Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le
reste de ce site web, parle de tout et
de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait),
des maths à
la moto et ma vie quotidienne, en passant
par les langues,
la politique,
la philo de comptoir, la géographie, et
beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas,
ainsi que d'occasionnels rappels du fait que
je préfère les garçons, et des
petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le
nom collectif de fragments littéraires
gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines
entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes
traduites dans les deux langues) ; il est
maintenant presque exclusivement en
français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à
l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par
ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut).
Cette page-ci rassemble les entrées publiées en
juin 2019 : il y a aussi un tableau par
mois à la fin de cette page, et
un index de toutes les entrées.
Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs
« catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce
système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque
entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le
texte de l'entrée elle-même.
You are on David Madore's blog which, like the rest of this web
site, is about everything and
anything (mostly anything, really),
from math
to motorcycling and my daily life, but
also languages, politics,
amateur(ish) philosophy, geography, lots of
ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders
of the fact that I prefer men, and
some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the
collective name of gratuitous literary
fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning
(some entries were in English, others in French, and a few translated
in both languages); it is now almost
exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog
entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed
in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top).
This page lists the entries published in
June 2019: there is also a table of months
at the end of this page, and
an index of all entries. Some
entries are classified into one or more “categories” (indicated at the
end of the entry itself), but this organization isn't very coherent.
The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced
before and after the text of the entry itself.
Méta : Je recopie ici, parce que
je pense que ça peut intéresser des lecteurs de mon blog, une
introspection que j'ai écrite pour un forum de discussion d'anciens
normaliens, au sujet des formes de ma mémoire (j'ai un petit peu
remanié le texte au passage, mais il peut rester des traces du fait
que je l'ai écrit dans un contexte différent) : c'est du racontage de
vie personnel, mais il serait intéressant de mettre ça en regard
d'études neurologiques précises, sujet sur lequel, malheureusement, je
ne sais essentiellement rien.
Je me suis longtemps dit que, pour ce qui est de la mémoire,
j'étais très « auditif » et pas du tout « visuel », essentiellement
sur la base du fait que quand j'apprends un texte par cœur (et je ne
suis pas mauvais pour ça, ma mémoire est pleine de citations assez
longues d'extraits de livres, de discours, de poésies ou de paroles de
chansons que j'ai appris presque sans y faire attention), j'entends
plutôt une voix la prononcer que je ne l'imagine écrit. Mais quand je
dis une voix, c'est une voix assez abstraite, qui n'a pas de
caractéristiques vocales bien définies (pas de timbre, pas de texture,
pas vraiment de ton). En fait, je pense aussi que ma mémoire auditive
recoupe assez ma mémoire procédurale et que dans une certaine mesure
je m'imagine plutôt en train de prononcer le texte qu'en train de
l'entendre — mais ce n'est pas clair non plus.
Un autre signe que je suis « auditif », c'est que j'ai appris par
cœur, quand j'étais petit, cinquante décimales de π, ce qui n'est pas
très intéressant (et encore moins un exploit), mais ce qui est
intéressant, c'est que je les ai apprises en français
et par groupes de cinq. C'est une petite chanson dans ma
tête : et je suis incapable de les réciter en anglais (ça demanderait
de traduire au vol la petite chanson, or elle passe trop vite) ; et le
fait que je les ai retenues par blocs de cinq signifie que je ne me
tromperai jamais au sein d'un bloc mais que je risque d'omettre
complètement un bloc ou de faire une autre erreur de ce genre entre
les blocs. (En anglais, je connais seulement cinq décimales de π. En
revanche, je connais mes tables de multiplication en anglais et je
pense que, au contraire des décimales de π, elles ne sont pas
mémorisées de façon uniquement « auditive ».)
En fait, ça fonctionne pareil pour la poésie en général : chaque
vers (ou peut-être chaque hémistiche d'un alexandrin) est, dans ma
tête, une unité atomique, je ne vais pas faire d'erreur au sein d'un
vers[#], en revanche quand la
poésie est vieille et que je commence à l'oublier, le type d'erreur
que je vais faire c'est de ne plus me rappeler quel vers vient après
lequel (et il m'arrive de restituer un poème avec les bons vers mais
permutés de façon plus ou moins
grave[#2]). Je pense que la
manière dont j'ai retenu mes décimales de π est très semblable à une
poésie[#3] dont les vers
seraient des groupes de cinq chiffres prononcés en français.
[#] Le rythme du vers
est très important pour la mémoire (même si je suis bien sûr capable
de retenir de la prose), et particulièrement le tadada-tadada
tadada-tadada des alexandrins : je suis toujours fasciné et irrité à
la fois quand des gens déclament des alexandrins en massacrant leur
rythme (notamment quand ils omettent des ‘e’ prononcés /ə/ ou ne font
pas les synérèses ou diérèses demandées par la métrique) : irrité par
le fait que ça casse la musique que j'ai besoin d'entendre, mais aussi
fasciné par le fait qu'ils mémorisent le vers sans cette petite
musique.
[#2] Pour donner un
exemple concret, il y a un poème des Trophées de
Heredia, Soir de bataille, qui se termine par ces deux
tercets : C'est alors qu'apparut, tout hérissé de flèches, / Rouge
du flux vermeil de ses blessures fraîches, / Sous la pourpre flottante
et l'airain rutilant, // Au fracas des buccins qui sonnaient leur
fanfare, / Superbe, maîtrisant son cheval qui s'effare, / Sur le ciel
enflammé, l'Imperator sanglant. Tant qu'on garde le premier et le
dernier vers, on peut faire n'importe quelle permutation des quatre
autres, et je ne sais jamais laquelle est la bonne (sauf
éventuellement à réfléchir à la structure des vers dans les tercets
des sonnets classiques, et encore, il reste plusieurs
possibilités).
[#3] On ne peut pas,
ici, ne pas évoquer un quatrain mnémotechnique à ce sujet : Que
j'aime à faire apprendre un nombre utile aux sages ! / Immortel
Archimède, artiste ingénieur, / Qui de ton jugement peut priser la
valeur ? / Pour moi, ton problème eut de pareils avantages.
(compter le nombre de lettres de chaque mot pour obtenir les quelques
premières décimales de π). J'aimerais bien savoir quelle est l'origine
de ce poème, parce que c'est assez fort, comme exercice oulipien,
d'avoir construit un quatrain vaguement sensé, en alexandrins
irréprochables, aux rimes impeccables, et dont le nombre de lettres
des mots donne les premières décimales
de π. Ici
on a une proposition de variation+suite, mais la versification laisse
à désirer (il y a des alexandrins dont la césure manque, des rimes qui
sont pour moitié singulières et pour moitié plurielles, etc.).
Parlant de poésie, je suis encore capable de réciter un passage
assez long de l'introduction du poème de Pouchkine, Le Cavalier
de bronze (Медный всадник), en
russe. Et ce qui est amusant, là, c'est que j'ai oublié le sens de
pas mal de mots (je sais quel est le sens global, mais plus toujours
ce que tel ou tel terme, ou telle ou telle expression signifie
exactement). Autrement dit, la mémoire (auditive ou procédurale) du
son des mots a subsisté plus longtemps que la mémoire de leur
sens.
[Cf. aussi cette vieille entrée,
que j'avais complètement oubliée — c'est ironique pour une entrée sur
la mémoire — et qui recoupe largement ces quelques derniers
paragraphes.]
Je me suis longtemps dit que j'avais une mémoire visuelle toute
pourrie parce que je n'arrive pas à former des images très précises
dans ma tête, ou alors elles sont dénuées de détails et ça demande
beaucoup d'efforts pour en ajouter. (Ce n'est pas de l'aphantasie,
mais les images que j'ai dans la tête ne correspondent pas vraiment à
quelque chose que je verrais : elles sont pour ainsi dire très pâles
en comparaison ; ce sont plutôt des esquisses dans lesquelles je code
plus ou moins les détails que je veux retenir, mais de façon plus
figurée que vraiment visualisée.) D'un autre côté j'ai un plutôt bon
sens de l'orientation et je n'ai pas spécialement de problèmes
d'orthographe. Et mon cerveau est parfaitement capable de former des
images, parce que quand je rêve, c'est surtout en images, et pour le
coup, elles sont assez précises (et même si elles disparaissent
rapidement après que je me suis réveillé, avant qu'elles le fassent
elles sont peut-être plus vivaces que des souvenirs réels).
Quand j'apprends une nouvelle langue, je me rends compte qu'il faut
un certain temps pour que les nouveaux phonèmes que cette langue
comporte prennent une place dans ma mémoire. Autrement dit, dans un
premier temps j'apprends à prononcer le son, puis j'apprends à le
distinguer à l'oreille de sons qui ressemblent, et c'est seulement
ensuite, après encore assez longtemps, que j'arrive à
distinguer dans ma mémoire ces différents sons. Par exemple,
quand j'ai appris un peu d'arabe, même une fois que j'avais appris à
distinguer à l'oreille le ‘t’ « normal » (non pharyngalisé,
/t/, ت) et le ‘t’ pharyngalisé
(/tˤ/, ط), ils restaient fusionnés dans ma mémoire,
et je sentais bien que les mots étaient retenus comme deux
informations séparées, une prononciation réduite d'une part (où ces
deux sons sont mémorisés comme des ‘t’) et une information
additionnelle me disant que tel ou tel ‘t’ du mot était ou non
pharyngalisé ; et ce n'est qu'en gros quand j'ai arrêté d'étudier
l'arabe que je commençais tout juste à retenir ces informations en
bloc et à ne plus considérer mentalement les deux consonnes comme deux
variations d'une même lettre (ce que, du point de vue de l'arabe,
elles ne sont pas du tout). Mon expérience des tons du chinois a été
vaguement analogue (si ce n'est que mes tentatives se sont arrêtées
encore plus tôt). Du coup, ceci remet en doute l'idée que ma mémoire
soit véritablement « auditive », ou en tout cas, si elle l'est, ça
montre qu'il y a une belle couche de compression qu'il n'est pas
évident de recâbler.
Parlant du chinois, là où je me suis rendu compte que j'étais
vraiment mauvais, c'est pour retenir la forme des caractères (en même
temps, je n'ai pas fait énormément d'efforts, me disant par principe
que je serais mauvais pour ça et que j'en ferais le strict minimum,
apprenant surtout le chinois via le pinyin). Déjà pour apprendre les
syllabaires japonais, qui ne sont pas très gros, j'ai eu énormément de
mal dès qu'il y avait des caractères vaguement ressemblants (お
et な et ね par exemple, ou は et ほ ; et
pour les katakanas c'est pire) et je les ai oubliés à une vitesse
folle.
[Cf. aussi ce que j'écrivais
ici, qui recoupe largement ces deux derniers paragraphes, avec
plus de détails.]
Je me suis longtemps dit que j'étais très mauvais en reconnaissance
des visages. (Je sais que quand je regarde un film, ça m'arrive
souvent de me demander : hum, est-ce que ce personnage est celui
qu'on a déjà vu ou est-ce que c'est un autre ?) Mais en fait ça
doit être plus compliqué que ça, parce que, par exemple, à l'occasion
de je ne sais plus quel sommet européen où le poussinet et moi
regardions la télé qui diffusait des images des chefs d'état et de
gouvernement et autres responsables d'institutions en train de se
saluer, j'étais capable d'identifier beaucoup de gens (en tout cas
nettement plus que le poussinet). Il m'arrive aussi assez souvent de
croiser quelqu'un dans la rue et de me dire hum, mais je connais
cette personne, qui est-ce donc ? et de passer un certain temps à
me gratter la tête avant d'abandonner ou de conclure que c'est un
serveur dans tel restaurant où je vais de temps en temps, ou un
caissier dans le supermarché que je fréquente, ou quelque chose comme
ça : je ne sais pas si c'est un signe que j'ai plutôt mauvaise mémoire
(il me faut beaucoup de temps pour retrouver quand je vois la personne
hors contexte, et parfois je n'y arrive pas du tout) ou bonne
(j'arrive quand même à identifier des gens que je vois finalement
assez rarement). Mais à côté de ça, si on me demande si un collègue
que je fréquente tous les jours porte des lunettes, ou quelle est la
couleur de ses cheveux, je vais être incapable de répondre. On dirait
que mon cerveau stocke juste
un haché du visage, à partir duquel
il est impossible d'extraire des informations précises.
J'ai une mémoire du même genre pour les odeurs. J'ai plusieurs
fois fait des tests où on fait sentir un parfum classique (du style
vanille, poivre, clou de girofle, coriandre, ce genre de choses) dans
une bouteille sans marquage et on demande d'identifier ce que c'est :
je ne suis pas trop mauvais, mais quand j'y arrive je me rends compte
que c'est plus ou moins en parcourant une longue liste de trucs
vaguement plausibles et à chaque fois en essayant de matcher : ma
mémoire ne fait pas vraiment l'association parfum↦nom mais plutôt
(parfum,nom)↦vrai-ou-faux, et c'est vaguement pareil pour les visages.
Si j'essaie d'imaginer, là, comme ça, le parfum de la vanille ou de la
cannelle, j'ai une cheap plastic imitation, qui
sont effectivement différentes l'une de l'autre, mais c'est à peu près
tout.
Pour la musique, je suis peut-être meilleur. Quand j'ai un air qui
me trotte dans la tête et que j'essaie de l'identifier, ce qui arrive
souvent, j'arrive généralement à le siffler ou à le transcrire à la
flûte : la transcription n'est pas terrible, mon sens du rythme est
tout pourri, c'est embarrassant, mais pas au point que l'air soit
impossible à reconnaître. Exemple concret avec un air que j'ai
transcrit
comme ceci
et qui était en
fait ceci ;
et finalement ça m'est revenu ce que c'était alors que ça faisait
longtemps que je ne l'avais pas écouté, le concerto pour piano de
Schumann.
Enfin, il y a un type de mémoire qu'il ne faut pas omettre de
mentionner, c'est la mémoire procédurale. Je n'ai jamais fait de
piano, par exemple (je sais où sont les touches et je sais lire une
partition, mais vraiment pas assez vite pour « jouer », et
certainement pas quand il faut jouer plus qu'une note à la fois), mais
il y a quand même des petits morceaux simples que j'ai mémorisés de
façon purement mécanique. Et ce qui est amusant avec la mémoire
procédurale, c'est que c'est des successions d'actions qui ne doivent
surtout pas être interrompues : en tout cas pour moi, si je
m'interromps pour me demander où est-ce que j'en étais, au
juste ?, c'est foutu. Et j'ai un peu ça avec les vers des poésies
(cf. ci-dessus) : si je commence à trop réfléchir je vais me planter
dans l'enchaînement des vers. Mais je me rends compte aussi en
apprenant à conduire [cf. par exemple ce que
j'écrivais ici] qu'il y a toutes
sortes de niveaux d'automatismes auxquels on peut « apprendre »
quelque chose procéduralement, donc la mémoire procédurale a toutes
sortes de subdivisions que je suis loin de bien comprendre.
Méta : Ce que je raconte ici peut
se résumer en l'espace dédié à la musculation dans la salle de
sport que je fréquente pour y faire de la musculation tend vers zéro à
une vitesse terrifiante ; ce n'est peut-être pas très intéressant
que je le raconte ainsi en détails, à part si par hasard un habitant
du quartier tombe sur cette entrée de blog, mais je l'écris un peu
comme memento pour moi-même (pour pouvoir retrouver ces informations
ultérieurement), alors tant qu'à faire, autant le publier. Je
n'exclus pas d'écrire une autre entrée, une autre fois, sur la muscu
de façon plus générale et comment je la pratique (et comment j'arrive
à alterner séries de mouvements et lecture d'un article de maths : je
ne sais pas pourquoi ça surprend beaucoup quand je dis ça, mais je
trouve que ça marche très bien).
J'ai commencé à faire de la musculation un peu sérieusement à
l'été 2008 : comme pour ça il faut de l'équipement (appareils pour
mouvement guidés et/ou bancs et collections de poids), j'ai cherché
une salle près de chez moi et, heureusement, il y en avait une juste à
côté, de la chaîne qui s'appelait alors le Club Med Gym.
Le tarif était un peu prohibitif, mais comme j'étais
motivé[#], je me suis
abonné[#2]. Il est d'ailleurs
intéressant de noter comment ce tarif a évolué : c'est un peu
compliqué parce qu'ils trouvent parfois moyen de vous « offrir » un
mois d'abonnement ou deux si on paye comptant, mais j'ai noté que j'ai
payé :
le : 760€ pour 14 mois, soit 54.29€/mois ;
le : 805€ pour 12 mois, soit 67.08€/mois ;
le : 840€ pour 12 mois, soit 70.00€/mois ;
le : 840€ pour 12 mois, soit 70.00€/mois ;
le : 880€ pour 12 mois, soit 73.33€/mois ;
le : 880€ pour 12 mois, soit 73.33€/mois ;
le : 700€ pour 13 mois, soit 53.85€/mois ;
le : 880€ pour 12 mois, soit 73.33€/mois ;
le : 1520€ pour 26 mois, soit 58.46€/mois ;
le : 770€ pour 12 mois, soit 64.17€/mois.
La baisse de prix fin 2014 correspond au moment où
la salle a été renommée CMG ; il faut noter par ailleurs
qu'il y a eu des changements dans le niveau des prestations, je vais y
venir. (D'autre part, il y a un truc bizarre dans cette liste : si
j'ai pris un abonnement le pour 26 mois, il
n'est pas normal que j'aie eu à le renouveler
le , il aurait dû être valable pour encore deux
semaines.)
[#] C'est une banalité
de dire que les salles de sport font énormément d'argent sur le dos
des gens qui s'y inscrivent pour se donner bonne conscience en se
disant qu'ils sont motivés et qui, finalement, n'y vont qu'une
poignée de fois au début, puis, l'année suivante, se réinscrivent en
se disant cette fois je suis vraiment motivé, répéter ad
lib. ; je ne sais pas dans quelle mesure ce cliché est exagéré,
mais en tout cas, je ne suis vraiment pas tombé dans ce piège :
d'après mon journal, j'y suis allé 312 fois au cours des deux
dernières années, donc trois fois par semaine avec une bonne
régularité (du coup, ça me revient à environ 4.60€ la séance). Mais
le fait que la salle soit située à même pas cinq minutes de marche de
chez moi est certainement très significatif dans le fait que j'aie
tenu ce rythme.
[#2] La fréquentation
de ces salles de sport est d'ailleurs intéressante par sa diversité
sociologique (relative, au moins, à la diversité sociologique du
quartier pour commencer), et c'est rigolo à observer. Certains
viennent surtout pour la muscu, d'autres surtout pour les cours
collectifs ou le cardio-training. Entre les gros bourrins et ceux qui
semblent venir juste pour bavarder — ce qui fait un peu cher la séance
de bavardage — il y a un échantillon amusant à observer. Au rayon
people, il y avait Michel Houellebecq qui fréquentait ce Club
Med Gym Italie, et je peux témoigner qu'il se servait des
appareils de musculation (je crois qu'il a arrêté de venir ; il est
vrai qu'il y allait à des heures où j'y étais rarement, donc je ne
l'ai pas croisé souvent).
J'ai pris l'abonnement de base (celui qui ne proposait pas, par
exemple, une serviette à chaque entraînement : je n'ai pas de problème
à apporter ma propre serviette). Pour ce prix, au début, j'avais
accès, je crois, à l'ensemble des salles Club Med Gym.
Mais je ne suis jamais allé qu'au club du centre Italie 2. Celui-ci
était spacieux : situé dans les locaux d'un ancien cinéma (on voyait
encore un écran de projection, recouvert de peinture, dans une des
salles de muscu), il offrait deux salles assez grandes
(A et B dans la suite) avec des appareils de
musculation guidés plus une mezzanine (probablement une ancienne
cabine de projection reconvertie) avec encore d'autres appareils et
une collection très correcte de poids libres. Il y avait en outre,
deux autres salles, une grande (C) et une carrément
énorme (D), dédiées aux cours collectifs (où je ne suis
jamais allé), et un très grand espace (E) et encore une ou
deux petites salles pour le cardio-training. Plus une piscine ; et un
hammam et un sauna pour hommes et idem pour femmes. (Je ne suis
jamais non plus allé ni à la piscine, ni au hammam ni au sauna ; mais
je crois avoir entendu dire qu'ils n'étaient pas terribles.) Et
enfin, un petit espace détente (F).
Et pour revenir aux salles de muscu, il s'y trouvait un moniteur en
permanence pour aider ceux qui voulaient des conseils, ou bien, sur
rendez-vous (mais gratuitement !), pour élaborer un programme
d'entraînement personnalisé. Il faut avouer que ces moniteurs avaient
l'air de s'ennuyer profondément parce que pas grand-monde ne faisait
appel à eux.
Voilà pour l'état des lieux vers 2008–2009.
Tout ça devait coûter cher et être difficilement rentable
économiquement. Je suppose que c'est la raison pour laquelle le prix
de l'abonnement n'a cessé de grimper, bien au-delà de l'inflation,
pendant les cinq premières années que j'ai fréquenté ce club.
Visiblement, ça n'a pas suffi, et comme il devait être clair qu'ils ne
pouvaient pas augmenter les prix indéfiniment, ils ont commencé à
développer des services supplémentaires payants.
La première étape, je crois, c'est quand les moniteurs qui étaient
là pour donner des conseils ont été rebaptisés « coachs » et que
le Club Med Gym s'est mis à faire des grandes pubs pour
les séances de coaching (individuelles ou par petits groupes), à payer
en plus de l'abonnement : en même temps, les affiches expliquant qu'on
pouvait demander un rendez-vous avec un moniteur pour établir un
programme personnalisé ont disparu. En parallèle, les clubs se sont
diversifiés et l'abonnement de base que j'avais ne permettait plus
d'accéder à toutes mais seulement aux salles One
(i.e., basiques, comme la mienne : One Italie).
Quelque part courant 2014, la chaîne a été rebaptisée de Club
Med Gym
en CMG. Je
ne sais pas la raison qui a poussé Club Med à se séparer
de cette marque, mais les tarifs ont brièvement baissé (cf. ci-dessus)
avant que ce soient les prestations qui changent (cf. ci-dessous).
À peu près à ce moment-là (je crois que c'est vers fin 2014), le
club Italie a entrepris des travaux. J'ai expliqué ci-dessus que pour
la musculation, il y avait deux grandes salles,
appelons-les A et B, plus une mezzanine
au-dessus de la salle A. L'une de ces salles,
la B, a été fermée (début 2015), et la plupart des
appareils déplacés dans les couloirs (mais certains ont tout
simplement disparu, comme l'appareil qui servait à travailler
spécifiquement les mollets) ; il est vrai que la salle A a
été légèrement agrandie peu après (en gros de l'espace situé
en-dessous de la mezzanine, appelons-le A′) : à ce
stade-là, on n'a pas perdu grand-chose. La salle B, fermée
a la musculation, a été reconvertie en salle de cycling, ce qui
est une façon très tendance de dire vélo : une des activités
proposées (le cycling immersif) consiste à faire du vélo devant
un écran qui projette des images de synthèse montrant qu'on avance sur
une route à travers un paysage imaginaire, il paraît que c'est rigolo,
mais évidemment, cette activité est payante en plus de l'abonnement.
Autre activité payante, le club a ouvert un truc
appelé crossfit (dans une salle située à côté de la piscine, je
ne sais pas à quoi elle servait avant).
Vers 2018, les formules d'abonnement ont changé : l'abonnement de
base s'est mis à proposer une serviette à chaque entraînement (petite
amélioration, donc, même si personnellement je m'en foutais), mais il
n'était plus valable que pour une seule salle (là aussi je m'en
foutais un peu, parce que je ne suis jamais allé que dans une, mais
c'est à signaler quand on regarde les prix ci-dessus).
À ce stade-là, le club Italie n'avait plus qu'une salle de
musculation (la A+A′), mais avait encore deux
salles de clubs collectifs, appelons-les C (grande)
et D (énorme). Ils ont fermé la salle C pour la
sous-louer
à PSG
Judo qui en octobre 2018 en a fait un dōjō (ou ils entraînent des
judokas professionnels ou peut-être promettant de le
devenir[#3]), donc la salle
était fermée aux abonnés du CMG ; d'ailleurs, pour
ajouter un peu d'insulte à tout ça, pendant la soirée d'inauguration
de ce
dōjō, la
moitié du club était fermée aux abonnés parce qu'il fallait faire
de la place pour des stars comme Teddy Riner et Kylian Mbappé qu'on ne
peut pas prendre le risque de mélanger avec des ploucs comme moi ; et
même une fois cette inauguration terminée, les judokas ont droit a un
escalier à part, également interdit aux abonnés du club.
[#3] On les voit
parfois sortir du dōjō pour utiliser la fontaine à eau, et la plupart
ont des kimonos avec leur nom dessus, donc on peut regarder leur
niveau. (Par exemple, j'ai régulièrement vu
passer Yhonice Goueffon
— j'ai retenu celui-là parce qu'il a un nom plutôt inhabituel.)
La fermeture de cette salle de cours collectifs (la C,
donc) ne me concernait pas en soi puisque je n'y allais jamais, ils
ont commencé par la reloger dans un espace réduit
(disons F, qui servait auparavant d'espace de détente),
mais le club a décidé qu'il lui fallait deux vraies salles de clubs
collectifs, donc ils ont rapidement réattribué la salle de
musculation A à cet usage, en laissant, il est vrai, le
petit supplément A′ (en-dessous de la mezzanine) ainsi que
la mezzanine elle-même, à la musculation.
Donc, des deux grandes salles plus une mezzanine qui étaient
réservées à l'espace musculation quand j'ai commencé à fréquenter ce
club en 2008, il ne restait que la mezzanine, un petit bout de salle
en-dessous (A′), des bouts de couloir çà et là et une
petite partie de l'espace de cardio-training (E), où le
matériel a été entassé comme possible : en gros, tout ce qui était en
double ou en triple parmi les appareils de muscu a été réduit à un
seul exemplaire. Et le fait de ne plus avoir une seule vraie salle ne
pose pas qu'un problème d'entassement : la clim ne fonctionne pas
vraiment dans les couloirs, seulement dans les salles, si bien qu'on a
vite très chaud.
Il y a deux semaines, nouveau changement : la mezzanine a été
condamnée pour des raisons de
sécurité[#4]. La plupart des
poids libres qui s'y trouvaient, mais aucun des appareils guidés, ont
été relégués dans un espace riquiqui (F ci-dessus) et
surchauffé. Je peux comprendre que les réglementations de sécurité
s'imposent de façon impérative, mais je remarque qu'aucun effort n'a
été fait pour récupérer cet espace ailleurs, par exemple dans l'espace
de cardio-training (E) dont quelques appareils auraient pu
être sacrifiés.
[#4] Une note disait
quelque chose comme (je dis ça de mémoire) suite à de nouvelles
réglementations sur les établissements recevant du public, la
mezzanine est maintenant inaccessible : nous faisons notre possible
pour y remédier dans les meilleurs délais. Mais comme l'escalier
métallique menant à la mezzanine a été purement et simplement retiré,
je pense que les meilleurs délais sont de la poudre aux yeux et que
cette suppression est définitive.
Et depuis hier, le club est totalement fermé suite à un incident
technique, sans autre explication ni sur la cause ni sur la durée
prévisible (quelques jours ? quelques semaines ? quelques mois ? ou
est-ce, en fait, une fermeture définitive qui ne se dit pas ?).
Petite compensation : un papier précise que ceux qui n'ont un
abonnement que pour cette salle (comme c'est mon cas maintenant) ont
exceptionnellement droit d'accès aux autres clubs de la marque. Mais
bon, en ce qui me concerne, il n'y en a aucun qui soit à une distance
raisonnable.
À ce stade-là, même si la fermeture devait ne durer que quelques
jours (or j'en doute), je crois qu'il faut vraiment que je jette
l'éponge sur cette marque et que je parte voir la concurrence. (Par
exemple, il y a maintenant un
club Neoness pas tellement plus
loin de chez moi, et même avec toutes les options possibles sur
l'abonnement il reste moins cher que le CMG. Reste à
savoir si l'espace musculation est significativement moins riquiqui.
Si d'aventure quelqu'un a un avis sur cette chaîne, ou à plus forte
raison sur ce club précis, je suis évidemment preneur.)
⁂ Ajout
() : Voici
un petit compte-rendu d'une séance au Neoness le plus proche de
chez moi.
J'ai déjà dû râler quelque part au sujet des justificatifs de
domicile… ah oui, au
moins ici, là
et là… mais tant que
l'Administration française continuera à faire son fétichisme sur ce
truc de merde, la râlerie correspondante ne sera jamais usée.
Répétons-le haut et fort, donc :
Le concept même de « justificatif de domicile » est une
idée à la con, qui n'assure la sécurité de rien du tout et n'a aucune
raison d'être, un truc qui ne sert qu'à emmerder les administrés, et
qui pourrait et devrait être aboli immédiatement (et sans
aucun remplacement, i.e., suppression pure et simple de l'exigence
d'en fournir dans toute formalité publique ou privée où il est
demandé) ; et celui qui l'a inventé mérite une place spéciale en enfer
où on lui rappellerait en permanence qu'il peut aller au paradis à
condition de fournir un justificatif de domicile prouvant qu'il y
habite.
L'idiotie est même double. Primo, l'idée même de demander
aux gens de justifier un domicile est inacceptable : à part peut-être
pour l'inscription sur les listes électorales (et encore, je me
demande bien si ce serait si grave pour la démocratie de simplement
décider que n'importe qui peut s'inscrire pour voter à l'endroit où il
veut : je ne crois pas une seule seconde que les électeurs
afflueraient massivement vers les communes où les élections sont les
plus serrées ou pratiqueraient une autre sorte de manipulation
électorale), l'Administration devrait servir tout le monde également,
et tout le monde devrait avoir accès à ses services partout,
indépendamment de son domicile, donc il n'y a aucune raison valable de
jamais demander une telle justification, encore moins pour quelque
chose comme l'ouverture d'un compte en banque (c'est mon problème, pas
celui de la banque, de choisir l'agence qui me convient le mieux ;
tant qu'à faire, pourquoi ne pas imaginer des chaînes de supermarchés
qui demanderaient un justificatif de domicile pour vérifier que je
suis bien allé à celui le plus proche de là où
j'habite ?). Secundo, quand bien même on accepterait dans
certains cas le principe de justifier le domicile, la façon de s'y
prendre est invraisemblablement idiote et incohérente.
Pour ceux qui ne vivent pas en France, expliquons brièvement ce
qu'est cette pièce à la con : de façon aléatoire (sans aucune raison
logique ni motivation sensée), certaines démarches administratives, en
France, y compris certaines formalités privées (comme ouvrir un compte
en banque), en plus de vous demander une adresse, vous demandent de
« prouver » que vous habitez à cette adresse. Cette « preuve » prend
la forme d'un justificatif de domicile. Mais ce n'est pas une
pièce établie par l'administration, non, non, ce serait bien trop
simple de faire comme dans certains pays où on se déclare une fois
pour toutes habitant à un endroit et on reçoit une attestation unique
qui pourra resservir à chaque fois. Le justificatif de domicile à la
française est une pièce parmi une liste mal définie (le cadre
juridique du concept est flou : Wikipédia fait référence à
l'article
R113-8 du Code des relations entre le public et l'administration,
mais franchement, il ne dit pas grand-chose), où chaque demandeur a
ses contraintes différentes et gratuitement vexatoires, et une idée
différente de ce qui est accepté ou non comme justificatif de
domicile. Généralement parlant, il s'agit d'une facture envoyée au
domicile (et comportant l'adresse de celui-ci) parmi une liste
complètement arbitraire de factures considérées comme valant
justificatif de domicile : impôts, loyer, charges de copropriété, eau,
électricité, gaz, téléphone (mais peut-être seulement la ligne fixe,
vous savez, celle que plus personne n'a ; enfin, ça dépend de la phase
de la lune et de l'humeur du demandeur), certaines assurances.
Certains demandeurs n'acceptent qu'un sous-ensemble aléatoire de cette
liste. Et parfois, certains demandeurs décident d'être
particulièrement connards en exigeant un justificatif de domicile de
moins de trois mois (pourquoi ? parce que).
Je me demande s'il n'y a pas
de catch-22 où on
vous demande un justificatif de domicile pour pouvoir ouvrir un
abonnement électrique ou téléphonique pouvant servir de justificatif
de domicile. Ça ne m'étonnerait pas du tout.
Les avis d'imposition (taxe d'habitation ou taxe foncière, mais
aussi impôt sur le revenu) marchent presque toujours comme
justificatifs de domicile, mais il y a un gag : jusqu'à récemment, on
recevait un avis d'imposition trois fois par an pour le paiement des
tiers provisionnels ; du coup, on avait presque toujours un document
récent de moins de trois mois. Mais maintenant que l'impôt sur le
revenu a été basculé en prélèvement à la source, l'Administration
fiscale a décidé qu'elle n'avait plus de raison d'éditer ces avis
d'impôts (la logique m'échappe : il me semble qu'elle devrait, au
contraire, établir chaque mois une quittance du montant qui a été
prélevé à la source). Pour celui qui est propriétaire de son
logement, dont l'eau fait partie des charges de copropriété et dont
les charges en question sont établies par un syndic bénévole sur un
papier qui n'a pas « l'air officiel », l'électricité devient donc
quasiment la seule source fiable de justificatif de domicile, et gare
au moment où on vous en demandera deux !
Et le concept est particulièrement vexatoire pour ceux qui sont
hébergés à titre gratuit par quelqu'un, parce qu'il va leur falloir
demander une attestation sur l'honneur du fait qu'ils sont dans cette
situation (à joindre avec le justificatif de domicile de
l'hébergeur) : ce qui veut dire que l'hébergeur obtient une sorte de
droit de veto sur toutes sortes de procédures administratives que
l'hébergé pourrait vouloir accomplir.
Mais par ailleurs, pour accompagner l'attestation d'hébergement à
titre gratuit, on va vous demander, et j'en viens là à mon second
sujet de râlerie, une photocopie de pièce d'identité
(recto-verso).
*
La photocopie de pièce d'identité (recto-verso, parce que tout le
monde trouve toujours besoin d'ajouter recto-verso) est elle
aussi une pièce qui est demandée dans un nombre faramineux de
démarches administratives ou privées. Là au moins je comprends un
tout petit peu le sens de demander cette pièce (ce qui ne veut
pas dire que je ne lève pas les yeux au ciel quant à la « sécurité »
apportée par une vulgaire photocopie et, qui plus est, d'une pièce
d'identité qui doit pouvoir être un passeport de plein de pays). Mais
je suis déjà un peu plus perplexe quant à la légitimité de permettre à
essentiellement n'importe qui de demander ça : on est (à raison !)
sourcilleux quant aux circonstances dans lesquelles la police peut
procéder à un contrôle d'identité, mais à côté de ça on se retrouve
avec un nombre faramineux de situations où un quidam peut demander à
voir une pièce d'identité pour toutes sortes de raisons idiotes, ce
qui est déjà problématique s'il s'agit juste de la montrer,
mais ça l'est encore plus quand il s'agit d'en fournir une
copie.
Parce que la conséquence du fait que plein de formalités vous
demandent une photocopie de pièce d'identité, c'est, surprise, que
cette photocopie de pièce d'identité permet de faire plein de choses.
Et donc que dès qu'on la fournit à quelqu'un, on lui donne un
dangereux pouvoir sur nous. (Ça a quelque chose de kabbalistique :
comme s'il s'agissait de révéler notre Vrai Nom, qui nous soumet
ensuite au pouvoir de celui qui le connaît.)
Le problème, plus largement, c'est que toutes ces formalités (je
veux dire, la liste des pièces demandées pour faire telle ou telle
opération administrative) sont inventées de façon complètement
irréfléchies et même sans cohérence d'ensemble, par des gens dont on
ne connaît même pas le nom et qui ne sont responsables devant
personne, et qui n'ont aucune formation ou aucune connaissance
sérieuse en sécurité. Je râle souvent sur la sécurité informatique
(cf. ici), mais la sécurité des
procédures administratives et de la paperasse en général, dans la
Vraie Vie®, est, je dirais presque, encore pire (cf. ce que je
disais ici, là
et là, notamment) : et à la limite,
le problème n'est pas tellement là, le problème est surtout que c'est
tellement irréfléchi et incohérent qu'il est
difficile de ne pas s'en énerver.
(Du coup, je me défoule en rantant sur mon blog, quitte à radoter
une fois de plus.)
Comment répondre à la question à quoi ça sert ? en maths et sciences fondamentales
Je me livre ici à quelques réflexions (un peu décousues, je
dis toujours ça), autour de la question à quoi servent les maths
pures, et les sciences fondamentales en générales ?, sur la notion
d'utilité et d'applications pratiques. Pas sûr que tout ce que je
dise soit très cohérent (je passe sans véritable transition du rapport
entre lettres et sciences au rapport entre enseignement et recherche
sans développer adéquatement ni l'un ni l'autre), mais j'espère au
moins arriver à faire passer l'idée qu'il ne faut pas accepter sans
broncher les préjugés les plus banals à ce sujet.
J'ai l'impression que dans l'esprit de beaucoup de
gens[#], il y a une dichotomie
(assez claire même si elle n'est pas forcément clairement énoncée)
entre : d'un côté les sciences et techniques, dont l'importance dans
la société et notamment dans l'enseignement est justifiée par
leur utilité pratique, et d'autre part les arts et aux
lettres et autres humanités, dont l'importance est justifiée par leur
rôle culturel. Si je reformule cette idée dans des termes qui sentent
bon la fin du 19e siècle et que je mets quelques majuscules
d'emphase : on aurait d'un côté ce qui meut l'Humanité sur le chemin
du Progrès, et de l'autre ce qui Éclaire ce chemin en montrant la voie
vers le Progrès et le distinguant des Ténèbres alentours. Ou quelque
chose comme ça. Ce que je veux dire, c'est que dans cette vision des
choses, on a d'un côté des domaines comme la médecine ou la physique
qui apportent des bienfaits à l'Homme, et de l'autre, ceux comme la
philosophie et l'Histoire qui doivent en quelque sorte alimenter son
sens moral.
[#] J'accepte bien
volontiers que j'énonce peut-être ici un métapréjugé (i.e., un préjugé
sur les préjugés que peuvent avoir les gens) : mais ce n'est
pas bien grave si je dénonce une idée qui, en fait, n'existe pas
vraiment.
Peut-être que je caricature un peu, mais je pense au moins que
l'idée est assez répandue que la raison pour laquelle on doit
enseigner l'Histoire et la géographie au lycée est que ces disciplines
feraient partie de la « culture générale » que tout bon citoyen doit
avoir, tandis que la raison pour laquelle on doit enseigner les
mathématiques est qu'elles seraient utiles pour toutes sortes de
choses.
Bref, je pourrais m'appesantir à dénoncer le stéréotype du
littéraire qui considère que la culture générale se limite aux choses
qu'il connaît ; qui pense qu'il est indispensable que tous les lycéens
français sachent que Le Cid est une pièce de Corneille,
que la cinquième république a été établie en 1958 et que les Pyrénées
sont à la frontière entre la France et l'Espagne ; mais qui ne sait
pas citer une loi de Newton ou de la thermodynamique, ignore si les
plantes sont des eucaryotes ainsi que la différence entre une bactérie
et un virus, n'a absolument aucune idée du fonctionnement d'Internet
ou du Web, et ne sait peut-être même pas dire combien il y a de
millimètres cubes dans un mètre cube ; et si on lui montre du doigt
ces incohérences, répondra qu'il a fait des études
littéraires et que ces questions techniques sont bien plus
pointues et d'ailleurs ne lui servent à rien puisqu'il n'est pas
scientifique ; et consentira peut-être à donner comme exemple de
culture générale scientifique à peu près la seule chose qu'il sait,
disons, que la Terre tourne autour du Soleil et pas le contraire. Je
caricature ? En fait, non : j'en ai rencontré plus d'un, comme ça,
qui se plaignaient que les jeunes ne savaient plus rien de nos jours,
et qui démontraient immédiatement après une ignorance crasse et
assumée dans tout domaine scientifique (j'ai le souvenir, par exemple,
de quelqu'un qui ne savait pas de quoi était fait un atome, et qui
avait l'air de trouver totalement fantaisiste la suggestion que cela
pouvait faire partie de la culture générale de le savoir). Mais j'ai
déjà parlé de ça dans cette entrée
passée, et je ne veux pas la répéter ici. J'écrirai Un Jour® une
entrée sur la culture générale et l'effet de perspective dont tout le
monde est victime — et je m'inclus dans le tout le monde — qui
fait qu'on croit toujours indispensables les savoirs qu'on a soi-même
et superflus ceux que l'on n'a
pas[#2]. [Mise à
jour :c'est ici.]
Nous avons tous des
trous énormes dans notre « culture générale », et c'est normal : ce
qui me dérange plus, en fait, est qu'à une époque où nous avons tous
tout le savoir du monde à la portée de nos doigts, l'attitude
consistant à ne pas se précipiter sur Wikipédia quand on
découvre l'existence d'un de ces trous. Mais tout ça est une
digression par rapport au sujet général de cette entrée, est je la
referme maintenant.
[#2] Ceci vaut
d'ailleurs encore au sein d'un domaine : les mathématiciens, par
exemple, croient toujours que les outils et théorèmes mathématiques
qu'ils connaissent et manipulent sont centraux dans les mathématiques
et qu'il est indispensable de les connaître, alors que tout ce qui
sort de leur domaine de prédilection est quelque chose d'arcane.
Toujours est-il que cette attitude consistant à imaginer que les
sciences doivent être jugées à l'aune de leur utilité déteint
au sein des sciences elles-mêmes, et que les scientifiques se
retrouvent à justifier leur travail, notamment leur recherche pour
ceux qui sont chercheurs, en expliquant que ça peut servir à
quelque chose (et disons-le franchement, la plupart de ces
justifications sont bidon, ce qui est normal parce que quand on
découvre des choses nouvelles, on ne peut pas encore savoir
où elles nous mèneront). Et ce n'est pas tout : la notion
d'utilité est elle-même insidieusement réduite à celle
d'applications.
Dans ces conditions, les sciences pures sont dans une situation
très inconfortable d'apparence paradoxale : puisqu'elles sont des
sciences, elles sont censées servir à quelque chose, mais
puisqu'elles sont pures, elles n'ont pas d'applications ; donc à force
d'accepter les différentes idées stupides que j'ai énoncées plus haut,
on en revient à devoir trouver des justifications comme ah, mais on
ne peut pas encore savoir si ceci aura un jour des applications.
Avec comme exemple représentatif la théorie des nombres, que Gauß ou
je ne sais qui considérait comme la reine des mathématiques parce
qu'elle n'avait pas d'applications et qui finit par en avoir, et
d'importance économique absolument capitale, à travers la
cryptographie. Cet exemple est juste mais il est trompeur :
je veux dire qu'au lieu d'essayer de trouver des justifications dans
des exemples pareils, on ferait mieux de rejeter les prémisses idiotes
que les sciences sont justifiées par leur utilité et que la seule
forme d'utilité est dans les applications pratiques.
Au lieu de ça, la comparaison
que j'aime
donner est la suivante : imaginer qu'on puisse se passer
des sciences pures pour se focaliser sur les applications est comme
imaginer qu'on puisse couper les racines d'un pommier parce qu'il n'y
a pas de pommes qui poussent dessus. Ce que je veux dire par
là est que les sciences, et le savoir humain en général, est comme un
être vivant : les différentes parties s'irriguent conceptuellement les
unes les autres ; certaines produisent des applications directes,
d'autres non, mais s'imaginer qu'on peut amputer des parties sans
ruiner la santé de l'ensemble est tout simplement stupide.
J'avais commencé à écrire cette entrée vers septembre–octobre 2017,
pour me changer les idées à l'occasion d'une période
de stress particulier (liée, entre
autres, à mes cours de conduite — à l'époque, de voiture, donc), et je
l'ai un peu remaniée quelques fois depuis, mais je ne l'avais jamais
publiée. Comme quelqu'un a fait un commentaire sur
la dernière entrée me demandant si
je m'étais déjà pris des râteaux (le pape est-il catholique ?), et
c'est vrai que la comparaison est intéressante, cela vaut peut-être la
peine de la ressortir, quitte à la finir et relire en vitesse.
Forcément, cette écriture en plusieurs phases doit laisser des traces,
le style est un peu incohérent, et peut-être même que les faits le
sont (toute histoire est une
réinterprétation, qui sait combien ma mémoire a trahi la
vérité).
Je vais parler un peu de moi, donc, et en l'occurrence, de mon
rapport à mon orientation sexuelle : si vous n'aimez pas le racontage
de vie, passez votre chemin. (Si vous aimez, je note que j'avais
déjà écrit ici une petite
autobiographie sur mon rapport à l'informatique.)
1. Collège et lycée
J'essaie de me rappeler à quel moment précis j'ai pris conscience
que j'étais attiré par les garçons, mais sans grand succès. Ça devait
être en 1989 ou 1990, vers la classe de quatrième, soit quand j'avais
treize ans. Plus exactement, ce que je me rappelle nettement, c'est
mon premier béguin. (Je vais utiliser le terme béguin, même
s'il ne me plaît pas trop, pour un amour à sens unique, non
réciproque, ce qu'on anglais on peut rendre
par crush ou infatuation ;
l'idée est de réserver autant que possible le terme amour pour
quelque chose qui se construit à deux.) Béguin qui est resté
complètement secret, évidemment.
Sébastien H.[#1.1] était un
garçon de ma classe (nous étions aussi parmi les rares à faire russe
en LV2), sportif, gentil, plutôt
« populaire ».
Surtout, il était de ceux qui ne me regardaient pas trop comme
un OVNI. Je ne veux pas donner l'impression que
j'ai été harcelé au collège ou au lycée : pas du tout, globalement
l'ambiance était très bonne, je n'ai pas subi de
moqueries[#1.2] ou d'autres
méchancetés ; et j'avais de bons amis ; mais le geek atypique
très-bon-élève-sauf-en-sport que j'étais était vite catalogué comme
légèrement surdoué/cinglé (j'ai la faiblesse de croire que les deux
sont faux) et certains m'évitaient ou, en tout cas, n'auraient pas
voulu m'inclure dans leurs cercles de fréquentations. Sébastien, lui,
était plutôt protecteur à mon égard : en cours de sport (où j'étais
franchement nul, donc), il m'encourageait ; si au handball nous étions
dans la même équipe, il pouvait me passer la balle alors que la
plupart des autres cherchaient surtout à éviter ça sachant que je
risquais de la perdre ou de faire une faute avec.
Mais aussi, il devait correspondre à une certaine image que j'avais
de la virilité. J'ai déjà raconté
ici que je n'ai jamais su clairement distinguer le désir que je
peux éprouver pour un homme (l'envie-d'avoir, disons, l'envie
de coucher avec) et l'envie que me fait son corps
(l'envie-d'être, je veux dire, l'envie de
lui ressembler, voire d'être à sa place, dans sa peau) : si
bien que les garçons qui m'attirent
physiquement[#1.3] sont,
généralement parlant, ceux à qui je voudrais ressembler et vice versa.
(Et dans les deux cas, mes goûts sont
assez éclectiques et passablement
incohérents.)
Je n'arrive pas à me rappeler ce que je pensais de mon propre
corps. Quand je regarde les peu nombreuses photos de moi entre la
puberté (exemple ici en
classe de troisième) et, disons, la fin de ma prépa, je me trouve
très moche ; mais bon, je ne suis vraiment pas attiré par les garçons
de 14 ans, c'est forcément un peu difficile de juger avant autant de
recul. Ce qui est sûr, c'est que le type de garçons qui m'attiraient
au collège et au lycée, le type de garçons à qui je rêvais de
ressembler, ou dont je rêvais d'être dans la
peau[#1.4] quand je me
masturbais, étaient différents de mon physique réel.
Bref, je dois reconnaître que je ne comprends pas vraiment l'ado
que j'ai été. Ou plutôt, l'ado qui a maintenant disparu et dont j'ai
hérité de souvenirs (cf. ici) sans
avoir toutes les clés pour les déchiffrer.
Pourquoi, par exemple, est-ce que j'ai persisté à être mauvais en
sports (c'est-à-dire, à m'autopersuader que je l'étais) plutôt que de
comprendre que le sport pouvait être une façon à la fois de regarder
des jolis garçons et d'améliorer mon propre physique ? Je n'en sais
rien. J'avais dû m'enfermer dans le rôle du geek forcément mauvais en
sport et qui faisait semblant de ne pas s'intéresser au physique des
gens avec toute la facilité avec laquelle on laisse ce genre de
mensonges nous coller à la peau.
Je me souviens pourtant qu'un moment précis où ce Sébastien m'a
« tapé dans l'œil » était pendant un cours de sport où il s'est mis à
faire des pompes pour crâner en exhibant ses bras musclés — je ne sais
pas s'il a eu l'attention de qui que ce soit d'autre, mais il a
certainement eu la mienne.
J'écris cette entrée pour me défouler. Mes réactions spontanées
quand je suis furieux contre moi-même après un échec sont variées mais
toutes contre-productives : me recroqueviller dans mon coin pour
bouder que le monde est vraiment trop zinjuste, répéter avec
acharnement la chose qui a échoué [lorsque ça a un sens] comme si le
monde devait finir par me donner raison, tout abandonner,
m'auto-flageller en me traitant de dernier des nuls, voire, chercher à
me faire du mal pour me punir, ou au contraire
faire comme si rien ne s'était passé et que je n'avais jamais voulu
essayer de faire la chose sur laquelle j'ai échoué — ou parfois tout
ça successivement dans un ordre varié, voire, simultanément. (Je
suppose qu'il y a une correspondance avec
les étapes
du modèle Kübler-Ross.) Je ne suis pas, ce soir, d'humeur, à
essayer de faire mieux qu'une combinaison de ces réactions idiotes,
mais écrire une entrée dans mon blog a au moins une vertu cathartique.
Avant ça, je suis allé faire un tour à la salle de muscu pour calmer
mes nerfs : mauvaise idée, parce que, à jouer au bourrin pour passer
ma colère, je ne suis pas passé loin de me faire
une nouvelle blessure qui n'aurait
certainement pas arrangé mes affaires, ni mon humeur. Au moins, à
ranter sur mon blog, je ne risque pas de me faire trop mal, juste de
passer pour un guignol mais pour ça the train has
long left the station. Mon moniteur, lui, m'a conseillé de me
bourrer la gueule [sic], mais je ne bois pas, alors à défaut de rant
d'ivrogne je vais faire un rant de sobre. (Le but secondaire est que,
en écrivant jusqu'à 4h du matin, je serai assez fatigué pour arriver à
dormir malgré l'énervement.)
Bref, on aura compris que je me suis loupé en beauté en passant mon
permis. J'aurai les résultats officiellement vendredi matin, mais à
moins que l'inspecteur se soit trompé et ait appuyé sur le mauvais
bouton sur la tablette, il n'y a aucun doute que je suis recalé. Pour
faire bref, j'ai perdu tous mes moyens : j'ai fait une faute
éliminatoire, essentiellement un refus de priorité, immédiatement en
sortant du centre d'examen (et quand je dis immédiatement en sortant,
c'est à 65m de la grille), et ensuite les autres erreurs se sont
accumulées.
Mise à jour () :
L'inspecteur m'a mis la note E (éliminatoire) dans la
catégorie appliquer la règlementation et 2 dans toutes les
autres catégories (plus 2 points au détail, pour un total de 16/27,
mais peu importe). Le commentaire est : Refus de priorité à droite
entraînant un danger immédiat. Risque de collision. (je suppose
que c'est un texte standardisé).
Pourquoi ? Je ne sais pas. C'est d'autant plus irritant que mes
trois dernières leçons s'étaient extrêmement bien passées, mes
moniteurs n'avaient essentiellement rien à me reprocher, et pareil
pour le chemin jusqu'au centre d'examen (il faut bien que des élèves
conduisent les motos à Gennevilliers, et je me suis porté volontaire),
qui était pourtant sacrément plus problématique que le petit parcours
que l'inspecteur m'a fait faire.
Le stress a dû jouer, je suppose. Ça faisait une semaine que je
stressais à l'idée de passer ce permis à tel point que j'en dormais
très mal, et les deux derniers jours j'en avais aussi l'estomac
complètement noué. Comme je
le disais à propos du stress
dans l'entrée que j'avais écrite
après mon passage du permis B il y a un an et demi, ce stress n'est
pas évident à expliquer. Après tout, si on gagne quelque chose en
réussissant l'examen du permis (à savoir, le droit de conduire), on ne
perd rien en le ratant (sauf des frais de présentation qui,
franchement, ne sont pas mon souci) ; mais en fait, cet argument est
bidon : le stress à l'idée qu'on pourrait ne pas gagner quelque chose
est aussi fort que celui qu'on pourrait perdre quelque chose.
J'ai déjà dû l'écrire, mais le piège dans lequel je suis tombé en
commençant à apprendre à faire de la moto, en fait, c'est que j'ai
découvert que j'aimais ça (alors qu'au début c'était un peu juste une
expérience pour voir), et que du coup, maintenant j'ai envie d'en
faire, et pour ça, il faut que je le passe, ce permis. (En
comparaison, pour la voiture, j'ai juste eu confirmation du fait que
je n'aimais pas, donc il est sans doute logique que le stress ait été
moins important.) D'ailleurs, plus le temps passe et plus je trouve
pénible de conduire une
voiture[#0], et c'est le
contraire pour une moto.
[#0] Et je commence à
me dire que j'ai trouvé mon permis B dans une pochette surprise, parce
que non seulement je préfère mais je pense aussi que je conduis
objectivement mieux une moto qu'une voiture (mes trajectoires sont
plus précises, ma maîtrise de l'embrayage et du passage des vitesses
est incomparablement meilleure, je suis beaucoup plus alerte et
attentif à ce qu'il y a derrière…). Une moto étant aussi
objectivement plus dangereuse pour son conducteur, il est sans doute
normal qu'on en demande plus, mais le fait est que j'aurais commis les
mêmes fautes au permis B et sans doute encore d'autres.
Le truc avec le stress, c'est qu'il sera forcément bien pire la
fois suivante.
Bon, et en fait il y a vraiment des choses qu'on perd. On perd
l'argent qu'on va mettre pour prendre les leçons pour aller quand même
jusqu'au bout (au nombre astronomique d'heures où j'en suis je préfère
ne vraiment pas réfléchir à combien tout ça m'a coûté). Mais aussi le
temps que ça va prendre de le repasser, et je crois
comprendre[#] que les
auto-écoles traînent particulièrement les pieds pour les nouvelles
présentations après un échec parce qu'elles ont très peu de places
pour ça (et donc on perd quelque chose après un échec au permis, c'est
le droit à être considéré comme « première présentation » du point de
vue de l'attribution des places aux auto-écoles). Et accessoirement,
on perd la face à avoir échoué à un examen qui a 92% de réussite et
que personne ne rate jamais (vous connaissez quelqu'un qui a échoué au
permis moto ? non, c'est normal, ça n'arrive jamais). Et à devoir
expliquer à tout le monde comment on a pu se planter à une priorité à
droite. Bon, tout ça ce ne sont pas forcément des motifs de stress a
priori, mais des motifs de colère a posteriori certainement.
[#] Je crois
comprendre, parce que, comme personne ne rate ce permis, personne
ne parle non plus de ce qui se passe quand on le rate ou des délais
pour le repasser. Un point Google-fu en chocolat à celui qui arrivera
à trouver un témoignage raisonnablement récent de quelqu'un ayant
passé le permis A2, ayant échoué, et qui raconte combien de temps il a
dû attendre ensuite pour le représenter : moi, en tout cas, je n'ai
rien trouvé de la sorte.
Alors voilà, pour en dire un peu plus sur le fond : nous étions
trois candidats de l'auto-école à la circulation ce jour-ci. Nous
sommes donc partis à cinq (les trois candidats, le
moniteur-accompagnateur et l'inspecteur, un candidat sur la moto à
tour de rôle et les autres dans la voiture avec le moniteur qui
conduisait et l'inspecteur qui guidait) sur un trajet en boucle, dont
j'ai fait la première partie. Le parcours qu'on m'a fait faire
est celui-ci,
de Gennevilliers à Argenteuil. (Je prends la peine de le mettre en
ligne parce que ça m'agace à quel point il est difficile de trouver
des exemples de vrais parcours suivis lors des épreuves de circulation
du permis : les candidats ne font jamais l'effort de retracer
précisément le leur.) Florilège d'erreurs, donc :
Juste en sortant du centre d'examen, j'arrive
à cette
intersection ; j'arrive par le sud, c'est-à-dire par la gauche de
cette photo Google Street View, et j'ai pour consigne de tourner vers
la gauche, c'est-à-dire vers l'ouest, c'est-à-dire vers le fond de la
photo : d'autres voitures arrivent en face (du nord, donc de la droite
de la photo) et elles veulent elles aussi tourner à gauche. Notons
que le carrefour est « à l'indonésienne » sur la voie principale
(est-ouest) : moi et les voitures en question sommes transverses à
cette voie, donc nous devons nous tourner autour. (Je me rends compte
que les descriptifs des carrefours à l'indonésienne omettent toujours
de parler de ce qui se passe quand on vient de la direction
transverse.) Je me suis, correctement mis sur la voie la plus à
droite (i.e., la plus au nord de l'axe est-ouest, à droite sur la
photo et orienté vers le fond), mais ensuite, j'ai trop avancé. (Les
deux rues nord-sud ne sont pas coaxiales, ce qui peut expliquer mon
erreur.) Je n'ai pas obligé de voiture à s'arrêter, mais je pense
qu'elles ont dû modifier leur trajectoire pour passer plus à droite
(pour elles). L'inspecteur m'a dit dans l'oreillette : Monsieur,
je vous rappelle que quand vous tournez à gauche vous devez céder le
passage aux véhicules arrivant en face, ce qui signifie, en
fait, vous venez de faire un refus de priorité, c'est
éliminatoire. Mais sauf problème de sécurité grave, l'épreuve
doit être menée à son terme même en cas de faute éliminatoire.
Deux fautes moins graves mais néanmoins significatives
immédiatement après. D'abord, l'inspecteur me donne la consigne de
suivre Gennevilliers, et quand
j'arrive ici,
je vois le panneau annonçant Gennevilliers avec une flèche vers la
gauche et je mets un clignotant à gauche ; mais en fait, le panneau
est pour l'intersection suivante (pour l'endroit même, il aurait été
en forme de flèche) ; j'ai coupé mon clignotant, mais c'est une faute
de mettre un clignotant à tort.
Ensuite, ici
je devais prendre à gauche (pour Gennevilliers, donc) et je me suis
placé sur la voie tout à gauche plutôt que la voie la plus à droite
parmi celles qui autorisent à aller à gauche : ça aussi c'est
considéré comme une faute.
Ensuite j'ai pris l'autoroute, je crois que je n'ai pas fait de
faute particulière à cette occasion. J'ai commencé à faire un
dépassement mais je n'ai pas eu le temps avant la sortie et j'y ai
renoncé, mais ça ce n'est pas considéré comme une faute.
En sortant de l'autoroute (l'inspecteur m'avait demandé de suivre
Enghien-les-Bains), j'ai mis mon clignotant à droite pour sortir
(ici),
puis je l'ai laissé pour une sortie dans la sortie
(ici),
et j'ai dû le couper
environ ici
une fois que j'étais sur la voie de droite. Mais en fait,
arrivant ici,
j'aurais dû laisser, ou remettre, mon clignotant droit, parce que je
rejoins l'axe principal en tournant à droite : l'inspecteur m'a
dit n'hésitez pas à signaler votre direction, et c'est encore
une faute.
Ensuite, ici,
je me suis arrêté, et sans doute un peu brutalement, pour un piéton,
alors qu'il avait un feu piéton rouge (le piéton n'a d'ailleurs pas
traversé). Comme le passage piéton était assez loin derrière mon
propre feu vert et que ce dernier n'avait pas de passage piéton à son
niveau, je n'avais pas fait le lien. (Bizarrement, là, l'inspecteur
n'a pas fait de commentaire.)
Après un petit tour où je crois ne pas avoir fait de faute,
l'inspecteur m'a fait revenir
par ici :
c'est une priorité à droite, donc je suis prioritaire sur les voitures
arrivant de la gauche, mais je me suis arrêté sans m'imposer jusqu'à
ce qu'il y ait un trou dans la circulation venant de gauche. (En
fait, là je peux faire un reproche à nos moniteurs : ils attirent
beaucoup notre attention sur les priorités à droite dans la situation
« je circule sur un axe important et il y a une petite rue sur la
droite dont il faut se méfier parce qu'elle est prioritaire » mais ne
nous ont essentiellement jamais mis dans la situation où on vient,
justement, de cette petite rue et où il faut se rappeler qu'on est
prioritaire dans un sens et oser s'imposer — en vérifiant qu'on peut
le faire et qu'on est bien vu — sur les voitures venant de la gauche.)
Là non plus, l'inspecteur n'a pas fait de remarque.
Et l'humiliation finale : j'étais
arrêté à
ce feu, l'inspecteur me dit de tourner à droite à l'intersection,
et je mets mon clignotant à droite sans prendre garde au fait qu'il y
avait un sens interdit. Bon, là, l'inspecteur n'avait pas le droit de
me faire ce coup : les textes sont clairs sur le fait qu'on ne doit
pas demander au candidat quelque chose d'interdit (on peut lui
demander tourner à droite dès que possible, par exemple, mais
pas tournez à droite à l'intersection si c'est interdit) ; je
pense que c'était une erreur de direction de sa part, et de fait,
rapidement après il a dit continuez tout droit (j'ai coupé mon
clignotant et en fait c'était à l'intersection suivante qu'il
s'agissait de tourner), mais que ce soit une erreur de l'inspecteur ou
une façon (interdite) de me tester, le candidat qui est prêt à tourner
dans un sens interdit n'incite pas à la clémence pour ses fautes
précédentes.
Je pense que l'inspecteur a décidé d'arrêter les frais et a mis
terme à ma partie de l'épreuve plus tôt que prévu : je n'ai pas noté
exactement quand j'étais parti, mais ça devait être environ 13h45, et
j'ai fini à 14h00 alors que l'épreuve est censée durer 25min de
conduite effective, et, de fait, les autres candidats après moi m'ont
semblé circuler plus longtemps. (J'étais trop occupé à pleurer dans
mon coin pour noter le trajet qu'ils ont fait, c'est bête ; mais je
sais qu'on est partis en direction du Plessis-Bouchard et de
Saint-Leu-la-Forêt et revenus à la fin par l'A15 et le port de
Gennevilliers.)
Une fois de plus, je ne comprends pas la mauvaise réputation qu'ont
les inspecteurs du permis de conduire. Celui auquel j'ai eu affaire
aujourd'hui (et c'est la troisième personne de cette profession que je
vois, donc) était d'un professionnalisme irréprochable (sauf si la
consigne de tourner à droite sur un sens interdit était volontairement
donnée pour me piéger) ; en tout cas, il a bien respecté la consigne
officielle de rester parfaitement neutre dans sa façon de s'adresser
aux candidats.
Quant à mon moniteur, il a pour principe de ne pas émettre d'avis
sur les examens auxquels il assiste, pour ne pas donner de fausse
bonne ou mauvaise nouvelle. Je peux comprendre ça. Ce qui m'agace
plus, c'est qu'il pousse le principe à refuser que je m'inscrive à des
nouvelles heures de conduite jusqu'à ce que j'aie le résultat officiel
de l'examen d'aujourd'hui. (Et j'ai eu beau lui dire que je voulais
bien m'engager à faire et à payer ces leçons même dans le cas où je
serais inexplicablement reçu, il n'en a pas démordu.)
Bon, au moins ça me laisse l'occasion de me poser la question de
savoir si je veux continuer dans cette auto-école ou essayer d'en
trouver une autre. (Je n'ai pas spécialement à me plaindre de mon
auto-école — les moniteurs me semblent plutôt bons, les motos sont
neuves, et elle a l'avantage d'être au bout de ma rue — mais elle est
un peu victime de son succès, et du coup les disponibilités pour les
cours ou les examens sont toujours problématiques.) Si quelqu'un a
des conseils à cet égard, je suis preneur.
PS / Ajout : Pour répondre indirectement à une
remarque qu'on m'a faite, bien sûr que je ne suis pas le premier à
rater un permis ; c'est déjà plus compliqué d'en trouver qui se font
éliminer au bout de 65m ; mais réussir cet exploit après 112 heures de
formation, ça demande un degré de nullité sans doute assez
concurrentiel.
Sur les fonctions réelles continues et le compactifié de Stone-Čech
Le contenu de cette entrée est presque complètement inclus dans le
très classique, et remarquablement bien écrit, livre de Leonard
Gillman & Meyer Jerison, Rings of Continuous
Functions (1960), qui contient d'ailleurs bien d'autres choses
intéressantes. Mais j'en avais assez de perdre du temps à retrouver
des choses contenues dans ce livre à chaque fois que je les oublie,
donc je voulais me faire un aide-mémoire, et à ce moment-là autant le
mettre en ligne sur mon blog, d'autant plus qu'il s'agit là de culture
générale mathématique (que, selon moi, tout mathématicien devrait
avoir, — au moins pour les grandes lignes de ce que je raconte,
évidemment, disons les « spoilers » ci-dessous, pas les détails un peu
arcanes sur les espaces d'Urysohn et les réelcompacts). Mais mon
exposition est assez différente de celle de Gillman & Jerison, et
pas seulement parce que le fait de ne pas donner de preuves permet de
réorganiser les résultats dans un ordre parfois plus satisfaisant,
mais aussi parce que j'ai cherché à développer autant que possible les
parallèles entre les faits annoncés, et j'ai une approche un tout
petit peu plus « catégorique ».
Comme j'ai écrit énormément de choses très rapidement, y compris
des choses qui ne sont pas verbatim dans la littérature (je ne
m'en éloigne guère, mais parfois je change un peu les hypothèses ou
les conventions, et il faut donc adapter les énoncés : par exemple,
Gillman & Jerison supposent les espaces complètement réguliers
quand il s'agit de décrire le compactifié de Stone-Čech, ce qui me
déplaît énormément ; parfois aussi, quand j'interpole des résultats,
je fais une démonstration dans ma tête, mais je n'ai pas tout vérifié
avec le soin le plus absolu), il est probable que j'aie fait un
certain nombre d'erreurs. On va dire que le but du jeu est de les
retrouver !
Je suppose que le lecteur sait déjà ce qu'est
un espace
topologique et une fonction continue entre espaces topologiques
(ainsi que les autres termes de base de la topologie générale :
ouverts, fermés, voisinages, intérieur, adhérence, homéomorphisme,
sous-espace / topologie induite, topologie produit, espace compact
[:= compact séparé], ce genre de choses — cf. par
exemple ce
glossaire ou différentes pages
de ce
wiki). Mais je ne suppose pas que le lecteur sait ce qu'est, par
exemple, un espace complètement régulier. Je suppose aussi connues
les notions d'anneau [sous-entendu : commutatif], ou plutôt de
ℝ-algèbre [commutative], et d'idéal d'un tel anneau (et je rappelle
qu'un idéal maximal d'un anneau est un idéal ≠(1) et
maximal pour l'inclusion parmi les idéaux ≠(1), ou, ce qui revient au
même, un idéal tel que quand on quotiente l'anneau par lui on obtient
un corps).
❀
Remarque informatique : J'utilise
dans ce qui suit les caractères ‘𝔪’,
‘𝔬’,
‘𝔭’,
‘ℱ’
et ‘𝒰’ pour, respectivement, un
‘m’ gothique minuscule, un ‘o’ gothique minuscule, un ‘p’ gothique
minuscule, un ‘F’ cursif et un ‘U’ cursif. Comme ces caractères
peuvent parfois manquer dans des polices j'ai prévu un peu de magie en
JavaScript qui remplacera en un seul clic tous ces symboles par des
lettres latines toutes bêtes : donc, si vous ne voyez pas les
caractères que je viens de
nommer, cliquez
ici pour activer ce remplacement.
❀
✱ Si X est un espace topologique, on note
C(X) l'ensemble des fonctions réelles
continuesX→ℝ, avec l'addition et la
multiplication point à point (c'est-à-dire
que f+g est la
fonction x↦f(x)+g(x)
et que fg est la
fonction x↦f(x)g(x)) ;
chaque réel c est identifié à la fonction
constante x↦c dans C(X). (C'est donc
un anneau commutatif et même une ℝ-algèbre commutative. On peut le
munir d'autres structures, notamment un ordre partiel défini
par f≤g
lorsque f(x)≤g(x) pour
tout x∈X, qui est d'ailleurs un treillis
avec f∨g la fonction x
↦ f(x)∨g(x) :=
max(f(x),g(x))
et f∧g la fonction x
↦ f(x)∧g(x) :=
min(f(x),g(x)), et une
valeur absolue |f| = f∨(−f). On peut
éventuellement aussi introduire une ou plusieurs topologies sur
C(X), mais ce n'est pas ce qui va m'intéresser ici ; en
revanche, je souligne qu'on n'a pas de norme intéressante sur
C(X).)
À côté de C(X), on a C*(X) qui est formé des
fonctions réelles continues bornées c'est-à-dire
les f∈C(X) telles qu'il existe un B∈ℝ
tel que pour tout x∈X on ait
|f(x)|≤B. Il est évident que la
somme et le produit de deux fonctions bornées sont bornés, si bien que
C*(X) est un sous-anneau de C(X).
On peut par ailleurs noter que C et C* sont
des foncteurs contravariants des espaces topologiques
vers les ℝ-algèbres commutatives, ce qui signifie que donnée une
application continue h:X→Y on
fabrique de façon évidente des morphismes
C(Y)→C(X) et C*(Y)→C*(X)
(remarquer le sens des flèches !), simplement par composition à droite
par h, c'est-à-dire qu'elles envoient une fonction
continue f:Y→ℝ [éventuellement bornée] sur la
composée f∘h:X→ℝ. On peut noter
C(h):C(Y)→C(X) et
C*(h):C*(Y)→C*(X) pour ces deux
morphismes de « composition à droite par h ». La
« fonctorialité » signifie simplement que (i) si
id:X→X est l'identité alors C(id) et C*(id) sont
aussi l'identité, et (ii) si h:X→Y
et k:Y→Z alors
C(k∘h)=C(h)∘C(k) et
C*(k∘h)=C*(h)∘C*(k).
✱ La problématique qui m'intéresse est de décrire le rapport entre
l'espace X et son C(X) et son C*(X),
comment on peut retrouver l'un à partir de l'autre, ce genre de
choses.
Plus précisément, parmi les questions qu'il est naturel de se
poser :
La ℝ-algèbre C(X) caractérise-t-elle l'espace
topologique X ? Permet-elle de le retrouver (autrement dit,
si X₁ et X₂ ont « le même » C(X),
c'est-à-dire que C(X₁) et C(X₂) sont isomorphes
en tant que, disons, ℝ-algèbres, alors X₁ et X₂
sont-ils homéomorphes) ? Dans les cas où c'est possible, comment
peut-on reconstruire X à partir de C(X) ? Par
ailleurs, peut-on identifier les ℝ-algèbres qui apparaissent comme des
C(X) ? Peut-on, d'ailleurs, retrouver la structure de
ℝ-algèbre (i.e., les fonctions constantes et leur isomorphisme avec ℝ)
à partir de celle d'anneau ?
Mêmes questions pour C*(X).
Quel est le rapport entre C(X) et C*(X) ?
Peut-on identifier les fonctions bornées de façon purement
algébrique ? Pour quel genre d'espace a-t-on C(X) =
C*(X) (toutes les fonctions continues sont bornées) ?
Comment les ℝ-algèbres qui apparaissent comme des C(X) se
situent-elles parmi ceux qui apparaissent comme des C*(X) ?
Peut-on notamment trouver un espace Xˆ (en fonction
de X) pour lequel on aurait C(Xˆ) =
C*(X) (ou le contraire) ?
(Digression : J'ai essayé d'écrire là les questions qu'il
me semble qu'on « devrait » vraiment spontanément se poser — et donc
chercher à résoudre — dès qu'on introduit ce genre de constructions,
sans préjuger de celles qui ont une réponse plus ou moins
intéressante. Je trouve toujours agaçants les livres qui traitent
d'un sujet mathématique et qui omettent une question qui me semble
« évidemment naturelle », ne serait-ce que pour dire qu'on ne connaît
pas de réponse satisfaisante ou que les auteurs n'en connaissent
pas.)
Quelques spoilers :
La ℝ-algèbre C*(X) caractérise l'espace X
pour les espaces compacts [séparés]. On pourra alors
reconstruire X comme l'ensemble des idéaux maximaux de
C*(X). Je crois qu'on ne sait pas caractériser de façon
algébrique satisfaisante les ℝ-algèbres C*(X). En
revanche, donné un espace topologique X, il y a un unique
espace compact βX pour lequel C*(βX) =
C*(X) (c'est donc un choix canonique d'espace X′
ayant ce C*(X)) : on l'appelle le « compactifié de
Stone-Čech » de X. En général, dire que C*(X₁)
et C*(X₂) sont isomorphes va signifier que les espaces ont
le même compactifié de Stone-Čech.
La ℝ-algèbre C(X) caractérise l'espace X
pour tous les espaces dits « réelscompacts » (ce qui inclut énormément
de choses, par exemple tous les espaces métriques). On pourra alors
reconstruire X comme l'ensemble des idéaux maximaux de
C(X) tel que le quotient soit ℝ. Je crois qu'on ne sait
pas caractériser de façon algébrique satisfaisante les ℝ-algèbres
C(X). En revanche, donné un espace
topologique X, il y a un unique espace réelcompact
υX pour lequel C(υX) = C(X) (c'est
donc un choix canonique d'espace X′ ayant
ce C(X)) : on l'appelle le « réelcompactifié [de
Hewitt-Nachbin] » de X. En général, dire que
C(X₁) et C(X₂) sont isomorphes va signifier que
les espaces ont le même réelcompactifié.
Les C*(X) sont des cas particuliers des
C(X), par cela je veux dire que pour tout espace
topologique X il existe un espace Xˆ pour lequel
on a C(Xˆ) = C*(X), et (d'après ce qui précède)
ceci caractérise complètement Xˆ si on lui impose de plus
d'être compact : c'est là aussi le compactifié de Stone-Čech
de X (noté βX). On peut caractériser
algébriquement les fonctions bornées au sein de C(X)
puisqu'on peut même caractériser l'image
de f∈C(X), à savoir l'ensemble
des c∈ℝ tels que f−c ne soit pas
inversible dans C(X). Les espaces pour lesquels
C(X) = C*(X), ou simplement pour lesquels
C(X) est un C*(X′), sont les espaces
dits « weierstrassiens » ou « pseudocompacts » (et c'est notamment le
cas des espaces compacts).
Méta : Encore une entrée qui à
force de trop rallonger s'est transformée en foutoir, et dont j'ai
fini par avoir marre, alors,
comme mentionné dans l'entrée
précédente, je la publie telle quelle, après une relecture
extrêmement minimale, même si je n'en suis pas content et qu'elle est
assez inachevée, mais c'est ça ou bien la laisser moisir dans mes
cartons indéfiniment.
Je commence par un point terminologique sur le sens des
mots emoji et émoticône et la différence entre les
deux :
Les emojis
(ou les emoji, je ne sais jamais bien si c'est une bonne idée
d'attacher un pluriel français en -s à un mot d'une langue qui n'a pas
de pluriel ; du japonais 絵文字,
signifiant quelque chose comme caractère-dessin), sont des
caractères pictographiques ou idéographiques prévus pour être insérés
dans, mélangés à, ou utilisés comme, du texte écrit ordinaire.
L'histoire des emoji est un peu confuse parce qu'ils ont été
inventés plusieurs fois, ou disons que cela dépend de ce qu'on appelle
exactement un emoji (en étant suffisamment large, on peut dire que les
hiéroglyphes égyptiens sont des emojis quand ils ne servent pas à
représenter des sons), mais on les attribue généralement à l'opérateur
de télécommunications japonais NTT Docomo, qui a
introduit en 1995 un symbole de cœur dans son pager, puis un jeu de
176 emojis (en format 12×12 pixels) dans sa plate-forme Internet
mobile en 1999.
Dans Unicode spécifiquement
(voir cette entrée récente pour
quelques généralités sur Unicode), il s'agit de glyphes bien précis
pouvant être représentés par un caractère unique ou par des
combinaisons bien précises de caractères définies par le standard.
Par exemple, côté caractères
uniques, U+1F600 GRINNING FACE
représente un emoji de smiley souriant largement ‘😀’, tandis
que U+1F4A9 PILE OF POO représente
un emoji de tas de merde ‘💩’ ; pour ce qui est des
combinaisons de caractères, par
exemple U+1F1EA REGIONAL INDICATOR SYMBOL
LETTER E + U+1F1FA REGIONAL
INDICATOR SYMBOL LETTER U représente un emoji de drapeau
européen ‘🇪🇺’, tandis que la combinaison assez
complexe U+1F3F3 WAVING WHITE FLAG
+ U+FE0F VARIATION SELECTOR-16
+ U+200D ZERO WIDTH JOINER
+ U+1F308 RAINBOW représente un
emoji de drapeau arc-en-ciel ‘🏳️🌈’
(c'est mignon : on fabrique un drapeau arc-en-ciel en « combinant » un
drapeau blanc avec un arc-en-ciel…) ; mais on considère dans tous les
cas qu'il s'agit d'un emoji.
Une des particularités de ces caractères est qu'ils ont
généralement des couleurs spécifiques. Ce n'est pas imposé par le
standard, mais c'est ce qu'on observe typiquement quand il s'agit
d'afficher sur un écran couleur. (Les polices informatiques
traditionnelles n'étant pas prévues pour stocker des informations de
couleur, ça a d'ailleurs causé toutes sortes de difficultés techniques
pas complètement — ou pas très proprement — résolues d'obtenir cet
effet.)
Mais comme je le disais dans
l'entrée liée ci-dessus, certains
caractères ont une double nature, emoji ou non-emoji, ou plus
exactement, peuvent coder un glyphe emoji (donc typiquement en
couleur) ou un glyphe non-emoji selon qu'on les fait suivre
du sélecteur de variation numéro 15 ou 16 : je donnais
l'exemple du caractère U+2620 SKULL AND
CROSSBONES représentant une tête de mort au-dessus
de tibias/fémurs
croisés, qui peut servir à coder l'emoji ‘☠️’ quand il
est suivi de U+FE0F VARIATION
SELECTOR-16, ou bien le caractère explicitement non-emoji
‘☠︎’ quand il est suivi
de U+FE0E VARIATION SELECTOR-15.
La distinction devient là un peu byzantine (en quoi est-ce que
‘☠︎’ n'est pas un caractère idéographique ? si ce n'est
pas une question de couleur, qu'est-ce que ça veut dire au
juste, d'être un emoji ?), mais au moins, pour ce qui est d'Unicode,
il y a une définition précise. En pratique, c'est assez clair, quand
même : la forme emoji est un petit dessin qui vient décorer un texte
pas très sérieux ou peut-être signaler une émotion tandis que la forme
non-emoji est plutôt un symbole qui aurait sa place dans un texte
sérieux. Je me
suis d'ailleurs
plaint que l'interface Web de Twitter « emojifiait » abusivement,
et que si je veux écrire une bijection A↔B dans
un texte mathématique, ça m'agace qu'elle apparaisse sous forme
d'emoji ‘↔️’ [si vous ne voyez pas d'emoji ici, cliquez
sur cette
image pour avoir une idée] si je ne prends pas le soin explicite
de mettre un U+FE0E VARIATION
SELECTOR-15 après.
Les émoticônes
(emoticons ? emotica ? quidlibet…) sont des
façons de représenter des émotions dans du texte,
notamment/typiquement des sourires plus ou moins heureux, auquel cas
on peut parler de smileys, terme parfois considéré comme
interchangeable avec émoticône (bien qu'il existe des
émoticônes qui ne sont pas des smileys et peut-être
réciproquement).
Cela peut être fait par l'usage de caractères spécifiquement dédiés
à cet effet, comme ‘☻’ (U+263B BLACK
SMILING FACE), qui peuvent être ou ne pas être des emojis
(cf. ci-dessous), ou bien en détournant des caractères ayant en
principe un usage différent, par exemple les caractères de ponctuation
servant à construire le smiley ‘:-)’
(U+003A COLON +
U+002D HYPHEN-MINUS
+ U+0029 RIGHT PARENTHESIS).
Comme l'histoire des emojis, celle des émoticônes est confuse et on
peut trouver toutes sortes de précurseurs selon ce qu'on qualifie
exactement d'émoticône. Les smileys qui détournent les
caractères ASCII (on parle donc de smileys
en ASCII-art)
comme le dernier exemple que je viens de donner, sont généralement
rattachés à un message précis posté le dans un
forum informatique de CMU proposant l'usage de
‘:-)’ et ‘:-(’ pour marquer les blagues et les
choses qui n'en sont pas.
Le jeu de
caractères CP437 de
l'IBM-PC (qui doit dater de 1981) incluait
en toute première position des caractères ‘☺︎’ et
‘☻’ (un visage souriant en vidéo normale et inverse, donc), qui
pouvaient servir comme dessins (je m'en suis beaucoup servi pour
représenter le héros dans des petits jeux que je programmais
en BASIC ou Pascal dans les années 1980), mais
n'étaient pas facile à utiliser dans du texte puisqu'ils étaient
classés comme caractères de contrôle : on peut débattre s'il
s'agissait d'une émoticône ou pas, ou d'un emoji ou pas.
En tout cas, les termes emoji et émoticône sont sans
rapport, et leur similarité est accidentelle (au moins formellement :
il est difficile exclure complètement, par exemple, que la similarité
avec le mot anglais emotion ait en partie inspiré
la composition du mot japonais 絵文字, ou que la
confusion ait joué dans la popularité du mot en-dehors du japon).
Même s'il y a un certain flou dans la définition des deux termes,
les propriétés d'être un emoji et d'être une émoticône sont
indépendantes. Par exemple, ‘🌍’
(U+1F30D EARTH GLOBE EUROPE-AFRICA)
est indubitablement un emoji, mais ce n'est pas une émoticône
puisqu'il ne s'agit pas de représenter une émotion de celui qui écrit.
À l'inverse, ‘:-)’ est une émoticône mais n'est pas un emoji, en
tout cas pas au sens formel d'Unicode (d'ailleurs, au sens formel
d'Unicode, même ‘☻’ et ‘☺︎’ [ce dernier devrait
apparaître comme la version noir et blanc inversée du précédent] ne
sont pas des emojis, contrairement à ‘😀’).
Ceci étant, je répète qu'il y a forcément une certaine dose de flou
sur ce qui est ou n'est pas quoi. Par exemple, à l'heure de gloire
des smileys en ASCII-art, certains s'amusaient à en
composer de plus en plus complexes (comme le smiley père Noël
‘*<:-{)#’), juste pour le plaisir de les
dessiner et plus pour représenter une émotion : du coup, je ne les
classerais ni dans les emojis ni dans les émoticônes, alors que ce
sont quand même des smileys… bref, ce n'est pas très important.
Comme je l'ai écrit ci-dessus, l'histoire des emojis et des
émoticônes est confuse et se recoupe au moins partiellement. Si les
smileys en ASCII-art sont apparus vers le début des
années 1980, et si les japonais ont développé leur propre style de
smileys (kaomoji, par exemple ‘{^_^}’) dans la seconde moitié des
années 1980, c'est surtout avec le développement des webforums dans
les années 1990–2000 que les émoticônes ont commencé à prendre le
chemin des emojis : remplaçant automatiquement (ainsi que certains
logiciels de mail) les séquences ASCII-art (comme
‘:-)’) par des dessins plus représentatifs, ils se
sont mis à multiplier les possibilités de smileys insérables depuis
une interface ad hoc et ont certainement beaucoup fait pour les
rendre populaires auprès des internautes. Je pense à des
dessins comme ça (ou
plus généralement ce que renvoie
une recherche
Google Images de phpbb smileys), qui font maintenant très
datés début des années 2000 mais qu'on continue à trouver çà et
là sur le Web (y compris sur ce blog, cf. ci-dessous).
Rappelons à toutes fins utiles que si Unicode définit des
caractères et séquences de caractères censés représenter des emojis,
au final, les dessins réellement affichés dépendent des polices
installées et typiquement du concepteur du système d'exploitation ou
smartphone (ou autre gadget) utilisé pour lire le texte ; certains
emojis sont sujets à des différences de représentation (et donc
d'interprétation) assez importantes : il ne faut pas compter sur le
fait que la personne à qui vous envoyez un message contenant des
emojis verra forcément la même chose que vous (outre les problèmes
de différences de dessins, il peut y avoir celui
des manques, puisque tout le monde n'a pas forcément la
panoplie complète).
⭐️
Maintenant, on peut se poser un certain nombre de questions :
Est-ce que tout ça est bien utile ? À quoi est-ce que ça sert
exactement ?
Et plus spécifiquement : est-ce qu'Unicode a eu raison de céder et
de commencer à encoder les emojis dans le Standard, au risque de
glisser sur la pente d'une ménagerie qui n'en finit plus de dessins en
tous genres ?
Sur le premier point, mon avis est qu'indubitablement, oui, au
moins les émoticônes ont un intérêt : elles facilitent réellement la
communication et évitent notamment des malentendus de ton ou de degré
en explicitant par écrit des choses qui, à l'oral, passeraient dans
l'intonation de la voix, la gestuelle ou le visage. Elles ne sont
évidemment pas indispensables ; mais la ponctuation n'est pas
non plus indispensable : et comme la ponctuation, elles servent à
donner une sorte de méta-information périphérique à l'interprétation
d'un énoncé, en l'occurrence une sorte de contexte émotionnel.
Contexte et méta-informations qu'on pourrait bien sûr indiquer
explicitement par des mots (comme on pourrait se passer du point
d'interrogation et d'exclamation par des adverbes et des tournures de
phrase bien choisis) mais au prix de beaucoup plus de lourdeur dans
l'expression. Quant à l'argument selon lequel on se passait bien de
smileys avant les ordinateurs (ou qu'on n'imagine pas Victor Hugo
dessiner une petite tête souriante à la fin d'une phrase pour la
rendre plus légère), il fait semblant d'ignorer le fait que la
communication écrite ne s'est pas seulement développée, elle
s'est aussi diversifiée, et qu'il est normal que des nouveaux
usages entraînent des nouveaux besoins. (Pour reprendre mon analogie
entre émoticônes et ponctuation, je ne serais d'ailleurs pas surpris
que la nécessité ressentie à l'introduction de la ponctuation ait été
semblablement liée à une diversification et démocratisation des usages
de l'écrit.)
Bref, je ne comprends pas plus ceux qui semblent s'interdire
l'usage du moindre smiley que ceux qui s'interdiraient le point
d'interrogation ou le point d'exclamation : tout dépend du contexte,
bien sûr, peut-être que dans un texte de loi ou dans un contrat il est
mal vu de faire usage de points d'interrogation et d'exclamation et je
comprends qu'on soit semblablement réticent à l'usage de smileys dans
des contextes un peu formels (où de toute façon on n'est pas censé
s'interroger sur l'émotion de la personne qui écrit), mais je ne
comprends pas un refus catégorique de leur emploi en
général.
Évidemment, a contrario, il y a ceux qui en abusent, et qui
trouvent utile d'ajouter douze smileys ‘😂’
(U+1F602 FACE WITH TEARS OF JOY)
et/ou ‘🤣’ (U+1F923 ROLLING ON THE
FLOOR LAUGHING), qui sont sans doute les plus abusés, à la fin
de la moindre remarque drôle / moqueuse / sarcastique. Mais il y a
aussi des gens qui abusent des points d'interrogation et d'exclamation
(five exclamation marks, the sure sign of an insane
mind), ce n'est pas une raison pour ne pas s'en servir.
Si vous voulez un bon exemple d'utilisation modérée et raisonnable
des smileys, prenez exemple sur moi.
Le dernier paragraphe n'était pas sérieux, bien sûr, mais constitue
un exemple de cas où je considère vraiment utile de mettre un
smiley — par opposition au fait de ne rien mettre du tout (il y aura
toujours quelqu'un pour me prendre au sérieux, aussi évidente que soit
la blague, et parfois je veux devancer les malentendus) ou au fait de
signaler l'humour par quelque chose de plus explicite (comme le
dernier paragraphe n'était pas sérieux…). Et je ne pense vraiment
pas qu'on puisse m'accuser de faire un usage immodéré des smileys sur
ce blog : un dénombrement rapide suggère que j'en ai utilisé 336 sur
2596 entrées de blog (ou 16 ans).
⭐️
Au niveau technique, pour entrer un smiley sur ce blog, je tape
quelque chose comme <d:smiley-smile /> (le source
de mon blog est en XML est le d fait
référence au
namespace http://www.madore.org/~david/NS/daml/ mais peu
importe) et mon moteur de blog transforme ça en quelque chose qui a
évolué au cours du temps. Quand j'ai commencé, il n'y avait pas de
smileys dans Unicode, donc j'utilisais des icônes récupérées de
Mozilla (et peut-être ailleurs) avec, pour ceux qui utilisent des
navigateurs en mode texte, un attribut alt donnant le
smiley en ASCII-art : quelque chose
comme <img
src="http://www.madore.org/~david/images/smileys/smile.png"
class="smiley" alt=":-)" title="Sourire" width="15" height="15"
/> ; plus tard, j'ai changé deux choses : j'ai mis l'image
directement comme une URL en data: (pour ne
pas multiplier les chargements de fichiers externes) et j'ai changé
le alt pour utiliser directement les caractères Unicode :
maintenant cela ressemble plutôt à : <img
src="data:image/png;base64,iVBORw0KGgoAAAAN…AAAASUVORK5CYII=" class="smiley" alt="☺"
title="Sourire" width="15" height="15" />
(le title est en anglais ou français selon la langue
ambiante). À l'heure où j'écris, donc, j'utilise encore des images
façon webforum des années 2000 pour les smileys sur ce blog :
peut-être que je devrais chercher un jeu d'images plus moderne (et
surtout plus complet), mais à terme j'utiliserai sans doute
directement les caractères Unicode seuls, c'est-à-dire que je
remplacerai par quelque chose comme <span class="smiley"
title="Sourire">☺</span> ; une des choses
qui me retient est que, actuellement, sur mon Firefox ou avec les
polices que j'ai sur mon PC (je ne sais pas bien ce qui
est responsable de quoi dans l'affaire), ‘☺️’
(U+263A WHITE SMILING FACE
+ U+FE0F VARIATION SELECTOR-16)
n'est pas affiché sous forme d'un emoji couleur, et n'est donc pas du
tout dans le même style que ‘😀’
(U+1F600 GRINNING FACE) ou la
plupart des autres. (A contrario, sur mon Firefox sous
Android, c'est ‘☺︎’ (U+263A
WHITE SMILING FACE + U+FE0E
VARIATION SELECTOR-15) qui apparaît sous la forme d'un emoji
alors qu'il ne devrait pas.) C'est agaçant (un jour™
j'essaierai de comprendre ce qui se passe au juste).
⭐️
Ce qui m'intéresse beaucoup dans les émoticônes, c'est le juste
choix de la gamme d'émotions à représenter. Trop peu et on manque de
finesse : le but n'est pas juste de dire je suis content
ou je suis triste, ce qui n'est pas très intéressant, mais
aussi des choses comme je suis fier de moi, je n'en reviens
pas !, vous avez remarqué la référence ?, je délire
complètement, là, bien
sûr !, je
ne suis pas sérieux mais en fait si…, si j'étais méchant
c'est ça que je ferais, je suis quand même sceptique quant à
cette histoire, je suis complètement
perdu, you might very well think that; I couldn't
possibly comment, ceci est de l'humour glacé et sophistiqué du
5824e degré, et ainsi de suite. Trop et on se noie sous les
émoticônes qui ne servent pas ou qui finissent par représenter autre
chose que des émotions : j'ai noté ci-dessus que les smileys
en ASCII-art, dont la combinatoire est
essentiellement illimitée, se sont éloignés du terrain de la
représentation des émotions pour s'approcher de celui de l'art pour
l'art.
Le moteur de ce blog est actuellement limité à un répertoire assez
étroit de smileys (essentiellement parce que c'est ce que j'ai trouvé
comme paquet d'icônes) :
smile
Sourire
:-)
☺️
U+263A WHITE SMILING FACE + U+FE0F VARIATION SELECTOR-16
wink
Clin d'œil
;-)
😉
U+1F609 WINKING FACE
surprised
Surpris
:-o
😲
U+1F632 ASTONISHED FACE
sad
Triste
:-(
☹️
U+2639 WHITE FROWNING FACE + U+FE0F VARIATION SELECTOR-16
cool
Cool
8-)
😎
U+1F60E SMILING FACE WITH SUNGLASSES
biggrin
Grand sourire
:-D
😁
U+1F601 GRINNING FACE WITH SMILING EYES
confused
Embrouillé
:-S
😕
U+1F615 CONFUSED FACE
crazy
Fou
%-)
🤪
U+1F92A GRINNING FACE WITH ONE LARGE AND ONE SMALL EYE
neutral
Sans sourire
:-|
😐
U+1F610 NEUTRAL FACE
evilgrin
Sourire mauvais
>:-)
😈
U+1F608 SMILING FACE WITH HORNS
cry
Pleure
¦-(
😢
U+1F622 CRYING FACE
evil
Mauvais
>:-(
👿
U+1F47F IMP
(La première colonne est le nom que je tape, la seconde est la
description insérée dans l'attribut title quand le texte
ambiant est en français, la troisième est l'icône « façon webforum des
années 2000 » utilisée actuellement, la quatrième est
la version ASCII-art qui était utilisée
autrefois comme alt, la cinquième est l'emoji Unicode que
j'utilise maintenant alt, et la dernière est le décodage
de ce emoji en caractères Unicode.)
Je ne suis pas complètement satisfait de la correspondance entre
icônes, smileys ASCII-art et version Unicode ; par
exemple, peut-être que les versions icône et Unicode que je liste dans
la ligne confused devraient plutôt être associées
au smiley ASCII-art ‘:-\’ et associés à la
description perplexe, ce n'est pas clair. Mais la
correspondance est au moins approximativement sensée. On fait
beaucoup de cas du fait que les différences de représentations
d'emojis donnent lieu à des malentendus voire des contresens à cause
des différences entre représentations graphiques ou entre conventions
culturelles : et même s'il y en a qui sont effectivement
problématiques, je ne trouve pas gênant de façon générale qu'il
subsiste un léger flou dans l'émotion exacte représentée — si on veut
dire quelque chose de très précis, on utilise des mots et des phrases,
les émoticônes ne sont pas censés être parfaitement précis. (Pour
filer ma comparaison avec la ponctuation, mettre des mots entre
guillemets peut également avoir plusieurs significations différentes :
citation verbatim, mais aussi sarcasme, euphémisme, etc.)
Le répertoire ci-dessus est minimal, donc, mais je le trouve déjà
utile. J'en ajouterais bien quelques uns (et si je passe à un jeu
d'icônes plus moderne
comme OpenMoji, je le ferai sans
doute) : un smiley qui tire la langue, celui qui hausse un sourcil, un
smiley en colère, peut-être le smiley renversé, celui qui hausse les
yeux au ciel, celui qui fait la grimace, celui qui a peur, et celui
qui rougit. Mais je n'en ajouterais pas deux cents non plus. Je veux
dire si la gamme des émotions humaines est énorme, la liste de ce j'ai
effectivement envie de représenter dans un texte écrit, et avec le
niveau de précision où on tient à se placer avec des émoticônes, n'est
pas si gigantesque.
La palette d'émoticônes proposée dans les emoji Unicode est
beaucoup plus large que la petite sélection d'émotions ci-dessus : je
la trouve plutôt bonne, mais il y a à la fois des choses en
trop (à mes yeux), et quelques petites choses qui paraissent manquer.
Pour ce qui est des choses en trop, je pense à des caractères
comme U+1F912 FACE WITH THERMOMETER
(‘🤒’) qui semble servir à indiquer qu'on est malade /
fébrile : à mes yeux, quelque chose comme ça n'a rien à faire dans les
émoticônes : la maladie n'est pas une émotion, et même si elle peut en
provoquer, ce n'est pas une émotion en rapport avec le texte qu'on
écrit — ce n'est pas une méta-information, un contexte aidant à bien
comprendre le texte. Le smiley qui
vomit, U+1F92E FACE WITH OPEN MOUTH
VOMITING (‘🤮’) a un sens métaphorique assez clair (en
signalant le dégoût), mais là, je ne sais pas. Je ne sais pas non
plus ce qu'on peut bien faire de U+1F920
FACE WITH COWBOY HAT (‘🤠’). Pour ce qui est des choses
qui me manquent, je n'ai pas trouvé de smiley qui soupire (il est vrai
que ce n'est sans doute pas évident à dessiner), ni de smiley
clairement embarrassé, de smiley faisant les gros yeux, ou bien
satisfait ou fier de lui ; cela m'arrive occasionnellement de rentrer
bredouille de ma recherche de smiley, je ne note pas forcément
précisément ce que je cherchais, mais c'est tout de même assez rare
pour que je conclue qu'Unicode est raisonnablement complet à
cet égard.
Il y a bien sûr des emojis qui ne sont pas des smileys et qui
peuvent quand même être considérés comme des émoticônes parce qu'ils
servent à représenter le même genre de choses ; et ils peuvent
éventuellement remplacer ce qui manque comme smileys. Je pense par
exemple à U+1F926 FACE PALM
(‘🤦’ ; si vous ne comprenez pas
bien, cherchez
dans Google Images), pour signifier la lassitude exaspérée,
ou U+270C VICTORY HAND
+ U+FE0F VARIATION SELECTOR-16
(‘✌️’) pour la satisfaction de la réussite.
⭐️
Maintenant, à côté des smileys et autres emojis qui peuvent
éventuellement représenter des émotions, il y a quantité d'emojis dans
Unicode qui représentent juste… tout et n'importe quoi. À titre
d'exemples, on a notamment :
les drapeaux de pays et certaines institutions internationales
(par exemple U+1F1FA REGIONAL INDICATOR
SYMBOL LETTER U + U+1F1F3 REGIONAL
INDICATOR SYMBOL LETTER N pour le drapeau des Nations-Unies
‘🇺🇳’) ou de certaines régions (par exemple, la
combinaison fort longue U+1F3F4 WAVING
BLACK FLAG + U+E0067 TAG LATIN SMALL
LETTER G + U+E0062 TAG LATIN SMALL
LETTER B + U+E0073 TAG LATIN SMALL
LETTER S + U+E0063 TAG LATIN SMALL
LETTER C + U+E0074 TAG LATIN SMALL
LETTER T + U+E007F CANCEL TAG
pour le drapeau de l'Écosse
‘🏴’ ou
encore d'autres drapeaux symboliques
(comme U+1F3F4 WAVING BLACK FLAG
+ U+200D ZERO WIDTH JOINER
+ U+2620 SKULL AND CROSSBONES
+ U+FE0F VARIATION SELECTOR-16 pour
le drapeau pirate ‘🏴☠️’) ;
une collection complètement hétéroclite de symboles, incluant
toutes sortes de cœurs (par exemple U+1F496
SPARKLING HEART pour un cœur scintillant(?) ‘💖’), un
échantillon aléatoire de pictogrammes tels qu'on trouverait sur des
panneaux (comme U+1F6B7 NO
PEDESTRIANS pour le un panneau d'interdiction aux piétions
‘🚷’), de flèches emoji (par
exemple U+2195 UP DOWN ARROW
+ U+FE0F VARIATION SELECTOR-16 pour
une flèche haut-bas en version emoji, ‘↕️’), d'icônes
informatiques vaguement standardisées (du
genre U+1F50A SPEAKER WITH THREE SOUND
WAVES pour ‘🔊’), de symboles représentant des religions
ou des signes du zodiaque (y compris U+26CE
OPHIUCHUS pour le symbole
du serpentaire
‘⛎’), et des dessins géométriques colorés qui se demandent bien
ce qu'ils font là (comme U+1F537 LARGE BLUE
DIAMOND pour ‘🔷’) ;
une collection tout aussi hétéroclite d'objets (par
exemple U+1F52D TELESCOPE pour
‘🔭’), qui bien sûr n'est pas bien séparée de la collection de
symboles ; d'animaux (U+1F41D
HONEYBEE pour ‘🐝’) ; et de plantes
(U+1F334 PALM TREE pour
‘🌴’) ;
une collection encore plus bizarre et hétéroclite de choses qui se
mangent ou se boivent (au pif, U+1F354
HAMBURGER pour ‘🍔’) ;
des représentations d'humains en train de faire des activités
principalement sportives (comme U+1F6B4
BICYCLIST pour un cycliste ‘🚴’) ou de métiers (du
genre U+1F477 CONSTRUCTION WORKER
pour un ouvrier du bâtiment ‘👷’), auxquelles on peut rattacher
le très bizarre businessman flottant (si,
si : U+1F574 MAN IN BUSINESS SUIT
LEVITATING + U+FE0F VARIATION
SELECTOR-16 pour ‘🕴️’) ;
et encore toutes sortes de machins inclassables, comme le fameux
tas de merde (U+1F4A9 PILE OF POO
pour ‘💩’).
Au sujet de la pente glissante dans laquelle Unicode s'est
joyeusement jeté en commençant à encoder ces machins, mais aussi du
fait qu'ils n'avaient pas forcément le choix à partir du moment où ils
veulent être le One Standard to Rule Them All, je
renvoie à cette entrée écrite il y a
huit ans quand les emojis ont commencé à faire leur entrée dans
Unicode, et qui me semble encore tout à fait d'actualité. Les
principales évolutions en ces huit ans, à part que le nombre d'emojis
Unicode a augmenté (j'ai la flemme de chercher les valeurs précises),
ont été que les dessins en couleur se sont répandus, et que toutes
sortes de débats sur la diversité (notamment ethnique et sexuelle) ont
débouché sur des solutions un peu bâtardes dont je dois dire un mot,
mais qu'un des résultats de tout ça est qu'un emoji Unicode ne
correspond plus forcément à un seul codepoint (je l'ai déjà expliqué,
et les exemples ci-dessus abondent).
Il y aurait sans doute des thèses entières à écrire sur l'usage que
les gens font effectivement des emojis, et notamment de ceux qui ne
sont pas des émoticônes. Je dois dire que j'ai un peu du mal à
comprendre quel intérêt il peut y avoir à disposer d'un emoji pour,
disons, un brocoli (U+1F966 BROCCOLI
pour ‘🥦’), et dans quelle(s) condition(s) on pourrait avoir
envie de s'en servir plutôt qu'écrire le mot brocoli. (Bon,
cela pourra toujours servir dans
des textes mathématiques en l'honneur
de Jean-Yves Girard.) Idem pour l'intérêt d'un emoji représentant
quelqu'un en train de se faire coiffer
(U+1F487 HAIRCUT pour ‘💇’)
ou d'un télescope. Pour moi, l'intérêt principal des dessins en tous
genres est de ponctuer le texte de méta-informations aidant à en
comprendre le contexte (comme le contexte émotionnel dans le cas des
émoticônes, cf. ce que je disais ci-dessus), et les brocolis, les
coiffures et les télescopes ne sont pas furieusement utiles dans ce
sens ; mais je ne sais pas quel usage réel est fait de ce genre de
choses (je suppose qu'un usage possible est simplement comme
abréviation, mais là aussi le choix est assez étrange).
Maintenant, il est certain que beaucoup d'emojis se font détourner
de leur usage prévu, les plus notables étant l'aubergine
(U+1F346 AUBERGINE pour ‘🍆’)
utilisée comme métaphore pour un pénis et la pêche
(U+1F351 PEACH pour ‘🍑’)
pour une paire de fesses, à tel point que les usages légitimes de ces
deux emojis dans leur sens apparent (le légume et le fruit) sont
extrêmement minoritaires : mon petit côté loyal-psychorigide me fait
dire au lieu de détourner de leur usage ces pauvres aliments qui
n'y sont pour rien, il faut créer des emojis pour le pénis et la paire
de fesses, et évidemment bien d'autres pouvant représenter toutes
sortes de pratiques sexuelles comme on en a créé pour toutes sortes
d'aliments : l'intention de les utiliser est évidente, et c'est
désolant que notre société soit restée à un niveau de pudibonderie
telle qu'on éprouve le besoin de métaphores de ce genre (et quand on
voit que, par
exemple, des
emojis gay ont provoqué une réaction internationale, on se dit
qu'on n'est pas rendus).
Il faut bien sûr que je dise un mot sur les questions de diversité
dans les emojis dans Unicode.
Quand les emojis de personnes sont arrivés notamment sur les
téléphones Apple,
ils ressemblaient
à ça : tous les emojis représentant des humains (non symbolisés
façon émoticônes) étaient ostensiblement blancs même si c'est
la couleur de peau d'une petite minorité de l'humanité (sauf,
bizarrement, U+1F473 MAN WITH TURBAN
soit ‘👳’, ainsi que U+1F472 MAN
WITH GUA PI MAO soit ‘👲’) ; et ceux qui n'étaient pes
explicitement désignés de genre masculin ou féminin étaient genrés
selon des clichés courants (même si ce n'était pas totalement clair,
le U+1F46E POLICE OFFICER,
‘👮’, apparaissait plus masculin que féminin, en plus d'être
blanc).
Des efforts ont ensuite été faits pour remédier à ce problème (qui
était d'ailleurs plutôt de la faute des concepteurs des dessins que de
celle d'Unicode, les dessins et descriptions duquel sont passablement
neutres). Le point positif est qu'on est arrivé à une meilleure
diversité (même si le résultat reste assez perfectible) ; et on l'a
fait en utilisant des combinants ou autres séquences de caractères
pour éviter de consommer des centaines de codepoints Unicode. Le
point négatif est qu'on y est arrivé au prix de solutions ad
hoc et bancales qui n'obéissent à aucune cohérence.
Résultat, certains emojis peuvent faire varier la couleur de la
peau, d'autres non ; certains peuvent faire varier la couleur des
cheveux, d'autres non ; certains peuvent faire varier le genre de la
personne représentée, d'autres non ; certains admettent une variante
de genre non spécifié, d'autres non ; et tout ça essentiellement sans
aucune logique. Par exemple, on a le droit dans Unicode à une
personne de sexe indéterminé ayant des cheveux blonds
(U+1F471 PERSON WITH BLOND HAIR pour
‘👱’), qui peut d'ailleurs avoir la peau noire
(U+1F471 PERSON WITH BLOND HAIR
+ U+1F3FF EMOJI MODIFIER FITZPATRICK
TYPE-6 pour ‘👱🏿’), mais si on veut que cette
personne ait des cheveux roux, alors on est obligé de décider
si c'est un homme (U+1F468 MAN
+ U+200D ZERO WIDTH JOINER
+ U+1F9B0 EMOJI COMPONENT RED HAIR
pour ‘👨🦰’) ou une femme
(U+1F469 WOMAN
+ U+200D ZERO WIDTH JOINER
+ U+1F9B0 EMOJI COMPONENT RED HAIR
pour ‘👩🦰’), et là aussi on peut faire varier
la couleur de la peau mais ce n'est pas obligatoire. De même, un
policier a le droit d'être de genre indéterminé (même si j'ai déjà
signalé que U+1F46E POLICE OFFICER,
‘👮’, a tendance à ressembler à un homme), comme il peut être
un homme spécifiquement (U+1F46E POLICE
OFFICER + U+200D ZERO WIDTH
JOINER + U+2642 MALE SIGN
+ U+FE0F VARIATION SELECTOR-16 pour
‘👮♂️’) ou une femme spécifiquement
(U+1F46E POLICE OFFICER
+ U+200D ZERO WIDTH JOINER
+ U+2640 FEMALE SIGN
+ U+FE0F VARIATION SELECTOR-16 pour
‘👮♀️’) ; mais un juge doit forcément
être un homme (U+1F468 MAN
+ U+200D ZERO WIDTH JOINER
+ U+2696 SCALES
+ U+FE0F VARIATION SELECTOR-16 pour
‘👨⚖️’) ou une femme
(U+1F469 WOMAN
+ U+200D ZERO WIDTH JOINER
+ U+2696 SCALES
+ U+FE0F VARIATION SELECTOR-16 pour
‘👩⚖️’) ; et on remarquera que la manière
dont on spécifie le genre est complètement différent pour le policier
et pour le juge. S'agissant des policiers et juges, on peut faire
varier la couleur de la peau mais pas celle des cheveux. Quel
chaos !
L'idée de base pour la représentation des couleurs de peau pour les
emojis humains me paraît plutôt bonne sur le principe :
il y a une version « de base » qui doit correspondre à une
personne de couleur de peau indéterminée et être représentée
graphiquement par une couleur de peau délibérément irréaliste
(du genre, gris, vert ou bleu — malheureusement, c'est plutôt le jaune
façon Simpsons
qui a été choisi, je vais revenir là-dessus) ;
on peut spécifier une couleur de peau particulière à
l'aide de modificateurs spéciaux (en
l'occurrence U+1F3FB EMOJI MODIFIER
FITZPATRICK TYPE-1-2 à U+1F3FF EMOJI
MODIFIER FITZPATRICK TYPE-6).
J'apprécie le fait qu'on puisse mais qu'on ne doive
pas spécifier la couleur de la peau. Malheureusement, il y a
plein de problèmes en pratique :
Pour éviter de rentrer dans le débat épineux de ce que doivent
être les couleurs de peau représentables (et risquer de finir par
normaliser des classifications racistes), Unicode a choisi d'utiliser
la classification
de Fitzpatrick issue de la dermatologie, qui a sans doute un
intérêt scientifique mais ne correspond ni vraiment à l'idée qu'on se
fait spontanément ou culturellement de la couleur de la peau, encore
moins du type ethnique, ni à ce que les emojis effectivement affichés
indiquent ; et notamment, ceux qui cherchent à représenter un type
ethnique particulier, par exemple, chinois han, ne vont pas trouver
leur bonheur ;
ceci est compliqué par le fait que les fournisseurs d'emojis ont
utilisé pour version « de base » (et donc censée correspondre à une
couleur de peau irréaliste, cf. ci-dessus), plutôt que le vert ou le
bleu, un jaune « Simpsons », certes irréaliste, mais qui (a) est
utilisé dans les Simpsons pour représenter des blancs, et
(b) peut donner l'impression qu'elle est censée représenter un type
ethnique asiatique ;
concrètement, il semble que quasiment personne n'utilise le
modificateur U+1F3FB EMOJI MODIFIER
FITZPATRICK TYPE-1-2 (censé représenter les couleurs de peau
les plus claires), parce que les blancs s'imaginent systématiquement
être la couleur de peau par défaut et/ou parce qu'ils ne tiennent pas
à rappeler qu'ils sont blancs — ceci n'est pas un problème d'Unicode,
bien sûr, mais cela révèle encore une fois quelque chose sur
l'interprétation de la version « de base ».
Indépendamment de tout ça, les modificateurs de couleur de peau ne
sont pas utilisables sur tous les emojis représentants des humains
mais seulemnt sur ceux qui avaient initialement été représentés
comme blancs par Apple, et notamment, pas sur les émoticônes :
ainsi, une émoticône comme U+1F600 GRINNING
FACE, ‘😀’, sera forcément d'une couleur « de base »
(typiquement d'un jaune artificiel) et on ne peut pas la changer.
Autrement dit, Unicode n'a pas su trancher entre la logique « les
emojis représentant des humains sont des abstractions, on doit leur
donner une couleur de peau neutre (c'est-à-dire irréaliste) et/ou un
dessin complètement stylisé » et la logique « les emojis représentant
des humains doivent être des dessins raisonnablement fidèles (par
exemple de la personne qui s'exprime) dont il s'agit de pouvoir faire
varier librement les caractéristiques visibles », et on se retrouve
avec une solution incroyablement illogique où les caractéristiques
variables dépendent de façon aléatoire de l'emoji. (À ce sujet,
voir ce
fil Twitter et les différentes discussions qui en partent, par
exemple celle-ci.)
Pour ce qui est du genre, comme je le dis ci-dessus au sujet des
policiers et des juges, la même logique (qui aurait voulu que, pour
chaque activité ou profession, on ait un emoji de genre indéterminé et
la possibilité de le rendre spécifiquement masculin ou spécifiquement
féminin) n'a pas été appliquée : dans certains cas il y a bien une
version non-genrée, dans d'autres il n'y a pas, et surtout, il n'y a
absolument aucune logique (en gros cela dépend de si l'emoji était
représenté dès Unicode 6.0 par un caractère spécifique ou si on l'a
fabriqué plus tard avec d'une séquence commençant
par U+1F468 MAN
ou U+1F469 WOMAN ; or il n'y a pas
de caractère PERSON).
⭐️
À un certain niveau, on doit forcément se demander si Unicode était
bien l'endroit où mettre tout ça. Indubitablement, cela pose
d'énormes problèmes. Le répertoire d'objets, de plantes et d'animaux
qui figurent dans les emojis d'Unicode laisse inévitablement poser la
question de savoir jusqu'où on mettra la limite tant la liste des
candidats possibles est essentiellement infinie. La liste actuelle me
fait penser à ce passage que j'aime beaucoup
de Through the Looking-Glass :
The shop seemed to be full of all manner of curious things—but the
oddest part of it all was, that whenever she looked hard at any shelf,
to make out exactly what it had on it, that particular shelf was
always quite empty: though the others round it were crowded as full as
they could hold.
Je veux dire qu'on a toujours l'impression qu'il y a toutes les
choses de la Création sauf justement l'emoji qu'on recherchait.
Mais le vrai problème, finalement plus insidieux que la nécessité
de faire un choix arbitraire des bestioles qui entreront ou non dans
le Standard, c'est qu'Unicode se retrouve dans la position vraiment
délicate de devoir faire ce choix (avec toutes les ramifications
politiques et culturelles qu'il peut impliquer). Et des spécialistes
de langues et de systèmes d'écriture, ni des informaticiens, ne sont
pas forcément les mieux placés pour prendre de telles décisions.
Quelqu'un m'avait proposé le point de vue différent suivant (avec
lequel je ne suis finalement pas d'accord, mais qui est intéressant et
pertinent et mérite d'être signalé) : considérer que les emojis ne
sont pas du texte mais du texte formaté.
C'est-à-dire que leur place n'est pas avec les lettres de l'alphabet
ou les signes de ponctuation, mais avec les marquages
comme gras, italiques, souligné, couleur
rouge, centré, et ainsi de suite, ce qui se représente
typiquement, en informatique, par un langage à balises comme
du HTML (donc le système de <d:smiley-smile
/> que j'utilise sur ce blog serait dans l'esprit de cette
solution).
Il y a essentiellement trois raisons pour lesquelles je ne
suis pas d'accord.
La première est sémantique : j'ai essayé d'expliquer plus haut en
quoi au moins les émoticônes se rapprochent plus de la ponctuation que
de décorations typographiques ; et les emojis peuvent aussi se
rattacher à un système d'idéogrammes, ce qu'ils sont partiellement, et
si on accepte qu'Unicode encode des dizaines de milliers
d'idéogrammes chinois (dont, rappelons-le, une énorme partie doit
apparaître une et une seule fois dans tout le corpus disponible), il
n'y a pas de raison de ne pas accepter des idéogrammes d'invention
plus récente.
La seconde raison pour moi de rejeter l'idée que les emojis
seraient du texte formaté et non du texte simple est plutôt
syntaxique : la notion de texte formaté, pour moi, a une structure
globalement récursive, on le représente comme des balises imbriquées
traduisant des modifications de régions d'un texte brut : ceci ne
correspond pas à la façon dont on pense les emojis, qui ne sont pas
une modification par rapport à un texte de base, et qui ne peuvent pas
s'imbriquer (whatever that would mean).
Enfin, ma troisième raison est pragmatique : la représentation
informatique du texte formaté est un échec monumental : il n'est
toujours pas possible de copier-coller du texte formaté (par exemple
avec des mots en gras et en italique) de manière à ce que ça marche
partout (du style : SMS, Twitter, les commentaires de
tous les sites qu'on peut imaginer, — ce genre de choses), il n'y a
guère que dans les mails que Madame Michu peut utiliser du texte
formaté, et même là, ça marche mal et la solution adoptée est mauvaise
et pose toutes sortes de problèmes de sécurité (parce qu'avec le texte
formaté, faute de standard minimal clair, on a inclus
tout HTML, donc les images, le JavaScript et tout ce qui
va avec) ; alors qu'Unicode a plutôt été une réussite pour ce qui est
de permettre, et de permettre de copier-coller, tout ce qu'il contient
en n'importe quel endroit où du texte est accepté. Donc, à force,
j'ai tendance à dire que la communauté informatique a prouvé qu'elle
était incapable de mettre en place un système de texte formaté qui
Juste Marche et qu'il ne faut plus miser là-dessus : au contraire,
même, j'en viens à espérer qu'Unicode se décide à inclure des
caractères du genre début de gras et début d'italiques
(on a déjà des caractères qui s'imbriquent, pour la gestion de la
directionnalité, et ça ne marche pas si mal, y compris dans les
interactions avec le HTML qui peut faire double
emploi).