D'accord, le titre de cette entrée est complètement pourri. Mais laissez-moi quand même l'expliquer. Dans mon avant-dernier post je me suis posé des questions sur quelques gadgets de science-fiction. Ça me donne envie de revisiter une vieille entrée pour parler de « mes » trois anneaux[#] magiques et spécifiquement du rôle particulier de l'anneau de la Volonté. De quoi s'agit-il ?
[#] Et non, pour une fois, il ne s'agit pas d'anneaux au sens mathématique du terme, mais d'anneaux qu'on peut porter sur le doigt.
Quand j'étais petit (quand j'avais autour de 12 ans) je me suis fait la réflexion qu'il y a trois ingrédients[#2] qui doivent se combiner pour la réalisation d'une action : le Pouvoir, c'est-à-dire les circonstances dans lesquelles l'action est (matériellement) possible, la Connaissance, c'est-à-dire la compétence nécessaire à la réalisation de cette action, et la Volonté, c'est-à-dire le désir de la mettre en œuvre ; l'idée est donc qu'on faire X lorsque (= si et seulement si !) on peut faire X, qu'on sait faire X et qu'on veut faire X. Cette typologie est évidemment très critiquable à toutes sortes de titres : la définition des trois termes est douteuse, ils ne sont ni proprement exhaustifs ni proprement exclusifs — ou alors seulement en forçant les définitions à s'adapter pour qu'ils le soient ; et globalement parlant c'est là sacrifier la précision à la satisfaction intellectuelle d'un système bien ordonné, quelque chose dont je suis régulièrement coupable. (Et toute cette entrée est une sorte d'exhibition de ce sacrifice.) Mais si ce n'est pas une grille de lecture précise ou franchement utile, elle n'est pas inintéressante non plus à garder à l'esprit, ou au minimum, elle est amusante et peut servir de source d'inspiration. En tout cas, passé à la moulinette de mon obsession pour la symétrie mystique (comme technique de construction artistique), ça a été le point de départ de toutes sortes de cogitations : car si en tant que moyen d'analyse cette typologie est hautement artificielle, en tant que fantaisie (et en tant qu'exercice intellectuel consistant à faire marcher la fantaisie), elle persiste à me plaire.
[#2] On peut considérer qu'il s'agit de trois modalités qui vérifieraient l'axiome : X ⇔ □₁X ∧ □₂X ∧ □₃X ; mais cette analyse formelle est encore plus foireuse que mon explication informelle. (Et non, je ne pensais pas dans ces termes à 12 ans.)
En cherchant à mettre en correspondance toutes les choses qui vont
par trois, notamment les couleurs primaires et
les pierres précieuses, j'ai
attribué : au Pouvoir la couleur rouge du rubis
(ou gueules
en héraldique), à la Connaissance la
couleur bleue du saphir (ou azur
), et à la Volonté la
couleur verte (sinople
). Je serais incapable de dire, avec le
recul, quelles associations
d'idées[#3] m'ont conduit à
préconiser cette correspondance-là, tant elle s'est maintenant figée
dans mon esprit que c'est presque une forme de synesthésie. Comme je
l'avais dit dans mon entrée sur la symétrie, j'ai été fasciné dans mon
enfance par les jeux de la
série Ultima,
construits autour du système des huit vertus
qu'on peut obtenir
comme les combinaisons
booléennes[#3b] de trois
principes fondamentaux que
sont la Vérité, l'Amour et le Courage, associés respectivement aux
couleurs bleue, jaune et rouge ; mais il me semble que j'ai développé
mon propre code de couleur avant d'entendre parler de celui
d'Ultima.
[#3] Si vous voulez une analyse sérieuse des thèmes culturellement associés à ces trois couleurs et à quelques autres, je vous renvoie à l'excellent Petit livre des couleurs par Michel Pastoureau et Dominique Simonnet — ou les livres plus épais du premier sur une couleur en particulier —, que j'avais évoqué ici. Pour une autre association de couleurs dans la fiction, je resignale aussi ce texte à propos des cinq couleurs du jeu Magic: The Gathering interprétées comme des « tribus » ou archétypes psychologiques.
[#3b] À part les combinaisons booléennes, il y a l'option de faire un cycle et d'ajouter des nuances : dans ce jeu (voir cette entrée de blog à son sujet), j'ai eu besoin de 24 noms à donner aux domaines du labyrinthe, et j'ai fait deux séries de 12 associées à des cycles dans la roue des teintes : force [de caractère] (rouge), valeur, courage (jaune), détermination, volonté (vert), accord, intelligence (cyan), honnêteté, connaissance (bleu), sagesse, justice (magenta), honneur, d'une part en couleurs claires, et d'autre part en couleurs sombres, bienveillance (rouge), compassion, tendresse (jaune), clémence, pardon (vert), compromis, humilité (cyan), patience, prudence (bleu), tempérance, tolérance (magenta) et gentillesse. Il y a certainement plein de raisons qui ont présidé à ces choix, mais je n'ai pas pris soin de les noter donc je ne peux plus vraiment expliquer.
J'ai aussi été fasciné très tôt par l'entrelac que sont
les anneaux
borroméens (trois anneaux liés ensemble mais dont deux quelconques
ne le sont pas ;
cf. d'ailleurs ici), et imaginé la
disposition reproduite ci-contre (on imagine bien que j'ai longuement
réfléchi à quel anneau mettre au-dessus duquel et comment, mais ce
n'est pas très intéressant ici que je m'appesantisse dessus) : cela
pourrait être mon blason, et c'est celui que j'ai donné à la ville de
Tekir dans certaines de mes fictions. Mais bien sûr, comme source
d'inspiration qui m'a marqué, il y a aussi
les trois anneaux
des Elfes dans le Seigneur des
Anneaux[#4]. Je n'ai lu
le livre qu'après avoir joué à Ultima
(cf. cette entrée où je raconte
dans quelles conditions j'ai lu le roman de Tolkien), et je ne sais
pas très bien quand j'ai entendu parler des anneaux borroméens, mais
je pense que c'est bien à Tolkien que j'ai du voler l'idée d'anneaux
(de toute façon, même sans avoir lu le livre, on se doute bien que
dans le Seigneur des Anneaux
, il doit quelque part être
question d'anneaux), par contre ce n'est pas de lui que je tirais
l'idée d'en avoir trois ni la correspondance évoquée ci-dessus.
[#4] Narya est d'un métal non spécifié, porte un rubis et est associé au feu ; Nenya est en mithril (un métal fictif inventé par Tolkien), porte un diamant(?) et est associé à l'eau ; et Vilya est en or, porte un saphir et est associé à l'air : tout ça déplaît franchement à mon sens de l'esthétique et montre que Tolkien n'avait pas la même obsession que moi pour la symétrie (ni, d'ailleurs, la même association de couleurs que je mettrais pour l'eau et l'air : qui donc fait correspondre le blanc à l'eau et le bleu à l'air ?).
Bref, si au début j'imaginais des objets magiques associés au pouvoir, à la connaissance et à la volonté comme trois énormes pierres précieuses, rapidement ce sont devenus des anneaux (que je visualisais d'ailleurs comme taillés directement dans la pierre précieuse correspondante[#5]). Du même coup, j'imagine un quatrième anneau, qui n'est pas là pour rule them all mais pour les rassembler, les coordonner, et symboliser l'action accomplie par la conjonction du pouvoir, de la connaissance et de la volonté : ce n'est pas très intéressant, donc laissons-le de côté.
[#5] Ne m'embêtez pas à me dire que personne n'a jamais taillé un anneau dans un rubis, un saphir ou une émeraude, que ce serait insensé pour ne pas dire impossible — et d'ailleurs atrocement inconfortable à porter même si c'était réalisable —, et qu'on enchasse évidemment la pierre précieuse dans un anneau en métal : ne m'embêtez pas avec votre réalité ennuyeuse et laissez-moi rêver mes objets magiques comme je veux !
Bon, mais que font-ils, ces anneaux magiques ? Dans mon roman La Larme du Destin (que je ne recommande pas sauf si vous aimez la Heroic Fantasy écrite par un ado qui essaye de mélanger trop d'idées à la fois et produit une sorte de gloubi-boulga de tout ce qu'il sait [ajout : voir cette entrée ultérieure à son sujet] ), il n'est pas clair qu'ils aient vraiment un effet magique : ce sont juste des symboles de personnes plus ou moins chargées de représenter ces trois forces. Mais s'ils devaient faire quelque chose, logiquement, que serait-ce ?
Pour deux des trois anneaux, on imagine grosso modo l'idée : l'anneau rouge donnerait le Pouvoir ultime, peut-être qu'il rend omnipotent sur le monde matériel (ou, sans aller jusque là, quelque chose qui s'en approche), l'anneau bleu donnerait la Connaissance ultime, peut-être qu'il rend omniscient (idem), mais l'anneau vert donnerait… hum, qu'est-ce que c'est que la Volonté ultime ? c'est moins clair, mon bel arrangement symétrique se casse la gueule et je suis tout malheureux.
Ça se casse la gueule parce que si l'enjeu est, disons, de voler dans les airs, ne pas pouvoir ou ne pas savoir le faire est peut-être embêtant, mais si on ne veut pas le faire, il n'y a pas de problème — si ? L'amoureux de la symétrie que je suis en est tout chagriné. Mais on peut rétablir, ou au moins rafistoler, cette symétrie, avec la réflexion suivante : si l'enjeu est, disons, de sauter en parachute, il se peut très bien que le problème principal soit d'« oser », chose qu'on va sans doute classer sous l'égide de la Volonté. Et en fait, il y a plein de choses dans la vie pour lesquelles le problème principal auquel on est confronté n'est pas le manque de Pouvoir ou de Connaissance, mais bien d'une forme ou d'une autre de Volonté[#5b].
[#5b] Pour ne pas parler des actions collectives, comme la limitation des émissions de CO₂, qui est indubitablement quelque chose qu'on peut faire et pour lequel on a les connaissances nécessaires.
Ceci suggère que le pouvoir magique de l'anneau vert serait quelque chose comme donner un contrôle parfait de soi : un contrôle mental, un contrôle de sa propre volonté, de ses propres goûts et désirs, peut-être même de son caractère. (Peut-être aussi de ceux des autres, ce qui rend l'anneau en question indiscutablement puissant, quoique peut-être moins intéressant dans sa pureté. Mon sens de la symétrie tendrait à me faire rechercher à définir les lignes précises des pouvoirs magiques de mes trois anneaux de façon qu'ils soient grosso modo équilibrés[#6], mais rien ne dit, évidemment, que ce soit possible.)
[#6] Ou, mieux encore, pour rester dans la perspective des anneaux borroméens, que (s'il devait y avoir confrontation entre les détenteurs de plusieurs de ces anneaux) l'anneau du Pouvoir « batte » celui de la Connaissance, que l'anneau de la Connaissance « batte » celui de la Volonté, et que l'anneau de la Volonté « batte » celui du Pouvoir. L'exercice pour le lecteur qui s'ennuie est donc d'imaginer précisément ce que font ces anneaux de façon à rester aussi près que possible des lignes que j'ai suggérées mais de vérifier ces contraintes. Je pense que c'est un exercice assez difficile : les scénaristes d'histoires de super-héros ne réfléchissent jamais sérieusement aux possibilités offertes par les super-pouvoirs de leurs personnages, parce que s'ils devaient le faire ils se rendraient compte que les combats seraient essentiellement toujours ridiculement déséquilibrés.
Ceci revient peut-être en quelque sorte à faire la différence
entre vouloir
et vouloir vouloir
. Le sens du
verbe vouloir
est évidemment flou, reposant sur l'illusion
commode de l'unicité de l'intention humaine (comme si nos esprits
n'étaient pas l'arène de toutes sortes de combats et de contradictions
complexes), et si quelqu'un aimerait sauter en parachute mais n'ose
pas il est difficile de dire s'il veut
le faire ou non. (Le
sens de mes modalités pouvoir
et savoir
est, évidemment,
à peine moins flou !) Mais une piste, possiblement encore trop
simpliste, est de distinguer vouloir
et vouloir
vouloir
: vouloir
est la résolution qui va vraiment
emporter l'action dans la mesure où elle est faisable (dans la mesure
où on peut et on sait, si je m'accroche à ma grille d'analyse
artificielle), tandis que vouloir vouloir
est une intention
plus lointaine. On pourrait alors dire que l'anneau vert permet de
transformer le vouloir vouloir en vouloir comme l'anneau rouge permet
de transformer le vouloir pouvoir en pouvoir et le bleu le vouloir
savoir en savoir.
Avoir le contrôle de ses propres désirs est quelque chose qu'on peut imaginer souhaiter : être capable de résister à toutes les tentations, de faire naître en soi-même l'envie de faire les choses qu'on n'arrive pas à se résoudre à faire ou disparaître les envies dont on cherche à se débarrasser[#7], voire, de changer son propre caractère, c'est une magie qui a de quoi intriguer. C'est certainement tentant (il y a certains de mes goûts ou de mes traits de caractères que je peux imaginer vouloir changer, jusqu'à des choses triviales comme ma tentation de manger des cochonneries) ; mais à un certain point on peut aussi se dire : ce que je définis comme moi (cf. aussi cette entrée-ci) est, en quelque sorte, mon caractère (y compris jusqu'à mes névroses), et si je commence à le changer, je ne suis plus moi… Donc je ne veux rien changer ? Pourtant je suis quand même tenté de le faire ? Peut-être que je devrais justement utiliser l'anneau vert pour me retirer la tentation d'utiliser l'anneau vert ? Ou au contraire pour me retirer la réticence à l'utiliser ? On se perd dans un labyrinthe dont je ne sais vraiment pas où il mène[#8].
[#7] Il est impossible
de ne pas évoquer ici l'orientation sexuelle, tant il y a des gens qui
ont lutté et luttent encore pour changer la leur, jusqu'à se faire
torturer mentalement par des programmes de reconversion
et le
mouvement ex-gay
de sinistre réputation. On ne peut que
s'attrister que des gens en soient à souhaiter avoir une baguette
magique qui leur permettrait de changer quelque chose en eux qui n'a
rien d'anormal ou de malsain, mais l'anneau vert offrirait
certainement cette possibilité comme il permettrait, a
contrario, de décider de ne plus vouloir faire ce changement !
[#8] Mais qui me fait penser à cet argument classique sur l'intelligence artificielle, qui dit : si on devait faire une intelligence artificielle surhumaine, plutôt qu'essayer de la contrôler en lui imposant des limites, qu'elle arriverait forcément à contourner parce qu'elle est surhumainement intelligente, il faudrait plutôt la rendre initialement plutôt bienveillante et lui donner le pouvoir de se modifier elle-même en profondeur, si bien qu'elle corrigera elle-même l'imperfection de sa bienveillance (et de la définition de ce terme), jusqu'à tomber sur un point fixe (qui sera ce qu'on voulait vraiment parce que l'intelligence surhumaine aura correctement compris ce qu'on voulait vraiment et se sera ajustée elle-même en conséquence puisqu'elle est bienveillante).
En tout cas, si chacune de mes modalités (faire X
→ pouvoir faire X
, savoir
faire X
, vouloir faire X
) définit à
son tour une « action », on devrait pouvoir les appliquer
récursivement : cela doit avoir un sens non seulement de vouloir
vouloir faire X, mais aussi par exemple de savoir pouvoir
faire X ou de vouloir savoir pouvoir faire X —
et chacune des 1 + 3 + 3² + 3³ + ⋯ combinaisons ainsi définies
(soit −½ au total ← ceci est une blague de matheux )
doit être subtilement différente (mais avec la contrainte qu'à chaque
fois, faire X
équivaut à simultanément pouvoir
faire X
, savoir faire X
et vouloir
faire X
: donc par exemple, vouloir équivaut à pouvoir
vouloir, savoir vouloir et vouloir vouloir simultanément). Je crois
qu'il sera très difficile de faire marcher le système aussi
régulièrement, mais c'est amusant d'essayer d'imaginer ce que tout ça
peut signifier. Néanmoins, cela peut avoir un sens de chercher à se
demander ce que vouloir vouloir vouloir faire X signifie en
pratique, et d'imaginer un scénario crédible où ce qu'on fait, ce
qu'on veut faire, ce qu'on veut vouloir faire, et ce qu'on veut
vouloir vouloir faire sont différents.
Bon, cette entrée est un peu une autocaricature et elle a assez duré, donc je vais l'arrêter là sans avoir rien fait d'autre que de jeter des idées en pâture à quiconque voudra s'en saisir, mais je dois au moins signaler (parce que je n'ai pas réussi à caser ce lien ailleurs) ce fragment littéraire gratuit pour une vision différente de ma triade.