David Madore's WebLog: 2015-10

Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le reste de ce site web, parle de tout et de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait), des maths à la moto et ma vie quotidienne, en passant par les langues, la politique, la philo de comptoir, la géographie, et beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas, ainsi que d'occasionnels rappels du fait que je préfère les garçons, et des petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le nom collectif de fragments littéraires gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes traduites dans les deux langues) ; il est maintenant presque exclusivement en français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut). Cette page-ci rassemble les entrées publiées en octobre 2015 : il y a aussi un tableau par mois à la fin de cette page, et un index de toutes les entrées. Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs « catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le texte de l'entrée elle-même.

You are on David Madore's blog which, like the rest of this web site, is about everything and anything (mostly anything, really), from math to motorcycling and my daily life, but also languages, politics, amateur(ish) philosophy, geography, lots of ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders of the fact that I prefer men, and some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the collective name of gratuitous literary fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning (some entries were in English, others in French, and a few translated in both languages); it is now almost exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top). This page lists the entries published in October 2015: there is also a table of months at the end of this page, and an index of all entries. Some entries are classified into one or more “categories” (indicated at the end of the entry itself), but this organization isn't very coherent. The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced before and after the text of the entry itself.

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Entries published in October 2015 / Entrées publiées en octobre 2015:

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(mercredi)

Une remarque sur la sécurité aérienne

Lorsque nous sommes allés à Dublin, mon poussinet m'a fait observer la chose suivante : nous étions munis de cartes d'embarquement (qui pouvaient être imprimés par nos soins à partir de PDF fournis par la compagnie — sans aucune mesure de sécurité particulière) et de nos pièces d'identité. Ces cartes d'embarquement et pièces d'identité ont été contrôlées à plusieurs reprises : on a (A) vérifié que notre nom sur la carte d'embarquement correspondait bien à celui donné par la pièce d'identité, et (B) passé notre carte d'embarquement dans un scanner qui vérifiait (certainement en lisant le code-barre ou équivalent qui est dessus) que l'enregistrement était réel. Mais à aucun moment ces deux vérifications n'ont été faites ensemble. Ceci ouvre donc une faille de sécurité : rien n'empêche d'imprimer une carte d'embarquement à un autre nom que celui fourni lors de l'enregistrement (il suffit de modifier un texte dans un PDF, il n'y a donc aucune difficulté), ce qui permet de passer à la fois le contrôle (A) si on a une pièce d'identité à ce nom, et le contrôle (B) si le lecteur optique vérifie uniquement le code-barre et pas le nom imprimé (et même si le lecteur optique vérifie les deux, on peut imprimer deux cartes d'embarquement différentes, une au nom d'enregistrement et une au nom de la pièce d'identité : tant que la pièce d'identité n'est pas contrôlée simultanément à l'enregistrement dans le fichier de la compagnie, ce n'est pas une vraie vérification).

Après, je n'ai aucune idée de l'intérêt qu'il y aurait à enregistrer un passager et en faire voler un autre (peut-être pour revendre un billet qu'on n'a pas le droit de revendre parce qu'il est normalement nominatif ?), mais en tout cas c'est possible. Je ne vois pas l'intérêt, mais du coup, je ne vois pas non plus l'intérêt du contrôle (A) (ce qui importe à la compagnie est que chaque voyageur ait payé : ceci explique le contrôle (B), mais le (A), i.e., le caractère nominatif des billets, a l'air purement vexatoire). Toujours est-il que soit cette vérification est inutile, auquel cas il faudrait la supprimer, soit elle est utile, auquel cas il faudrait corriger le protocole pour qu'elle ne soit pas triviale à contourner.

Je pense que c'est assez caractéristique de l'état d'esprit de la sécurité informatique que de remarquer ce genre de failles : la plupart des gens se disent que si on vérifie que l'enregistrement est bon et que le nom correspond, on a vérifié tout ce qu'il fallait, et ils oublient que si les vérifications ne sont pas faites de façon jointe, elles peuvent être différentes. Je crois même avoir entendu un nom, que j'ai oublié, à cette classe d'erreurs de sécurité (supposer que quelque chose va rester identique entre deux vérifications alors qu'il pourrait être modifié, ou deux objets différents pourraient être présentés, entre les deux contrôles). Il y a probablement des romans policiers dont l'intrigue est basée sur une variations de cette idée.

J'avais remarqué quelque chose de semblable à propos des copies d'examen ou de concours : plusieurs fois, quand j'ai passé une épreuve, on vérifiait (A) que mon identité correspondait bien à la place à laquelle j'étais assis, et (B) implicitement, au moment de relever les notes, que le numéro indiqué sur la copie correspond bien à une personne inscrite à l'épreuve. Mais personne ne vérifiait que le nom ou le numéro d'inscription que je reporte sur ma copie avant de l'anonymiser est le même que le numéro qui m'est attribué et qui est sur ma table. Il est donc parfaitement possible (si cette faille n'a pas été corrigée) pour deux candidats passant dans le même centre d'examen d'échanger leurs copies, c'est-à-dire, d'écrire chacun le nom et numéro d'inscription de l'autre : cela peut être exploité pour vendre une réussite aux épreuves écrites du bac (le vendeur et l'acheteur se présentent aux épreuves, chacun écrit le numéro d'inscription de l'autre dans sa copie ; comme ils sont tous les deux régulièrement inscrits, ils passent les contrôles que j'ai évoqués). [Ah zut, come d'habitude, je radote.] [Précision : on me souffle que, au moins pour ce qui est du bac, la procédure a changé (il y a des étiquettes collées par les surveillants), donc la faille n'existe plus, ou au minimum n'est exploitable que pour des candidats dans la même salle et pas juste dans le même centre.]

Ceci soulève aussi la question suivante : qui, au juste, décide ce genre de protocoles administratifs de contrôle, et comment ces personnes sont-elles recrutées ? En informatique, quand on met en place un protocole, il est généralement débatu, publié, commenté, et mis en place après une phase d'évaluation approfondie. Mais les instructions sur « comment contrôler l'accès des passagers à bord des avions du point de vue des formalités d'enregistrement » ou « comment contrôler l'identité des candidats à un examen » ne sont visiblement pas formalisées de la sorte, et ont sans doute été décidées par quelqu'un d'idiot ou d'incompétent (ou par un groupe de tels gens). Pourtant, il y a des similitudes avec la sécurité informatique, et ce serait sans doute pertinent de faire revoir ce genre d'instructions par des gens qui ont cet état d'esprit avant de les appliquer.

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(mardi)

Le format %a des flottants, et autres crottes de ragondins

Comme le maître zen De-Monyo l'a dit avant moi : le chemin de l'enfer est pavé de petites crottes de ragondin. C'est certainement vrai, au moins, en informatique.

Pour donner un exemple de la manière dont les ragondins arrivent à déposer des petits cadeaux malodorants sur les sentiers de roses que les informaticiens ont arrangés avec amour, je voudrais donner l'exemple du format %a de printf(). Ou plutôt, de sa (non) disponibilité.

Comme chacun sait, les ordinateurs calculent en binaire. Ceci est vrai non seulement pour les entiers mais aussi pour les nombres en virgule flottante. Par exemple, si je calcule sqrt(2.) en C sur une implémentation raisonnable utilisant les flottants double précision IEEE 754, le résultat va être stocké sous la forme suivante sur 64 bits :

0011 1111 1111 0110 1010 0000 1001 1110 0110 0110 0111 1111 0011 1011 1100 1101

Le premier bit (que j'ai écrit en bleu) signifie que le nombre est positif ; les 11 suivants (en vert) représentent la valeur 1023 et indiquent que le nombre a pour exposant 1023 − 1023 = 0 (on décale l'exposant en soustrayant 1023), c'est-à-dire que la valeur comprise entre 1 et 2 définie par les autres bits va être multipliée par 20 = 1 (et le résultat sera donc entre 1 et 2) ; enfin, les 52 bits restants désignent le nombre binaire 1.01101010… (obtenu en ajoutant un 1 devant), c'est-à-dire 1 + 0×2−1 + 1×2−2 + 1×2−3 + 0×2−4 + ⋯. Le nombre ainsi représenté a une valeur décimale exacte : à savoir 1.4142135623730951454746218587388284504413604736328125 (ce n'est pas la racine carrée de 2, bien sûr, qui ne peut pas s'exprimer exactement avec un nombre fini de chiffres ni en binaire ni en décimal, et qui vaut environ 1.4142135623730950488…, soit à peu près 9.67×10−17 en moins), il s'agit du nombre flottant double précision le plus proche de la racine carrée de 2. Le problème est de savoir comment écrire (textuellement) un tel nombre : on peut en donner une représentation décimale exacte (je viens de le faire), mais c'est long et malcommode. Le minimum de chiffres décimaux qu'il faut donner pour retrouver le nombre ci-dessus par arrondi au flottant double précision le plus proche est 16 après la virgule (soit 1.4142135623730951) : si on tronque un chiffre avant, on n'obtient pas le nombre ci-dessus — ce qui est un peu agaçant, parce que le dernier chiffre décimal en question n'est pas le bon arrondi pour la racine carrée de 2 à cette précision décimale (ce serait 1.4142135623730950, seulement, il s'arrondi à un flottant double précision juste epsilon plus petit). Tout cela est assez lourdingue. Mais ce n'est pas de ce genre de problèmes mathématiques que je veux parler. Je veux juste souligner qu'utiliser des écrites décimales pour représenter des flottants informatiques, c'est soit casse-pied soit casse-gueule (d'un autre côté, l'écriture binaire est vraiment pénible à décoder).

Heureusement, il y a une solution intermédiaire qui est un bon compromis : au lieu d'écrire le flottant en binaire ou en décimal, on peut l'écrire en hexadécimal ; plus exactement, la convention standard est d'écrire sa mantisse en hexadécimal (pour l'avoir de façon exacte), et l'exposant en décimal (pour que ce soit plus lisible pour un humain). On écrira : 0x1.6a09e667f3bcdp+0, ce qui doit se lire comme le nombre hexadécimal 1.6a09e667f3bcd (soit 1 + 6×16−1 + 10×16−2 + 0×16−3 + ⋯) multiplié par 20=1 (le p est une façon de marquer ce format d'écriture, un peu comme le e signale l'écriture décimale avec une puissance de 10). Cette écriture désigne exactement le flottant signalé ci-dessus (le double précision le plus proche de √2), et il n'est pas très loin de l'écriture binaire au sens où si on convertit l'hexadécimal 6a09e667f3bcd en binaire, on retrouve les chiffres de la mantisse (les chiffres en rouge ci-dessus, un chiffre hexadécimal pour chaque bloc de quatre).

Cette façon d'écrire les flottants s'obtient, en C, avec le format %a de la fonction printf() (ou, en lecture, de scanf()). Le format en question n'est pas terriblement lisible par un humain, mais il l'est quand même nettement plus que le binaire, et il a l'avantage immense de représenter de façon exacte et inambiguë chaque flottant sans gâchis inutile, sans complication démesurée, et en permettant de visualiser rapidement quel est le dernier bit de précision. Si on veut stocker des flottants dans un fichier texte pour les relire ensuite et s'assurer qu'on a exactement les mêmes nombres, %a est indiscutablement la bonne façon de procéder (notons qu'on peut aussi les utiliser dans un source C, par exemple écrire const double lemniscate_length = 0x1.4f9f94f9f50b0p+2 ; notons qu'on a aussi le droit de placer la virgule différemment, par exemple 0x5.3e7e53e7d42c1p+0 pour la même quantité, mais ici les deux derniers bits du dernier chiffre hexadécimal seront perdus en flottant double-précision, puisqu'il n'y a que 52 bits de précision dans la mantisse : avec la convention de caler le dernier bit significatif en fin de chiffre hexadécimal, les flottants double précision « normaux » s'écrivent toujours 0x1. suivis de quelque chose).

Bon, alors trève de digression, si ce format %a est bel et bon, où sont les petites crottes de ragondin ?

Le problème est que ce format devrait être universellement accepté par tous les programmes, toutes les bibliothèques, et tous les langages de programmation, susceptibles d'entrer ou de sortir des flottants. Or ce n'est pas le cas. Pourtant, ça fait plus de quinze ans maintenant que ce format a été normalisé par la norme C99 du C — et je pense qu'il n'était pas totalement nouveau même en 1999. QUINZE ANS ! Et en tout ce temps, beaucoup des programmes, des bibliothèques, et des langages de programmation qui pourtant imitent largement le C en général, et souvent les formats de printf() en particulier, n'ont apparemment toujours pas reçu le memento. Ou alors ils se sont contentés du service minimal : avoir une fonction float_from_hex ou float_to_hex cachée dans une obscure bibliothèque n'est pas une excuse valable : dans tout contexte où on a le droit d'écrire 1.729e3 comme flottant, on devrait aussi avoir le droit d'écrire 0x1.b04p10 pour la même valeur, et toute fonction qui permet de produire une sortie devrait permettre de produire l'autre de façon à peu près aussi commode.

Je ne vais pas dresser la liste (déprimante) des situations où ça ne marche pas : je vais plutôt encourager mes lecteurs à essayer tous leurs programmes ou langages préférés et constater par eux-mêmes lesquels acceptent le nombre 0x1.b04p10 comme un nombre valable partout où ils acceptent 1.729e3. Vous pouvez signaler les résultats dans les commentaires de cette entrée, mais encore plus productif serait de soumettre un rapport de bug contre chacun des programmes qui ne comprend pas parfaitement ce format, surtout si vous pensez arriver mieux que moi à éviter de dire des choses désagréablement sarcastiques sur le fait que l'implémentation ne soit pas encore faite.

[Correction/précision : c'est bien 0x1.b04p10 qui doit être reconnu comme 1.729e3, j'avais initialement oublié le préfixe 0x ci-dessus. Remarquons, ça peut aussi être intéressant de vérifier que le programme ou langage reconnaît 0x6c1 pour 1729 : si ce n'est pas le cas, à la limite, il a une excuse (un autre format pour désigner l'hexadécimal, pourquoi pas, mais quel qu'il soit, il ne faut pas se contenter des entiers).]

Mais le plus probable, et c'est là la source majeure de crottes de ragondin en informatique, est que les mainteneurs des différents programmes ou langages à qui on fera le reproche de ne pas supporter le format en question, sortiront toutes sortes d'excuses de la plus pure mauvaise foi pour expliquer ce manque. Parmi les excuses prévisibles : le fait que la grammaire du langage serait compliquée à changer, le fait qu'il faille passer par un processus de standardisation[#] avant d'y toucher (avec souvent le cycle vicieux évident : on ne peut standardiser que des ajouts qui auront été bien testés avant, et on ne peut ajouter que des choses standardisées), le fait que la fonction est disponible sous le nom d'une fonction float_from_hex ou float_to_hex cachée dans une bibliothèque obscure, ou derrière une option -DENABLE_OBSCURE_LANGUAGE_FEATURES ou quelque chose comme ça[#], ou encore le fait que ce langage est fait pour les débutants qui n'ont pas besoin de manipulation fine de flottants ou simplement que ce n'est pas le C donc il n'y a pas de raison de recopier les fonctionnalités de ce langage. Tout ceci est, bien sûr, de la plus pure hypocrisie, parce que la vraie raison est plus proche du not invented here que d'autre chose.

[#] Oui, gcc/glibc, vous êtes visés, vous qui exigez qu'on écrive quelque chose comme -D_XOPEN_SOURCE=1 ou -D_DEFAULT_SOURCE=1 ou -std=gnu99 juste pour pouvoir utiliser M_PI dans un programme C99 (ou C11). Franchement, ceci est d'une connerie invraisemblable : d'abord et surtout, le standard C mérite une paire de baffes pour avoir défini les fonctions trigonométriques dans <math.h> sans avoir défini π à la précision voulue (et bien sûr, maintenant c'est trop tard pour l'ajouter rétroactivement, il faut attendre un nouveau standard) ; et ensuite, gcc est un peu pénible dans son interprétation psychorigide du standard (franchement, croit-on une seule seconde à l'existence d'un programme qui utiliserait l'identificateur M_PI autrement que pour le nombre π ? si oui, de toute façon, le programmeur qui a pondu ça mérite d'être pendu haut et court, pas que le compilateur ménage son programme).

C'est quelque chose de profondément déprimant en informatique : même quand on a trouvé la solution d'un problème ou d'un bug (le problème étant, ici, de représenter les flottants de façon fiable et reproductible, facilement corrélable à leur écriture binaire), il faut souvent se battre contre un nombre invraisemblable de moulins à vent pour que cette solution arrive vraiment à l'endroit où elle est censée arriver et puisse enfin servir. Typiquement, il faudra d'abord se battre pour convaincre les mainteneurs de tel ou tel programme que le problème est réel et que la solution est utile : même si on y arrive, la solution en question atterrira généralement dans une branche « développement » du programme qu'on prétend réparer, et il faudra attendre de nombreux mois, voire des années, pour que cette branche de developpement devienne la branche stable (apportant avec elle toutes sortes de nouveaux problèmes qu'on aura le plaisir à combattre de nouveau), et même une fois que c'est fait, il peut encore falloir très longtemps pour que le programme arrive vraiment sur les ordinateurs où on veut l'utiliser (par exemple parce que derrière les mainteneurs du programme, il y a encore les mainteneurs de la distribution : si on parle de Debian, quand on rate la fenêtre pour une distribution stable, on gagne un bon nombre d'années d'attente supplémentaire ; si on parle d'un téléphone mobile, il faudra souvent attendre le bon vouloir du fabricant, qui ne viendra sans doute jamais sauf problème de sécurité urgent et encore). Et s'il y a un processus quelconque de standardisation dans l'histoire, le nombre de gens à convaincre et d'années à attendre pendant que l'histoire passe de comité en comité, devient carrément colossal. On se noie dans les crottes de ragondin.

Et c'est particulièrement pénible quand on parle de fonctionnalités transverses (i.e., qui devraient être transverses) à toutes sortes de langages ou de contextes : le format %a des flottants, il devrait au moins être disponible partout où un langage ou un programme prétend réutiliser la syntaxe du printf() ou scanf() du C, ce qui fait beaucoup d'endroits. Rien de plus insupportable que les endroits où presque tout est disponible mais pas absolument tout (dans le genre, il y a aussi les pénibles qui ne comprennent pas le format %#x de printf() ou le format %e ou %z de strftime()). Ce n'est pas comme si c'était difficile de se tenir au courant des nouveautés de printf() pour les implémenter immédiatement, il n'y en a pas toutes les semaines.

Dans le même ordre d'idées, je peux donner une expérience personnelle précise : la famille de hachés cryptographiques SHA-2 (c'est-à-dire SHA-224, SHA-256, SHA-384 et SHA-512) a été standardisée en 2001. Peu après, j'ai commencé à râler que les fonctions en question n'étaient pas encore disponibles sous forme d'utilitaires (sha256sum, etc.) sur les systèmes Unix habituels. En 2005, comme mes râleries ne marchaient décidément pas, j'ai écrit le code d'utilitaires en question et je l'ai soumis au projet GNU pour inclusion dans les coreutils. Sauf que, bien sûr, les coreutils avait subi un changement majeur entre temps, donc j'ai dû réécrire mon code pour la version de développement. Qui a mis je ne sais combien de mois ou d'années à être distribuée. Entre temps, j'ai aussi dû signer un transfert de copyright du code à la FSF (pour l'anecdote, j'ai d'ailleurs reçu un autocollant en paiement, une sorte d'astuce légale pour que le transfert de copyright soit effectif dans certaines juridictions où il faut qu'il y ait une forme de rémunération). Puis il a fallu encore du temps pour que ce code arrive vraiment sur les machines que j'utilisais : entre temps je devais, à chaque mise à jour des coreutils pour un problème de sécurité quelconque, refaire mon patch et le distribuer sur chacune des N machines où je l'utilisais. Et ceci ne concerne que le projet GNU : certains ont été encore plus lents à avoir les utilitaires en question, il me semble que mon téléphone sous Android/CyanogenMod ne les a (via BusyBox) que depuis très récemment, et je suis sûr qu'il existe encore des systèmes qui ont un utilitaire pour calculer un SHA-1 mais pas de SHA-2.

Ce que je n'arrive pas à comprendre, c'est pourquoi certaines fonctionnalités basiques peuvent prendre si longtemps à traverser le pipeline entre l'écriture et la disponibilité universelle, alors que par ailleurs certains programmes ou langages, et parfois les mêmes qui mettent si longtemps à incorporer ces fonctions si simples, nous inondent de changements profonds et incompatibles. Il faudrait décidément apprendre la litière aux ragondins.

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(lundi)

Compte-rendu de voyage à Dublin

Mon poussinet et moi avons passé un week-end étendu à Dublin. Destination choisie selon le critère que je ne consens à peu près à voyager que dans des villes où je ne me sente pas trop dépaysé, or il s'agissait d'une des quelques capitales de l'Union européenne que mon poussinet n'avait pas encore visitées. Et sinon, le fait qu'il s'agisse d'une grande ville anglophone où on utilise l'euro (plutôt qu'une monnaie désagréablement surévaluée comme la livre), voilà qui est plutôt positif. Nous avons eu de la chance avec la météo, puisque nous n'avons pas eu de pluie.

☞ Mes photos sont ici (globalement sans intérêt, comme d'habitude, d'autant qu'il y en a beaucoup qui me servent simplement à prendre note du fait que j'étais à tel heure à tel endroit ; cliquer sur le ‘i’ entouré dans le coin pour voir le titre, l'heure et le lieu).

Il faut préciser que notre façon de passer notre temps en vacances n'est pas de faire le marathon des musées ou des attractions touristiques mais de flâner tranquillement à la recherche des quartiers sympa, en rythmant cette balade par des repas (petit-déjeuner, déjeuner ou brunch, goûter, dîner… chacun pouvant éventuellement être séparé en deux — plat et dessert — si on veut prendre le café ailleurs), si possible en des endroits d'où on peut regarder les gens passer. Dublin est très bien de ce point de vue-là : là ville est à la fois assez grande pour qu'il y ait beaucoup d'endroits intéressants (en tout cas largement de quoi meubler trois jours) et assez petite pour qu'on puisse se promener tout le temps à pied. Et pour ce qui est de manger, il y a une abondance et une concentration assez impressionnantes de restaurants et de cafés, surtout quand on vient de Paris où on a la sensation que tous les commerces du centre se transforment en boutiques de fringues hors de prix. Et si l'Irlande n'est pas spécialement renommée pour sa gastronomie, ce n'est pas important : d'une part, il y a beaucoup de diversité dans le style des cuisines, d'autre part, nous cherchons plutôt des endroits agréables que de la haute cuisine.

Ce qui m'a plus surpris, c'est d'une part que ce n'est pas spécialement bon marché : je ne sais pas exactement pourquoi, mais j'imaginais que Dublin le serait — or dans les faits, les prix étaient sans doute en-dessous de ceux de Londres, mais à peine en-dessous de ceux de Paris. D'autre part, et ce n'est sans doute pas sans rapport, à quel point c'est populaire : quasiment chaque endroit où nous avons mangé était plein (mais nous avons eu beaucoup de chance, c'était plein juste après notre arrivée). Je ne sais pas si c'est toute l'Europe qui vient ici pour boire de la Guinness ; mon poussinet et moi ne buvons pas, mais il y avait beaucoup de Français et d'Allemands, quelques Italiens et Espagnols, et j'imagine énormément d'Anglais même s'ils sont moins évidents à repérer, et à partir d'une certaine heure on sentait bien que le taux d'alcoolémie moyen des touristes était plutôt élevé. Par ailleurs, le centre-ville (autour de ce coin-là et les deux quais de la Liffey) est un peu un embouteillage permanent : excepté dimanche autour de 10h, à chaque fois que nous passions, c'était pare-choc contre pare-choc. Le fait qu'ils soient en train de mettre en place une nouvelle ligne de tramway ne doit pas aider, mais il sera certainement utile parce que les transports en commun ont l'air assez nuls. Il faut aussi dire qu'Élizabeth Ire a été un peu pénible à fonder une université qui bloque tout en plein milieu de la ville, elle aurait pu penser à la circulation des voitures.

À part ça, Dublin m'a semblé très hétéroclite. Certains endroits ressemblent comme deux gouttes d'eau à Londres, mais on peut faire deux pas et arriver quelque part qui titillait mes neurones à Amérique du Nord (peut-être à cause du nombre d'églises modernes en faux gothique). Certains endroits me faisaient penser spécifiquement à New York, d'autres à Toronto (je serais incapable de dire pourquoi exactement). D'autres encore, à un lieu non spécifié en Allemagne. Les quartiers à l'architecture moderne vers l'est de la ville évoquent Rotterdam ou la HafenCity de Hambourg — d'autres endroits où on a reconverti des installations portuaires en immeubles d'habitations tout neufs. (J'aime facilement ce style architectural — le problème est surtout que ces quartiers nouveaux peuvent manquer de vie.) Quant à l'ouest du centre-ville, où tout semble appartenir à Guinness, il est plutôt déprimant, dans le style des entrepots immenses aux façades aveugles. • La rivière donne une orientation claire à la ville, mais elle n'est pas large au point de la couper en deux (c'est juste dommage qu'elle soit flanquée de quasi-autoroutes des deux côtés). Les parcs ne sont pas très nombreux, mais j'ai bien aimé St. Stephen's Green où les goélands et autres laridés sont bien plus nombreux que les canards et autres anatidés sur les plans d'eau, et surtout Iveagh Gardens, juste à côté mais beaucoup moins visité, un petit bijou un peu caché. Nous avons aussi apprécié quelques quartiers piétons agréables (si Temple Bar est un peu trop touristique et bondé, il y a des rues comme Grafton Street ou Henry Street qui semblent un peu plus fréquentées par les locaux), ainsi que quelques centres commerciaux bien aménagés. • Enfin, je dois dire que je n'avais jamais entendu parler de la Spire de Dublin (aiguille ? colonne ? tour ? spirale ?), une sculpture(?) d'acier en forme d'aiguille de 121m de haut, franchement impressionnante à voir. (Je ne sais pas comment j'ai réussi à ne pas la prendre en photo ; mais bon, ce n'est pas comme si c'était difficile d'en trouver des photos.)

Tout ce qui est officiel est écrit en irlandais (=gaélique irlandais) avant de l'être en anglais : c'est d'ailleurs un bon indicateur pour savoir si quelque chose est officiel, parce qu'à part les autorités qui essaient de maintenir cette langue en vie, il semble qu'essentiellement personne[#] n'utilise l'irlandais, au moins à Dublin. Je ne sais pas vraiment ce qu'il faut penser des tentatives pour garder des langues vivantes face à l'anglais et leur éviter d'être oblitérées par lui (problématique qui concerne d'ailleurs peut-être toutes les langues du monde à l'exception du chinois ? ça me fait penser que je dois toujours écrire la suite de cette entrée). • Toujours est-il que l'irlandais est une langue au moins intéressante à voir écrite : les mots paraissent à la fois totalement invraisemblables et bizarrement poétiques jusqu'au moment où on comprend qu'elle ne se prononce pas du tout comme elle s'écrit. (Exemple au pif : le mot amhlaidh, qui veut dire ainsi, ne se prononce pas du tout comme on peut se l'imaginer à partir de son écriture, mais bien [auliː], à peu près comme le mot anglais owly.) Cette prononciation semble d'abord complètement chaotique (comme celle de l'anglais, en fait…), mais en fait elle n'est pas si irrégulière que ça. Il y a juste quelques choses un peu surprenantes, comme le fait que ao se prononce [iː] ou mh [w] ou [v] (pour combiner les deux, le prénom Caoimhe, qui se donne parfois en Angleterre ou aux États-Unis, se prononce [kiːvə], et se note donc parfois Kiva en anglais). Il y a beaucoup de façons d'écrire un même son et pas mal de lettres qui ne se prononcent pas. Et surtout, il y a la règle qui veut que les consonnes de l'irlandais soient ou bien « larges » (en gros l'équivalent des consonnes « dures » du russe, c'est-à-dire, essentiellement, vélarisées) ou bien « fines » (en gros l'équivalent des consonnes « molles » / « mouillées » du russe, c'est-à-dire, essentiellement, palatalisées) et que pour marquer quelle consonne est quoi l'orthographe demande qu'une voyelle adjacente (=avant ou après) à une consonne large soit a/o/u tandis qu'une voyelle adjacente à une consonne fine soit e/i, quitte à introduire des voyelles qui ne se prononcent pas et qui servent juste à marquer le caractère large ou fin de la consonne. Ainsi, le mot irlandais seaicéad, prononcé [ʃakʲeːd], est-il juste la transcription du mot anglais jacket, le premier ‘e’ servant juste à marquer que l'‘s’ qui précède est fine, le ‘i’ servant à marquer la même chose pour le ‘c’, et le ‘a’ servant à marquer que le ‘d’ est large, si bien que ces voyelles ne se prononcent pas et qu'au final le mot ressemble plus ou moins au mot anglais qu'il transcrit. Une fois qu'on a compris ça, la prononciation de la langue devient soudainement moins mystérieuse.

[#] Tous les écoliers irlandais sont censés l'apprendre, mais apparemment le niveau qu'ils atteignent à la fin de leur scolarité est souvent déplorable, et à peine 40% de la population de la république d'Irlande est capable de parler l'irlandais. La langue est encore vivante dans des régions (Gaeltachtaí) de l'ouest de l'Irlande, mais même là elle est en voie d'être supplantée par l'anglais. D'après Wikipédia, il y aurait un certain renouveau de l'irlandais dans les centres urbains, notamment Dublin, mais le fait est que je n'ai entendu personne le parler dans la rue, sauf peut-être une fois, et encore je n'en suis pas sûr.

Nous sommes partis juste sur le week-end du changement d'heure, ce qui veut dire que nous avons été successivement en +02:00 (en France avant le départ), +01:00 (en arrivant en Irlande), +00:00 (dimanche après le changement d'heure) et de nouveau +01:00 (en rentrant en France). Ce n'est pas comme si c'étaient des gros changements, mais tout ça était tout de même un peu confusant. • Par ailleurs, on sentait bien l'approche de Halloween, qui a l'air très fêté en Irlande (ou du moins à Dublin) si on en juge par le nombre d'affiches et de ventes spéciales à ce sujet.

Sinon, il n'y a pas qu'avec la météo et avec les restaurants que nous ayons eu de la chance. Nous nous sommes rendus compte, hier dimanche à peine une heure avant l'heure limite d'enregistrement des bagages pour notre vol de retour, que nous avions totalement sous-estimé le temps nécessaire pour rejoindre l'aéroport dans l'embouteillage géant qu'est le centre-ville de Dublin : voyant que nous venions de rater un bus à l'arrêt où nous pensions le prendre, et que le suivant n'arrivait décidément pas, mon poussinet m'a fait courir en direction des arrêts suivants, alors même que nous ne savions pas vraiment quel trajet faisait la ligne (d'ailleurs, je n'y comprends toujours rien) ; nous avons doublé un bus comme ça, et peut-être même un deuxième, et sommes tombés un peu miraculeusement sur un autre arrêt de la ligne où un véhicule vide sorti de nulle part nous a ramassés et amenés à l'aéroport tout juste à temps pour courir à l'enregistrement.

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(lundi)

La malédiction de la lecture en diagonale

Déjà il y a douze ans, je me plaignais d'avoir trop tendance à lire en diagonale et d'avoir le plus grand mal à me forcer à faire attention à chaque mot individuel d'un texte d'une certaine longueur. Et le problème n'était pas neuf : déjà quand j'étais tout juste entré à l'ENS, je lisais la feuille de chou hebdomadaire des élèves en quelques secondes alors que j'avais un copain qui y passait tout le dîner, et qui me prouvait après coup que je n'avais rien lu, rien compris et rien retenu (et je m'émerveillais qu'il eût réussi à extraire du contenu de ce qui m'avait semblé complètement vide). Il y a quelques années, des nouvelles ont circulé que l'Internet était en train de reconfigurer le cerveau des internautes et que nous perdions la capacité à faire attention aux choses : je ne sais pas ce que ces articles disaient au juste, parce que je les ai lus en diagonale. ☺️ Mais je suis prêt à croire que ma tendance à lire en diagonale ait été accentuée, et soit encore accentuée, par la quantité phénoménale d'informations qu'Internet me présente quotidiennement et dont je préfère parcourir beaucoup en diagonale que le dixième en profondeur.

C'est ironique quand je suis moi-même du genre à écrire des montagnes de texte, que je n'aurais pas le temps de lire moi-même si je n'en étais pas l'auteur. (Je fais cependant des efforts pour rendre mes textes aussi compatibles que possible avec la lecture en diagonale. En fait, non : j'aimerais bien faire de tels efforts, mais je ne sais pas vraiment comment m'y prendre, et je pense que ce que je fais est un échec complet. D'ailleurs, cette parenthèse est sans doute l'exemple parfait de ce qu'il ne faut pas faire pour rendre un texte facile à lire en diagonale. ☹️) En vérité, je n'arrive même pas à relire mes propres textes : si j'essaie de me relire, mon cerveau passe en mode « ah oui, je sais ce que ce paragraphe dit » et je saute à travers ce que j'ai écrit à la vitesse de l'éclair, en lisant ce que je crois avoir voulu écrire et pas ce que j'ai réellement écrit. Du coup, toutes les fautes de frappe, d'orthographe, de grammaire et de syntaxe, même les plus énormes, me sont totalement invisibles, même si je relis vingt fois. Y compris des ruptures de construction qui font que le texte ne veut rien dire : cela arrive fréquemment quand je déplace un morceau de texte — un mot, un complément, une proposition, un bout de phrase ou plus — d'un endroit à un autre, et que je délimite mal mon couper-coller, déplaçant ou supprimant parfois un mot de plus que je le voulais, ou entraînant des incohérences grammaticales (langue à la con que le français qui peut obliger à revoir énormément d'accords parce que j'aurais remplacé, par exemple, le fait par l'idée : on peut être sûr que je vais en oublier).

La seule façon que je trouve encore de me forcer à tout lire, c'est de lire à voix haute. (Et encore, l'idéal serait sans doute de lire à voix haute, de m'enregistrer, et de réécouter ce que je dis, histoire que ma concentration ne soit pas détournée sur la prononciation.) Je fais ça pour mes fragments littéraires gratuits, mais cela consomme un temps énorme. Ce que je ne sais vraiment pas faire du tout, c'est placer le curseur à un point intermédiaire entre la lecture en diagonale qui est devenue mon habitude et la lecture à haute voix.

Pour ce qui est des mathématiques, notamment des démonstrations mathématiques, le mieux que j'aie trouvé est de me forcer, si j'ai un doute, à réexpliquer l'argument de la démonstration ou du bout de démonstration que je viens de lire. Mais ceci repose sur le fait que dans une démonstration mathématique, seule importe la correction du raisonnement (à la limite, si j'ai lu en diagonale et trouvé une autre démonstration du théorème énoncé — ce qui, avouons-le, est fort peu probable — ce n'est pas grave). Pour une définition, la lecture en diagonale peut être très dangereuse, comme quand je me rends compte dix pages plus loin que je n'avais pas fait attention au fait que le bazqux était supposé localement frobniquable dans la définition d'un foobar bleuté (et que j'avais juste cru lire frobniquable).

Et ne parlons pas de la situation hautement embarrassante et mainte fois vécue où j'accuse quelqu'un de dire n'importe quoi, ou d'oublier de tenir compte quelque chose d'essentiel dans un raisonnement, ou quelque chose du genre, et qu'on me fait remarquer que j'ai terriblement mal lu ce à quoi je réponds.

Ajout () : Cette vidéo propose une solution intéressante au problème de la lecture en diagonale (et de la pensée trop rapide en général) : utiliser une police de caractères plus difficile à lire. Il faudra que je voie si ça marche pour m'aider à repérer les fautes de frappe. • Voir aussi : Diemand-Yauman, Oppenheimer & Vaughan, Fortune favors the bold (and the italicized): effects of disfluency on educational outcomes, Cognition 118 (2011), 111–115.

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(lundi)

Encore une râlerie sur CUPS

J'ai déjà dit que je détestais CUPS ? Ah oui, et plus d'une fois.

Le contexte : Télécom ParisSaclayPloumTech a mis en place un nouveau système d'impression : maintenant, pour imprimer un document, il ne nous est plus possible de simplement l'envoyer à l'imprimante et aller le chercher un peu plus tard : à la place, il faut l'envoyer à un serveur centralisé, puis marcher jusqu'à l'imprimante, badger avec notre carte RFID, sélectionner le document qui est censé être apparu dans une liste de travaux d'impression, et poireauter le temps que l'imprimante fasse son travail. Le motif officiel du changement est que c'est tellement plus simple, plus commode, plus confidentiel et globalement plus mieux comme ça. Le motif réel est sans doute de contrôler la dépense de consommables : ce qui est parfaitement légitime, parce que vu que j'ai déjà gâché une centaine de pages juste pour réussir à faire fonctionner tout ce foutoir, j'imagine effectivement qu'il y a beaucoup de pertes, et le fait de devoir attendre devant l'imprimante pour que le document sorte limitera sans doute le zèle dont on peut faire preuve en matière de consommation de papier.

Maintenant, pour imprimer avec ce système centralisé, il faut soumettre le document au serveur CUPS central (qui va ensuite l'envoyer à l'imprimante qui le demande, je ne sais pas par quel protocole). Il faut donc convaincre mon serveur CUPS local (celui qui tourne sur mon ordinateur de bureau) d'envoyer les documents que je veux imprimer au serveur CUPS central de l'école. Jusque là, pas de difficulté : il suffit de déclarer une imprimante ipps://le-serveur-centralise.telecom-parissaclayploumtech.tld/printers/Central_Printer et d'y envoyer tout. • La difficulté, en revanche, c'est que mon nom d'utilisateur n'est pas le même sur ma machine locale (où c'est mon prénom) que sur le système d'authentification de l'école dont dépend le serveur centralisé (c'est mon nom de famille). En principe, il devrait suffire de changer l'adresse ci-dessus en ipps://monlogin@le-serveur-centralise.telecom-parissaclayploumtech.tld/printers/Central_Printer pour que ça marche. Sauf que cet imbécile de CUPS ignore purement et simplement la partie monlogin@ de l'adresse sans me dire ni que l'adresse est incompréhensible ni qu'il ne peut pas utiliser de login différent ni quoi que ce soit. Pas de panique : on peut aussi changer les options job-originating-user-name ou requesting-user-name dans les réglages de l'imprimante. Sauf qu'en fait non : soit je n'ai pas réussi à trouver comment les changer, soit ça n'a aucun effet (de nouveau, ces paramètres sont ignorés silencieusement, ils ne provoquent pas d'erreur ou d'avertissement quelconque). • Bon, alors que conseille le service informatique ? Une solution affreuse : au lieu de changer le login auquel le document sera envoyé sur leur serveur à eux, ils proposent de le changer dès le serveur local (i.e., envoyer les documents à mon serveur CUPS local sous mon nom de login distant). Cette solution est affreuse, parce que ça suppose que je ne parlerai jamais à d'autre serveur CUPS (ce qui est sans doute vrai de ma machine de bureau, mais beaucoup plus incertain pour ce qui est de mon portable), ou en tout cas d'autre serveur CUPS sur lequel j'aurais un login différent. Elle est affreuse, aussi, parce que ça veut dire que je dois la répéter pour chacun des comptes sur mon ordinateur local sur lequel je peux avoir envie d'imprimer. Et elle est affreuse parce que ça signifie que tous les mécanismes de configuration de CUPS par l'interface Web ne vont pas en tenir compte (par exemple, ça casse la possibilité d'imprimer une page de test simplement). Mais admettons, je me résous à cette solution affreuse. Je modifie donc mon $HOME/.cups/client.conf pour y ajouter User monlogin (et je redémarre tout ce qui a un rapport avec CUPS). Est-ce que ça marche ? Non, bien sûr : de nouveau, la précision est purement et simplement ignorée. Finalement, ce qui a marché est d'ajouter une variable d'environnement CUPS_USER=monlogin (et ajouter une variable d'environnement dans les environnements graphiques d'Unix, i.e., convaincre tout le labyrinthe de programmes Gnome, KDE ou autres de propager la valeur de cette variable, ce n'est d'ailleurs pas du gâteau).

Bon, à la limite, je ne me plains pas du fait qu'on doive changer une variable d'environnement ou autre chose. Mais ce qui est franchement insupportable, c'est toutes ces tentatives qui ne font tout simplement rien. Si le serveur ne comprend pas une adresse en ipps://login@server, il devrait la refuser, pas ignorer silencieusement la partie qu'il ne comprend pas ! Si les programmes ne comprennent pas la directive User dans le .cups/client.conf, ils devraient le signaler, pas l'ignorer silencieusement.

Et l'autre chose pénible, c'est que même si maintenant j'ai quelque chose qui marche, est évident que cette solution n'est pas robuste du tout : tôt ou tard, je vais me retrouver dans une situation où la variable CUPS_USER aura disparu (par exemple parce qu'Ubuntu aura changé une fois de plus son mécanisme de démarrage des sessions graphiques et donc cassé mon code) ou bien elle va cesser de fonctionner, ou encore je vais oublier qu'elle est là et vouloir me connecter à un autre serveur et ne pas comprendre pourquoi mon login est madore plutôt que david, ou je ne sais quoi encore. Forcément, ce truc va revenir me mordre un jour ou un autre, et je ne vois vraiment pas comment l'éviter.

[Références : ce bug Ubuntu et ce thread sur serverfault.]

Et hop, une entrée de plus pour le Unix-Haters Handbook.

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(dimanche)

Encore quelques réflexions décousues sur l'écriture, la ponctuation et la typographie

J'évoquais l'an dernier, au milieu d'autres problématiques du même acabit, la question un peu byzantine suivante : si on admet que le français utilise, dans ses conventions typographiques, des guillemets différents de l'anglais, que doit-on faire quand un texte français cite un texte anglais (ou vice versa) ? Mais il y a une question préliminaire que j'aurais dû me poser, c'est : comment se fait-il que l'anglais et le français se soient retrouvés avec des conventions typographiques différentes, et est-il justifiable ou souhaitable de maintenir cette distinction ?

Considérons une règle typographique comme la suivante : les ponctuations doubles (point d'exclamation, point d'interrogation, deux points, point-virgule) sont précédées d'une espace insécable, et, pour être encore plus précis, cette espace insécable est fine (généralement qualifiée de quart de cadratin) s'agissant de toutes sauf les deux points[#] pour lesquels elle est normale (i.e., justifiante). Cette règle figure à l'entrée ponctuation du Lexique des règles typographiques en usage à l'Imprimerie Nationale[#2], et pour une raison assez obscure, on tire généralement la conclusion que la règle doit s'appliquer en fonction de la langue dans laquelle on écrit plutôt que — ce qui serait tout aussi légitime — l'imprimeur (et notamment sa nationalité). Prenons un autre exemple : il est sous-entendu dans le paragraphe précédent que le choix entre les guillemets français (« comme ça ») et les guillemets anglais (“comme ça”) est fait en fonction de la langue dans laquelle on s'exprimer (laissant de côté toute subtilité liée au mélange de deux langues). Mais historiquement, c'est juste que les éditeurs et imprimeurs français, qui se trouvaient imprimer des ouvrages en français, utilisaient les guillemets en forme de chevrons, et les éditeurs et imprimeurs anglais, qui se trouvaient imprimer des ouvrages en anglais, utilisaient des guillemets en forme de virgules surélevées. (D'ailleurs, historiquement, les guillemets français viennent des guillemets anglais, déplacés plus bas et stylisés par certaines polices de caractères.) Maintenant que l'informatique nous permet de tous être imprimeurs virtuels, il n'est pas du tout évident que nous devions suivre les conventions des imprimeurs français pour écrire du français et des imprimeurs anglais pour écrire l'anglais.

Voici quelques raisons de penser autrement. Je pourrais d'abord évoquer le cas du latin[#3] : il est couramment admis qu'il est légitime, quand on cite du latin, de ne pas le faire entièrement en majuscules, sans espace ni ponctuation, et en utilisant la même lettre pour U et V, sous prétexte que les romains faisaient comme ça. La question de savoir si le latin doit utiliser des guillemets en forme de chevron ou en forme de virgule, ou comment on doit espacer un point d'interrogation dans un texte latin, est visiblement une question complètement stupide : pourquoi en serait-il autrement sous prétexte que le texte est dans une langue vivante ? • Personne ne soutiendra non plus que les polices didones doivent servir spécifiquement pour typographier du français. Pendant des décennies, on a entretenu l'illusion, ou au moins le débat, sur le fait que l'allemand, comme quelques autres langues germaniques, devait être écrit en une forme de « gothique » (typiquement, la Fraktur), et on voyait des livres changer consciencieusement d'alphabet (ou de police, selon la manière dont on voudra considérer la chose) quand ils passaient de l'allemand à une autre langue… jusqu'au moment où on s'est enfin rendu compte de l'absurdité de cet usage ; et certains des arguments pour défendre l'idée que l'allemand doit être écrit en Fraktur nous semblent maintenant à mourir de rire. [Ajout : à ce sujet, voir cette entrée ultérieure.] S'il est stupide de changer de police de caractères, pour quelle raison devrait-on changer de forme de guillemets ou d'espacement de certaines ponctuations sous prétexte qu'on change de langue ?

Il y a toutes sortes d'autres usages considérés comme liés à la langue qu'on peut chercher à reconsidérer. L'espagnol, par exemple, utilise des ponctuations inversées pour marquer le début des phrases ou propositions interrogatives et exclamatives : mais ¿ est-ce l'espagnol qui le fait ou sont-ce les éditeurs et imprimeurs espagnols qui le font ? — et surtout, si cette convention aide à la compréhension de la structure du texte, ¿ pourquoi donc la réserver à une seule langue ? (Je ne prétends pas qu'il n'y a pas de raison valable : si l'espagnol marque les phrases interrogatives par la seule intonation, il est légitime de faire figurer cette intonation, à l'écrit, de façon plus visible que dans une langue où une structure grammaticale, comme une inversion du sujet, rend visible le caractère interrogatif de la phrase. D'un autre côté, le français, au moins le français parlé, marque volontiers les interrogations par la seule intonation, et ¡ aucune langue que je connais n'a de structure grammaticale spéciale pour les phrases exclamatives !) On peut aussi s'interroger sur l'Opportunité, en Allemand, de marquer chaque Nom par une Majuscule (j'aimerais bien savoir comment cette Habitude est née), alors que des Langues tout à fait proches, comme le Néerlandais, ne le font pas : si cette Convention aide à la Compréhension écrite, pourquoi ne pas l'adopter dans d'autres Langues, et si elle n'a aucun Intérêt, pourquoi la perpétuer ? La frontière entre typographie, ponctuation, orthographe et grammaire est toujours un peu incertaine : quand on m'affirme péremptoirement que c'est la grammaire allemande qui exige des majuscules aux noms communs, je demande selon quelle règle on décide que cette question précise relève de la grammaire.

Questions d'habitude ? Certes, mais l'habitude d'écrire l'allemand en Fraktur était aussi bien ancrée : les habitudes se changent, et peut-être les premières polices sans empattement ont-elles choqué, ça n'empêche pas qu'elles existent maintenant. Je pense qu'il serait intéressant de faire des expériences en la matière : pour chacune de ces conventions typographiques (forme des guillemets, espacement autour des ponctuations, utilisation de ponctuations inversées, utilisation de majuscules à chaque nom, utilisation de majuscules tout court), faire lire des textes en variant la convention, et ce, dans différentes langues, et mesurer si la convention apporte effectivement une différence mesurable dans l'efficacité de la lecture (temps de lecture, niveau de compréhension), ou dans l'appréciation subjective de la qualité du texte (on ne précisera pas, bien sûr, quel est le paramètre testé). Autant je veux bien croire que l'allemand écrit sans majuscules à chaque nom soit véritablement déstabilisant pour un germanophone et ralentisse la compréhension, autant j'ai beaucoup plus de mal à le croire s'agissant de la forme des guillemets dans une langue quelconque (même, s'agissant de l'allemand, s'il s'agit carrément d'une inversion du sens dans lequel ils pointent).

[#] Pourquoi diable les deux points auraient-ils droit à un espacement différent du point-virgule, d'ailleurs, voilà quelque chose dont je ne comprends ni la cohérence ni l'élégance. Si j'avais un peu de courage, j'essayerais de retrouver quelle est l'origine historique précise de cette subtilité-là.

[#2] (Radotage.) J'ai déjà dû exprimer à plusieurs reprises sur ce blog mon étonnement que cet ouvrage confus, mal écrit, mal organisé, et parfois carrément incohérent, soit si souvent érigé en bible de la typographie française. C'est d'autant plus étonnant que le Lexique lui-même ne prétend pas être chose qu'une convention interne à l'Imprimerie nationale (et même pas toute l'Imprimerie nationale puisque j'ai déjà souligné que le Journal Officiel, lui, n'utilise pas d'accents sur les majuscules).

[#3] Encore plus bizarre que le cas du latin est celui du grec : le grec ancien, bien sûr, n'avait pas de ponctuation, mais dès le 8e siècle, un point d'interrogation est apparu en grec qui, par malchance, est graphiquement identique au point-virgule des langues s'écrivant avec l'alphabet latin. Ce point d'interrogation est resté en grec moderne (ce qui ne l'a pas empêché d'importer le point d'exclamation « standard »). Unicode identifie canoniquement les deux caractères (U+003F QUESTION MARK et U+037E GREEK QUESTION MARK). Pour l'équivalent du point-virgule (et, en transcription moderne du grec ancien, des deux points), on utilise parfois un point intermédiaire, c'est-à-dire à l'emplacement du point supérieur des deux points (en Unicode, U+0387 GREEK ANO TELEIA, unifié canoniquement avec U+00B7 MIDDLE DOT). Bref, c'est un peu le bordel. Mais au moins le grec a-t-il une excuse pour avoir une ponctuation différente, c'est qu'il a un système d'écriture différent : et si on voit mal pourquoi la ponctuation devrait changer selon la langue, il est déjà plus compréhensible qu'elle varie selon le système d'écriture : si on transcrit du grec en alphabet latin, on va sans doute utiliser le point d'interrogation « standard ». (Ceci étant, je pense que si j'écrivais en grec, j'aurais tendance à l'importer dans cet alphabet aussi, par cohérence avec le point d'exclamation.)

Il y a d'autres choses qui sont parfois considérées comme dépendant de la langue et dont on peut s'interroger sur la pertinence. Le choix du séparateur décimal, par exemple (entre un point et une virgule) : en fait, il y a aussi le séparateur des milliers, mais l'ISO a mis son poing sur la table et décidé — fort à raison — qu'on ne doit pas utiliser autre chose qu'une éventuelle espace fine comme séparateur des milliers. (Je ne vais pas non plus m'étendre sur les choses comme le format des dates, ce serait digresser un peu loin de mon sujet.) Pour ce qui est du séparateur décimal, en revanche, l'ISO a tergiversé et fini par admettre que le point et la virgule sont tous les deux admissibles : personnellement, j'utilise systématiquement le point quand je tape des nombres dans un ordinateur (parce que ça simplifie le copier-coller dans plein de langages de programmation), et systématiquement la virgule quand j'écris à la main (parce que le point a tendance à disparaître), et je pense que c'est de loin la convention la plus raisonnable, alors que je ne vois vraiment pas le sens qu'il y aurait à écrire 1,25 sous prétexte que j'écris en français, ou 1.25 sous prétexte que j'écris en anglais — un nombre, c'est un nombre, c'est justement censé être universel.

Au rayon des nombres, on peut noter la convention sur l'écriture des unités monétaires : la convention aux États-Unis est fermement d'écrire $20 pour vingt dollars, et pas 20$, et il en va de même au Royaume-Uni où on écrit £20 pour vingt livres et pas 20£ ; maintenant, la question à 42¤, ou peut-être ¤42, c'est de savoir si cette convention est une convention américaine et britannique, une convention de la langue anglaise ou une convention concernant le dollar et la livre. Après tout, on écrit 20¢ pour vingt cents aux États-Unis, et 20p pour vingt pence au Royaume-Uni (et avant la décimalisation, on écrivait 1/8d ou 1s8d pour un shilling et huit pence), ce qui suggère que la convention n'est pas liée uniquement à la langue mais à l'unité considérée ; mais les Québecois écrivent 20$ (et ce n'est pas parce qu'il s'agit du dollar canadien !). J'utilise généralement les codes ISO 4217 pour les unités monétaires (ça évite de se demander si ‘$’ fait référence au USD ou au CAD ou au AUD ou au NZD ou je ne sais quoi encore ; mais j'ai quand même souvent la faiblesse d'écrire ‘€’ au lieu de EUR) : mais même pour ces codes ISO 4217, personne n'a l'air de savoir si on doit les mettre devant ou derrière le nombre et dans quelles circonstances (l'Union européenne semble mettre devant le nombre en anglais et derrière dans les autres langues, mais je n'ai pas vérifié de façon très systématique).

Je pourrais aussi parler de la façon d'écrire les chiffres comme ‘1’ (avec ou sans barre ?), ‘7’ (avec ou sans barre médiane ?), ‘4’ (fermé ou pas ?), en écriture manuscrite, mais là, je pense qu'à peu près tout le monde sera d'accord sur le fait qu'il s'agit d'une différence géographique entre écritures et pas une convention liée à telle ou telle langue. Je vais donc m'arrêter là. Faites-moi penser une autre fois à parler aux majuscules cursives qui diffèrent d'un endroit à un autre, parce que j'ai toutes sortes de choses à raconter sur la forme des alphabets majuscule/minuscule, droit/italique/cursif latin/grec/cyrillique (donc dix-huit combinaisons à comparer).

Et puis je comptais aussi en profiter pour digresser sur l'importations d'anglicismes (de vocabulaire et de syntaxe) en français, au nom du principe général de l'interlinguisme, mais je pense que je vais garder ça aussi pour une autre fois.

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(mardi)

L'Univers et la cosmologie de FLRW

Avant-propos : Encore une entrée interminable dans laquelle j'ai bien failli me noyer !, commencée il y a environ trois mois, et que je publie dans un état, j'avoue, un peu inachevé et mal relu, parce que j'en ai vraiment marre de l'écrire. Il s'agit ici de parler de cosmologie. (Oui, je sais, j'ai laissé entendre que je pourrais écrire quelque chose sur la physique des particules, mais vous ne vous attendiez pas à ce que je fasse quelque chose que j'ai annoncé, quand même ?) La cosmologie, c'est l'étude de l'évolution physique de l'Univers : mais comme je suis mathématicien, je vais plutôt l'aborder sous l'angle mathématique. Un des points que je veux développer, justement, c'est que si la relativité générale est quelque chose d'assez compliqué, le cas particulier de la relativité générale qu'est la cosmologie de FLRW (Friedmann-Lemaître-Robertson-Walker), qui décrit l'évolution d'un univers homogène et isotrope (cf. ci-après) et qui s'applique fort bien au nôtre, demande beaucoup moins de bagage mathématique, et ça pourrait avoir un sens d'en parler en lycée (au moins si je compare avec ce qui était enseigné au lycée quand j'y suis passé — les choses ont pu changer depuis) ; d'autant plus que le Big Bang et l'expansion de l'Univers est un sujet qui, si j'en crois le nombre de tentatives qu'on fait pour le vulgariser, suscite au moins un certain intérêt — il est dommage qu'en plus de ces vulgarisations « grand public » on n'en trouve pas qui tentent d'aller un peu plus loin pour ceux qui ont des connaissances mathématiques un peu plus poussées. Disons qu'il s'agit en gros de savoir ce qu'est une équation différentielle ordinaire (ce qui est, donc, nettement plus simple que la relativité générale qui est décrite par un système sous-déterminé d'équations aux dérivées partielles) : même si je vais aussi dire un certain nombre de choses qualitatives ou historiques qui devraient pouvoir intéresser ceux de mes lecteurs qui ne savent pas ce qu'est une équation différentielle, mon propos principal est quand même de présenter, reformuler et commenter l'équation de Friedmann-Lemaître qui détermine l'évolution de l'Univers. Il sera aussi utile d'avoir quelques notions de relativité restreinte, même si je vais essayer de rappeler au fur et à mesure tout ce qui est pertinent.

Mode d'emploi : L'introduction est écrite de façon à être normalement compréhensible du grand public, et le survol qui suit demande également moins de notions mathématiques que le reste. Par ailleurs, de façon générale, j'essaie d'écrire mes longues entrées de manière à ce que les parties soient aussi indépendantes que possible les unes des autres (pour faciliter la vie des gens qui lisent en diagonale !) ; les passages qui sont des digressions, des approfondissements, ou qui pour d'autres raisons ne sont absolument pas nécessaires à la compréhension de l'ensemble sont en petits caractères (mais pas systématiquement). J'ai essayé de mettre des liens internes pour expliciter les références avant et arrière, mais je ne l'ai pas toujours fait de façon systématique, d'autant que ce texte a été écrit sur une période tellement longue que j'ai souvent perdu le fil de mes pensées. Pour cette raison, il y a aussi certainement beaucoup de redites dans ce texte, et d'incohérences dans le plan. Certains passages où je dois avouer mon ignorance sont marqués par un gros point d'interrogation (voir notamment ici où j'explique que je ne comprends pas vraiment ce que c'est que la pression en relativité) : si des gens plus qualifiés que moi peuvent m'Éclairer sur ces différents points, j'en serai heureux.

Structure : Après une introduction historique et un survol de la réalité physique, cette entrée comporte deux grandes parties : l'une est consacrée à la cinématique de l'univers de FLRW (les effets de l'expansion de l'Univers sans se poser la question de sa dynamique) l'autre à la dynamique, régie par les équations de Friedmann-Lemaître (pour les impatients : (a′/a)² = 8π·𝒢·ρ/3 − K₀/a² + Λ/3 d'une part, et a″/a = −4π·𝒢·(ρ+3𝓅)/3 + Λ/3 d'autre part, avec a la taille relative de l'Univers, 𝒢 la constante de Newton, ρ et 𝓅 la densité de masse-énergie et la pression respectivement, K₀ la courbure de l'espace pour a=1 et Λ la constante cosmologique), dont il s'agit d'expliquer le sens et comment on peut les résoudre.

Note : Je travaillerai toujours dans des unités dans lesquelles la vitesse de la lumière vaut 1, c'est-à-dire qu'une année et une année-lumière sont fondamentalement la même chose (même si j'essaierai de garder un semblant de distinction pour aider les lecteurs peu habitués à cette identification à se repérer), et la seconde (=seconde-lumière) et le mètre sont simplement deux façons différentes de mesurer les mêmes grandeur, différant par un facteur 299792458 (du coup, le SI passe pour tout aussi bizarre que le système d'unités américain, avec un facteur 299792458 entre la seconde et le mètre, et un facteur 31557600 entre l'année et la seconde).

Plan

Introduction générale et historique

(Je rappelle que j'ai écrit une petite introduction générale à la relativité ici — le prétexte était alors de parler de trous noirs, mais ce n'est pas sans pertinence de façon plus générale, surtout à partir du paragraphe qui commence par Il faut donc que je digresse.)

Sans rentrer dans les détails, la relativité a été découverte : en 1905 — l'annus mirabilis d'Einstein — s'agissant de la relativité restreinte, celle qui décrit la cinématique des vitesses proches de celle de la lumière ; et en 1915 pour ce qui est de la relativité générale, celle qui incorpore la gravitation comme un phénomène de courbure de l'espace-temps. De façon un peu simplifiée, on peut dire que cette dernière se présente sous la forme d'une équation (G = 8π·𝒢·T avec 𝒢 la constante gravitationnelle de Newton, mais toute la difficulté est évidemment dans la définition de G et T) qui relie la courbure de l'espace-temps (le membre de gauche, G, de l'équation, ou tenseur d'Einstein) et la matière qui s'y trouve (le membre de droite, T, ou tenseur de stress-impulsion-énergie). Cette équation est trop complexe pour admettre une solution générale explicite : ce qu'on peut faire, c'est soit la traiter numériquement (ce qui pose d'ailleurs aussi des difficultés considérables), soit faire des raisonnements généraux ou des approximations (comme des développements limités), soit chercher des hypothèses simplificatrices, notamment de symétrie, sous lesquelles elle devienne résoluble exactement et explicitement. C'est ainsi que la première solution exacte particulière qui ait été trouvée (en 1916) aux équations d'Einstein est la métrique de Schwarzschild, qui décrit l'espace-temps au voisinage d'une masse ponctuelle au repos (ou plus généralement une masse au repos à symétrie sphérique), et en particulier un trou noir sans rotation.

Je crois que la deuxième solution qui ait été trouvée est celle dont je veux parler ici, en 1922, par le mathématicien russe Alexander Friedmann [Aleksandr Fridman / Александр Фридман] ; elle a été redécouverte indépendemment en 1927 par le mathématicien et physicien (et prêtre catholique) belge Georges Lemaître, et de nouveau par l'américain Howard Robertson et le britannique Arthur Walker dans les années '30. Comme on n'est pas chiche, on la nomme le plus souvent d'après les quatre noms, donc FLRW en abrégé : mais c'est bien Friedmann qui a la priorité, et c'est sans doute Lemaître qui a le plus fait pour la populariser, et pour populariser l'idée du Big Bang, même si ce n'est pas lui qui a introduit le nom, puisqu'il parlait, lui, d'atome primitif pour la singularité au début de la solution.

Ce n'est pas Lemaître, donc, qui a inventé le terme Big Bang : c'est Fred Hoyle, qui a pour la première fois utilisé ces mots, au cours d'un programme radio de 20 minutes de la BBC, le 28 mars 1949, et qui les a ensuite répétés à plusieurs reprises dans des textes ou émissions adressées au grand public, et c'est donc lui qui a popularisé le nom, qui n'est vraiment devenu courant que dans les années '70. Fred Hoyle ne croyait pas au Big Bang, et utilisait ce terme (peut-être choisi pour être un peu ridicule, même s'il l'a lui-même nié plus tard) pour souligner la différence avec la théorie de l'état stationnaire à laquelle il croyait. (C'est d'ailleurs un peu ironique : Hoyle trouvait que la théorie du Big Bang était une ânerie religieuse — comme je l'ai dit, Lemaître était prêtre, et le pape Pie XII, qui y voyait une confirmation du fiat lux biblique, avait mis un certain poids derrière cette théorie, au grand agacement de Lemaître, d'ailleurs. Or de nos jours, les seuls qui refusent de croire au Big Bang sont justement des illuminés religieux — même si des théories d'univers stationnaire ou du moins éternel peuvent trouver un semblant de retour sous forme de différentes hypothèses de multivers d'où germe une « inflation perpétuelle ».) L'histoire du nom est racontée en beaucoup plus de détails dans ce papier par ailleurs extrêmement intéressant (comme les différents autres articles du même auteur que j'ai eu l'occasion de parcourir) ; voir aussi ce que dit Google Ngrams.

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(mardi)

Quelques petits conseils pour bien rêver

Je rencontre régulièrement des gens qui prétendent ne pas rêver, c'est-à-dire en fait, ne pas se souvenir de leurs rêves. Je prends pitié de ces malheureux, parce que j'aurais l'impression de perdre une partie importante de ma vie si je ne pouvais plus faire ces voyages fantastiques, ces conquêtes héroïques et ces découvertes fracassantes que je fais presque chaque nuit. Or on trouve plein de gens pour vous donner des conseils pour bien dormir, mais très peu de conseils pour bien rêver (même s'il est évident que ça se recoupe au moins un peu). Sauf peut-être de la part de crackpots New Age qui vont vous raconter que les rêves peuvent révéler l'identité de votre double astral, vous mettre en contact avec vos vies antérieures, rééquilibrer votre Qi ou je ne sais quelle autre ânerie.

Je vais donc tenter de donner quelques conseils pour bien rêver, conseils passablement évidents et pas du tout scientifiques, mais pas forcément inutiles pour autant. Tout en vous promettant que vos rêves ne vous apprendront rien de profond sur votre double astral, vos vies antérieures ou les pensées secrètes de votre subconscient : selon moi, il faut juste les considérer comme une chance de s'amuser, de faire toutes sortes de choses qu'on ne peut pas faire dans la réalité, qu'il s'agisse de voler, d'être magicien, de conduire une révolution, d'affronter des démons ou de découvrir des terres inconnues. Comme ces choses sont quelque part entre difficiles et impossibles à faire dans la réalité, et que les autres solutions pour y arriver consistent à prendre des drogues (ce que je ne recommande pas spécialement), ou encore à devenir écrivain ou fou (ce que je ne recommande pas forcément non plus), les rêves me paraissent encore être le moyen le plus économique pour y arriver. (Quant à la réalité, il faudra que je détaille un de ces jours quelques divagations métaphysiques qui me trottent dans la tête, mais on va se contenter du rêve pour le moment.)

Je n'ai bien sûr pas vraiment idée d'à quel point ces conseils sont généralisables à d'autres gens que moi. Peut-être qu'il n'y a que pour quelques personnes qu'il sont adaptés. Je vais faire le pari, ou au moins faire semblant, que ce n'est pas le cas.

Il va de soi que la première chose pour bien rêver, c'est d'arriver à dormir : je vais donc supposer ce problème déjà résolu, au moins partiellement. (De toute façon, la plupart des gens arrivent au moins vaguement à dormir, vu que ne pas y arriver a tendance à être fatal. Et il n'est pas forcément indispensable d'avoir une très bonne qualité de sommeil pour se souvenir de ses rêves : j'ai d'ailleurs moi-même le sommeil facilement perturbé.) Mais il y a au moins un conseil qui me semble à la fois important pour bien dormir et fortement lié à l'activité onirique, c'est d'arriver à mettre tous ses tracas de côté quand on se couche. Le lit doit être un refuge où on cesse de penser à toutes les choses qui nous embêtent, qui nous font peur, ou qui s'invitent désagréablement dans nos pensées : il faut leur opposer fermement cette idée : ça attendra bien demain (variante : l'Univers a attendu treize milliards d'années que je sois là, il peut bien se passer de mon assistance et se débrouiller comme un grand pendant encore huit petites heures). Même si on n'est plus un enfant, ça peut aider de s'imaginer qu'il y a une bulle autour du lit qui nous protège de tous les monstres qui sont dehors. Voire que c'est un bateau ou un vaisseau spatial qui va nous emmener visiter de nouveaux mondes.

Mais il n'y a pas que l'anxiété qu'il faut réussir à chasser de l'esprit : l'attente impatiente, par exemple, doit aussi être écartée. Je crois en effet que les espoirs font un sommeil et des rêves presque aussi mauvais que les peurs. En fait, tout ce qui nous rattache à notre vie quotidienne, et surtout aux jours à venir doit être mis de côté. Il ne faut pas non plus, bien sûr, mobiliser son intellect : si je commence à réfléchir à un problème de maths, je ne pourrai pas dormir (même s'il m'arrive qu'il soit question de maths dans mes rêves) ; il ne faut pas non plus penser, par exemple, à la politique, ni, si on tient un blog, à ce qu'on pourrait écrire dedans.

À quoi faut-il penser, alors ? À tout ce qui fait travailler l'imagination. À un monde qu'on aimerait visiter : par exemple, figurez-vous une scène comme ça, et imaginez-vous en train de visiter cette ville ; ou un jardin comme ça, un palais, bref, ce qui vous inspire le plus. Nul besoin de penser des choses cohérentes (les rêves ne sont pas renommés pour leur cohérence) : si on se représente un palais, par exemple, il ne faut certainement pas commencer à en faire un plan. Plutôt s'imaginer une chambre dans laquelle on aimerait y dormir, un balcon sur lequel s'y promener, etc. On peut aussi prendre son personnage de fiction préféré et avoir une conversation avec lui : ça marchera sans doute mieux pour les gens qui ont plus une mémoire auditive que visuelle ; mais de nouveau, il ne faut pas une conversation qui mobilise l'intelligence, plutôt des émotions simples. Si on vient de voir un film, on peut se rejouer la scène qu'on a préférée en se mettant dans la peau d'un personnage et en changeant le déroulement — pas pour rendre le film plus cohérent mais plus conforme à ce qu'on aurait voulu.

Si on fait de l'insomnie, ce qu'il faut faire dépend de la nature de l'insomnie : si on se rend compte qu'on a une pensée obsédante, je recommande de se lever et d'aller regarder des courts-métrages sur YouTube pour se changer les idées (ça peut aussi aider de chercher à avoir un petit peu froid, de sorte qu'on se sente mieux en se blottissant au lit). En revanche, si on a déjà les idées qui vagabondent, ce n'est sans doute pas utile.

Mais je pense que le plus important pour bien rêver n'est pas à quoi on pense avant de s'endormir, c'est à quoi on pense aussitôt qu'on se réveille : comme je l'écrivais il y a quelques années, le sommeil n'est pas homogène, et c'est à la fin de la nuit qu'on fait les rêves les plus construits, les plus mémorables, et les plus intéressants et agréables. Même si on ne va plus se rendormir, on peut encore profiter de cet état mental, et chercher soit à se rappeler ce qu'on a pu rêver, et le cas échéant y repenser, rejouer des scènes de ces rêves, s'y replonger pour les compléter ou les modifier, ou, si on ne se rappelle rien du tout, faire les mêmes exercices d'imagination que je suggère ci-dessus mais dans une phase qui a des chances d'y être plus propice. Donc : quand on se réveille, si on veut s'entraîner à rêver, il ne faut surtout pas se lever tout de suite, ni commencer à penser à ce qu'on va faire dans la journée, il faut faire durer autant que possible l'état de semi-rêve dans lequel on est probablement encore. (Rien de pire à cet égard, évidemment, qu'un réveil. Et paradoxalement, peut-être qu'un rythme de sommeil irrégulier aide à faire de bons rêves.)

Le rêve est aussi une question d'entraînement : si on prend l'habitude de repenser aux rêves qu'on a fait, et peut-être de noter ceux qu'on a préférés (ce qui peut donner matière à exercer son imagination pour les nuits suivantes), on s'exerce ainsi à faire des rêves plus riches, ou à mieux s'en souvenir.

Un des buts souvent proposés dans l'art de rêver (notamment, mais pas uniquement, par les crackpots New Age) est le « rêve lucide », c'est-à-dire celui où on a conscience d'être en train de rêver. J'avoue ne pas être très sûr de ce que ça veut dire : il m'arrive assez souvent, en rêve, d'affirmer que je sais que je suis en train de rêver, voire de rêver que je me réveille (mais ça ne fonctionne pas comme dans Inception : je ne rêve jamais que je m'endors — les rêves ne forment pas un système bien-parenthésé), je ne sais pas si je peux vraiment dire que j'en suis conscient (ou que je suis conscient dans mon rêve : en fait, je ne suis pas convaincu que conscient veuille dire quoi que ce soit — mais de nouveau, je laisse la métaphysique pour un autre jour). Ce qui m'arrive, en revanche, et qui est sans doute une forme de rêve lucide, ou sinon proche de ce concept, c'est d'affronter un adversaire dans un rêve, et de me dire tout d'un coup : eh, mais c'est mon rêve, c'est moi qui décide ce qui va arriver — et ceci me rend essentiellement omnipotent, un peu à la manière de Néo dans The Matrix. De nouveau, je pense que pour atteindre ce phénomène, le mieux est de s'exercer à le faire consciemment pendant la période qui suit tout juste le réveil.

Sinon, une façon de stimuler la production de rêves, mais je ne sais pas dans quelle mesure il faut vraiment la recommander, c'est de prendre de la mélatonine (qui en doses <2mg se vend librement en France en pharmacie, non pas comme médicament mais comme complément alimentaire — je me demande si ce n'est pas un contournement juridique et j'ai un peu peur qu'un jour quelqu'un décide que finalement ce sera interdit). L'effet varie apparemment beaucoup d'une personne à l'autre, mais chez moi l'effet sur l'endormissement est assez net, et l'effet sur les rêves est assez impressionnant (évidemment, un effet placébo n'est pas à exclure). Je n'en prends pas régulièrement, mais quand j'en prends 2mg−ε au moment de me coucher, j'ai l'impression — difficile à quantifier, bien sûr — de faire, ou en tout cas de me rappeler, deux à trois fois plus de rêves qu'en temps normal. (Note : la dose de 2mg paraît relativement sensée : elle conduit à un niveau de mélatonine dans le plasma environ 10× plus élevé que celui observé naturellement, mais comme la demi-vie de la mélatonine est très courte, l'effet durera environ une nuit — en tout cas, il n'est sans doute pas souhaitable d'en prendre plus que quelques mg.) À défaut de prendre de la mélatonine au moment de se coucher, on veillera au moins à tamiser les lumières (et éviter surtout la lumière bleue) quelques heures avant d'aller au lit.

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(jeudi)

Analysons le mécanisme de vote du Conseil de l'UE

Le Conseil de l'Union européenne, dont le nom officiel est juste le Conseil, et qu'on appelle parfois aussi informellement Conseil des ministres parce qu'il réunit les ministres des 28 états membres sur un sujet donné, est en quelque sorte la chambre haute de la législature de l'Union européenne (dont le Parlement européen serait la chambre basse), représentant les intérêts des États membres tandis que le Parlement européen représente la population de l'Union : il est donc vaguement analogue au Sénat des États-Unis ou au Bundesrat allemand (représentant, dans les deux cas, les entités fédérées). Si je simplifie en passant sous silence un nombre incroyable de cas particuliers, subtilités, astérisques et autres exceptions, une directive européenne (l'équivalent d'une loi) doit, pour être adoptée (selon la procédure législative ordinaire) être proposée par la Commission, et adoptée dans les mêmes termes par le Parlement et le Conseil. Je me propose d'analyser un peu la manière dont ce Conseil vote.

Les gens qui n'aiment pas lire des logorrhées (mais que faites-vous sur mon blog, aussi ?) peuvent sauter plus bas où il y a des jolis graphiques.

La petite minute nécessaire du Club Contexte : il y a aussi un Conseil européen, terminologie épouvantablement idiote parce qu'il n'est pas plus européen que l'autre, qui ressemble beaucoup au Conseil [des ministres] en ce qu'il est formé des représentants des 28 États membres, mais qui diffère en ce qu'il est formé des chefs d'État ou de gouvernement au lieu des ministres, et dont les fonctions ne sont pas tout à fait claires au niveau institutionnel (il « dirige », donne des « impulsions », etc.). Du coup, le Conseil européen a très rarement l'occasion de procéder à des votes, à part pour des cas très précis comme quand il s'agit de nommer le président de la Commission et qu'il n'y a pas de consensus. Les deux conseils (Conseil européen et Conseil [des ministres]) se ressemblent par certains points : dans les rares cas où le Conseil européen effectue un vote, c'est le même mécanisme de vote que pour le Conseil, et les deux Conseils ont, par exemple, le même logo représentant le futur bâtiment qu'ils auront aussi en commun (parfois l'un des deux ajoute au logo le mot latin Consilium, mais je n'ai pas compris lequel, ça a l'air de changer, et c'est peut-être obsolète), et ils ont le même site Web. Il y a aussi des différences : notamment, contrairement au Conseil [des ministres], qui est présidé par un État tournant tous les six mois [subtilité : sauf quand il est en formation affaires étrangères], le Conseil européen est présidé par une personne stable, en l'occurrence l'ancien Premier ministre polonais Donald Tusk. Je pense que l'idée est que si on considère l'UE comme un État fédéral ou confédéral, le Conseil européen en est une sorte de chef d'État collégial : il nomme le chef du gouvernement, c'est-à-dire de la Commission, et il a la main sur les grandes lignes de la politique étrangère. (Il n'est pas rare dans les dispositions constitutionnelles qu'il y ait une certaine porosité ou proximité entre le chef de l'État et la chambre haute du parlement : par exemple, le vice-président des États-Unis est ex officio président du Sénat, tandis que le président du Sénat français devient président par intérim si le président décède, et on peut certainement citer d'autres exemples ; la confusion entre les deux Conseils se comprend donc un peu dans cette logique.) • Par ailleurs, il ne faut pas confondre l'un ou l'autre de ces Conseils, qui sont des institutions de l'Union européenne, avec le Conseil de l'Europe, qui est une autre institution internationale, strictement plus grande que l'Union européenne (et dont, par exemple, la Norvège, la Suisse et la Russie sont membres). Pour tout arranger au niveau confusion, le Conseil de l'Europe a le même drapeau que l'Union européenne (c'est même lui qui l'a utilisé en premier), et aussi le même hymne.

Généralités : La plupart des décisions du Conseil [de l'UE, i.e., Conseil des ministres] se prennent, dans la pratique, sur la base du consensus : un vote a lieu formellement, mais il est précédé de beaucoup de négociations, voire de marchandages, menées informellement (par courrier électronique, par l'intermédiaire des représentants permanents à Bruxelles, ou au cours de réunion officieuses du Conseil), surtout par la présidence tournante du Conseil : lorsque la présidence annonce qu'elle dispose d'une majorité suffisante pour approuver la proposition, les éventuels pays minoritaires préfèrent négocier leur ralliement au vote en échange de quelques concessions plutôt que d'enregistrer une « contestation publique », i.e., de figurer sur le papier final comme votant contre (ce qui peut être embarrassant, diplomatiquement ou politiquement, sauf s'il s'agit d'enregistrer un point vis-à-vis de leur opinion publique nationale). Ce n'est pas pour autant que les détails du mécanisme de vote n'ont pas d'importance ! Car ce sont tout de même eux qui définissent le pouvoir des différents pays dans les négociations informelles, et même si le vote formel apparaît comme unanime — même si on cherche le compromis pour arriver à l'unanimité — l'avis d'un petit pays sera évidemment d'autant plus écouté s'il a le moyen de tout bloquer que si on sait qu'on peut toujours se passer de son accord. (Une analyse précise de la dynamique de vote pour ce qui est de la contestation publique, sur la période 1995–2010, est menée dans ce rapport de Wim van Aken, Voting in the Council of the European Union.)

Le mécanisme de vote dans toute sa subtilité juridique est assez complexe. D'abord, il y a plusieurs mécanismes différents selon le type de motion soumise au vote, et qui exigent des majorités différentes : majorité simple (principalement pour des questions de procédure ou des résolutions sans valeur légale), majorité qualifiée (la procédure ordinaire), ou unanimité (essentiellement pour tout ce qui est conçu comme une coopération intergouvernementale : par exemple, en matière fiscale). Même au sein de la majorité qualifiée, une des conditions demandées est différente selon que le Conseil vote sur une proposition de la Commission ou non (il y a donc, en quelque sorte, deux majorités qualifiées différentes : la normale, pour voter sur une proposition de la Commission, et la renforcée, pour les cas où le Conseil agit de sa propre initiative, essentiellement en matière de politique étrangère). • Pour compliquer encore les choses, pendant une période transitoire qui dure de novembre 2014 à mars 2017, les règles de vote actuelles, entérinées dans le traité de Lisbonne de 2007 (qu'on appellera donc en abrégé règles de Lisbonne, en gros : 55% des états membres représentant 65% de la population), peuvent parfois — à la demande d'un membre du Conseil — être remplacées par les règles antérieures, contenues dans le traité de Nice de 2001 (règles de Nice, en gros : >50% des états membres, et 73.8% des voix pondérées). • Pour compliquer encore un peu plus les choses, une déclaration annexée aux traités (parfois appelée « compromis de Ioannina », ) veut que si un groupe d'états n'est pas suffisant pour constituer une minorité de blocage (c'est-à-dire, une minorité capable d'empêcher un vote de passer, donc, avec les règles de Lisbonne, 45% des états membres ou représentant 35% de la population de l'Union) mais n'est « pas trop loin » d'en constituer une, alors la présidence du Conseil et l'ensemble de ses membres s'engagent à faire des efforts pour trouver une solution tenant compte de leurs objections. • Pour compliquer la complication, la définition de pas trop loin dans la phrase précédente sera abaissée en avril 2017 (pour compenser le fait qu'on ne pourra plus invoquer les règles de Nice ; jusqu'à mars 2017, il suffit de représenter 3/4 du nombre de membres ou de la population nécessaires à constituer une minorité de blocage, tandis qu'à partir d'avril 2017, elle est abaissée à 55% sur ces deux critères). Ouf ! On comprend que les choses ne soient pas aisées à décrire.

Mon but est ici, en oubliant un peu les subtilités de la négociation et de la culture du compromis, de faire quelques points plutôt d'ordre mathématique, mais à un niveau assez simple, sur le mécanisme de vote du Conseil à la majorité qualifiée (« normale »), à la fois dans les règles de Lisbonne et dans les règles de Nice. Et d'en profiter pour faire quelques remarques plus générales sur l'analyse du pouvoir dans un système de vote de ce genre.

[J'avais déjà écrit un billet sur le sujet ici, au moment où le mécanisme de vote était en train d'être débattu (et en écrivant par erreur Conseil européen au lieu de Conseil [de l'Union européenne ou des ministres]). J'y proposais un mécanisme de vote particulier. Ici, je vais plutôt me pencher sur la question de comment analyser un mécanisme de vote existant.]

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