Je suis en train de lire un traité de droit administratif (pas le
célèbre Chapus
devant la longueur duquel j'avoue avoir reculé, n'ayant pas à préparer
l'ÉNA,
mais un
précis Dalloz écrit par Jean Rivero et Jean Waline et qui, étant à
sa 21e édition, a bien dû être apprécié par certains)…
Comme presque à chaque fois que je consulte un manuel juridique, je
suis frappé par le nombre d'absurdités logiques (ou d'autres fautes de
raisonnement comme celle que j'avais
soulignée il y a un moment) qu'on a réussi à accumuler au fil de
l'histoire, et la complaisance benoîte avec laquelle les commentateurs
(comme les auteurs de ce livre) arrivent à les relater sans aucunement
sembler tiquer devant des monuments
d'illogisme[#]. Pas étonnant,
d'ailleurs, qu'un des blogueurs
français les plus populaires soit avocat, car il a la qualité
d'arriver parfois à expliquer le droit de façon compréhensible par les
geeks (qui ne manquent pas d'être nombreux parmi les lecteurs de
blogs), même s'il fait lui aussi souvent preuve d'une très grande
myopie vis-à-vis de sa discipline (je suppose qu'à force d'avoir le
nez dedans on finit par se convaincre que les choses les plus
délirantes sont sensées — au point de ne pas comprendre que
d'autres puissent ne pas arriver à les trouver intuitives). Un de mes
amis informaticiens (dont je vous recommande au
passage le
blog), qui, bien que geek, semble arriver assez bien à maîtriser
les subtilités du droit, me disait qu'il faut admettre une fois pour
toutes que la science juridique, comme la grammaire, a sa propre
logique, qui n'est pas celle des sciences exactes. (Ce n'est pas
absurde : après tout, la logique « naturelle » du cerveau humain, si
tant est qu'elle existe, n'est pas non plus la logique exacte.)
Mais ce n'est pas seulement que c'est illogique : c'est aussi que
c'est très compliqué, très confusant, et souvent très mal expliqué
(malgré l'habitude étonnante des juristes à faire des plans d'ouvrages
en parties, sous-parties, titres, sous-titres, chapitres, sections,
paragraphes et alinéas : ça rappelle
la classification RECOFGE). Plein de questions restent sans
réponse, aussi : certaines très basiques (j'ai eu beau chercher dans
tous les sens dans l'index de mes différents précis Dalloz —
celui dont j'ai parlé ci-dessus, ainsi qu'une Introduction
générale au droit et quelques autres — et je n'ai nulle
part trouvé d'explication rigoureuse sur la différence entre
un arrêté et un décret, ni sur la raison qui fait
que certains décrets sont simples, d'autres pris en Conseil des
ministres, d'autres en Conseil d'État), d'autres très geek-théoriques
(notamment, je me suis toujours demandé ce qui se passerait si la
France adhérait à un autre organisme international que l'Union
européenne — je ne vois pas pourquoi ce lui serait interdit
— et que cet organisme émettait des directives qui soient
contradictoires avec celles de l'Union européenne).
Parmi les choses les plus confuses dans ce que j'ai lu jusqu'à
présent, il y a la question de savoir quelles entités ont la
personnalité juridique (remarquez que le précis s'est bien
gardé de définir exactement ce que signifie et implique le
fait d'avoir la personnalité juridique
: on en retire une vague
idée comme la faculté de contracter ou d'ester en justice, mais on ne
sait pas exactement si ce sont des caractéristiques essentielles ou
incidentes), et parmi celles qui l'ont lesquelles sont une
personne publique et lesquelles sont une
personne privée (la différence semble tenir essentiellement
au juge qui va traiter les litiges, puisque la France a cette
bizarrerie d'avoir
un double
ordre de juridiction). On apprend par exemple que l'Autorité des
marchés financiers a une personnalité juridique (de droit public)
alors que l'Autorité de régulation des communications électroniques et
des postes n'en a pas ; que Paris a deux personnalités juridiques
(comme commune et comme département) alors qu'un arrondissement de
Paris n'en a pas (ou probablement pas) bien que doté d'un conseil
élu ; que la Banque de France est une personne publique mais n'est pas
un établissement public (les conséquences de cette distinction
m'échappent) ; que la SNCF est une personne publique qui
passe des contrats de droit privé ; que l'Ordre des médecins est une
personne privée qui a des attributions réglementaires ; que l'Institut
d'études politiques de Paris est une personne publique alors que la
Fondation nationale des sciences politiques est une personne privée ;
et que personne ne sait ce qu'est l'Agence France-Presse. Enfin,
c'est ce que je crois avoir compris (il est très probable que je me
sois pas mal trompé en essayant de redire les choses) parce que, comme
je le disais, c'est très confus.
Bon, mon poussinet m'appelle pour me coucher, alors je vais en
rester là. Mais si je crée, comme je compte le faire, un blog spécial
du Club Contexte (qui serait un blog
à plusieurs voix si j'arrive à convaincre d'autres gens d'y
participer[#2]), je pense que le
droit, et notamment le droit administratif, y aura une place de
choix.
[#] Je suis d'ailleurs
d'avis que les juristes, législateurs et tous auteurs de documents
juridiques devraient avoir dans leur formation un stage obligatoire
auprès d'auteurs de normes informatiques. Pas que ces derniers
n'aient pas aussi d'immenses défauts récurrents mais, au moins, comme
ils sont obligés d'écrire des choses qui seront implémentées sur des
ordinateurs dénués du moindre neurone d'intelligence, ils sont bien
obligés d'éviter un certain nombre de contradictions.
[#2] Ce qui me bloque
pour l'instant c'est le choix d'un système de gestion de contenu. Je
ne veux ni de PHP ni de MySQL : ça limite
beaucoup le choix dans les programmes de gestion de blogs… Et
je veux que ça ponde du XHTML strict valide (en validant
les commentaires), ce qui limite pas mal aussi.