David Madore's WebLog: 2012-11

Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le reste de ce site web, parle de tout et de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait), des maths à la moto et ma vie quotidienne, en passant par les langues, la politique, la philo de comptoir, la géographie, et beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas, ainsi que d'occasionnels rappels du fait que je préfère les garçons, et des petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le nom collectif de fragments littéraires gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes traduites dans les deux langues) ; il est maintenant presque exclusivement en français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut). Cette page-ci rassemble les entrées publiées en novembre 2012 : il y a aussi un tableau par mois à la fin de cette page, et un index de toutes les entrées. Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs « catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le texte de l'entrée elle-même.

You are on David Madore's blog which, like the rest of this web site, is about everything and anything (mostly anything, really), from math to motorcycling and my daily life, but also languages, politics, amateur(ish) philosophy, geography, lots of ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders of the fact that I prefer men, and some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the collective name of gratuitous literary fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning (some entries were in English, others in French, and a few translated in both languages); it is now almost exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top). This page lists the entries published in November 2012: there is also a table of months at the end of this page, and an index of all entries. Some entries are classified into one or more “categories” (indicated at the end of the entry itself), but this organization isn't very coherent. The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced before and after the text of the entry itself.

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Entries published in November 2012 / Entrées publiées en novembre 2012:

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(mardi)

Le fastidieux débat sur l'ouverture du mariage

Il m'arrive assez souvent de me surprendre — rétrospectivement — par ma naïveté. Je pensais, j'espérais, quand le projet de loi sur l'ouverture du mariage aux couples de même sexe a commencé à être discuté, que ce débat n'intéresserait pas l'opinion : que les Français étaient bien trop préoccupés par l'économie (pas que j'apprécie de voir que la politique se réduit de plus en plus à l'économie, mais c'est ce qui transparaît), que personne ne trouverait à objecter à un changement où les seules personnes vraiment concernées ne peuvent être que favorables — que ceux qui y sont idéologiquement opposés auraient soit peur d'être ridiculement ringardisés soit la pudeur de se cacher un peu — et qu'au final le texte passerait en suscitant autant d'attention que le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Norvège sur l'enseignement dispensé en France aux élèves norvégiens et le fonctionnement des sections norvégiennes établies dans les académies de Rouen, Caen et Lyon (I'm not making this up). Bref, j'ai été bien naïf : au lieu de ça, il nous faut supporter un débat si fastidieux que, vous l'avouerai-je, je vois avec soulagement la petite parenthèse que nous offre le numéro de duettistes du principal parti d'opposition.

Je ne cacherai pas qu'une partie de mon agacement vient de la manière dont les partisans de l'égalité dans le mariage défendent leur position : c'est-à-dire que, de ce que j'ai pu voir, au lieu de répondre aux arguments (enfin, ce qui en tient lieu) avancés par leurs contradicteurs, ils préfèrent crier le mot homophobe sur tous les registres possibles. En un sens, c'est très bien que l'homophobie soit maintenant globalement connotée négativement : même les opposants au projet de loi prétendent (un peu hypocritement, certes) défiler aussi contre l'homophobie ; dans le monde parallèle du racisme, nous nous situons dans la phase où on commence à éprouver une certaine gêne, pas encore de la honte, mais au moins de la gêne, à affirmer l'inégalité de telle race sur telle autre — le premier timide pas pour sortir du bourbier de la connerie. Mais à force de crier à l'homophobie, on va user ce mot. Par exemple quand quelqu'un passe des pages entières à traiter Lionel Jospin d'homophobe parce qu'il a prononcé des propos à vrai dire assez brumeux et incompréhensibles qui interprétés de la bonne manière (et si on ne rechigne pas à couper et ignorer totalement une phrase assez importante comme la discrimination à l'égard de telle ou telle orientation [sexuelle] m'est insupportable) peuvent effectivement s'interpréter comme une forme d'homophobie, au moins au passé ; même comme ça, il faut beaucoup et délibérément déformer pour arriver à lui faire penser que les gouines et les pédés ne font pas vraiment partie de l'humanité (!) : moi, tout ce que je vois c'est que Jospin n'est pas d'accord avec moi, et qu'il n'est pas doué pour dire aux journalistes en fait, ce sujet ne m'intéresse pas alors il dit deux-trois phrases nébuleuses et contradictoires — est-ce bien une raison pour le traiter d'homophobe ?, je ne le crois pas. De même quand François Hollande a eu une expression certes passablement malheureuse pour signaler aux maires geignards qui ne veulent pas marier des sales pédés qu'ils peuvent toujours laisser ça à leurs adjoints, je ne sais vraiment pas si c'était la peine d'aller manifester à ce sujet (et créer une sous-polémique dans un débat déjà assez pénible comme ça).

Je ne veux pas juste dire il faut savoir qui est l'ennemi : je veux dire qu'un des principes fondamentaux, dans un débat, c'est qu'on discute avec des gens qui ne sont pas du même avis. Ou au moins qu'on répond à ce qu'ils disent, et pas juste pour crier oh les vilains ! (même si c'est vrai). Le fait est que la partie relativement conservatrice de l'opinion, qui, comme je l'espérais naïvement, n'en avait initialement franchement pas grand-chose à faire de ce sujet (et donc était mollement favorable par défaut), est en train de s'orienter comme le lui disent ses mentors traditionnels. (Il y a du vrai dans ce que disent les sociologues qui prétendent que l'opinion publique n'existe pas parce que la mesure ou le débat perturbe le phénomène mesuré.) Que cela plaise ou pas, il faut parler à ces gens. Ou alors on peut craindre que la droite ne tienne sa promesse de faire annuler la loi dès qu'elle reviendra aux affaires (a priori je ne le crois pas, mais ce n'est pas totalement exclu non plus, justement si le débat s'envenime trop et polarise l'opinion de ces conservateurs).

Parce qu'il y a quand même des réponses qu'on peut faire qui me semblent un peu plus — ahem — productives que traiter d'homophobe le Premier ministre au moment du vote du PACS. L'Église catholique (puisqu'elle semble avoir endossé les habits de principal opposant au projet de loi) à eu la subtilité d'éviter de parler de Dieu — de placer, au moins formellement, ses arguments sur le terrain sociétal — et ce serait une grave erreur d'ignorer ce qu'elle dit. (Heureusement, certains s'emploient à lui répondre intelligemment.)

Par exemple, quand un évêque parle de rupture de civilisation, on peut aller interroger des gens qui vivent pas très loin de chez nous, du côté de Charleroi, Anvers, Amsterdam, Barcelone… leur demander comment ils ont vécu cette rupture de civilisation : je pense que l'absurdité de l'idée apparaîtra assez rapidement. S'il y a eu rupture de civilisation, c'est lorsque le divorce a été autorisé : on peut demander à l'Église pourquoi elle ne considère pas le mariage de couples de même sexe de la même manière que le mariage de divorcés — quelque chose qu'elle ne pratique pas elle-même mais qui ne semble plus lui poser un grave problème par sa simple existence. Quand certains avancent qu'un contrat civil renforcé devrait être suffisant pour garantir l'égalité des droits, on peut rétorquer que le mariage dispose d'une reconnaissance internationale qu'aucune union civile n'a (un couple français PACSé ne sera pas reconnu comme couple même dans les pays où le mariage existe entre personnes de même sexe). Quand dans le débat sur l'adoption[#] (dont j'expliquais naguère qu'il devrait être à mon avis bien séparé de celui sur le mariage) certains avancent qu'un enfant a droit à un père et une mère, on peut répondre simplement que dans la grande majorité des cas, la question est de savoir si tel enfant aura droit, aux yeux de la Loi, à une seule mère ou bien deux (ou : un seul père ou bien deux) ; et qu'à partir du moment où l'adoption est possible par les célibataires et que les opposants de maintenant qui ne se sont pas réveillés plus tôt sont vraiment de mauvaise foi. Ce sont des réponses assez simples à faire, et que j'ai trop rarement entendues.

Une autre chose que j'ai trop rarement entendu souligner, lorsqu'est servi le trop usé argumentaire du droit des enfants (et si on prononce le mot enfant, on pense automatiquement aux petits), c'est que la relation de filiation n'est pas quelque chose qui cesse quand on devient adulte. (Mon père et ma mère n'ont pas cessé d'être mon père et ma mère quand j'ai eu 18 ans.) Or on interdit à ceux qui ont été élevés par un couple de même sexe et qui sont maintenant majeurs de se voir reconnaître leur complète parenté (et en particulier, de porter le nom — ou d'hériter sans payer des taxes prohibitives — de l'un des parents).

Toujours est-il que ce n'est pas demain la veille que toute référence au sexe d'un individu disparaîtra de la Loi et de l'état-civil (comme je le souhaite ardemment) : en attendant, il faut subir un débat laborieux pour un petit corollaire de ce principe — mais ce sera déjà ça.

[#] Je pense qu'il faudrait aussi ne pas faire l'amalgame entre plein de questions qu'on peut ranger dans le mot homoparentalité : l'homoparentalité est une situation, mais il y a plein de manières dont on peut arriver à cette situation : selon que, par exemple, un couple de même sexe cherche à adopter, un homo célibataire cherche à adopter (est-ce de l'homoparentalité, ça ? et si c'est un bi ?), un homo/bi a eu un enfant dans un couple hétéro mais a perdu son/sa compagnon/-e et entre en couple de même sexe avec une autre personne (je pense que c'est la situation la plus courante), une personne en couple avec quelqu'un du même sexe a eu un enfant (par insémination artificielle ou en trouvant un partenaire de reproduction de sexe opposé) et cherche à le faire adopter par son/sa compagnon/-e, etc.

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(jeudi)

Personne n'aime les fonctions primitives récursives ?

Je me dis souvent que la classe des fonctions primitives récursives est le parent mal aimé de l'informatique théorique.

Les fonctions générales récursives — c'est-à-dire, calculables au sens de Church-Turing — figurent dans n'importe quel cours de base : ce sont celles qui peuvent être calculées par une machine de Turing (ou toutes sortes d'autres modèles de calculs, comme des machines à registres), ou encore définies dans le λ-calcul de Church (non typé) ou par le schéma de récursion générale, ou bien calculables par essentiellement n'importe quel langage de programmation idéalisé raisonnable (je recommande la lecture du livre de Hofstadter, Gödel, Escher, Bach, et la description du langage FlooP, comme exemple). Toutes ces descriptions sont équivalentes. Le cours va ensuite généralement souligner deux choses : (A) il est possible de réaliser une machine de Turing universelle (c'est-à-dire, qui prend en entrée une description d'une autre machine de Turing et l'entrée à fournir à cette dernière, et simule son exécution, donc termine ssi l'autre termine, et renvoie le même résultat si c'est le cas), ce qui revient, informatiquement, à écrire un interpréteur d'un langage de programmation dans lui-même (ou dans un autre, peu importe), et (B) il n'est pas possible pour une machine de Turing de résoudre le problème de l'arrêt des machines de Turing, c'est-à-dire de décider (en terminant toujours) si une machine de Turing spécifiée s'arrête (sur une entrée donnée, mais en fait peu importe). La plupart des cours s'arrêtent là.

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(lundi)

Petit exposé sur la relativité

J'ai donné avant-hier dans le cadre du séminaire Mathematic Park, qui s'adresse surtout aux élèves de prépas ou de licences scientifiques, un exposé intitulé Relativité et Géométrie — malgré ce que le titre peut laisser penser, je n'ai parlé que de relativité restreinte (j'avais prévu quelques transparents sur la relativité générale s'il me restait du temps, mais il ne m'en est pas resté, ce qui valait sans doute mieux). J'aurais sans doute dû l'annoncer à l'avance sur ce blog, mais j'ai été un peu pris par le temps en commençant à préparer à la dernière minute. Bref. Mon propos a surtout été de présenter la relativité restreinte en insistant sur l'importance de la forme quadratique de Minkowski, et d'expliquer pourquoi il vaut mieux mesurer les vitesses en relativité en utilisant la notion de rapidité[#] (qui ont le bon goût de s'ajouter en dimension 1+1) et en quoi l'espace des vitesses de la relativité restreinte se comporte naturellement comme un espace hyperbolique ; tout ça, en faisant le parallèle entre trois sortes de relativités : la relativité restreinte ou minkowskienne/lorentzienne, la relativité galiléenne (antérieure à 1905), et le monde fictif de la relativité « euclidienne » (exploré dans la trilogie Orthogonal de Greg Egan, qui malheureusement utilise le terme « riemannien » que je trouve très mal choisi), cette dernière servant essentiellement comme contrepoint plus facile à visualiser, et où l'espace des vitesses correspond à la géométrie sphérique.

Mes transparents sont ici [lien cassé : ici une version locale], même si je ne sais pas s'ils seront très compréhensibles sans tout le blabla que je prononce pour les expliquer (le blabla a été enregistré, je ne sais pas encore s'il sera mis en ligne ; si c'est le cas, je tâcherai d'éditer cette entrée).

Comme souvent, je me rends compte après coup de quantité de choses que j'aurais pu expliquer et que je n'ai pas dites (ou même pas pensées) : le sens de la polarité par rapport à la conique fondamentale en géométrie hyperbolique ou elliptique ; ou comment utiliser les formules trigonométriques hyperboliques pour calculer l'aberration de la lumière relativiste (je ne la mentionne que brièvement au transparent 30/37) ; ou la notion d'aire sur le plan hyperbolique, sa conservation par le groupe de Lorentz, et l'analogue hyperbolique de la projection azimutale équivalente de Lambert. Mais la continuation logique de mon exposé — qui dressait le parallèle entre la relativité restreinte et certaines géométries de Klein — serait de faire le parallèle entre la relativité générale et les géométries de Cartan, et ça, je dois dire que je n'ai pas encore pris le temps de le comprendre en profondeur (même si j'ai commencé ici).

[#] Par exemple, plutôt que de dire que les protons du LHC vont à 99.9999991% de la vitesse de la lumière (jouez à compter les 9 !), ou qu'ils ont une énergie de 7 TeV, je trouve que c'est plus parlant de dire qu'ils ont une rapidité de 9.6 dans les unités naturelles.

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(dimanche)

Anciens extra-terrestres, et esprit critique

J'ai tendance à penser que prendre son temps pour réfuter les affirmations paranormales (fantômes, OVNI, perception extra-sensorielle, prophéties de fin du monde, etc.) est une pure perte de temps : les gens qui croient à ce genre de choses veulent y croire — peut-être parce que le fond leur plaît, peut-être parce qu'ils ont un complexe par rapport à la science, peut-être parce qu'ils veulent devenir experts en quelque chose — et ils seront de la plus parfaite mauvaise foi si on démonte leurs idées. De même, j'ai tendance à penser que c'est une parfaite perte de temps de discuter avec les gens qui croient que la Terre est vieille de seulement quelques milliers d'années : quand quelqu'un arrive à un tel niveau d'enfermement mental, aucun argument rationnel ne le convaincra de quoi que ce soit, les rares changements d'avis seraient sans doute plutôt liés à des chocs émotionnels profonds. On ferait mieux de passer son temps à relire Le Pendule de Foucault d'Umberto Eco qu'à attaquer ce genre d'idées.

Mais je reconnais une faiblesse à ma position : c'est qu'il y a tout de même des gens indécis, ou jeunes, ou dont l'esprit critique a encore besoin d'être affûté, et c'est pour eux qu'on doit se fatiguer. Peut-être simplement que je ne trouve pas ça très intéressant et que je n'aime pas me fatiguer à démonter des idioties. Hum.

Et puis je suis tombé sur le film Ancient Aliens Debunked (et le site Web associé), et je dois dire que je suis très impressionné. Il s'agit d'une réfutation point par point, à un niveau de précision extrêmement soigneux, d'une série documentaire paranormalisante — que je n'ai pas vue — produite ou au moins diffusée par The History Channel (et apparemment disponible en DVD). Cette série saugrenue prétend apporter toutes sortes de preuves de visites d'extra-terrestres sur Terre par des traces qu'ils auraient laissées auprès de civilisations anciennes : preuves tellement fantaisiste que j'aurais tendance à hausser les épaules et à dire ça ne mérite même pas qu'on prenne le temps d'y répondre, seuls des idiots peuvent y croire. Et pourtant, le contre-documentaire, apparemment réalisé essentiellement par un seul passionné avec des moyens amateurs, non seulement prend le soin de le faire de façon incroyablement méticuleuse, mais il le fait tellement bien qu'il en devient intéressant en lui-même, et j'ai été suffisamment captivé pour le regarder en entier (il est long de trois heures) : on y apprend des choses pas du tout évidentes dans toutes sortes de domaines, entre la symbolique maya, la manière de construire les pyramides, la déforestation de l'île de Pâques, les lignes de Nazca, la symbolique de la crucifixion et de l'annonciation, et les péripéties rocambolesques des faux crânes de cristal. (J'imagine qu'il doit aussi y avoir des erreurs dans le contre-documentaire, mais vu que sur tous les domaines où j'ai des connaissances il s'en tire remarquablement bien, il n'y en a sans doute pas des masses.) La quantité d'efforts qui a dû être nécessaire pour se documenter sur chacun des faits allégués par le premier film a dû être absolument colossale, d'autant qu'il a souvent l'effort non seulement de trouver la vérité mais aussi de trouver la source précise de telle ou telle légende.

Mais c'est d'autant plus remarquable que l'auteur du contre-documentaire (Chris White) est lui-même un chrétien fondamentaliste, qui croit apparemment à l'exactitude du récit biblique, par exemple en ce qui concerne le déluge, et c'est ce qui le motive pour réfuter ceux qui croient aux extra-terrestres et à diverses autres idées paranormales : cela ne ressort quasiment pas dans son film (sauf dans quelques allusions, vers la fin, aux étranges coïncidences entre les légendes de différentes cultures), mais ça doit nous rappeler l'étrangeté de nos mécanismes mentaux — on peut être doté d'un esprit critique parfaitement fonctionnel et d'une intelligence soigneuse et complètement échouer à les appliquer à certaines idées auxquelles on tient. Je trouve que l'ironie qu'il y a à ce que des théories crackpotesques soient démontées de façon soigneuse, méticuleuse et intelligente par les tenants d'autres théories crackpotesques, doit faire vraiment réfléchir.

Ceci m'a aussi fait repenser à un livre que j'ai lu, quand j'étais au collège (en 6e ou en 5e, je ne sais plus bien), donc quand mon esprit critique n'était sans doute pas encore très développé, sur le triangle des Bermudes. Le livre n'était pas très bien fait, et d'ailleurs assez brouillon, et ce n'est pas très clair (en tout cas quand j'y repense maintenant) s'il prétendait affirmer qu'il y avait un mystère ou au contraire le démonter, ou donner un point de vue censément « neutre » sur la question. Mais le fait est au moins qu'une bonne partie du livre recensait toutes sortes de phénomènes paranormaux qui se seraient produits dans la région (et relatés sans guère de recul), et tout d'un coup un autre chapitre changeait de beaucoup la perspective et expliquait qu'un bibliothécaire de je ne sais plus où avait démonté énormément de ces légendes de la façon la plus simple possible, c'est-à-dire qu'il ne s'était tout simplement rien produit du tout. Ce livre a produit un effet assez profond sur moi, parce que j'avais été assez frappé par la première partie — comme j'étais néanmoins plutôt rationnel et peu enclin à croire au surnaturel, je cherchais mentalement des explications aux phénomènes présentés, mais je voyais bien qu'elles étaient compliquées, tordues et peu plausibles — et tout d'un coup je pris conscience qu'il y a quelque chose de bien plus simple à remettre en cause, c'est qu'à peu près tout ce qui pouvait passer pour vaguement mystérieux pouvait être une pure invention, et qu'il ne fallait pas croire tout ce que je voyais écrit dans un livre simplement parce que c'était écrit dans un livre. Finalement le fait qu'un livre commence par présenter toutes sortes d'histoires pour dire ensuite ha, ha, vous nous avez cru ? (ce qui n'était sans doute même pas son intention, mais ce qui a été l'effet sur moi) a été un certain choc et m'a amené à repenser à ce que j'acceptais comme fait ou comme preuve.

Je pense également au remarquable faux documentaire Opération Lune de William Karel (lui aussi visible — en anglais malheureusement — sur YouTube : 1, 2, 3, 4, 5, 6 ; ajout : en français ici), présenté par Arte en 2002, qui cherche ostensiblement à prouver la théorie selon laquelle les images de la lune censément tournées par Apollo XI auraient en fait été réalisées en studio par Stanley Kubrick : on est pris dans un savant mélange entre le vrai et le faux. (La veuve de Kubrick était peut-être complice du canular, ce n'est pas très clair ; il y a aussi des images prises hors contexte des conseillers de Nixon — Henry Kissinger, Richard Helms, Alexander Haig et Lawrence Eagleburger — et aussi de Donald Rumsfeld et de Vernon Walters, qui proviennent d'un vrai documentaire du même réalisateur qui est d'ailleurs justement passé avant-hier sur LCP ; les autres personnages sont des acteurs. La confusion entre le vrai et le faux devient vraiment troublante comme le faux documentaire parle justement de faire de fausses images pour quelque chose de vrai — ils ne suggèrent pas que l'alunissage n'a pas eu lieu, seulement que les images sont fausses — et utilise savamment le vrai — comme le tournage de 2001 qui a effectivement précédé de peu la mission Apollo XI. Le fait que Vernon Walters soit vraiment mort entre son interview au documentaire et le montage de celui-ci ne fait qu'augmenter la confusion.) Bref, on ne sait plus trop quoi croire au fur et à mesure que le film part dans le délire complet et on est obligé d'admettre, à la fin, qu'on est bien en face d'un canular. Ceci devrait aussi nous faire réfléchir sur ce que nous acceptons comme vrai (notamment, mais pas uniquement, de la part de journalistes). Mais j'aurais peut-être préféré un faux documentaire moins humoristique à la fin, construit pour démontrer une fausse thèse claire et qui, tout d'un coup, change de ton et explique tous les mensonges qu'il a pu utiliser.

Toujours est-il que je me demande dans quelle mesure on peut — et on doit — enseigner l'esprit critique aux enfants ou aux ados, je veux dire enseigner spécifiquement l'esprit critique (par opposition à simplement dispenser des connaissances qui aident à développer l'esprit critique). Est-ce que ce genre de documentaires, et de façon générale est-ce que présenter une thèse vaguement crédible et ensuite la démonter en expliquant à quoi on aurait pu repérer qu'elle était fausse, aiderait dans ce sens ? Ou est-ce que ce serait au contraire source de confusion ? (L'esprit critique, ça ne consiste pas non plus à ne plus rien accepter et à voir le mensonge partout : c'est un travers presque aussi dangereux.)

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(samedi)

Quel contrôle doit-on avoir de son nom sur Internet ?

Pour différentes raisons, je continue à recevoir les mails adressés à un groupe de webmasters (ceux du site des élèves de l'ENS — ou peut-être plus exactement d'un de ces sites) dont j'ai fait partie il y a maintenant assez longtemps. Et récemment, ils (nous ?) ont reçu un mail de quelqu'un — que je connais par ailleurs en vrai — demandant qu'on efface son nom d'un fichier PDF qui figure de façon complètement accessoire sur le site. Et j'ai moi-même reçu occasionnellement des demandes semblables s'agissant de personnes dont je cite le nom sur ce site (pun unintended). La motivation est typiquement : il s'agit de la première réponse [ou : la n-ième, avec n assez petit] que renvoie Google quand on recherche mon nom.

Doit-on tenir compte de ce genre de demandes ? Pour ma part, j'essaie de donner satisfaction, surtout s'il s'agit de pages que j'ai écrites moi-même, et qu'il m'est donc facile de modifier. Je réponds cependant en faisant remarquer au passage que je c'est une faveur que je fais et que je n'avais pas d'obligation particulière dans ce sens (pas que je veuille spécialement appeler des remerciements, mais que parfois ce genre de demande est formulé de façon très impérative : merci d'effacer mon nom de ce site). S'il s'agissait, en revanche, d'un PDF que j'hébergerais et que j'aurais du mal à modifier/recréer/recompiler, ou dont je voudrais garder l'authenticité au bit près, je n'hésiterais pas à envoyer promener le demandeur.

Et pour autant que je sache, j'aurais la loi de mon côté : il me semble que le fait d'être nommément cité dans une publication donne un droit de réponse, c'est-à-dire de faire publier une réponse de longueur comparable au passage où on est cité (ce que je serais bien prêt à fournir), mais pas de faire disparaître ce nom ; une question différente est celle de la diffamation ou de l'injure, que la loi condamne, mais il faut pour qu'il y ait diffamation ou injure qu'il y ait plus que la simple mention du nom de la personne.

Maintenant, je ne veux généralement pas entrer en guerre contre les gens, donc quand ça ne me coûte rien de faire disparaître un nom, je ne vois pas pourquoi je ne le ferais pas. Mais je trouve un peu problématique l'idée qu'on aurait un droit à l'image si fort que le simple fait d'être mentionné quelque part donnerait un droit sur le document : elle est problématique, par exemple, si on songe à ce qu'elle donnerait appliquée à n'importe quelle personnalité politique (je n'aime pas ce qu'on dit de moi dans la presse ? pouf, disparu) ; elle est problématique parce qu'elle relève des mêmes idées que les compagnies qui défendent leurs marques (déposées ou non) avec une vigueur qui me semble extrêmement dommageable à la critique et à la libre expression ; elle est problématique parce qu'elle rentre en conflit avec le droit de maintenir l'intégrité de l'information et l'histoire du Web (faites-moi penser un jour à dire à quel point je pense que The Internet Archive est importante et doit être soutenue) ; et je pense qu'elle est moralement problématique parce qu'elle relève d'une conception excessivement symbolique du nom (quelque chose comme la kabbale, où savoir le Vrai Nom des choses donne un pouvoir sur elles ?).

Je ne nie pas pour autant qu'il soit gênant que la première occurrence d'une recherche Google de votre nom soit quelque chose d'extrêmement négatif (et je pense que c'est une question délicate que de savoir si on devrait avoir un droit d'attaquer Google à ce sujet), mais dans les cas dont je discute ce n'est pas le cas, ce sont juste des gens qui estiment avoir le droit que leur nom n'apparaisse pas du tout dans Google, ou en tout cas n'apparaisse pas en premier chez la page d'un autre qu'ils ne contrôleraient pas. Une chose que je suis parfaitement prêt à faire, par exemple, c'est ajouter un lien, portant le nom de la personne, vers le site qu'elle me désignerait comme son site personnel (ou sa page Facebook ou son compte Twitter, ou que sais-je) : c'est à mon avis la bonne façon de faire remonter celui-ci dans les recherches Google sur ce nom ; mais on parle plutôt de gens qui n'ont pas de site Web personnel et ne veulent justement pas que ce nom apparaisse sur le Web — et c'est justement ça que je trouve assez naïf et je ne vois pas en quoi ce serait fondé.

Mais l'idée que je veux surtout faire passer (parce que les subtilités sur les modalités échappent souvent à beaucoup de gens) est celle de la différence entre une politesse et une obligation : il me semble normal et souhaitable, si quelqu'un le demande, de faire disparaître son nom d'un document sur lequel il n'existe pas de contrôle d'authenticité (par exemple une signature cryptographique) ou d'intérêt historique ; en revanche, en-dehors de cas bien spécifiques comme la diffamation, ce n'est pas une obligation — mais le fait que quelque chose ne soit pas légalement obligatoire ne signifie pas que ce n'est pas en général souhaitable de le faire.

Ajout () : J'aurais sans doute dû éclaircir le point suivant : je me place dans l'hypothèse où j'ai affaire à quelqu'un dont le nom est suffisamment rare pour le désigner de façon essentiellement unique (Archibald Fulgence Tartempionsky, pas Jean Jacques Martin), i.e., je n'évoque pas du tout, dans la discussion qui précède, les questions d'homonymie qui rendent l'affaire encore plus confuse.

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(Friday)

Gratuitous Literary Fragment #146 (nothing but a pack of cards!)

Upon returning home, I take my deck to contemplate the meaning of my latest victory. Of all my victories: all twenty-one of them. From the first one I was destined to achieve: the High Priestess.

The easiest of the lot: Temperance. That hadn't seemed like a test at all, but I think it motivated me to go further.

The one which made me most satisfied: the Star. I could remain forever in awe of the gem's brilliance, and the whole event was a thing of beauty. I can truly say that I am proud to have conquered the Star—more than the Sun or the Moon.

The one I felt sorry for: the Hermit. It was unfair to the old man who had, after all, done nothing wrong of himself—at least not willingly. Also: the Lovers and their sad story.

The most subtle: the Magician. I almost fell for that one's tricks, almost took the bargain he offered me. (I wonder what would have happened if I had. Better not dwell upon such things.)

The most bizarre: the Hanged Man. Expect the unexpected, the Hierophant had told me. And I expected something to be upside-down, but certainly not that way.

The most terrifying: the Devil, of course. I don't think the nightmares he brought me will ever end. It is the Devil who taught me that victory comes for a price and that paying that price does not grant peace.

But the most unsettling is still the Tower. The sixteenth Arcanum seems to have been following me all my life: in hindsight, the clues to the Tower were obvious and were everywhere. I try to avoid reflecting on what I did there.

The hardest, however, was Judgment, by far. But then, in a sense, I failed that one, so should I list it as a a victory, even if it counts as one?

And now: Death, in the form of a handsome young man. Surprisingly easy, indeed, for the dreaded Unnamed Aracanum.

And the only one missing. I look at the final card.

I am suddenly struck by realization. I remember the sentence the World had spoken: I am All and you are Naught. The Emperor's remark about jest. And the parting words of Death: You Fool!

The Fool!

Fool that I am!

I fall to the floor.

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