Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le
reste de ce site web, parle de tout et
de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait),
des maths à
la moto et ma vie quotidienne, en passant
par les langues,
la politique,
la philo de comptoir, la géographie, et
beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas,
ainsi que d'occasionnels rappels du fait que
je préfère les garçons, et des
petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le
nom collectif de fragments littéraires
gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines
entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes
traduites dans les deux langues) ; il est
maintenant presque exclusivement en
français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à
l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par
ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut).
Cette page-ci rassemble les entrées publiées en
avril 2015 : il y a aussi un tableau par
mois à la fin de cette page, et
un index de toutes les entrées.
Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs
« catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce
système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque
entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le
texte de l'entrée elle-même.
You are on David Madore's blog which, like the rest of this web
site, is about everything and
anything (mostly anything, really),
from math
to motorcycling and my daily life, but
also languages, politics,
amateur(ish) philosophy, geography, lots of
ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders
of the fact that I prefer men, and
some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the
collective name of gratuitous literary
fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning
(some entries were in English, others in French, and a few translated
in both languages); it is now almost
exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog
entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed
in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top).
This page lists the entries published in
April 2015: there is also a table of months
at the end of this page, and
an index of all entries. Some
entries are classified into one or more “categories” (indicated at the
end of the entry itself), but this organization isn't very coherent.
The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced
before and after the text of the entry itself.
Pour les ~7×10⁹ d'entre vous qui n'ont pas pu assister à mon exposé
tout à l'heure
au séminaire Codes
sources (dont j'ai déjà
parlé) consacré à l'explication de
mon labyrinthe
hyperbolique (toujours le
même), les
transparents sont
ici — ou du moins, les transparents de la première partie de mon
exposée, dédiée à l'exposition des idées mathématiques sous-jacentes ;
ensuite j'ai commenté le code directement dans un éditeur, donc je ne
peux que renvoyer vers les commentaires de celui-ci. Il y a
évidemment beaucoup de choses que j'ai dites qui ne sont pas sur les
transparents, mais ils donneront au moins une idée de ce dont j'ai
parlé.
Déformation continue d'une rotation de 2 tours en rien du tout
Dans l'entrée que j'ai postée
hier je mentionnais le groupe Spin(3), revêtement double du groupe
SO(3) des rotations de la sphère, c'est-à-dire qu'il distingue une
rotation par un tour complet de pas de rotation du tout ; et
je mentionnais que le groupe Spin(3), lui, est simplement connexe (on
ne peut pas le revêtir à son tour) : tout lacet, i.e., tout chemin qui
revient à son point de départ, dans Spin(3), et notamment celui qui
fait faire deux tours complets à la sphère, peut être
contracté en rien du tout. J'ai essayé d'illustrer ce fait
par une vidéo
que je viens de mettre sur YouTube :
La sphère en haut à gauche (celle numérotée 0) fait deux tours
complets pendant une période (=8 secondes) de la vidéo ; celle en bas
à droite (numérotée 27) ne bouge pas. Chacune des sphères
intermédiaires effectue un mouvement qui part et arrive à la même
position de référence, et chacun de ces mouvements est très proche des
mouvements de la sphère précédente et suivante. Ceci illustre le fait
qu'on peut passer continûment de deux tours complets à zéro. Chose
qui ne serait pas possible pour un seul tour (ou si on avait affaire à
un cercle, quel que soit le nombre non-nul de tours).
Ceci étant, je n'y vois toujours pas grand-chose à la manière dont
cette déformation se fait ou pourquoi elle n'est pas possible pour un
seul tour (mon espoir était d'acquérir une intuition visuelle sur le
groupe spin, pour le comprendre autrement que juste
intellectuellement, et ce n'est pas franchement un succès). J'ai
aussi produit
une version
séquentielle de la vidéo, où la sphère fait des mouvements
successifs au lieu qu'on les voie tous simultanément, je ne sais pas
si c'est plus clair :
OK, je vois bien que l'idée très grossière est que
l'axe qui sert d'axe de rotation dans le premier mouvement (suivre des
yeux le point de rencontre des trois pentagones verts) se met, au
cours des différents mouvements, à faire des tours, si bien que la
sphère n'a plus vraiment besoin de tourner autour de lui, puis ce tour
qu'il décrit est lui-même recontracté à rien du tout, mais cette
description est vraiment vague, et ne me fournit pas une explication
visuelle intuitive de pourquoi on a besoin de faire deux tours pour
contracter.
Racontons des choses autour de la notion de groupe de Lie
Puisque j'ai publié une première
entrée sur les octonions, je me dis qu'il faudrait que je fasse un
peu de vulgarisation sur la notion de groupe de Lie et sur leur
classification — et pourquoi c'est un résultat mathématique majeur.
Voici une tentative pour raconter quelques choses dans cette
direction.
Comme d'habitude quand je fais de la vulgarisation mathématique,
(1) je ne sais pas bien à quel niveau de public je m'adresse (et ce
niveau va d'ailleurs varier de façon incohérente au cours du texte,
même pas forcément de façon monotone vu qu'il m'arrive de faire des
digressions pour revenir ensuite à des choses plus basiques), et
(2) je vais chercher à « raconter » les maths plus qu'énoncer des
définitions et des résultats précis (j'essaie très fort de ne rien
dire de faux, mais je dois souvent me réfugier dans un certain niveau
de flou quand je veux cacher quelques détails techniques) : mon but
est de donner un petit aperçu de ce à quoi ressemble cette théorie
classique, certainement pas de l'enseigner précisément (pour ça, il y
a toutes sortes de livres, d'ailleurs j'en
suggère quelques uns). L'idée est que — qu'on me corrige si ce
que je pense est en fait assez stupide — ça peut intéresser des gens
de lire des choses à ce sujet, et de regarder les petits dessins que
sont les diagrammes de Dynkin et de Satake, sans avoir envie
d'apprendre (et/ou le temps de comprendre) ce qu'est précisément, par
exemple, un système de racines, une involution de Cartan, ou en fait,
un groupe de Lie.
Après, je peux aussi en profiter pour parler à un public plus
averti pour lui dire, par exemple regardez le groupe
SO*(2n) comme il est tout gentil et tout mimine, pourquoi
est-ce que personne n'en parle jamais, de ce pauvre petit
groupe ?, ou pour partager mon agacement qu'il soit si difficile
de trouver des informations fiables et précises sur certaines choses
(celui qui veut traverser le pont de la mort doit répondre aux
questions suivantes : quel est le sous-groupe compact maximal de la
forme déployée algébriquement simplement connexe de E₇ ? combien sa
forme déployée adjointe algébriquement connexe a-t-elle de composantes
réelles ? quelle est sa couleur préférée ?).
Pour commencer, si je devais m'adresser à un public qui n'a aucune
connaissances mathématiques particulières, je présenterais
un groupe comme les formes de symétries que peut
posséder un objet mathématique (en étant délibérément
vague sur ce que objet mathématique peut recouvrir, et en
recouvrant sous le terme symétrie tout ce qui « ne change pas »
cet objet, cf. les exemples et commentaires ci-dessous). Cette
définition est assez floue, mais elle a le mérite de permettre de
comprendre pourquoi il s'agit d'un concept extrêmement central en
mathématiques (alors que si on prend
la vraie
définition comme un ensemble muni d'une loi de composition binaire
vérifiant les axiomes gnagnagna, ça ne saute pas forcément aux yeux
pourquoi cette définition est la bonne et pourquoi le concept
est essentiel).
Par exemple, si je considère un pentagone régulier (ou de façon
équivalente, une étoile à cinq branches
comme ceci),
cette figure a dix symétries : quatre rotations autour du centre du
pentagone (de façon à amener un sommet sur un des quatre autres, ce
qui donne des angles de ±72° ou ±144° mais peu importe), cinq
symétries axiales (les réflexions par rapport à des axes passant par
un des cinq sommets du pentagone), et la « symétrie » consistant à ne
rien faire, qu'on appelle symétrie identité, ou
élément neutre du groupe, et que les mathématiciens
incluent toujours parce que cela rend la notion de groupe bien plus
commode. L'ensemble de ces dix symétries s'appelle le groupe
diédral du pentagone (et on dit qu'il est d'ordre 10, parce
qu'il y a dix éléments dedans). Soit dit en passant, si on considère
une étoile à cinq branches entrelacée (c'est-à-dire où on
voit dans quel sens une branche passe au-dessus d'une autre, comme
sur cette
version du drapeau marocain), la figure n'a plus que cinq
symétries (les cinq rotations de ±72° et ±144°, ou plus exactement,
les quatre rotations et l'élément neutre / identité qui est une
rotation de 0°), parce qu'une symétrie axiale changerait le sens
d'entrelacement de l'étoile : ce groupe s'appelle alors le groupe
cyclique à cinq éléments (et c'est un exemple
d'un sous-groupe, en l'occurrence un sous-groupe du groupe
diédral du pentagone : en ajoutant une structure à un objet
mathématique, on restreint ses symétries). Remarquons que la plupart
des figures géométriques (prenez un triangle quelconque, par exemple)
n'ont pas du tout de symétrie, ou plutôt, ils n'ont que la symétrie
idiote consistant à ne rien faire (l'identité ou élément neutre, comme
je l'ai appelée ci-dessus), et leur groupe de symétrie est appelé
le groupe trivial, ou groupe à un seul élément.
Mais où sont donc les vidéos antijihadistes humoristiques ?
Il paraît que le recrutement de jeunes occidentaux par Dāʿiš
(l'autoproclamé « état » « islamique » en Syrie et au Levant) doit
beaucoup à une bonne maîtrise d'outils de propagande passant notamment
par les « réseaux sociaux » (je n'aime pas ce terme, mais je n'en ai
pas vraiment d'autre) comme Facebook et Twitter et les sites de vidéo
tels que YouTube et DailyMotion. Il paraît que, à la différence
d'al-Qāʿidaẗ qui faisait des vidéos franchement chiantes et
pontifiantes, Dāʿiš est beaucoup plus doué question communication avec
des gens qui ont peut-être plus l'habitude de
regarder Game of Thrones ou de jouer
à Grand Theft Auto XLII que lire le Coran :
i.e., en cherchant plutôt à exploiter le désir d'aventure, l'envie de
manier des armes pour faire le kéké, une forme romantique de naïveté
politique et la rébellion d'ados contre papa-maman / la société,
qu'une recherche de sainteté ou d'expériences religieuses par le jihād
(autre terme que je n'aime pas utiliser : 1 partout). Il paraît que
ces vidéos sont même dangereusement efficaces et convaincantes.
(J'écris il paraît, non que je mette spécialement tout ça en
doute, mais je n'ai aucun avis personnel sur la question, vu que je
n'ai vu que des bribes de ce genre de vidéos, dans des documentaires
sur la question.)
Tout le monde semble d'accord, par ailleurs, sur le fait que ce
n'est pas en essayant de faire disparaître de telles vidéos qu'on
combattra efficacement leur message : il faut plutôt, ou aussi,
essayer d'avoir un contre-discours qui leur réponde. En revanche, je
n'ai pas vraiment l'impression qu'on ait une idée claire sur ce que
serait le contre-discours le plus efficace — analyse rationnelle
démontant la propagande jihadiste et les mécanismes sectaires,
témoignages de repentis, contre-arguments religieux, ou autres pistes.
En tout cas, quelle que soit sa forme, la réponse antijihadiste a
l'air assez inexistante (ou alors elle sombre dans une autre forme de
puanteur, à laquelle il est également désolant de laisser le terrain :
voyez par exemple le mouvement Pegida).
Peut-être que je ne suis pas doué pour faire des recherches en
ligne, mais je n'ai pas trouvé grand-chose. Je suis surtout tombé
sur cette
vidéo du gouvernement français qui est, il faut le dire, vraiment
sacrément nulle. À moins que leur but soit de faire parler d'elle à
force qu'on se moque de sa nullité (et ce qui s'est plus ou moins
passé, mais je ne pense quand même pas que c'était une stratégie
audacieuse), je pense qu'on peut dire que c'est raté.
Et ce que je ne comprends pas, c'est qu'il y a l'air d'avoir tout
le matériau nécessaire pour faire des vidéos humoristiques qui
tournent efficacement le pseudo-« califat » en dérision. Je ne suis
pas sûr que l'humour marche parfaitement, mais, une fois passée la
réticence naturelle à traiter de façon comique la barbarie criminelle
(ce qui est tout de même une tradition ancienne), on peut se dire que
ça vaut certainement la peine d'essayer : j'aurais tendance à penser
que le pire pour celui qui veut susciter des vocations fanatiques, ce
n'est pas une réfutation structurée et rationnelle de sa propagande,
c'est surtout de passer pour un bouffon, parce que l'héroïsme et
la bouffonnerie se mélangent mal — donc, qu'on ferait mieux de
s'attacher à présenter le « calife » al-Baġdādī et ses féaux comme de
méchants clowns que comme des puissants (et donc potentiellement
séduisants) seigneurs de guerre. Que de plus, ça tombe bien, il y a
assez de choses grotesques et ridicules chez Dāʿiš pour qu'on puisse
en tirer de bons sketchs. Et que si on veut faire une vidéo
« virale » sur les « réseaux sociaux » (argh), ayant le plus de
chances d'être vue par un maximum de gens, y compris ceux qui
pourraient être touchés par les vidéos qu'on cherche à contrer, faire
de l'humour est une bonne façon de s'y prendre (mais pensez à ajouter
quelques chats, ça ne peut pas faire de mal). Alors que, bon, une
vidéo préchi-précha du gouvernement français, sauf si c'est pour
dire regardez combien c'est nul, ce n'est pas le genre de
choses qu'un ado va avoir tendance à « liker » (re-argh) sur Facebook
et à partager avec ses potes.
Une fois évité l'écueil qui consisterait à s'attaquer à l'Islam
lui-même[#], on ne peut pas dire
que manquent les sujets sur lesquels se moquer. J'ai tendance à
imaginer, par exemple, que des séries de sketchs avec des personnages
hauts en couleur comme un calife qui se branlerait en secret en
regardant des vidéos de décapitations qu'il ordonne à ses hommes de
filmer, un vizir qui voudrait devenir calife à la place du calife (ça
s'impose), des émirs locaux complètement corrompus, des combattants
qui ont peur de ne pas monter au ciel s'ils sont tués par des femmes
(authentique), des jeunes recrues naïves qui pensaient faire leur
guerre d'Espagne et qui comprennent qu'ils risquent vraiment leur vie,
et globalement une équipe qui combinerait l'intelligence des
personnages de Kaamelott à l'honnêteté du héros éponyme
de Blackadder, ça pourrait avoir du succès (ah oui, et un
chat, n'oublions pas le chat, c'est important). Ces gens ont
le ridicule d'un méchant caricatural comme Iznogoud dans
une BD de Goscinny, il serait dommage de ne pas en
profiter. Il y aurait évidemment une polémique pour savoir si la
réponse est appropriée, si le ton n'est pas déplacé, et ce seraient
certainement des questions légitimes, mais en tout cas on en
parlerait ; et même si je ne sais pas si ce serait la meilleure
réponse possible, ç'en serait au moins une, pas le silence
assourdissant qui semble actuellement faire face aux vidéos de
propagande de Dāʿiš.
Il faut que je note que je suis au courant de l'existence de
sketchs humoristiques tels
que celui-ci
et celui-ci
du Saturday Night Live (le second, qui a
d'ailleurs fait polémique à sa manière, est une parodie
d'une pub de
Toyota qu'il vaut mieux voir d'abord pour le comprendre) : mais je
ne les qualifierais pas vraiment d'antijihadistes, parce qu'on ne peut
pas vraiment dire que ces vidéos se moquent de Dāʿiš, lequel est
plutôt utilisé comme ressort comique que comme cible — ce qui est visé
par l'humour, en l'occurrence, ce serait plutôt la télé ou pub
américaine (spécifiquement, l'émission de
télé-réalité Shark
Tank et la pub de Toyota qui est parodiée).
Ajout : On me souffle des liens vers deux sketchs
des Guignols de
l'info, Jihadol
et Les
Barbuspapa, qui correspondent déjà mieux à ce dont je veux
parler. [Mise à jour : Liens cassés, comme
d'habitude. Le second est encore visible au sein
de cette
émission autour de 4′, mais je ne retrouve rien pour le premier.]
Il paraît
aussi qu'il y a des Turcs et des Égyptiens qui font des parodies
de ce genre. [Mise à jour
() : la BBC
parle de comédiens en Iraq et en Syrie, même dans les régions
contrôlées par Dāʿiš, qui se moquent d'al-Baġdādī.]
[#] Pour ceux qui
auraient la compréhension facilement distraite : je défends sans
réserve le droit de se moquer de l'Islam, mais outre que je ne trouve
généralement pas très drôle la façon dont c'est fait, ce serait en
l'occurrence totalement contreproductif, donc un piège autour duquel
il vaut mieux laisser une très grande marge de sécurité. En revanche,
il y a certainement lieu de se moquer de la façon dont l'organisation
qui se prétend de cette religion la détourne.
Le problème de l'anniversaire de Cheryl, et les autres du genre
Il semble qu'il y
ait un problème
de logique (je ne sais pas s'il faut le qualifier de problème de
maths…) posé dans une école à Singapour qui est en train d'avoir un
petit côté « viral » sur le Web : il s'agit de déduire la date de
naissance de Cheryl à partir d'un petit ensemble de possibilités et
d'un dialogue entre deux personnes dont l'une à reçu l'information du
mois et l'autre du jour dans le mois (cf. le lien précédent pour les
détails). J'avais moi-même concocté, il y a une douzaine
d'années, le problème suivant dans
ce genre (et ce n'est certainement pas moi qui ai inventé le genre,
même si je ne sais plus d'où je tirais l'idée) :
M. Magie dit, je vais secrètement choisir deux entiers entre 2
et 3000, et j'en dirai la somme à Stéphane et le produit à Pierre,
et, bien sûr, il le fait. Pierre observe, je ne sais pas quels
sont les deurs entiers. Stéphane remarque, ouais, je le
savais. Sur quoi Pierre dit, ah ? eh bien maintenant je sais
ce qu'ils sont. Et immédiatement Stéphane dit, maintenant moi
aussi. M. Magie demande alors à Alice (qui écoutait aussi la
conversation), savez-vous quels sont les deux nombres ?, et
Alice répond bien sûr que non. Alors M. Magie donne à Alice le
plus petit des deux entiers. Et Alice répond, maintenant je sais
quel est l'autre.
Quels sont les deux nombres ?
Ce problème est fastidieux à résoudre parce qu'il y a beaucoup de
cas à traiter (il faut utiliser un ordinateur) ; je ne sais d'ailleurs
plus très bien comment je l'avais produit, mais certainement pas de
tête. Mais le raisonnement basique est exactement celui expliqué (de
façon assez claire) par le mathématicien Alex Bellos dans la vidéo sur
le site de la BBC que j'ai liée un peu plus haut : en
fait, ce raisonnement est très simple, il ne se fait qu'à un seul
niveau de profondeur, si j'ose dire (c'est-à-dire que chacun tire des
conclusions sur ce qu'une autre personne sait, mais on ne va pas plus
loin). À la différence du problème
des chapeaux de couleur, où il faut
raisonner à une profondeur nettement plus élevée, mais où, pour
compenser, les cas à traiter sont très limités. Il serait intéressant
d'essayer de produire un problème qui combine un peu ces deux
difficultés (disons au moins, demande des déductions au niveau de
profondeur 2). Et il serait aussi intéressant de voir si et comment
on peut résoudre systématiquement ce genre de problèmes (comme je le
disais dans l'entrée sur les chapeaux de couleur, je ne vois pas
vraiment mieux que d'invoquer la logique modale avec autant de
modalités que de personnes, chacune suivant
le système
S5). J'avoue que je n'ai pas les idées aussi claires que je
voudrais.
Il faudrait faire une analyse statistique des bugs dans Linux
J'assistais cette semaine, dans le cadre
du séminaire Codes
sources (dont j'ai déjà dit
un mot, et où j'interviendrai moi-même plus tard ce mois-ci), à un
exposé
de Greg
Kroah-Hartman, un des principaux développeurs du noyau Linux (et
le mainteneur des noyaux stables/longterm). L'exposé portait sur la
manière dont le noyau a commencé à introduire des concepts de
programmation orientée objet, en partant du struct
device, qui s'est mis à « hériter » de struct
kobject puis de struct kref (cet héritage étant
cependant sans fait aucune sécurité de typage statique ni vérification
à l'exécution, et assuré — de façon très efficace — par la magie de
l'arithmétique de pointeurs et de la macro container_of,
au sujet de laquelle
voir par
exemple ici). Je peux peut-être juste lui reprocher d'avoir été
un peu rapide (par exemple quand il a discuté de la
fonction kref_put_mutex
— source
ici, cherchez le nom de la fonction — et expliqué pourquoi elle
marchait et pourquoi une version antérieure contenait une
race-condition, je n'ai pas vraiment eu le temps de digérer). Mais
une chose est certaine : malgré des efforts pour harmoniser
les API et les rendre plus systématiques et pratiques, la
programmation de pilotes de périphériques pour Linux est difficile (et
la programmation de nouveaux bus est, à ce qu'a dit
l'orateur, extrêmement difficile). (La question a évidemment été
posée de si le noyau devrait ou pourrait être programmé dans un autre
langage que le C. Greg KH a brièvement mentionné Rust — ce qui m'a
fait plaisir, parce que c'est un langage qui me semble très prometteur
— mais il est évident que pour l'instant c'est de la science-fiction
de penser changer quelque chose d'aussi profond.)
Mais ceci m'amène à une question qui me fascine, et sur laquelle je
pense qu'il faudrait vraiment lancer une recherche un peu
approfondie :
Peut-on approximer le nombre de bugs (et si possible, plus
finement : le nombre de trous de sécurité, par exemple) qui existent
actuellement dans Linux ? Peut-on évaluer la probabilité qu'un
organisme un tant soit peu motivé (au hasard : la NSA)
ait connaissance d'un tel bug qu'il ne dévoilerait pas, voire, en ait
planté un volontairement, et la difficulté d'une telle
entreprise ?
Je parle d'essayer de faire mieux qu'une estimation « au doigt
mouillé », mais de mettre en place des modèles probabilistes un peu
sérieux, à la fois de l'apparition des bugs dans le code et de leur
détection. Puis fitter ces modèles contre toutes les informations
qu'on peut extraire de l'arbre des commits Git et les bugfixes dans
les noyaux stables.
Le modèle le plus grossier serait déjà de dire que chaque ligne de
code ajoutée comporte une certaine probabilité — à déterminer — de
contenir un bug, et que chaque unité de temps qu'elle reste dans le
noyau apporte une certaine probabilité — à déterminer aussi — que ce
bug soit détecté et corrigé. Rien qu'avec ce modèle grossier, en
regardant depuis combien de temps existent les bugs qui sont corrigés
dans les noyaux stables, on devrait pouvoir se faire une idée d'un
ordre de grandeur du nombre de bugs et de trous de sécurité existant,
et de combien de temps il faudrait continuer à maintenir un noyau
stable/longterm pour qu'il y ait au moins 99% de chances qu'il ne
contienne plus un seul trou de sécurité. Ensuite, on peut améliorer
ce modèle de toutes sortes de façons : en raffinant selon l'auteur du
code ou le sous-système où il s'inscrit (ou son mainteneur), en
essayant d'estimer le nombre de fois que le code a été relu ou
utilisé, en catégorisant finement les bugs, ou toutes sortes d'autres
choses du genre.
C'est le genre d'idée extrêmement évidente dont je n'arrive pas à
comprendre qu'elle n'ait pas déjà été poursuivie (et pourtant je ne
trouve rien de semblable en ligne). Ça a pourtant tout pour plaire :
on peut y glisser les mots-clés de sécurité informatique, de logiciel
open source, de Big Data (la dernière connerie à
la mode : il faut que tout soit à la sauce du Big
Data maintenant), les conclusions d'une telle étude pourraient
certainement intéresser la presse et leur fournir des gros titres
racoleurs (cf. la NSA plus haut), ce serait
d'ailleurs certainement le genre de choses qui aurait sa place dans,
disons, une grande école spécialisée en télécommunications et
informatique (exemple complètement au hasard). Mais bon, dans le
monde actuel de la recherche, qui fonctionne par « projets » (i.e.,
par bullshit-scientifique-transformé-en-paperasse-administrative),
tout est fait pour couper court à toute forme de créativité ou
d'originalité : on ne peut faire quelque chose qu'en étant bien établi
dans un domaine et en passant à travers un tel nombre d'obstacles
dressés par des organismes à la con (ceux qui sont censés donner des
sous pour aider la recherche, et qui dans la réalité servent surtout à
faire perdre du temps) qu'il est quasiment impossible de se lancer —
pour ma part, je serais certainement intéressé par un projet comme
celui que je décris ci-dessus, mais pas au point de passer le temps
délirant en écriture de rapports en tout genre qu'il faut soumettre
pour obtenir quoi que ce soit de qui que ce soit.
Mon poussinet et moi sommes allés
voir Dear
White People (je ne sais pas pourquoi je ne l'avais pas
repéré à sa sortie en France, qui date d'il y a déjà quelques
semaines), et je voudrais le recommander très chaudement. C'est un
film sur le racisme dans l'Amérique contemporaine, en l'occurrence sur
le campus d'une université prestigieuse. Et ce qui le rend
intéressant (à mes yeux), outre qu'il est drôle, bien monté et très
bien joué, c'est qu'il n'est ni simpliste ni prédicateur ; il nous met
(nous autres chers blancs éponymes, surtout quand nous
sommes persuadés de n'être pas
racistes) mal à l'aise, sans pour autant nous dire quoi penser ou
sans nier que le racisme est un problème complexe et pas entièrement
noir-et-blanc (ha, ha). Les personnages, donc, ont une certaine
profondeur, bien servie comme je le disais par les acteurs, ils ne
sont pas caricaturaux, et ils ont des positions différentes sur les
relations entre Noirs, Blancs, métisses et autres, ou au sein de la
communauté noire (par exemple entre hommes et femmes, homos et
hétéros, et même geeks et non-geeks), sans qu'on puisse vraiment dire
avec le(s)quel(s) le réalisateur est le plus en sympathie. Bref, on
n'a pas l'impression de subir un tract militant, et c'est à nous de
trouver la morale, s'il y en a.
Je dois néanmoins prévenir que c'est un film passablement verbeux :
à mon avis, sur ce plan il devrait assez bien plaire à ceux qui ont
aimé Le Déclin de
l'empire américain (un
film que j'aime beaucoup, et
incontestablement verbeux), avec lequel je trouve une certaine
similarité formelle — en tout cas, ceux qui ont horreur des dialogues
plein de bons mots et débats animés devraient sans doute s'abstenir.
(Par ailleurs, l'anglais peut être difficile à suivre à cause des
références culturelles et du jargon estudiantin.)