Samedi dernier, pour les 38e journées européennes du patrimoine, le
poussinet et moi sommes allés visiter le premier réacteur nucléaire
historique français, mis en service en 1963 et (rétroactivement)
baptisé A1
, ou plus familièrement la boule
, de
la centrale
de nucléaire de Chinon (Indre-et-Loire ;
c'est ici,
au bord de la Loire, en fait sur la commune
d'Avoine[#] et pas de Chinon).
Je précise que la centrale de Chinon est encore en activité, mais la
partie qui sert à l'heure actuelle, ce sont les quatre réacteurs (peu
originalement baptisés B1
, B2
, B3
et B4
)
de la partie dite Chinon B
, construits dans les années 1980, et
pas les trois expérimentaux de Chinon A
, construits dans les
années 1960, et qui sont à l'arrêt (depuis 1973 pour la boule) et en
cours de démantèlement. La « boule » a été transformée en musée (même
s'il faut prendre ce mot avec des pincettes comme je vais le
dire).
[#] Peut-être parce que
ce serait trop facile si la centrale nucléaire de Chinon était à
Chinon, ou peut-être parce que la centrale nucléaire à Avoine
ça donne l'impression
qu'elle tourne
aux céréales. Plus sérieusement, la centrale est au bord du
fleuve parce qu'elle l'utilise pour son refroidissement, et je suppose
que Chinon est plus connu qu'Avoine à cause du vin et/ou du
château.
Le poussinet est un grand fan du nucléaire (il est notamment adhérent de l'association Les Voix du Nucléaire). Je suis globalement d'accord avec lui (en ce sens que ceux qui soulèvent des objections contre le nucléaire n'ont pas compris l'urgence et l'importance de la catastrophe climatique ; pour le grand public, j'aime renvoyer à cette vidéo de la toujours excellente chaîne de vulgarisation Kurzgesagt), mais ce n'est pas tellement ce qui m'a convaincu : c'est surtout que j'ai une fascination pour le gros équipement électrique (voir par exemple ici ou là).
Nous sommes allés à Chinon vendredi soir (avec la voiture électrique du poussinet, bien sûr). Notre plan était probablement de visiter un peu plus que juste la centrale, mais nous avons été pris par le temps (nous sommes partis plus tard que prévu, et avons dû repartir plus tôt), nous n'avons essentiellement rien vu, ni de Chinon, sauf trois pas dans la vieille ville, ni des châteaux de la Loire. Néanmoins, la vue depuis la corniche dominant la ville est assez impressionnante ; et notre maison d'hôte (le relais Saint-Maurice, dans la vieille ville) était décorée avec goût. (Cf. ce tweet.)
Comme par ailleurs ni le poussinet ni moi ne buvons d'alcool, je ne peux pas non plus faire de commentaires sur les vins de la région, et même si nous aimons bien la bonne bouffe il était trop tard pour chercher un restaurant gastronomique, mais nous avons dîné fort correctement. Ce qui est surtout amusant, c'est qu'alors que nous finissions de manger, dans cette ville où je n'avais jamais mis les pieds avant, nous avons vu complètement par hasard passer un ami, lui aussi parisien et que nous n'avions pas vu depuis avant la pandémie de covid, qui se trouvait avoir pris une chambre dans le même hôtel que nous ! (mais pas pour la même raison que nous : il était dans la région pour le mariage d'un ami).
J'ai extrêmement mal (en fait, quasiment pas) dormi la nuit suivante. Je ne sais pas à quoi c'est dû : le lit n'était pourtant pas inconfortable, ni la chambre particulièrement bruyante ; j'ai de gros problèmes de sommeil en ce moment, mais leur raison principale (le ravalement de façade de mon appartement) est spécifique à chez moi et ne s'applique donc certainement pas dans ce cas ; peut-être la manque d'habitude des lits doubles (à la maison, le poussinet et moi dormons dans deux lits jumeaux, je trouve ça bien mieux) a-t-il joué. Toujours est-il que le matin, j'ai failli dire à mon poussinet de visiter la centrale tout seul pendant que je rentrerais à Paris en train pour me coucher ; mais il m'a convaincu d'y aller quand même.
La première chose qui frappe quand on s'approche de cet endroit, c'est à quel point c'est immense. La « boule » est grande (elle culmine à 47m de haut), et pourtant elle est noyée dans le reste des bâtiments de la centrale, dont la superficie totale est de 155ha et dont les unités des réacteurs modernes sont nettement plus hautes. Déjà, de loin, vendredi soir, en arrivant à Chinon, nous avons vu le panache de fumée blanche s'élever des tours de refroidissement et former un immense nuage, c'était assez impressionnant. (La centrale de Chinon n'a pas les tours de refroidissement classiques en forme d'hyperboloïde à une nappe qu'on associe mentalement aux centrales nucléaires et qui n'ont en fait rien à voir avec le nucléaire : à Chinon, on a préféré des tours beaucoup plus basses mais plus larges, avec d'énormes ventilateurs au sommet, pour ne pas altérer la vue depuis ou vers je ne sais quel château (Ussé ?). Mais évidemment, le panache de gouttelettes d'eau, lui, il s'élève bien haut indépendamment de la forme de la tour.)
L'autre chose frappante, c'est le niveau de procédures pour entrer et circuler dans la centrale. Pour la visite (nous étions 8 au créneau horaire de 10h30), nous avions dû envoyer un scan de nos cartes d'identité à l'avance. Au jour J, nous avons d'abord passé une première sécurité (détecteurs de métaux, scan aux rayons X comme dans les aéroports), puis ils ont contrôlé nos cartes d'identité, y compris la photo (c'est-à-dire qu'ils nous ont demandé de baisser le masque pour voir le visage, ce qui, honnêtement, ne se fait pas souvent !). Bien sûr il y a des consignes spécifiques covid : lavage des mains au gel hydro-alcoolique en entrant dans chaque bâtiment, vérification des pass sanitaires, masque neuf donné à l'arrivée à la centrale même si nous en avions déjà un, et respect (certes très approximatif) de la distanciation sociale. Puis on nous a fait laisser nos portables en consigne parce qu'il y a interdiction de prendre des photos[#2]. On nous a prêté des casques de chantier (avec une charlotte pour les cheveux, pour raisons d'hygiène) et des gilets haute visibilité ; d'ailleurs, du coup, pendant la visite, c'était impossible de nous reconnaître entre nous, parce qu'entre le masque, le casque et le gilet, nous nous ressemblions complètement. Pendant que notre guide (qui n'avait pas le droit de nous lâcher) nous faisait une présentation générale préalable de la centrale, on nous a fait des badges d'accès temporaires, valables juste pour la matinée, pour pouvoir franchir les tourniquets de sécurité de Chinon A (où je rappelle, cf. ci-dessus, qu'il n'y a plus aucun réacteur nucléaire en fonctionnement, mais qui est quand même entourée d'une enceinte spécifique, avec des barbelés, des clôtures électriques, etc.) ; le badge s'accompagne d'ailleurs d'un code de sécurité à deux chiffres : pour passer le tourniquet de sécurité, on doit d'abord saisir le code sur un pavé numérique puis bipper le badge avant de s'insérer dans le tourniquet (je comprends ça pour un usage normal, mais pour un badge visiteur qui va servir une seule fois, c'est un peu surréaliste — sauf s'il s'agit justement de montrer aux visiteurs par l'exemple comment font les gens qui travaillent vraiment dans la centrale).
[#2] L'interdiction de photographier me semble franchement particulièrement idiote. Outre que si des gens mal intentionnés le voudraient ils n'auraient pas du mal à dissimuler un appareil quelque part, je trouve que si la sécurité de quelque chose dépend du fait qu'on ne prenne pas de photos (et du coup, que le cerveau humain soit mauvais pour la mémoire photographique), cette sécurité est vraiment mal foutue. Mais là, en plus, je ne vois pas ce que cette interdiction visait à protéger : à l'extérieur nous ne pouvions pas voir grand-chose de plus que depuis en-dehors du périmètre de la centrale (et, soit dit en passant, l'emplacement précis des bâtiments figure sur OpenStreetMap), et à l'intérieur, c'est censé être un musée, alors bon.
Tout ça pour entrer dans un musée ! Je n'ai pas bien compris, en fait : les visites pour le grand public, d'après ce que nous a dit notre guide, sont exceptionnelles (si c'est juste les journées du patrimoine, peut-être 10 créneaux de visite sur le week-end fois 8 personnes par groupe, ça fait 80 personnes par an). Elle a laissé entendre que d'autres personnes visitaient ce musée, mais qui ? Scolaires ? Opérations presse ? Formations d'ingénieurs ? Formations internes à EDF ? Je ne sais pas.