il faudra faire une convention qui n'est pas standard pour une succession royale : les « bâtards » sont évidemment héritiers de la couronne d'Adam puisque la notion de mariage n'a pas de sens bien défini et qu'on parle de généalogie mathématique/biologique. De plus, il faudra faire une convention pour régler les cas de gémellité (pour les « faux » jumeaux l'ordre de fécondation semblerait plus naturel, mais il n'est pas vraiment défini pour les « vrais » jumeaux, donc mettons l'ordre de naissance).

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(dimanche)

Une histoire sans mots de Xú Bīng

Je suis tombé complètement par hasard sur un livre de l'ariste chinois (ou sino-américain) Xú Bīng (徐冰) intitulé Une histoire sans mots. Enfin, ça c'est le titre sous lequel le livre est paru en France, mais c'est plutôt une description qu'un titre : aux États-Unis il est paru (ou va paraître) sous le nom From Point to Point, et en chinois sous le nom 从点到点 (dont le titre anglais est la traduction), mais en fait le vrai titre de ce livre est plutôt quelque chose comme : • → 👨︎ → • (un point, une flèche vers la droite, le dessin d'un homme, une flèche vers la droite, un point ; malheureusement, Unicode n'a pas le simple dessin d'un homme stylisé comme on utilise par exemple pour représenter les toilettes pour homme, ce qui est d'ailleurs vraiment bizarre, alors j'ai mis un U+1F468 MAN à la place, mais le glyphe de référence est une tête — passons [mise à jour () : maintenant il y a U+1F9CD STANDING PERSON donc je pense que j'écrirais le titre comme • → 🧍︎ → •]).

L'édition française n'est pas une traduction de l'édition chinoise ou américaine, puisqu'il n'y a rien à traduire : comme le dit le titre français, il s'agit d'une histoire sans mots. Racontée uniquement avec des pictogrammes ou idéogrammes : je ne rentrerai pas dans la question byzantine de la différence entre les deux, qui est souvent très floue, mais en tout cas il ne s'agit pas d'idéogrammes chinois, mais de symboles très internationaux comme celui dont je me plains de l'absence dans Unicode au paragraphe précédent, des flèches, des signes de ponctuation, des smileys, des symboles mathématiques, des icônes largement connues, des panneaux routiers, des logos de marques, des dessins stylisés d'objects courants, etc.

Le thème de l'histoire, c'est 24h dans la vie du héros, dont on ne sait pas le nom mais qui est représenté par le dessin d'un homme stylisé noir (les autres personnages sont représentés de différentes autres couleurs). Pour donner une idée, voici à quoi ressemble un passage qui raconte que le héros reçoit un mail d'un couple d'amis annonçant qu'ils ont eu un enfant et invitant à regarder la photo en attachement, que le héros regarde la photo, trouve le bébé plutôt monstrueux, mais se dit qu'il vaut mieux ne rien dire, donc répond en disant qu'il a vu la photo, qu'il trouve le bébé très mignon, félicitations :

[Court extrait de l'histoire sans mots de Xú Bīng]

Cet extrait est (je trouve) relativement représentatif. Globalement, l'histoire se comprend assez bien, même s'il faut parfois réfléchir un peu (quelques passages sont des petits casse-tête) et j'avoue que quelques fois je n'ai compris que l'idée générale et pas toutes les nuances. C'est surtout très amusant à lire, à la fois par le contenu de l'histoire et par l'astuce avec laquelle certaines idées sont véhiculées, et je pense que c'est ça qui intéresse l'artiste. On peut regretter que les symboles utilisés manquent parfois un petit peu de cohérence (par exemple, les symboles de mains approbatrices ou de certains objets comme le téléphone varient de façon assez inexplicable), ou qu'ils ne soient pas toujours très soignés (certains smileys sont grossièrement pixellisés), mais le concept, en tout cas, me plaît énormément, et je suis assez impressionné du résultat.

Je pense que l'expérience est intéressante non seulement artistiquement mais aussi du point de vue des sciences cognitives. Il faudrait voir à quel point le livre est compréhensible dans tous les pays (même si rien n'est dit explicitement du lieu où se passe l'action, il y a quand même des éléments culturels qu'on peut relever, par exemple le fait que les toilettes du héros sont la même pièce que la salle de bains, ou le fait que les gens sur les réseaux sociaux de rencontres indiquent quel est leur groupe sanguin). Il faudrait mesurer la vitesse à laquelle on déchiffre (certainement beaucoup plus lente qu'un texte écrit avec des mots). Il faudrait voir à quel point c'est compréhensible par un enfant, par des personnes ayant subi des dommages aux zones du langage dans le cerveau, que sais-je encore.

Le « langage » dans lequel le livre de Xú Bīng est écrit est destiné à être spontanément compréhensible sans apprentissage préalable, même si l'auteur utilise, et je pense qu'il fait bien, un certain nombre de conventions avec lesquelles on se familiarise assez vite : par exemple, les heures du jour et de la nuit sont indiquées par des pendules blanches et noires respectivement, certaines précisions sur une idée sont développées entre une paire de parenthèses reliée à l'idée principale par un tiret, et quelques autres choses du même genre. En s'autorisant un apprentissage minimal, on peut probablement mettre en place un langage idéographique encore beaucoup plus expressif que le code de ce livre, et néanmoins beaucoup plus facile à apprendre qu'une langue naturelle, qui pourrait avoir un intérêt non nul comme système de communication internationale primitif. Je sais qu'il y a quelques tentatives dans ce sens, notamment les symboles Bliss (sur lesquels j'aimerais bien en savoir plus, et dont je m'impatiente qu'ils entrent dans Unicode), ou encore une application pour téléphones mobiles appelée iConji, dont l'utilité potentielle est malheureusement réduite à néant par le fait qu'elle est propriétaire : le principe général me semble très bon, je trouve dommage qu'il ait été si peu exploré (et que les seuls inventaires vaguement utilisables d'idéogrammes soient les caractères égyptiens et chinois, tellement liés aux spécificités de ces civilisations).

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(samedi)

Les différents comptes Google et la confusion entre eux

Mon poussinet et moi avons acheté à ma maman, pour Noël, son anniversaire et le nouvel an (tout ça tombe à peu près en même temps), une tablette Android Nexus 7. La première chose avant de pouvoir s'en servir, bien sûr, c'est de promettre de vendre à Google son âme et celle de son premier né (je me sens donc directement concerné), et accepter d'avoir un compte Google+ (c'est peut-être possible de l'éviter, mais il doit falloir cliquer douze fois sur non merci, je ne veux pas de compte Google+ à chaque fois qu'on ouvre une application). Bref.

Ce que je trouve surtout terriblement perturbant, avec les différents sous-services de Google, c'est le nombre de comptes qu'on peut avoir, et la manière complètement incompréhensible dont ils sont reliés — unifiés ou pas. Par exemple, quand j'ai eu pour la première fois un compte Google, il était associé à l'adresse david+googleaccount[arobase]madore[point]org (peut-être y en a-t-il eu une avant, mais en tout cas le compte a été associé à cette adresse-là) ; puis j'ai dû me créer un compte GMail, j'ai choisi l'adresse davidamadore[arobase]gmail[point]com (que je ne lis essentiellement jamais, elle me sert juste parce que Google tient à ce qu'on ait un compte GMail pour utiliser Google Talk) : j'ai censément « unifié » ces deux comptes, mais certains services Google me connaissent sous une adresse, d'autres sous l'autre, encore d'autres sous les deux, et je n'y comprends rien du tout — il y a même eu un temps où me connecter à YouTube me déconnectait de GMail parce qu'il devait considérer que j'étais sous la mauvaise adresse.

Ma mère aussi a plusieurs adresses mail, une chez Voila.fr qu'elle a depuis très longtemps, et une autre chez GMail qui est plus récente : manifestement, certains services Google la reconnaissent sous une adresse, d'autres sous l'autre, et certains comprennent que c'est la même personne, mais pas toutes. C'est assez incompréhensible, et on ne sait pas du tout où on en est. Allez savoir pourquoi, quand elle utilise Google Hangouts pour m'envoyer des messages à moi, ceux-ci semblent venir de son compte GMail, mais quand elle l'utilise pour écrire à mon Poussinet, c'est sous son adresse Voila.fr qu'elle apparaît.

C'est encore pire quand on mélange ça avec les contacts du téléphone : si vous avez une personne dans vos contacts sous une adresse mail et que cette personne a, disons, un profil Facebook ou Google+, avec une autre adresse, et/ou un nom subtilement différent, et qu'elle apparaît parmi vos amis, il faut faire comprendre au téléphone ou à la tablette que c'est, en fait, la même personne — ce qui est possible, certes, mais source de terribles confusions ou d'effets secondaires navrants, par exemple la photo du profil Facebook ou Google+ se retrouve autoritairement comme photo par défaut du contact jusque dans la liste des appels téléphoniques.

À mon avis la source de ces confusions est le rôle multiple donné aux adresses mail : on s'en sert à la fois comme handle (identifiant ?) pour désigner un compte et aussi, comme son nom l'indique, comme adresse pour envoyer un mail — mais ce sont des choses totalement différentes, et je n'ai pas forcément envie que l'adresse que les gens utilisent pour m'envoyer des mails soit mon identifiant auprès de Google ; par ailleurs, je n'ai pas forcément envie que mon adresse de contact pour la messagerie instantanée (Google Talk / Hangouts) soit la même que mon adresse mail, parce que je fais un usage très différent de ces choses. Je n'ai pas non plus forcément envie de relier mon identité en tant que développeur Android à celle dans la messagerie instantanée de Google. Bref, tout ça est un beau bordel.

Et je ne parle pas de mon compte YouTube, qui me sert à la fois à publier des vidéos mathématiques et à indiquer que j'aime bien certaines vidéos qui n'ont vraiment rien à voir avec les mathématiques : je veux bien que Google sache que c'est la même personne (de toute façon c'est évident qu'ils peuvent le savoir), je veux même bien qu'ils l'indiquent publiquement, mais je voudrais quand même pouvoir séparer les rôles — que quelqu'un qui s'abonne à mes vidéos mathématiques ne reçoive pas aussi les notifications que j'ai ajouté à mes vidéos favories (même si elles sont publiques et je n'ai rien contre qu'elles le soient) tel ou tel sketch de The Onion ou je ne sais quoi.

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(mardi)

Le coût des changements de contexte mentaux

Le cerveau a ses propres rythmes. Quand je réfléchis à un problème, quel qu'il soit, et notamment mathématique, j'ai besoin d'un certain temps pour entrer en matière (appréhender le problème, me familiariser avec ce dont il est question, visualiser la situation), après quoi je peux y réfléchir constructivement pendant un certain temps, puis je fatigue et je m'en lasse. Mais même le fait de me dessaisir d'un problème a un certain coût : une fois qu'il s'est présenté à moi, je ne peux pas simplement l'oublier, j'ai besoin d'une forme de « clôture » intellectuelle — qui ne coïncide pas forcément avec la résolution du problème, mais au fait d'avoir l'impression d'en avoir fait le tour, de ne plus pouvoir améliorer ma compréhension, d'avoir dit tout ce que je savais dire. (Je peux très bien ne pas réussir à dormir parce que je n'ai pas « fini de réfléchir » à quelque chose.) Tout ceci impose des rythmes assez délicats, et le fait de me forcer à faire un « changement de contexte » mental, c'est-à-dire à laisser de côté un problème pour passer à un autre (sans pour autant oublier complètement le premier, que je reprendrai plus tard) me semble extrêmement coûteux (en temps ou en énergie intellectuelle).

C'est d'ailleurs une raison pour laquelle je n'assiste pas à énormément de séminaires : ce n'est pas qu'ils ne m'intéressent pas, mais souvent qu'ils m'intéressent trop : je vais commencer à réfléchir à ce que l'orateur raconte (ou, le plus souvent, à ce qu'il raconte pendant l'introduction avant de rentrer dans ses propres travaux, parce qu'il faut bien admettre que c'est souvent le plus intéressant en fait) et je risque de m'énerver pendant le séminaire lui-même « eh, je n'ai pas encore eu le temps de digérer intellectuellement l'énoncé précédent » parce que le rythme imposé est forcément rapide, et après coup perdre encore beaucoup de temps à réfléchir à ce qui aura été dit. (Et si plusieurs exposés se suivent, c'est encore pire, parce que j'ai énormément de mal à entrer dans le deuxième alors que je suis encore en train de réfléchir au premier, et ainsi de suite.)

Malheureusement, les rythmes auxquels je dois me soumettre ne sont pas forcément ceux que je voudrais, que ce soit à cause de mes enseignements, des disponibilités des collègues, des séminaires aux horaires fixés, ou même de mes propres rythmes de sommeil qui ne coïncident pas forcément avec ceux de ma pensée.

Hier matin j'ai enseigné un cours de cryptanalyse, ce qui m'a mis dans l'esprit toutes sortes de problèmes à ce sujet, qui ont été un peu brutalement remplacés l'après-midi par un problème informatique (très concret), ce matin je me suis rendu compte que je ne comprenais pas quelque chose en algèbre générale que j'ai donc dû approfondir jusqu'à ce qu'un collègue et son thésard viennent me proposer de discuter sur une question autour de certaines courbes de Shimura, demain matin je dois encadrer un TP sur les expressions rationnelles puis faire un cours sur les grammaires hors-contexte que je dois donc rafraîchir à mon esprit, après quoi je reprendrai sans doute la discussion avec mes collègues, puis jeudi matin j'encadre un nouveau TP et l'après-midi je dois faire passer un oral pour un cours d'algèbre (donc préparer des questions appropriées), et vendredi, après une séance d'un séminaire si j'en ai le courage (peu probable), ce sera à la cohomologie étale qu'il faudra que j'aie l'esprit pour continuer la rédaction avec un collègue d'un article sur le sujet (qui n'en finit pas de se finir). Chacun de ces sujets m'intéresse et je ne peux même pas dire que le rythme de passage de l'un à l'autre soit trop lent ou trop rapide, mais le fait est que ce n'est pas vraiment moi qui les contrôle, et c'est ça qui me semble très fatigant.

Je ne sais pas si c'est moi qui suis bizarre, en tout cas je ne crois pas avoir entendu d'autres chercheurs se plaindre de la difficulté à « changer de contexte », ou s'exclamer ce problème pourrait m'intéresser, mais je n'ai pas la force ou la mémoire à court terme pour créer un nouveau processus mental pour y réfléchir ! (bref, resource overflow).

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(dimanche)

Out in the Army de James Wharton

Je suis tombé sur le livre Out in the Army en errant chez Foyles le mois dernier, je l'ai acheté parce que ça m'intéressait d'avoir de la non-fiction (comment dire ça en français ?) britannique à lire, et bien que ce ne soit pas trop le genre de choses que je lis d'habitude, j'ai trouvé ce livre étonnamment captivant. C'est l'autobiographie de James Wharton, un jeune soldat britannique (du prestigieux régiment des Blues and Royals), ouvertement homo (et un des premiers ou des rares à l'être, qui s'est du coup retrouvé un peu malgré lui propulsé au rang d'emblème — par la presse ou par des Américains qui voulaient mettre un terme à la stupide politique du Don't Ask, Don't Tell). Il y raconte, avec une candeur que j'ai trouvée assez touchante, dix ans passées dans l'armée, entre la garde de la reine et le déploiement en Iraq ; l'acceptation de son homosexualité et la rencontre avec l'homme de sa vie ; mais aussi toutes sortes de scènes amusantes qu'il a pu vivre, ou des célébrités qu'il a été amené à croiser (comme quand le prince Harry, qui s'appelle apparemment lieutenant Wales dans l'armée, lui demande si c'est vrai qu'il est considéré comme une icône gay). Et aussi des passages moins drôles, comme quand il se fait tabasser par un membre homophobe de la même unité, ou quand il se lie d'amitié avec un soldat américain en Iraq qui finit par lui avouer qu'il est homo lui aussi mais qu'il doit le garder absolument secret pour ne pas être chassé de l'armée.

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(mercredi)

Quelques râleries de nouvel an

Le docteur Gro-Tsen est d'avis qu'il n'y a pas de meilleure façon de bien démarrer l'année qu'en râlant, alors voici un petit échantillon pour commencer.

D'abord je voudrais me plaindre tout particulièrement de la fermeture du Daily Monop' de la rue des Archives (Paris 4e). Pas que je sois particulièrement fan des Daily Monop' en général, mais celui-ci, situé juste derrière le BHV et franchisé à celui-ci, était un endroit où j'aimais beaucoup me poser pour manger en regardant les gens passer et lire des livres de maths à l'abri des distractions de mon bureau. À ce qu'on m'a dit, les galeries Lafayette (propriétaires du BHV) ont décidé de fermer l'endroit pour le remplacer par une boutique de vêtements de mode, ce qui est malheureusement le destin de beaucoup d'endroits dans le coin (je pense aussi au Starbucks qui était juste à côté : pas que les Starbucks manquent à Paris ou que j'aime beaucoup cette chaîne, mais c'était toujours plus intéressant qu'une enseigne de vêtement hors de prix ; ou bien à leur concurrent plus franchouillard, Columbus Café, qui s'était installé rue Vieille du Temple).

Toujours est-il que je suis à la recherche d'un endroit à Paris, si possible dans un quartier sympa, où je pourrais occasionnellement m'installer pour manger (à l'intérieur, mais avec vue sur l'extérieur) et ensuite occuper la table, éventuellement pendant longtemps. Les cafés parisiens traditionnels ont des tables minuscules et on peut difficilement s'y poser pendant des heures sans encourir les foudres du propriétaire ; les Starbucks ne servent que des choses trop sucrées et en tout cas pas des vrais plats ; j'eus jadis fréquenté le restaurant du Carrousel du Louvre, mais il est devenu un pur piège à touristes, hors de prix et médiocre ; les bibliothèques ne permettent évidemment pas qu'on mange ; bref, je ne connais rien qui me convienne.

Autre sujet de râlerie de consommateur first world : les produits en vente à mon Carrefour Market local. Je conçois qu'ils doivent prendre des décisions sur les articles qu'ils mettent ou ne mettent pas à leur inventaire, mais ce qui m'agace franchement c'est que ces produits changent sans arrêt, même dans la sélection (minuscule par rapport à l'ensemble de tout ce qu'ils proposent) des choses que j'achète vraiment. Je ne peux jamais compter sur le fait qu'un produit sera encore disponible le mois ou la semaine prochaine : même si j'exclus les produits de saison (ils n'ont déjà plus de panettone au chocolat, sniff, sniff !) et les ruptures de stock provisoires (comme celle-ci), il y a des produits qui disparaissent vraiment (plus d'étiquette indiquant leur produit ou d'emplacement vide dans les rayons), parfois pour réapparaître tout aussi inexplicablement des mois plus tard, parfois jamais. Si j'étais un peu complotiste, je soupçonnerais que c'est une façon de pousser à la consommation : si on ne sait jamais si un produit sera encore disponible plus tard, on est tenté d'en faire des stocks, quitte à ce qu'ils périment un peu, donc en acheter globalement plus.

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