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Créteil Soleil un salon
de la voyance et de l'astrologie, donc, ne manquant pas d'à-propos
dans mes trolls, je vais dire un mot de ce que je pense de la
psychanalyse.
Globalement, je mettrais la psychanalyse un peu au-dessus de
l'acuponcture dans le registre des choses qui doivent effectivement
marcher un peu — à condition d'y croire. Il est probable qu'il
y « ait quelque chose », si on est suffisamment conciliant dans ce
qu'on entend par là, mais le plus parfait empirisme est dissimulé
derrière des théories farfelues.
Il n'est pas forcément problématique de travailler de façon
empirique. Après tout, comment développe-t-on des médicaments (je
veux dire, les vrais, ceux qui marchent) ? Est-ce grâce à des
théories de la biologie moléculaire et du fonctionnement du corps
humain ? Non. On essaie des milliers de molécules « au hasard »,
jusqu'à en trouver qui semblent avoir des effets intéressants, on leur
fait passer une batterie de tests d'efficacité et de non-toxicité, et
on les commercialise. Si les tests sont menés avec sérieux
(notamment, en double aveugle et avec un échantillon témoin), cet
empirisme n'est pas problématique. Il n'est pas essentiel
d'avoir une théorie de « pourquoi ça marche » pour que ça marche
effectivement. L'ennui, c'est quand des théories pipo tentent de
justifier des choses et de se substituer à la vérification
expérimentale. Or l'esprit humain est quelque chose de bien
compliqué, et s'il n'est pas exclu de pouvoir y comprendre quelque
chose (il y a des découvertes positives dans les neurosciences et
les sciences cognitives qui sont incontestablement des progrès de la
compréhension), au moins comprendre certains phénomènes, prétendre
pouvoir soigner scientifiquement l'esprit alors qu'on ne sait pas
vraiment le faire pour le corps est hautement douteux, en l'absence de
confirmation expérimentale.
Pourrait-on mener une expérience de vérification en double aveugle
du bien-fondé de la psychanalyse ? Ce serait intéressant à imaginer :
on monterait un vaste complot pour faire croire à une centaine
d'étudiants qu'on leur enseigne la psychanalyse alors qu'en fait on
leur enseignerait quelque chose qui y ressemble superficiellement et
qui n'est qu'un tissu d'âneries, puis on ferait exercer ces étudiants
ainsi qu'une centaine de vrais étudiants en psychanalyse sur des
patients névrosés tirés au hasard (et qui ne choisiraient pas leur
analyste) et on comparerait les résultats sur l'évolution des
névroses ; il s'agirait de voir si les analystes qui ont suivi une
vraie formation en psychanalyse produisent une amélioration
statistiquement significative de l'état de leurs patients par
rapport à ceux à qui on a enseigné des âneries. D'accord, ce n'est
pas facile à réaliser.
C'est peut-être bien ça le problème qui se pose à moi en tant que
scientifique : si je veux croire au sérieux épistémologique de la
psychanalyse, je veux qu'elle soit réfutable ; or je ne vois
pas du tout quelle réfutation on pourrait en faire, conceptuellement,
à part des expériences aussi tordues et irréalisables que celle
imaginée ci-dessus. Comment croire à la véracité de quelque chose qui
n'a même pas la possibilité d'être prouvé faux (c'est là, en
substance, une idée due à Popper) ? Je n'ai pas l'impression que les
gens qui suivent une analyse « vont mieux » que ceux qui n'en suivent
pas, mais évidemment, même si cette impression était fondée, ça ne
dirait pas grand-chose ni dans un sens ni dans l'autre (les gens dans
un hôpital sont plus malades que les autres, ce n'est pas pour ça qu'il
faut éviter les hôpitaux ! il est vrai que la comparaison n'est pas
tout à fait bonne, puisque beaucoup d'analystes prétendent que tout le
monde devrait suivre une analyse, pas seulement ceux qui sont
visiblement névrosés).
Maintenant, peut-être, sans doute même, que la simple démarche
d'aller trouver quelqu'un à qui parler de ses problèmes (ce qui
suppose, au préalable, de les reconnaître), la volonté de changer,
toutes ces choses sont bénéfiques au patient (un effet placebo, en
quelque sorte). Et le fait de croire que l'analyse va aider est
également certainement bénéfique : la question est, y a-t-il plus dans
l'efficacité de la psychanalyse que ces effets-là et qu'un peu de
perspicacité psychologique (intuitive et empirique) et quelques
observations élémentaires et immédiates sur le fonctionnement de
l'esprit humain ? Je suis loin d'en être convaincu (en tout état de
cause, je ne vois pas comment il pourrait y avoir plus dans le cas où
l'analyste se contente d'écouter son patient, sans rien dire et sans
rien faire : à moins de sombrer dans le mysticisme ou de croire à la
télépathie, je ne vois pas pourquoi il faudrait que l'analyste ait
quelque qualification). Et surtout, je ne suis pas du tout convaincu
des théories avancées (c'est-à-dire que ce qui me gêne n'est pas le
fait que la psychanalyse ne soigne peut-être pas au-delà de l'« effet
placebo », c'est qu'elle prétende le faire, et avoir des théories à ce
sujet).
Freud était très probablement quelqu'un de sérieux, qui voulait
honnêtement aider ses patients, et qui a fait des efforts sincères
dans ce sens. Ses théories, cependant, me semblent d'une incomparable
banalité. L'existence de l'inconscient ? Comme si c'était une
découverte ! A-t-on pu jamais en douter ? (La lecture de certains
textes littéraires antérieurs à Freud montre que leurs auteurs ont une
parfaite compréhension de tout un tas de mécanismes inconscients de
leurs personnages.) De toute façon, parler d'une dichotomie entre
conscience et inconscient serait d'une terrible naïveté (je n'en
accuse pas Freud, je précise) : il existe toutes sortes de degrés de
conscience. Mais l'inconscient est essentiellement quelque chose de
banal et de bénin : si je regarde un nombre à vingt chiffres, quelques
minutes plus tard je ne me le rappellerai pas ; or on a pu prouver que
le souvenir en existait encore, sous une certaine forme, dans le
cerveau, c'est donc qu'il est devenu inconscient, mais je ne vois pas
ce que cela donne d'intéressant ou de pertinent à l'inconscient.
Prétendre que l'inconscient est plus important que le conscient, cela
ressemble beaucoup à une pétition de principe douteuse, ou à une
affirmation dénuée de sens. La découverte du refoulement est sans
doute quelque chose de plus important, un authentique progrès dû à la
psychanalyse. Y en a-t-il d'autres ? Je ne suis pas convaincu. La
division freudienne de l'esprit en trois parties (Ich/Über-ich/Es) est intellectuellement séduisante, mais
mène-t-elle vraiment à quelque chose ? Quelque chose de plus que moi,
par exemple, qui le divise en Pouvoir,
Volonté et Connaissance ? Bof.
Tout cela a quand même de forts relents de mysticisme. Freud avait
abandonné l'hypnose pratiquée par Charcot parce qu'elle était trop
magique
, mais a-t-il fait mieux ? On divise l'esprit en trois,
c'est joli, les grecs voyaient je ne sais combien d'humeurs
dans le corps humain, je ne sais pas ce qui est scientifique dans tout
ça.
En fait, c'est même pire : la psychanalyse a des allures de théorie
du complot (conspiracy theory). On veut nous
faire croire que notre esprit nous cache tout un tas de choses : c'est
sans doute vrai, mais c'est très banal, et c'est dit de façon à faire
peur. Tout acte manqué est occasion pour le psychanalyse de déceler
l'action de l'inconscient
exactement de la même manière que
toute anomalie est l'occasion pour le théoricien du complot de déceler
l'action des obscures forces censées régir la terre en secret. Il
serait intéressant de mener une psychanalyse de la
psychanalyse exactement comme on pourrait mener celle de diverses
théories du complot. Dans un cas, le sexe est partout, dans l'autre,
les comploteurs sont partout. Mouais.
Enfin, pour terminer avec l'accusation de sectarisme, il y a le
culte de la personnalité, notamment de Freud et de Lacan. Or si ce
dont on parle est une véritable discipline scientifique, il n'est pas
besoin d'encenser ses fondateurs, ou de parler de leur « école » :
seuls les résultats comptent. Claude Bernard était en bonne partie le
fondateur de la médecine moderne (et de la démarche expérimentale), un
sans doute un très grand homme : dit-on de la physiologie qu'elle est
Bernardienne
? Va-t-on apprendre la médecine dans les textes
de Claude Bernard ? Va-t-on apprendre la physique dans les Principia Mathematica de Newton ? Assurément pas
(et heureusement !) : la médecine ou la physique a fait des progrès
depuis, elle a assimilé les connaissances antérieures, elle les a
complétées et présentées de façon plus claires, et il est inutile,
sauf pour un historien, de revenir aux sources. Maintenant, parlez à
un lacanien des théories de Lacan et dites-lui que vous n'avez jamais
rien lu de Lacan : il va vous rire au nez. La parole du Maître est,
semble-t-il, inépuisable, inégalable et incontournable. Or s'il y
avait vraiment des idées claires dedans, il devrait être possible de
les réexposer sans rien perdre de la substance d'origine, comme on le
fait dans toutes les sciences, et même de les compléter au fur et à
mesure qu'on découvre des erreurs ou des phénomènes nouveaux. C'est à
mon sens le critère le plus simple et le plus fiable pour distinguer
une science d'une religion de regarder la manière dont on traite les
anciens maîtres : dans le cas de la science, on les estime, mais on ne
les lit pas autrement que pour l'intérêt historique, tandis que dans
le cas de la religion il est évidemment indispensable de revenir aux
sources de l'Écriture. (Évidemment, on peut aussi vouloir trouver un
intérêt littéraire ou artisitique chez Lacan : ce n'est pas interdit
— ce que j'ai lu de sa prose ne me rend pas la chose évidente
— mais ce n'est pas le propos.)
Surtout, je me demande si certains écrivent pour être compris ou si
c'est pour donner l'impression qu'ils pensent des choses profondes.
Je ne développerai pas plus cette idée, qui a été assez rabâchée
(notamment grâce à l'affaire Sokal si
bienvenue), et qui vise peut-être une partie significative des
sciences humaines, mais personne n'a encore pu me convaincre que tout
ce que Lacan écrivait n'était pas un tissu d'inepties.
Fort heureusement, toute la psychanalyse n'est pas basée sur ce
tissu-là, et il est permis d'avoir de l'espoir pour le reste. (Et on
peut également tenir la théorie audacieuse suivante : que c'est
effectivement un tissu d'inepties, mais que ce n'est pas grave parce
que n'importe quel tissu d'ineptie marcherait, la seule chose
qui compte étant de donner aux étudiants en psychanalyse de quoi
exercer certaines dispositions particulières de leur esprit. Par
exemple, peut-être que la lecture des écrits de Lacan, même dénués de
sens, prédispose favorablement à l'écoute des patients. J'avais
trouvé cette idée assez amusante et séduisante.)
Bon, assez parlé. Un jour peut-être j'écrirai un bouquin, mais
comme ça c'est déjà trop long pour une entrée dans ce blog (et j'ai
tellement d'autres sujets desquels je pourrais écrire un
bouquin…).