David Madore's WebLog: 2024-09

Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le reste de ce site web, parle de tout et de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait), des maths à la moto et ma vie quotidienne, en passant par les langues, la politique, la philo de comptoir, la géographie, et beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas, ainsi que d'occasionnels rappels du fait que je préfère les garçons, et des petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le nom collectif de fragments littéraires gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes traduites dans les deux langues) ; il est maintenant presque exclusivement en français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut). Cette page-ci rassemble les entrées publiées en septembre 2024 : il y a aussi un tableau par mois à la fin de cette page, et un index de toutes les entrées. Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs « catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le texte de l'entrée elle-même.

You are on David Madore's blog which, like the rest of this web site, is about everything and anything (mostly anything, really), from math to motorcycling and my daily life, but also languages, politics, amateur(ish) philosophy, geography, lots of ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders of the fact that I prefer men, and some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the collective name of gratuitous literary fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning (some entries were in English, others in French, and a few translated in both languages); it is now almost exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top). This page lists the entries published in September 2024: there is also a table of months at the end of this page, and an index of all entries. Some entries are classified into one or more “categories” (indicated at the end of the entry itself), but this organization isn't very coherent. The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced before and after the text of the entry itself.

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(lundi)

Comment ça fait de faire des maths ?

Ce billet s'adresse au grand public et se veut donc compréhensible par tous[#]. Je vais parler de maths, pour une fois il ne s'agit pas de faire de la vulgarisation mathématique[#2] au sens où je ne vais pas expliquer du contenu mathématique, mais plutôt tenter de parler de « ce que ça fait de faire des maths », i.e., essayer de dire un mot sur comment les mathématiciens « pensent » les maths et en quoi consiste notre métier. Et peut-être en profiter pour dissiper quelques malentendus ou quelques idées reçues sur les mathématiciens ou la recherche en mathématiques.

[#] À l'exception de quelques brefs passages essentiellement limités aux notes en bas de paragraphe (où je ferai parfois référence à un concept technique), passages que je pense qu'on n'aura aucune difficulté à identifier et à ignorer si on ne les comprend pas.

[#2] Ni même de la méta-vulgarisation comme j'ai pu le faire ici, mais ça va rejoindre un peu certaines choses que je raconte dans ce billet.

Il va de soi que ce but est trop ambitieux pour que je puisse le mener avec succès. D'abord parce que tenter de parler de comment on fait des maths sans parler de maths revient, forcément, à brasser de l'air en agitant les mains. Ensuite, parce qu'il n'y a pas vraiment de pratique « typique » du métier de mathématicien (comme il n'y a pas de pratique « typique » de celui d'écrivain), donc je peux au mieux parler de la mienne (donc celle d'un mathématicien possiblement médiocre) en essayant de faire remarquer ce que je crois être plus ou moins partagé par mes collègues. Enfin, parce que j'avais de toute façon trop de choses à dire et que j'ai arrêté un peu quand j'en avais marre d'écrire, donc je relègue plein de choses (sur la communauté mathématicienne, notamment) à un éventuel billet ultérieur.

(Plan :)

☞ Quelques idées reçues

Peut-être que je devrais commencer par dissiper des idées reçues courantes[#3] sur les mathématiciens ou les mathématiques, même si j'imagine que le lectorat de ce blog, quand bien même il n'est pas lui-même scientifique, a au moins des idées un peu moins approximatives que le grand public moyen à ce sujet.

[#3] Enfin, des idées reçues que je crois que le grand public a sur les mathématiciens. Parce que, honnêtement, je ne suis pas le mieux informé à ce sujet (même si j'ai pu en discuter de temps en temps avec des gens croisés au hasard — un chauffeur de taxi, un coiffeur, un moniteur d'auto-école, un médecin, un voisin dans le RER, etc. ; et bien sûr je vois l'image que toutes sortes de fictions donnent du mathématicien, qui doivent bien refléter une forme d'imaginaire collectif, au moins tel qu'il se manifeste dans l'esprit des écrivains ou scénaristes). Mais il n'est pas exclu que j'aie des idées reçues au sujet des idées reçues des gens sur les mathématiciens.

D'abord, je soupçonne que l'idée reçue la plus courante au sujet de notre métier est que nous faisons des calculs très difficiles, et que nous passons notre temps à écrire des formules très compliqués. Or la plupart des mathématiciens ne font pas des calculs[#4]. Il peut certes tout à fait arriver qu'il y ait des calculs, même des calculs compliqués, en mathématiques : selon les branches des maths, c'est plus ou moins fréquent (même si tout dépend de ce qu'on appelle, exactement, un calcul), mais ce n'est généralement pas l'activité principale. On ne peut pas non plus dire que le mathématicien ait particulièrement souvent affaire à des nombres, ni, en fait, à des formules (pour une acception assez large de formule, on peut convenir qu'il y en a beaucoup, mais même là, on aurait tort de s'imaginer le chercheur en mathématiques comme une sorte de chercheur de formules, comme je soupçonne que beaucoup de gens se l'imaginent).

[#4] S'il y a des scientifiques qui font des calculs compliqués, c'est plutôt les physiciens (même si, là aussi, c'est un cliché, qui a forcément ses limites, il est sans doute plus juste à propos des physiciens que des mathématiciens).

Ajout () : J'aurais sans doute dû mentionner ceci quelque part dans ce billet, et je ne sais pas bien où l'ajouter, alors on va le mettre ici : les maths que la plupart des non-mathématiciens rencontrent dans leurs études (disons au moins jusqu'au baccalauréat, et même un peu après) n'ont qu'un rapport assez distant avec la recherche en mathématiques. Ce sont des maths qui eurent été fraîches il y a environ 150 ans, mais qui ne le sont plus du tout (ce qui ne veut pas dire qu'elles ne soient pas correctes, bien sûr), et surtout, ce sont des maths globalement ternes et inintéressantes (même par rapport à ce qui se faisait à l'époque). Pour faire une comparaison un peu gratuite, disons que si on a fait des maths jusqu'au lycée, on a rencontré quelque chose qui est à la recherche mathématiques un peu comme si l'enseignement de l'histoire se limitait à apprendre par cœur la liste des rois de France et leurs dates : ce ne sont pas des informations fausses, mais ce n'est vraiment pas très intéressant. Il n'est pas surprenant, dans ces conditions, que des gens en retirent l'impression que les maths sont un sujet profondément ennuyeux se limitant à peu près à faire des calculs pénibles sur des situations sans intérêt, qu'ils n'arrivent pas à comprendre qu'il puisse y avoir de la beauté dedans, qu'ils se fassent une image tout à fait fausse du métier de mathématicien, ou même qu'ils pensent qu'il n'y a plus de recherche sur le sujet. (D'un autre côté, je ne sais vraiment pas comment on pourrait présenter les maths autrement au niveau lycée. L'expérience des « maths modernes » en a échaudé plus d'un ; voir aussi la note #41 plus bas à ce sujet.)

Pour le reste, je dois mentionner que je ne crois pas que les mathématiciens soient particulièrement distraits, particulièrement asociaux[#5], ou particulièrement intelligents[#6] : je ne sais même pas si ce sont des choses que les gens s'imaginent vraiment, mais c'est certainement ainsi que nous avons tendance à être présentés dans les rares films où apparaît un mathématicien.

[#5] Le cliché du mathématicien dans les films ou séries télé (et, pour le coup, j'espère quand même qu'il n'est pas si répandu dans la tête des gens), c'est quelqu'un de froid, déconnecté de la réalité, presque dénué d'émotions et d'empathie (comme s'il voyait le monde comme une série de chiffres), et d'ailleurs généralement privé de sens de l'humour. (En fait, ce sont largement les mêmes clichés que ceux qui concernent les personnes autistes, donc on peut aussi ajouter le cliché de la proximité entre ces deux catégories.) Tout ça est juste complètement con. Le manque de sens de l'humour est même particulièrement faux, les mathématiciens sont plutôt farceurs, au contraire. (Et amateurs de canulars, cf. par exemple ceci.) Ce qui est peut-être vrai, en revanche, mais je ne sais pas si c'est un cliché que les gens ont, c'est que beaucoup de mathématiciens sont mauvais en calcul mental. Disons qu'il y a trois types de mathématiciens : ceux qui savent compter, et ceux qui ne savent pas.

[#6] Il faut que j'écrive un billet sur ce que je pense au sujet de l'intelligence, mais en attendant je peux renvoyer à celui-ci qui en parle un peu. Il y a énormément de formes différentes d'intelligence, c'est un terme qui veut tout et rien dire, et si les mathématiciens sont, forcément, doués pour les raisonnements mathématiques et ce qui s'y approche (détecter les erreurs de logique, par exemple), ce qu'on peut considérer comme une forme particulière d'intelligence, il serait à la fois faux et prétentieux (et, en fait, dénué de sens) d'affirmer que nous sommes plus intelligents en général.

Ce qui est sans doute plus vrai (même si ça reste, évidemment, extrêmement simplifié), c'est que les mathématiciens ont tendance à être assez précis et pointilleux, par exemple, dans le choix des termes avec lesquels ils s'expriment (et souvent ça déteint sur d'autres choses, comme la typographie) : parce que dans un énoncé mathématique, on ne peut pas se permettre d'approximation sur ce qu'on dit, et cette habitude de ne pas dire une chose pour une autre va facilement déteindre sur l'ensemble de ce qu'on dit. (À titre d'exemple, j'avais fait remarquer que quelqu'un qui prétendait discuter de politique et de démocratie semblait confondre les affirmations toute décision devrait être approuvée par une majorité de citoyens et tout citoyen devrait approuver une majorité de décisions : c'est exactement le genre de distinction, et aussi d'ailleurs le pli de discuter l'une ou l'autre dans l'abstrait et sans prendre position sur sa véracité, qui est typique du raisonnement mathématique et essentiel pour lui, et qui déteint facilement quand on parle d'autres domaines.)

☞ L'abstraction et la généralité

Si les maths ne sont pas la science des nombres ni celle des formules, j'aurais tendance à dire que c'est celle du raisonnement précis sur les structures abstraites, mais il faut admettre que cette définition est exaspérément vague et pourrait ressembler à une définition de la philosophie. Je n'ai pas vraiment mieux (cf. aussi ce billet où j'essayais de définir l'informatique, et son intersection avec les maths). Mais ce n'est pas vraiment mon but ici de discuter de la question de ce que sont les maths sub specia æternitatis : je veux juste dire que la pratique des maths par les mathématiciens se caractérise surtout par des raisonnements plus que par des calculs, et que ces raisonnements portent plutôt sur des abstractions (plus ou moins reculées par rapport à une situation concrète) que sur des quantités.

Pour ce qui est des abstractions, je pense qu'une bonne explication[#7] à fournir au grand public est la suivante : un mathématicien est quelqu'un qui pense que l'abstraction, au lieu de compliquer les problèmes, les simplifie, car elle consiste justement à ne garder que l'essentiel du problème en jetant tout ce qui est une circonstance particulière distrayante. Le mathématicien cherche typiquement à détacher un problème ou raisonnement des particularités de telle ou telle instance spécifique, pour retrouver sa forme la plus abstraite et universellement applicable.

[#7] Je vole cette remarque à Nalini Anantharaman dans cette vidéo, qui est d'ailleurs intéressante en rapport avec le sujet de ce billet. Mais je la développe ici à ma sauce, donc je ne prétends pas que Nalini Anantharaman sera forcément d'accord avec ce que j'écris.

C'est la raison pour laquelle nous avons un tropisme à la généralisation : même si l'instance spécifique qui a donné naissance à une question de maths comporte un paramètre qui a une valeur numérique précise, le mathématicien va typiquement chercher à savoir si cette valeur est vraiment importante — et, si elle ne l'est pas, généraliser le problème à tout n pour éviter de se laisser distraire par le n particulier qui n'a pas d'importance — tandis que si la valeur est importante (et bien sûr parfois elle l'est) on cherchera à savoir ce qui fait qu'elle l'est,

Par exemple, si je pose le problème de la tablette de chocolat (que je vais énoncer plus bas) en évoquant une tablette de chocolat 3×5, c'est peut-être plus parlant pour le grand public que si j'évoque une tablette de chocolat m×n, mais pour le mathématicien, le problème avec la tablette de chocolat m×n est à la fois plus général et plus simple, parce qu'il nous dit que ce n'est pas la peine de chercher des particularités des nombres 3 et 5 qui feraient marcher le problème dans ce cas et dans ce cas seulement.

Bien sûr, tout le monde n'a pas le même amour pour la généralité pour elle-même : car de la même manière qu'on peut remplacer un entier particulier (comme 42) par l'abstraction un entier quelconque (et lui donner un nom de variable, n), on peut aussi chercher à généraliser plus loin, et remplacer l'hypothèse entier (i.e., élément de ℤ) par quelque chose de plus général (remplacer ℤ par, disons, un anneau commutatif) et se demander si la question a encore un sens, et le cas échéant admet la même réponse. On peut toujours généraliser plus loin, et il faut bien décider un jour de s'arrêter : certains trouvent plaisir à généraliser autant qu'ils peuvent, d'autres s'arrêtent dès qu'ils estiment avoir retiré ce qui est purement superflu, et il serait faux de dire que les mathématiciens recherchent systématiquement l'abstraction maximale. Il y a une branche des mathématiques qui s'attache plus que toute autre aux généralisations, et qu'on pourrait presque qualifier de spécialiste de l'abstraction pour le plaisir de l'abstraction, qui est un peu au reste des mathématiques ce que les mathématiques sont à des problèmes concrets : il s'agit de la théorie des catégories[#8] ; mais tout le monde n'aime pas forcément cette approche consistant à trouver la version la plus abstraite et générale possible de n'importe quel énoncé. Au moins pour la pédagogie, les mathématiciens peuvent aimer énoncer un résultat dans un cas particulier, pour dire ensuite en fait, ceci se généralise de la façon suivante plutôt que de commencer par la version la plus générale.

[#8] Pour caricaturer un peu, disons que si le mathématicien va avoir tendance à remplacer 42 dans un problème par n, où n est un entier, et l'algébriste l'ensemble ℤ des entiers par un anneau commutatif A quelconque, le théoricien des catégories va, à son tour, remplacer la catégorie des anneaux commutatifs par une catégorie d'algèbres sur une monade, puis la 2-catégorie des catégories par une 2-catégorie vérifiant ceci ou cela, bref, on n'en finit jamais de généraliser. De même qu'il y a une blague standard sur les jésuites selon laquelle quand on a fini de leur poser une question on ne comprend plus la question qu'on a posée, il y a son équivalent avec les théoriciens des catégories au sein des mathématiques (ils vont vous expliquer que votre problème consiste à définir une structure d'∞-groupoïde enrichi cocomplet sur certaines computades globulaires, et quand vous cherchez à comprendre n'importe lequel de ces mots vous vous rendez compte qu'il est défini par le nLab au moyen de 12 autres mots que vous ne comprenez pas non plus).

Il y aurait sans doute lieu ici de faire une distinction entre maths pures et maths appliquées, même si je pense que cette distinction n'est pas aussi pertinente qu'on veut bien le faire croire[#9] (et certainement c'est une frontière floue, qui souffre d'ailleurs d'être discrétisée par la gestion administrative des sections du Conseil National des Universités) : pour simplifier à outrance, le mathématicien appliqué apprécie l'abstraction en ce qu'elle aide à résoudre un problème en le débarrassant de ce qui est superflu, tandis que le mathématicien pur apprécie l'abstraction en ce qu'il aide à dégager un concept plus général et plus élégant. Mais dans les deux cas, on aime ne pas se compliquer de détails sans pertinence.

[#9] Je pense que la majorité des mathématiciens sont convaincus de la profonde unité des mathématiques (ou, comme le disent certains pour insister sur cette unité, de la mathématique comme on peut dire de la physique), les mathématiques pures et appliquées n'étant que des tendances au sein d'un tout fondamentalement uni. Je vais revenir plus loin sur cette unité.

☞ La beauté des mathématiques

Je pense qu'une chose sur laquelle quasiment tous les mathématiciens seront d'accord, c'est que les mathématiques ont une très grande beauté interne. C'est quelque chose qu'il est difficile de faire comprendre au grand public, et qui est à la fois une motivation et un défi pour la vulgarisation (cf. ici) : même si on peut parfois en tirer certaines jolies images visibles avec les yeux (comme ici ou ou ou encore pour certaines que j'ai moi-même mis sur YouTube), l'essentiel de la beauté des mathématiques n'est perceptible que par l'intellect, et l'essentiel des objets mathématiques n'admettent aucune sorte d'image qu'on puisse représenter sous forme graphique. Donc parler au grand public de la beauté des mathématiques, comme j'aime bien le dire, c'est un peu comme vivre dans un monde où tout le monde est sourd et d'essayer d'expliquer la beauté d'une symphonie de Beethoven alors que personne ne l'a jamais entendue jouer, on ne peut qu'en lire la partition.

Pour ce qui est de la recherche, cette beauté des mathématiques est à la fois une motivation et un fil conducteur. C'est une motivation, parce que je pense que tous les mathématiciens ont, à un certain niveau, le plaisir de faire des mathématiques parce que c'est beau[#9b] et c'est satisfaisant pour l'esprit (je ne prétends pas que ce soit la seule, ni même la plus importante pour tout le monde, mais elle doit être au moins un élément important chez quasiment tous les mathématiciens professionnels, peut-être même plus que la curiosité commune à tous les scientifiques). Beaucoup de mathématiciens (« purs » comme « appliqués ») trouveront un problème intéressant et « naturel » en ce qu'il éveille leur sens esthétique. Mais c'est aussi un fil conducteur dans la recherche, en ce sens que les constructions et les techniques de démonstrations les plus puissantes sont souvent, quoique pas toujours (et ça dépend fortement des domaines), les plus élégantes : du coup, on peut, dans une certaine mesure, se laisser guider dans ses recherches par son sens de l'esthétique.

[#9b] Ajout () : Pour illustrer le fait que ce n'est pas que moi qui pense ça, Hermann Weyl a dit quelque chose comme ceci : dans mon travail, j'ai toujours tenté d'unifier le beau et le vrai ; mais quand j'ai dû choisir entre les deux, j'ai généralement choisi le beau. Et G. H. Hardy écrit dans A Mathematician's Apology : The mathematician's patterns, like the painter's or the poet's must be beautiful; the ideas like the colours or the words, must fit together in a harmonious way. Beauty is the first test: there is no permanent place in the world for ugly mathematics.

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(vendredi)

Le Docteur No fait deviner des nombres

Le Docteur No, célèbre[#] pour capturer des mathématiciens et les soumettre à diverses énigmes (précédemment sur ce blog : ici, , , , et peut-être ) est de retour ! Cette fois-ci il n'a capturé que deux mathématiciens, que nous allons appeler Alice et Bob, mais cela ne l'empêche pas de s'amuser à leur proposer une énigme particulièrement cruelle.

[#] Honnêtement, je ne me rappelle même plus si c'est moi qui ai commencé à appeler Docteur No (comme dans le film de James Bond) le grand méchant de ces énigmes ou si je tiens ça d'ailleurs.

Comme ça fait longtemps que nous n'avons pas eu affaire au Docteur No, je commence par une version jouet de l'énigme, histoire de s'échauffer :

Énigme facile : Le Docteur No a capturé deux mathématiciens, Alice et Bob. Après avoir permis à ceux-ci de se concerter sur leur stratégie, il va les soumettre à son épreuve dont il leur communique les termes. Il communiquera deux entiers naturels de son choix à Alice. Alice choisira un et un seul de ces nombres et ce nombre sera transmis à Bob (qui est l'allié d'Alice). Le but de Bob est de deviner le nombre qu'il n'aura pas reçu : pour ça, il aura droit de proposer un nombre fini quelconque d'essais ; autrement dit, il doit proposer au Docteur No un ensemble fini d'entiers naturels (on peut supposer, cela ne change rien, que le nombre transmis par Alice est aussi mis dedans). Si les nombres initialement choisis par le Docteur No sont dans cet ensemble proposé par Bob, alors les mathématiciens seront libérés ; dans le cas contraire, le Docteur No les tuera avec des tortures particulièrement raffinées.

Comment Alice et Bob font-ils pour être certains d'être libérés ?

La réponse est facile, mais je recommande de prendre le temps de résoudre ce problème avant de passer à la suite (cliquez ici pour la faire apparaître), ne serait-ce que pour vérifier qu'on a bien compris la nature du problème. La réponse est la suivante :

Il va de soi que cette solution fonctionne encore si, au lieu que les nombres proposés par le Docteur No soient des entiers naturels, ce sont des entiers relatifs ou des rationnels, car il suffit de coder ceux-ci par des entiers naturels (mais attention, dans la construction ci-dessus, on n'utilisera plus le plus grand nombre, mais le nombre ayant le plus grand code). Mais qu'en est-il pour des nombres réels ?

Contre-énigme : Le Docteur No a capturé deux mathématiciens, Alice et Bob. Il envisage de les soumettre à l'épreuve suivante. Après leur avoir permis de se concerter sur leur stratégie, il communiquerait deux réels de son choix à Alice. Alice devrait choisir un et un seul de ces nombres et ce nombre serait transmis à Bob (qui est l'allié d'Alice). Le but de Bob serait de deviner le nombre qu'il n'aura pas reçu : pour ça, il aurait droit de proposer un nombre fini quelconque d'essais ; autrement dit, il devrait proposer au Docteur No un ensemble fini de réels (on peut supposer, cela ne change rien, que le nombre transmis par Alice est aussi mis dedans). Si les nombres initialement choisis par le Docteur No sont dans cet ensemble proposé par Bob, alors les mathématiciens seraient libérés ; dans le cas contraire, le Docteur No les tuerait avec des tortures particulièrement raffinées.

Pourquoi le Docteur No, dont le code de l'honneur exige qu'il y ait toujours un moyen de résoudre les épreuves qu'il propose, décide-t-il de ne pas proposer cette épreuve ?

C'est que l'épreuve en question serait impossible : cliquez ici pour voir la preuve.

Le Docteur No doit donc rendre son énigme un peu plus facile. Voici comment il envisage de le faire :

Énigme sur les réels : Le Docteur No a capturé deux mathématiciens, Alice et Bob. Il envisage de les soumettre à l'épreuve suivante. Après leur avoir permis de se concerter sur leur stratégie, il communiquerait trois réels de son choix à Alice. Alice devrait choisir deux de ces nombres et ces nombres seraient transmis (dans un ordre non spécifié) à Bob (qui est l'allié d'Alice). Le but de Bob serait de deviner le nombre qu'il n'aura pas reçu : pour ça, il aurait droit de proposer un nombre fini quelconque d'essais ; autrement dit, il devrait proposer au Docteur No un ensemble fini de réels (on peut supposer, cela ne change rien, que les nombres transmis par Alice sont aussi mis dedans). Si les nombres initialement choisis par le Docteur No sont dans cet ensemble proposé par Bob, alors les mathématiciens seraient libérés ; dans le cas contraire, le Docteur No les tuerait avec des tortures particulièrement raffinées.

Le Docteur No est perplexe quant à la difficulté de cette épreuve et demande conseil à Georg Cantor (qui est emprisonné dans son donjon). Que lui répond Cantor ?

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(mercredi)

Suis-je (sommes-nous tous) un descendant direct de Charlemagne ?

La question titulaire de ce billet, suis-je un descendant direct de Charlemagne ? mérite sans doute quelques explications. Ce n'est pas l'aspect personnel qui m'intéresse ici : je prends Charlemagne comme référence non pas parce qu'il est historiquement important mais parce qu'il est quelqu'un ayant vécu à peu près à l'époque où la question posée est pertinente et ayant une descendance probablement nombreuse et documentée[#] jusqu'à ce jour, et je prends « moi » comme instance de « essentiellement n'importe quelle personne vivant en Europe (voire : sur Terre) actuellement », c'est-à-dire que la question est de savoir si nous descendons tous de Charlemagne et plus généralement de n'importe quelle personne ayant vécu autour de l'an 800 et ayant eu au moins un descendant direct à l'époque actuelle.

[#] Précisément, j'ai trouvé ça sur Wikipédia : 0. Charlemagne (748–814) ➤ 1. Louis le Pieux (778–840) ➤ 2. Charles II le Chauve (823–877) ➤ 3. Judith de Flandre (c.843–c.870+) ➤ 4. Baudouin II de Flandre (c.865–918) ➤ 5. Adalolphe de Boulogne (†933) ➤ 6. Arnoul II de Boulogne (†971) ➤ 7. Arnoul III de Boulogne (†990) ➤ 8. Baudouin II de Boulogne (†c.1030) ➤ 9. Eustache Ier de Boulogne (1010–1047) ➤ 10. Eustache II de Boulogne (†c.1087) ➤ 11. Eustache III de Boulogne (c.1050–c.1125) ➤ 12. Mathilde de Boulogne (c.1130–1152) ➤ 13. Marie de Boulogne (1136–1182) ➤ 14. Mathilde de Boulogne (1170–1210) ➤ 15. Henri II de Brabant (1207–1248) ➤ 16. Henri III de Brabant (1231–1261) ➤ 17. Marie de Brabant (1254–1322) ➤ 18. Louis d'Évreux (1276–1319) ➤ 19. Philippe III de Navarre (1306–1343) ➤ 20. Charles II de Navarre (1332–1387) ➤ 21. Charles III de Navarre (1361–1425) ➤ 22. Blanche Ire de Navarre (1387–1441) ➤ 23. Éléonore de Navarre (1426–1479) ➤ 24. Gaston de Foix (1444–1470) ➤ 25. Catherine de Navarre (1468–1517) ➤ 26. Henri II de Navarre (1503–1555) ➤ 27. Jeanne d'Albret (1528–1572) ➤ 28. Henri IV de France (1553–1610) ➤ 29. Louis XIII (1601–1643) ➤ 30. Philippe d'Orléans (1640–1701) ➤ 31. Philippe d'Orléans, le Régent (1674–1723) ➤ 32. Louis d'Orléans (1703–1752) ➤ 33. Louis-Philippe d'Orléans (1725–1785) ➤ 34. Louis-Philippe d'Orléans (1747–1793) ➤ 35. Louis-Philippe Ier (1773–1850) ➤ 36. Ferdinand-Philippe d'Orléans ➤ 37. Robert d'Orléans (1840–1910) ➤ 38. Jean d'Orléans, duc de Guise (1874–1940) ➤ 39. Henri d'Orléans (1908–1999) ➤ 40. Henri d'Orléans (1933–2019) ➤ 41. Jean d'Orléans (1965–)

Je précise aussi, et c'est important, que les mots descendant (direct) de dans ce billet ne font pas de différence entre hommes et femmes : on parle parfois de descendance cognatique (ou bilatérale) ; ceci est au contraire de ce qu'on appelle la lignée agnatique (ou patrilinéaire[#2]) laquelle considère que les femmes n'existent pas : il est certain que ni moi ni personne ne descend de Charlemagne en lignée agnatique parce que la lignée agnatique légitime des capétiens est éteinte, et même s'il y a évidemment plein de bâtards[#3], la tendance des lignés agnatiques à s'éteindre (je vais y revenir), surtout s'il n'y a pas la pression incroyable de maintenir la continuité d'un royaume ou d'un fief, fait qu'il est assez invraisemblable qu'il existe un descendant agnatique direct de Charlemagne vivant à l'heure actuelle.

[#2] J'utilise dans tout ce billet les mots agnatique (dans lignée agnatique), patrilinéaire ou (purement) paternel de façon essentiellement interchangeable. Ce n'est peut-être pas vraiment correct : pas que ces mots diffèrent par leur sens mais plutôt par leur emploi : agnatique semble s'utiliser en généalogie à l'échelle individuelle (p.ex., pour une famille royale ou noble), patrilinéaire dans l'étude des populations. Mais bon, je ne vais quand même pas rater l'occasion de frimer en montrant que je connais le mot agnat ! Ce qui me gêne plus est qu'il n'y a pas de terme symétrique pour matrilinéaire. (Le mot cognat ou l'adjectif cognatique s'utilise pour souligner qu'on inclut les femmes, mais il n'y a évidemment rien pour dire qu'on exclut les hommes.)

[#3] Le dernier carolingien agnatique direct documenté que je trouve en fouillant sur Wikipédia est Herbert IV de Vermandois (c.1032–c.1080) ou plutôt son fils déshérité qui n'a même pas de page Wikipédia : Herbert IV est descendant agnatique de Charlemagne sur 9 générations.

Cette question suis-je (sommes-nous tous) un descendant direct de Charlemagne ? m'amuse parce, que, au-delà de son côté anecdotique, elle soulève des questions intéressantes à la fois de mathématiques et d'histoire, et aussi, au niveau méta, d'épistémologie (comment saurions-nous une telle chose ? quel degré de certitude peut-on espérer ?). Mais aussi parce qu'elle suscite chez certains des réactions assez étonnantes : beaucoup de gens réagissent à cette affirmation comme si c'était l'idée la plus invraisemblable et saugrenue qui soit (du style mais tu le saurais évidemment si tu descendais de Charlemagne !).

Je peux dire d'emblée mon opinion complètement spéculative sur cette question : il me semble assez plausible que la réponse soit positive, non seulement pour moi mais même pour une grande partie de la population mondiale actuelle, même si je dois reconnaître que je l'affirme avec beaucoup moins de certitude pour, disons, le président chinois[#4] Xí Jìnpíng, que pour un européen typique. (Mais ça me paraît quand même crédible : c'est juste qu'il y a probablement beaucoup plus de lignées dans mon arbre généalogique qui remontent à Charlemagne qu'il n'y en a dans celui de Xí Jìnpíng.) Tout ceci, cependant, n'est que spéculation de ma part s'agissant des nombres précis (essentiellement : est-ce que les 40 générations qui nous séparent de Charlemagne suffisent pour qu'il soit l'ancêtre d'une énorme proportion de la population mondiale ?) ; mais je peux donner un cadre conceptuel aux arguments qui, lui, n'est pas spéculatif, et qui a aussi l'intérêt de faire le lien avec l'épidémiologie.

[#4] Bon, je reconnais que je suis un peu trompeur en prenant cet exemple, parce que, l'Eurasie étant connexe par voie de terre, il est certainement beaucoup plus facile de trouver un ancêtre européen d'un Chinois typique ou vice versa, que pour des populations séparées par des barrières géographiques qui eurent été infranchissables.

L'argument sous sa forme la plus basique est le suivant :

Nous avons tous 2 parents, 4 grands-parents, 8 arrière-grands-parents, 16 arrière-arrière-grands-parents, et, si on remonte 40 générations pour retomber à peu près à l'époque de Charlemagne, cela donne 1 099 511 627 776 ancêtres à ce niveau — mille milliards, soit quelque chose comme 4000 fois la population mondiale de l'époque (à la louche, 250 millions). Évidemment, cela veut dire que beaucoup de lignées retombent sur la même personne (il y a eu des mariages entre cousins plus ou moins éloignés), mais, pour dire les choses autrement, si je retraçait mes 1 099 511 627 776 ancêtres potentiels à 40 générations, chaque personne vivante à l'époque s'y retrouverait en moyenne 4000 fois. Tout le monde n'y est pas (ne serait-ce que parce que beaucoup de gens sont morts sans enfants, ou sans descendance directe à quelques générations), et tout le monde ne s'y retrouve pas avec la même multiplicité, mais si le nombre moyen d'occurrences est de 4000, il est assez difficile pour une personne donnée d'y échapper sauf à ne pas, justement, avoir de descendance du tout — or il est certain que Charlemagne en a.

Cet argument n'est pas correct, parce que les lignées ne sont pas indépendantes, elles ont tendance à rester dans un même milieu (surtout à une époque où on se déplaçait peu — aussi bien géographiquement que socialement), et dès lors qu'on a deux ancêtres identiques à la génération n, ils seront communs à toutes les générations au-dessus[#5]. Néanmoins, cet argument basique répond assez bien à l'incrédulité que beaucoup de gens manifestent devant la proposition tu descends de Charlemagne : les gens oublient facilement[#6] que les branches d'un arbre généalogique se multiplient exponentiellement quand on remonte dans le temps.

[#5] Mais bon, pour répondre rapidement à cette dernière objection, si on suppose que la consanguinité est assez faible pour que, en moyenne, chacun ait au moins 7 arrière-grands-parents distincts en moyenne (ce qui semble quand même raisonnable), au lieu d'avoir une croissance géométrique de raison 2 du nombre d'ancêtres, il est de raison ∛7 ≈ 1.913, et on a encore quelque chose comme 750 fois la population mondiale sur 40 générations. Autrement dit, même en supposant qu'on se marie très fréquemment entre cousins issus de germains, cela ne change vraiment pas grand-chose à l'argument.

[#6] Je veux dire que les gens aiment bien parler de ma famille et de ce qu'elle faisait il y a plein d'années, en oubliant qu'ils n'ont pas une famille mais 2n familles si on remonte sur n générations. Si on leur demande de préciser, ils consentent à dire s'ils parlent de la famille de leur père ou de leur mère. Ensuite, il faut insister un peu plus : OK, mais la famille du père de ton père ou de la mère de ton père ? OK, mais la famille du père du père de ton père ou de la mère du père de ton père ? OK, mais la famille du père de la mère du père de ton père ou de la mère de la mère du père de ton père ? (etc.)

Bref, les gens sans formation scientifique ont tendance à ne pas comprendre la croissance exponentielle.

Ça vous rappelle quelque chose, les gens ne comprennent pas les exponentielles ! ? Oui, il y a quelques années, plein de gens se sont lamentés de ce fait. Eh bien la comparaison avec l'épidémiologie n'est pas purement fortuite.

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