Méta : Cette entrée, où je prouve encore une fois
mon super-pouvoir de dire en 5000 mots ce qui tiendrait facilement en
500, est un peu un mélange de calimérisme (bouh hou hou, je suis
nul et le monde est vraiment trop zinjuste
) et de réflexions
disparates (généralement cachées dans les abondantes notes) mais que
j'espère un peu plus intéressantes, sur l'apprentissage de la
conduite. Il est question de mon permis moto, mais beaucoup de ce que
je dis est applicable aussi à quelqu'un qui passerait le permis B (ou,
je suppose, C ou D) : vers la fin, je donne d'ailleurs quelques idées
qui pourraient peut-être resservir à d'autres, sait-on jamais.
Quand je me suis inscrit au permis moto, je me doutais que ce serait sans doute long et difficile, et que j'en baverais : (a) parce que j'avais exactement zéro expérience des deux-roues motorisés, (b) parce que je ne suis plus tout jeune pour commencer, (c) parce que la moto n'est pas réputée pour être particulièrement facile, et (d) parce que je venais d'en baver pour le permis voiture et que les mêmes causes produisent probablement les mêmes effets. Bref, j'étais conscient de cette possibilité, j'étais bien conscient que quand le test psychotechnique complètement bidon mais légalement obligatoire préliminaire à la formation m'a prédit 20–35 heures de formation, ce n'était rien d'autre qu'un test complètement bidon mais légalement obligatoire, et je n'ai pas été surpris de mettre cinq mois (et 87 heures de formation) à obtenir l'épreuve de plateau (= épreuve hors circulation).
En revanche, s'agissant de l'épreuve de circulation (qui est essentiellement la même[#] qu'au permis B, mais sur une moto au lieu d'être dans une voiture) j'avais un espoir raisonnable que ce serait plutôt facile. Au moins une fois assimilés les quelques points de circulation spécifiques à la moto (le véhicule étant plus étroit, on ne se place pas toujours bêtement au centre de sa voie ; on cherche à se dégager autant que possible de toute proximité avec un poids lourd, et surtout à ne pas rester derrière ; en contrepartie, l'exigence de respect des limitations de vitesse est moins strict, surtout quand il s'agit, justement, de se dégager d'une situation possiblement dangereuse), et évidemment, des aspects de maniement du véhicule qui n'ont pas été vus pendant la préparation au plateau (comment gérer un rond-point, prendre un virage avec plus ou moins de visibilité, comment démarrer en côte ou tourner en pente, etc.), mais en tout cas, rien d'insurmontable.
[#] Sauf qu'évidemment l'inspecteur est dans une voiture (conduite par le moniteur-accompagnateur) et donne ses instructions par radio via une oreillette. Il y a d'autres petites différences, mais elles sont mineures (le nombre de de compétences à valider et donc de points de notation n'est pas le même : il n'est pas demandé de manœuvre, et les vérifications techniques ont été traitées lors de l'épreuve de plateau).
Pourquoi penser que ce serait plutôt facile ? D'abord parce que « tout le monde le dit ». Tout le monde, c'est-à-dire plusieurs amis qui ont passé le permis A ou A2 et qui ont tous décrit l'épreuve de circulation comme une sorte de formalité, ou encore des avis variés mais globalement concordants qu'on trouve en ligne (au pif, celui-ci). Ensuite parce que le taux de réussite est (au niveau national en 2017) de 91% pour l'épreuve de circulation contre 64% pour l'épreuve de plateau (pour comparaison, c'est 57% pour le permis voiture ; source ici, tableau page 22 [numérotée 21] du PDF) : une épreuve avec 91% de taux de réussite (même 92% en première présentation) en 2017 ne donne pas l'impression d'être outrageusement sélective[#2]. • Une bonne partie de cette facilité doit venir du fait que beaucoup des candidats au permis A2 dont déjà le permis B, mais même sans ça, si on regarde le taux de réussite au permis A1 (qui est exactement comme le permis A2 mais pour des motos de ≤125cm³ et peut être passé dès 16 ans, ce qui fait que ceux qui le passent n'ont presque jamais un autre permis), il est encore de 80%, suggérant que l'épreuve en elle-même est moins exigeante que le permis voiture ; une raison que j'ai entendu avancer à ce sujet est que les inspecteurs ne sont généralement pas eux-mêmes motards[#3] et s'en foutent un peu (voire, bavardent juste avec le moniteur-accompagnateur), ou simplement qu'ils ne voient pas aussi bien que s'ils étaient assis à côté du candidat et donnent quelque bénéfice du doute au candidat. • Mais bon, le fait est que j'ai obtenu mon permis B (et même si l'apprentissage a été douloureux, je l'ai quand même eu du premier coup et avec quasi le maximum des points), et j'ai fait attention, depuis, à conduire suffisamment pour, au strict minimum, maintenir mon niveau, à ne pas prendre de mauvaise habitude, et à respecter scrupuleusement le Code de la route. (Et mon poussinet trouve qu'effectivement je conduis mieux maintenant qu'il y a un an. Même, je n'écrase pas les piétons, c'est dire ! ) • Et puis, il y a une différence de motivation, qui au moins ne devrait pas nuire[#4] : j'ai passé le permis B plus par nécessité ou obligation sociale, je voyais ça comme une corvée et je ne prends aucun plaisir à conduire une voiture ; alors que je passe le permis A2 largement parce que j'en ai envie, et j'ai pu constater que (quand le temps est propice…) c'est vraiment agréable de rouler en moto. Et comme corollaire de la différence de motivation, une différence d'application (je vais revenir sur la manière dont je m'applique).
[#2] Argument à prendre avec des pincettes, évidemment, puisque les auto-écoles décident quand présenter les candidats… la préparation pourrait être beaucoup plus longue et difficile et donner quand même un taux de réussite meilleur à l'épreuve finale. D'ailleurs, le permis D (bus/car) a effectivement un taux de réussite supérieur au permis B (voiture) et personne ne s'imagine que conduire un bus est plus facile que conduire une voiture (ma belle-mère, qui a ce permis D, confirme d'ailleurs). Mais quand même, l'épreuve de circulation du permis A2 a le plus haut taux de réussite de tous ceux qui sont inscrits dans le tableau auquel je me réfère, ça doit bien traduire quelque chose. • D'autre part, il faut quand même signaler qu'il y a des différences très importantes entre départements : le taux de réussite à l'épreuve de circulation du permis A2 en 2017 avait beau être de 91% au niveau national, il était seulement de 88% pour l'Île-de-France, et de 79% pour Paris (j'aimerais en savoir plus sur les causes de ces disparités).
[#3] Je crois quand même comprendre qu'ils ont eux-mêmes l'obligation de passer le permis A (donc A2 maintenant ?) (cf. cette page ou celle-ci, j'ai la flemme de chercher quelque chose de plus officiel). Ils n'ont d'ailleurs pas l'air d'avoir d'obligation de passer les permis C, D et *E, en revanche : je ne sais pas si ceux qui font passer ces permis-là doivent eux-mêmes l'avoir.
[#4] Ça faisait partie de l'expérience (pas très scientifique) de tester si la motivation joue dans l'aptitude à réussir. Ma conclusion provisoire, c'est que je n'ai pas vraiment l'impression. Du coup, je peux le dire à ceux qui envisagent de passer un permis mais qui voient ça comme une corvée : ce manque de motivation ne vous compliquera probablement pas spécialement la tâche (qui peut être difficile pour d'autres raisons, bien sûr, comme elle l'a été pour moi).
Bref, il y avait un certain nombre de raisons de penser (prudemment !) que ce serait raisonnablement facile, ou au moins que j'aurais fait le plus dur.
Sauf que non, ça n'a pas vraiment l'air parti pour : j'ai l'air d'avoir gagné un nouveau tour pour la case « cancre ». Et là, je commence un petit peu à trouver ça usant[#5] d'accumuler les heures de formation pour patauger dans une médiocrité dont je cherche à identifier la cause. Bon, pour l'instant j'en suis à 14h de conduite (7 leçons de chacune environ 2h de conduite effective[#6]) sans compter la circulation que j'avais déjà faite en allant et en revenant du plateau lors de la préparation à cette épreuve (que j'estime à pas loin de 20h, mais bon, c'est toujours le même trajet) : ce n'est pas encore affolant, surtout que le minimum légal semble[#7] être de 12h, mais c'est surtout parce que mes progrès sont douteux que c'est un peu décourageant.
[#5] J'ai la chance de ne pas avoir de problème côté financier, parce que les heures commencent à chiffrer. Mais juste pour le temps consommé, ce n'est pas négligeable non plus.
[#6] Pour rentabiliser le temps, le mode de fonctionnement des cours de circulation de mon auto-école est qu'on part pendant 3 ou 4 heures à 3 ou 4 élèves à tourner sur 2 motos (avec un changement toutes les heures environ) : donc deux élèves conduisent pendant que l'autre ou les deux autres sont dans la voiture avec le moniteur (et peuvent donc observer et écouter ses commentaires, ce n'est pas du temps complètement perdu). L'avantage est qu'on se fatigue moins que si on conduisait tout le temps et qu'on peut aller plus loin que si les leçons duraient vraiment deux heures. L'inconvénient est qu'il faut vraiment bloquer tout son après-midi ou toute sa matinée.
[#7] J'écris
seulement semble
parce c'est un peu confus : la base juridique
que j'ai trouvée
est l'arrêté
du 24 juin 1992 relatif à la formation à la conduite des motocyclettes
et des motocyclettes légères qui d'après Legifrance est toujours
en vigueur, mais qui ne semble pas avoir été mis à jour pour tenir
compte de la progressivité du permis moto (on ne peut plus passer le
permis A directement, seulement le A2), et par ailleurs je ne sais pas
bien comment interpréter la phrase la durée minimale de la
formation pratique à la conduite de ces véhicules est de vingt heures,
dont huit hors circulation et douze sur une voie ouverte à la
circulation publique
(s'il faut juste comprendre de huit heures
hors circulation et de douze heures en circulation
, pourquoi avoir
précisé le total ? le texte semble dire x≥8
et y≥12 et x+y≥20
du coup je me
demande à quoi sert le dernier).
Je ne sais pas quel est le nombre moyen réel d'heures de formation à la circulation des candidats qui obtiennent le permis, et les statistiques ne sont pas faites par qui que ce soit, mais ce fil de discussion d'un forum suggère qu'il y a énormément de variations, même en-deçà des 12h légalement exigées (je suis quand même un peu scié qu'un formateur moto prétende que ses élèves font typiquement entre 2 et 4 heures — et à lire le fil, je ne suis pas le seul). Ce qui est certain, en revanche, c'est qu'on donne le droit de conduire une moto de ≤125cm³ aux titulaires du permis B (depuis au moins 2 ans) après seulement 7h de formation incluant théorie, maniabilité pratique et conduite sur route, et je ne vois pas vraiment de raison de croire que la circulation soit spécialement plus simple avec une 125cm³ qu'avec une 500cm³.
Autant pour l'épreuve de plateau il y avait une mesure assez objective pour mesurer si j'étais prêt (à savoir, la réussite aux exercices demandés, qui ont des critères plutôt nets et laissant très peu de part à l'appréciation), autant pour l'épreuve de circulation, je ne peux que m'en remettre à ce que disent mes moniteurs. Je fais des fautes, mais il n'est pas toujours évident d'en estimer la gravité (« faute » ne veut pas dire faute éliminatoire à l'examen : ça peut être simplement de ralentir sans raison valable, ce qui n'est quand même pas un motif d'ajournement ; voir cette liste ou celle-ci[#8] pour un classement des erreurs selon la gravité — c'est pour le permis B mais les critères pour le A2 sont sans doute identiques ; ou parfois il y a une marge d'appréciation considérable dans ce qui constitue la faute éliminatoire[#9]). La part de hasard dans l'épreuve (due à la fois aux différences entre examinateurs et simplement aux circonstances rencontrées sur le trajet) a l'air assez énorme.
[#8] Dont on aimerait bien savoir quelle est la source officielle !, parce que je ne l'ai pas trouvée.
[#9] Je pense au cas de
la gêne des autres usagers, qui est éliminatoire, mais évidemment il
faut se demander ce que signifie gêne
. La page que je viens de
lier dit plus précisément : absence totale de prise d'informations
conduisant à une mise en danger ou une gêne de la circulation des
autres usagers
— ce qui suggère que c'est un peu plus restreint
que ça. Autre exemple : tout à l'heure, mon moniteur a reproché a un
autre élève un arrêt injustifié à l'entrée d'un giratoire et lui a
rappelé qu'un arrêt injustifié était éliminatoire ; mais là, il n'y
avait personne à l'horizon donc ce n'était pas un arrêt non
justifié causant une gêne ou un danger
.
Forcément, les auto-écoles ont beaucoup d'incitations à surpréparer
leurs élèves : primo, ça leur fait plus d'heures (payées), secundo, ça
améliore leur taux de réussite publiquement
affiché[#10], tertio, ça leur
évite de représenter des candidats (en cas d'échec) qui leur coûtent
des places de présentation et retardent les autres candidats, et
quarto, ça peut même améliorer la satisfaction des élèves sur
l'effet je l'ai eu du premier coup
. (Évidemment, il y a quand
même le mécontentement des élèves trouvant leur formation trop longue
qui contrebalance un peu : mais, comme moi, ces élèves ne peuvent pas
vraiment juger objectivement leurs chances de réussite autrement qu'à
travers ce que disent les moniteurs, lesquels sont toujours capables
de trouver une raison pour expliquer qu'on peut mieux faire. Je ne
les accuse pas de le faire, mais s'ils le veulent, ils trouveront
toujours quelque chose à
redire[#11].)
[#10] Il y a un
certain mystère qui plane aussi au sujet de ce chiffre. Un de mes
moniteurs moto a laissé entendre qu'ils avaient un taux de
réussite plus bas à l'épreuve de circulation qu'à l'épreuve
de plateau, ce qui me paraît quand même très difficile à croire au
regard du 91% versus 64% au niveau national. Je me demande si c'est
du bluff, et si ça ne l'est pas, ça mérite une sérieuse explication.
La communication officielle a toujours l'air de mal séparer les deux
épreuves des permis qui ont les deux (c'est-à-dire, tous sauf le B),
donc il est difficile d'en savoir plus : par
exemple cette
page (là aussi, on aimerait connaître sa source…) indique un taux
de réussite de 83% sur 233 candidats
au permis A2 pour mon
auto-école, et je me demande si c'est pour la circulation ou si c'est
une moyenne dénuée de sens entre les deux épreuves (et du coup, je me
demande même si les 233 « candidats » ne sont pas, en fait,
233 présentations au total, toutes épreuves confondues, parce que ça
me semble quand même beaucoup — en tout cas, le chiffre est vraiment
mal expliqué). Dans
son bilan 2016,
la DRIEA [Île-de-France] donne
des chiffres de taux de réussite au permis moto qui, en les comparant
avec ceux de la Sécurité Routière, apparaissent mélanger les épreuves
de plateau et de circulation. Pfff…
[#11] À ce sujet, il y a des situations en conduite qui tiennent un peu du catch-22 : plusieurs règles entrent en conflit et il faut choisir rapidement laquelle écarter pour résoudre le conflit (du style, j'ai un obstacle sur ma route qui bloque la visibilité ou avec une ligne continue, je ne peux donc ni le franchir ni m'arrêter indéfiniment ; ou bien : je dois me mettre sur telle file pour tourner à gauche ou à droite, mais les voitures arrêtées sur le marquage m'empêchent de voir les flèches, et une fois que je les découvre, je ne suis pas au bon endroit).
Mais à défaut de pouvoir comparer mon niveau à l'absolu de
l'examen, je peux au moins essayer de le comparer à celui des autres
élèves (puisque, contrairement au permis B, les leçons ne sont pas
individuelles, voir la note #6
ci-dessus) : et là, je suis quand même un peu agacé, parce que d'un
côté je constate que les moniteurs ne me font pas plus de reproches
qu'aux autres, voire, m'en font plutôt moins (estimation à la louche,
je précise, et pas forcément pertinente), mais de l'autre, j'ai eu
droit à des propos comme même David, il finira bien par
l'avoir, ce permis
(c'est moi qui souligne), ce que, même si j'ai
moi-même tendance à en blaguer, je trouve d'un manque de tact et de
professionnalisme un peu consternant de la part du formateur, surtout
quand c'est dit à tout le petit groupe (et je suis, bien sûr, trop
timide pour protester sur le coup). Or je vois défiler les autres
élèves qui ont déjà une date d'examen de planifiée, et qui ne me
paraissent pas conduire franchement mieux que moi : j'en ai vu un qui
a grillé deux feux rouges pendant la même leçon et dont j'ai
appris qu'il a passé son examen dix jours plus tard, un autre qui a
grillé trois stops en une seule leçon alors qu'il avait déjà
sa date d'examen dans la semaine, et encore un autre qui, lui aussi
ayant un examen prévu dans la semaine, a fait deux refus de
priorité à des piétons et a failli se faire rentrer dedans à un
giratoire parce qu'il avait mal signalé sa sortie. Bref, je n'ai
vraiment pas envie de jouer à demander pourquoi vous présentez
Untel et pas moi ?
(ça fout une sale ambiance), mais je
m'interroge quand même.
Bien sûr, il ne s'agit pas que de passer un examen, et si je suis persuadé que c'est bon pour ma sécurité, je suis prêt à prendre plus d'heures de cours et notamment plus d'heures de cours que ce qui est nécessaire pour juste obtenir le papier. Après tout, c'était un de mes buts explicites, en m'inscrivant au permis moto, que d'apprendre à mieux circuler sur la route en général (i.e., aussi en voiture) en apprenant à surmonter mon super-pouvoir d'inobservation (qui a perdu en intensité mais n'est pas complètement vaincu — je vais revenir dessus). Le moment le plus dangereux en moto étant notoirement « les six premiers mois après avoir passé le permis », je peux avoir au moins un vague espoir que, si je mets six mois de plus que tout le monde à le décrocher, ce sera un chouïa moins dangereux après (bien sûr, ce n'est pas comme ça que ça marche, mais ce n'est pas complètement idiot non plus).
Mais il faut bien dire que l'épreuve est quand même très académique : ce n'est pas juste qu'il faut respecter soigneusement le Code de la route, il y a toutes sortes de choses qui ne sont pas des infractions au Code de la route et qui sont pénalisées lors du passage du permis (par exemple, rouler trop lentement — même dans le cas où ça ne gêne absolument personne —, puisque le but est de montrer à l'inspecteur qu'on sait gérer la bonne vitesse). Le summum de l'académisme concerne les contrôles : il est évidemment normal pour des raisons de sécurité qu'on doive regarder régulièrement dans ses rétroviseurs, notamment à l'approche de chaque intersection (pour évaluer si on risque une collision par l'arrière si on doit freiner) ; mais comme l'inspecteur ne peut pas voir si on regarde dans les rétroviseurs, on doit tourner le casque bien ostensiblement pour montrer qu'on le fait : pour quelqu'un comme moi qui fais naturellement des petits coup d'œil furtifs et pas des grands mouvements de tête bien visibles, c'est facile d'oublier cette gymnastique (ce qui me vaut de me l'entendre reprocher), et c'est même distrayant, peut-être dangereusement distrayant, de devoir m'y prêter. Il y a quelque chose de semblablement académique pour chaque priorité à droite : bien sûr il faut tourner la tête, mais il faut bien sûr aussi ralentir avant de les franchir (plus ou moins selon la visibilité, mais toujours au moins un peu), et là, ma tendance naturelle est de ralentir au frein moteur[#12], mais non, on nous demande de donner impérativement un petit coup de frein (arrière) pour montrer à l'inspecteur qu'on a bien détecté la priorité. Je ne me plains pas forcément, mais je ne suis pas sûr que cette gymnastique académique aide tellement à la sécurité ensuite.
[#12] Il doit y avoir de l'influence de mon poussinet, qui a tendance à jouer à freiner le moins possible pour avoir la consommation la plus faible qu'il peut (cf. ce que je racontais ici). Mais par ailleurs le frein moteur à moto est beaucoup plus efficace qu'en voiture.
Après, je ne prétends pas non plus que les seuls reproches qu'on
ait à me faire concernent le fait que mes contrôles ne sont pas assez
ostensibles ou ce genre de choses. Je fais aussi des fautes plus
franches : notamment, au cours d'une leçon récente j'ai fait un refus
de priorité à un véhicule arrivant en face alors que j'avais un
obstacle de mon côté[#13],
c'est bien sûr éliminatoire. J'ai aussi encore du mal à me forcer à
accélérer suffisamment lors des entrées sur les voies rapides, ce qui
donne parfois des insertions sales voire vraiment mauvaises (par
exemple en forçant la voiture derrière à ralentir pour moi) : je pense
que ce dernier point est mon plus gros problème ; à chaque fois j'ai
l'impression de le corriger, et à chaque fois on me dit que ce n'était
toujours pas bon, et que j'aurais dû accélérer plus. Mais je n'ai pas
non plus eu droit à un petit message
encourageant[#14] du
style quand tu seras à l'aise sur les insertions, normalement, le
reste ça va
.
[#13] Les deux véhicules devant moi (dont un bus !) l'ont fait aussi, ce qui n'est pas une excuse, mais ce qui illustre le danger de la tentation de suivre les autres dans leurs erreurs (d'ailleurs, l'autre élève de mon moniteur a aussi suivi). Je crois que je me suis persuadé que la voiture en face était stationnée, mais c'est franchement con.
[#14] Si j'ai un reproche à faire aux moniteurs de cette auto-école, c'est qu'on a l'impression que les encouragements leur arrachent la gueule. Je ne suis pas sûr d'être moi-même un as de la pédagogie, je suis conscient que c'est difficile de détecter l'image que les élèves ont d'eux-mêmes, mais il me semble que c'est important de se rappeler que certains doutent de leurs capacités et de leur faire remarquer quand ils font des choses bien, pas juste quand ils font des choses mal.
Bon, et puis il y a la fameuse histoire du dynamisme
(dynamique
étant apparemment le contraire de mou
), qui
semble être très attendu des candidats au permis moto. Ce qu'est
exactement ce fameux dynamisme
n'est pas franchement clair (la
lecture
de ce
fil de discussion suggère que je ne suis pas le seul pour lequel
ce n'est pas franchement clair), à part qu'il s'agit de rouler à la
bonne vitesse et de l'atteindre rapidement en n'hésitant pas à
accélérer nettement. Un moniteur nous a même dit de ne pas hésiter à
rouler 10km/h au-dessus de la vitesse maximale (et parfois il nous
dit, attention, à cet endroit il y a souvent des contrôles, donc ne le
faites pas), ce que je trouve vraiment abusé hors circonstances
exceptionnelles (p.ex., se dégager de la proximité d'un camion).
Disons que j'ai rarement entendu le reproche ah là là ces motards,
ils roulent vraiment trop lentement, on sent qu'ils ont peur pour leur
vie, ils empêchent tout le monde de passer
; ou disons que je ne
sais pas s'il est vraiment utile de recommander dès l'épreuve de
circulation du permis de rouler vite, surtout quand on a potassé
pour le plateau des fiches qui parlent en long et en large des dangers
de la vitesse. Mais bon, peut-être que le dynamisme ce n'est pas
juste de rouler vite, c'est peut-être comme les histoires
de bons et de mauvais
chasseurs.
Au final je ne sais pas où j'en suis. Les moniteurs bottent un peu en touche, ne veulent pas se hasarder à des pronostics (ce que je comprends assez), ou émettent des avis un peu contradictoires (l'un avec l'autre, voire d'une fois sur l'autre). Je ne sais pas si je suis très sérieusement mauvais ou juste un peu lent à assimiler ; et si c'est le cas, je ne sais pas non plus pourquoi (et ça, personne ne peut y répondre pour moi). Je ne soupçonne pas mon auto-école de me faire passer pour plus mauvais que je ne le suis parce qu'ils ont bien vu que je paye des dizaines et des dizaines d'heures sans rechigner, mais je ne suis pas non plus complètement en mesure d'exclure cette hypothèse, ou disons que j'aimerais bien en avoir le cœur net.
Le système des auto-écoles est malheureusement administrativement assez rigide : je ne crois pas qu'on puisse, par exemple, aller ponctuellement voir une autre auto-école pour faire une leçon d'évaluation (histoire d'avoir un avis différent et impartial) ou passer un examen blanc, sans d'abord annuler son inscription dans l'auto-école de départ, procéder à un transfert de dossier, etc., bref, plein de choses très lourdes. (En plus de ça, j'ai conduit un unique[#15] modèle de moto tout du long — la Honda CB-500F —, ce serait déstabilisant d'en prendre une autre à ce stade-là.) C'est un peu con : l'idée de permettre de passer un permis blanc avec un moniteur d'une autre auto-école en guise d'inspecteur me semblerait une vraie bonne idée.
[#15] Sauf une fois où il s'est agi de transporter une 125cm³ jusqu'au plateau et où on me l'a collée entre les pattes. Je n'étais pas complètement rassuré sur l'autoroute, j'avais l'impression d'être sur un vélo.
Bon, pour que cette entrée soit quand même un peu positive, je vais dire un mot de la manière dont je m'applique à réfléchir sur les fautes de conduite que je fais et dont j'essaie de vaincre mon super-pouvoir d'inobservation. (Je pense que ça peut resservir à d'autres, surtout un peu geeks, et ce n'est pas le genre de conseils que les moniteurs d'auto-école penseront forcément à donner. J'aurais sans doute dû m'efforcer à tout ça quand je préparais le permis B — mais, comme je l'écris plus haut, j'étais nettement moins motivé, je n'avais pas vraiment envie, par exemple, de revivre les leçons que je trouvais déjà pénibles à vivre la première fois.)
Primo, j'utilise abondamment Google Street View (voir par exemple
les liens que je donnais à la fin
de cette entrée). Je pense
vraiment que Google Street View peut être d'une utilité considérable
pour l'apprentissage de la conduite et que c'est un conseil qu'on
ferait bien de répéter. On peut, par exemple, choisir plein
d'intersections au hasard en France et jouer à répondre le plus
rapidement possible à la question supposons que je sois à cet
endroit : qu'est-ce qu'il y a à remarquer, qu'est-ce que j'aurais le
droit de faire, et à quoi faut-il faire attention ?
. Ce n'est pas
pareil qu'être en situation, bien sûr, parce qu'on n'a pas eu toutes
les informations au fur et à mesure en arrivant à l'intersection (on
peut pallier un peu ce manque en se positionnant un peu en amont et en
avançant), mais c'est déjà intéressant. Ce serait encore mieux de
compiler une liste d'endroits intéressants où il y a des choses à
observer, peut-être créer un Wiki pour ça : je n'ai pas le courage de
le faire, mais je lance au moins l'idée.
Au minimum, Google Street View me permet de rejouer les leçons de conduite que j'ai eues, de revoir les endroits où j'ai fait des fautes, de réfléchir à la situation des lieux, de me remettre dans l'ambiance, de me demander pourquoi je n'ai pas vu tel ou tel panneau (et parfois la réponse est juste qu'il manquait), de me demander ce qui m'a induit en erreur, de me forcer à bien regarder ce à quoi je n'avais pas fait attention. Je pense que c'est vraiment utile pour apprendre à être plus observateur (ou moins inobservateur). On ne peut pas dire que je ne fasse pas des efforts pour m'appliquer, donc ! Si je suis un cancre, je suis au moins un cancre studieux. En bonus, j'en apprends sur la géographie de l'Île-de-France (par exemple, le refus de priorité en face dont je parle plus haut, c'était à Paray-Vieille-Poste, une commune dont je n'avais jamais entendu le nom alors que ce n'est pas franchement loin de Paris).
L'inconvénient de la méthode, quand même, c'est qu'en potassant comme ça, j'apprends peut-être plus les spécificités des endroits que les généralités. Comme j'ai une plutôt bonne mémoire des lieux (chose que j'ai, en fait, découverte à l'occasion, parce que je pensais le contraire), si on me remmène à un endroit où j'ai déjà fait une erreur, je ne vais probablement pas la refaire, mais ça ne veut pas forcément dire que j'aurais appris à ne pas faire cette catégorie d'erreurs, juste que j'aurai appris qu'il y a une difficulté à cet endroit-là[#16]. J'ai quand même un certain espoir que les connexions neuronales se fassent et que les généralités rentrent aussi.
[#16] Or je passerai probablement l'épreuve de circulation — enfin, à supposer qu'on me laisse la présenter un jour — autour du centre d'examen de Gennevilliers (où j'ai déjà passé mon plateau) : c'est un endroit que je ne connais pas du tout. Peut-être que j'essaierai d'y tourner un peu en voiture, mais comme c'est quand même pénible d'accès depuis chez moi, ce n'est pas sûr. Je regarderai sans doute sur Google Street View pour me faire un minimum une idée du coin et du type de difficulté qui s'y trouve, mais ça ne peut pas remplacer l'expérience directe du terrain.
Secundo, un autre exercice que je trouve utile, c'est, quand je suis passager en voiture et que c'est mon poussinet qui conduit, de jouer à l'inspecteur sadique, c'est-à-dire d'essayer de lui faire remarquer tout ce qui serait considéré comme une faute s'il était en train de passer le permis[#17]. C'est l'occasion de se rendre compte de l'académisme de l'épreuve (je considère que mon poussinet conduit globalement bien, mais je peux souvent trouver des fautes à lui reprocher, parfois des fautes éliminatoires), mais surtout, c'est une façon de m'exercer à penser à tout ce à quoi il faut penser (et d'en discuter) en ayant l'esprit libre de tout ce qui est mécanique puisque ce n'est pas moi qui conduit. À force de rechercher tout ce que je pourrais trouver à dire, j'apprends à repérer des choses que je ne suis normalement pas bon pour repérer.
[#17] Il vaut mieux faire ça avec quelqu'un qu'on connaît bien et qui est d'accord pour prendre ça pour un jeu académique et pas forcément des reproches sérieux sur sa façon de conduire ! (Bon, sinon on peut le faire dans sa tête, mais ça offre moins d'occasion de discuter et finalement de mémoriser les choses.)
Et bien sûr, il n'y a pas de raison de ne commenter que les fautes. On peut commenter (et discuter avec le conducteur) de tout point éventuellement pertinent en matière de circulation. Ceci est à mettre en parallèle avec l'exercice de la conduite commentée qu'on peut mener soi-même, mais à nouveau, le fait de jouer quand quelqu'un d'autre conduit permet d'être moins stressé et sans doute d'apprendre à observer de façon encore plus efficace.
Ce sont donc là mes principales pistes pour vaincre mon super-pouvoir d'inobservation. Et effectivement, avant que je commence à apprendre à conduire, la route était juste un espace sans intérêt à mes yeux, je ne faisais pas du tout attention à ce qui s'y passait sauf au moment de la traverser ou quelque chose comme ça ; mais quand j'étais passager d'une voiture, je ne regardais absolument pas ce que faisaient les autres. Maintenant, même comme passager, je suis nettement plus à l'affût de tout ce qu'il peut y avoir à remarquer, j'essaye de juger la manière dont conduit la personne au volant mais aussi celle des autres véhicules, et finalement on peut y trouver plaisir (comme je prends déjà plaisir à regarder les gens marcher dans la rue).
Bon, en guise d'addendum-conclusion, je conclus
par un petit point juridique.
(Cf. ce
fil Twitter. Je comptais le mettre dans une note numérotée, mais
je n'ai pas vraiment trouvé où l'insérer.) J'avais toujours cru comme
évident que l'élève qui prépare le permis sous la responsabilité d'un
moniteur (ou le passe, sous la responsabilité d'un inspecteur) n'est
pas sanctionnable pour les fautes qu'il commet (sauf bien sûr si elles
étaient volontaires) : apparemment c'est faux, même au permis B où le
moniteur/inspecteur a les doubles commandes. Pour ce qui est de la
responsabilité civile, bien sûr, l'auto-école doit avoir une
assurance capable de couvrir les dommages sans limitation de montant ;
mais pour ce qui est de la responsabilité pénale, la réponse
à cette
question posée par un député au ministre de la Justice indique que
(au moins dans l'interprétation de ce ministère), c'est bien l'élève
qui conduit qui est responsable des infractions qu'il commet, et que
si une contravention est relevée ce sera à lui de la payer.
S'agissant des sanctions administratives, la réponse
ajoute : aucun point ne sera retiré du permis de conduire, dont,
par définition, le candidat n'est pas encore titulaire
— mais ce
n'est pas vrai, l'élève peut être titulaire d'une autre catégorie de
permis (pour ceux qui passent le permis A2 c'est fréquent, pour ceux
qui passent le C, D ou *E c'est même obligatoire). Maintenant, une
jurisprudence fait qu'on ne retire pas de points sur le permis pour
des infractions commises à vélo (ou autre véhicule dont la conduite ne
nécessite pas de permis) : je suppose qu'on peut argumenter, selon la
même logique, que comme la détention du permis B n'est pas nécessaire
pour préparer ou passer le permis A2, une infraction commise en
circulant à moto dans ce cadre ne devrait pas faire l'objet d'un
retrait de point ; en revanche, pour les permis C, D ou *E, c'est
beaucoup plus douteux. Je me demande si le cas se présente souvent.
(C'est quand même un peu con — et injuste eu égard au principe
que es irrt der Mensch solang' er strebt — si
quelqu'un cherche à obtenir un permis en plus et finit avec un permis
en moins suite à des infractions !)
Mise à jour : J'ai quand même fini par avoir ce permis (après un échec à la circulation).