Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le
reste de ce site web, parle de tout et
de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait),
des maths à
la moto et ma vie quotidienne, en passant
par les langues,
la politique,
la philo de comptoir, la géographie, et
beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas,
ainsi que d'occasionnels rappels du fait que
je préfère les garçons, et des
petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le
nom collectif de fragments littéraires
gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines
entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes
traduites dans les deux langues) ; il est
maintenant presque exclusivement en
français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à
l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par
ordre chronologique inverse (i.e., celle écrite en dernier est en
haut). Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs
« catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce
système de rangement n'est pas très cohérent. Cette page-ci rassemble
les entrées de la catégorie thèmes gay :
il y a une liste de toutes les catégories à la fin de cette page, et
un index de toutes les entrées.
Le permalien de chaque entrée est dans la date, et il est aussi
rappelé avant et après le texte de l'entrée elle-même.
You are on David Madore's blog which, like the rest of this web
site, is about everything and
anything (mostly anything, really),
from math
to motorcycling and my daily life, but
also languages, politics,
amateur(ish) philosophy, geography, lots of
ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders
of the fact that I prefer men, and
some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the
collective name of gratuitous literary
fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning
(some entries were in English, others in French, and a few translated
in both languages); it is now almost
exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog
entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed
in reverse chronological order (i.e., the latest written is on top).
Some entries are classified into one or more “categories” (indicated
at the end of the entry itself), but this organization isn't very
coherent. This page lists entries in
category gay themes: there is a list of
all categories at the end of this page, and
an index of all entries. The
permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced
before and after the text of the entry itself.
Je regarde beaucoup de documentaires (typiquement soit via les
sites de chaînes de télé — le plus souvent Arte —, soit sur YouTube).
Parfois je signale sur Twitter 𝕏 ceux qui me
plaisent
(p.ex., ici
ou là) ;
mais je ne juge normalement pas utile de le faire sur ce blog, d'une
part parce que je n'ai généralement pas grand-chose à dire à
part j'ai bien aimé ça, et d'autre part parce que, quand il
s'agit d'émissions en replay, elles ne sont disponibles qu'un
temps limité, et je n'aime pas trop faire un billet de blog qui n'aura
plus vraiment de sens dans quelques années quand l'émission sera
devenue introuvable (j'ai déjà dit que les liens qui cassent m'agacent
et que j'aime préserver
l'information ? ah oui). Mais on
va faire une exception pour celui-ci, que
j'ai déjà
mentionné sur le réseau social de l'oiseau bleu mort, mais que je
pense bon d'évoquer aussi ici, d'autant plus que plusieurs amis
hétéros m'ont confirmé avoir bien aimé.
Bref, en parcourant le site de France TV à la
recherche d'un docu à voir vendredi dernier, je suis tombé
sur le
documentaire Homos en France de Vincent Dedienne et
Aurélia Perreau (diffusé à l'antenne en mai sur la chaîne
France 2), et je l'ai trouvé vraiment extraordinaire : à la fois juste
et émouvant. Et quand je dis émouvant, ce n'est pas souvent
qu'un documentaire me touche au point que j'en arrive à plusieurs
reprises aux larmes ! Évidemment le sujet me touche personnellement
mais j'ai vu N émissions analogues et elles ne m'ont
généralement pas fait pleurer et je n'aurais pas jugé utile de
signaler, donc celui-ci a vraiment quelque chose de plus.
C'est juste le témoignage d'une douzaine de personnes homo ou bi en
France en 2023, qui racontent leur vie et expériences. Mais ce qui
est si bon, c'est qu'il évite et démonte les clichés, et laisse parler
une belle diversité de voix : jeunes et âgées, féminines et
masculines, célèbres et inconnues, venues de classes sociales
diverses. Du lycéen dans le nord à la professeure d'histoire
à UCLA
(Laure Murat),
de la jardinière paysagiste à l'ancien ambassadeur de France aux
États-Unis
(Gérard
Araud), du footballeur pro
(Ouissem
Belgacem) au retraité en passant par la chanteuse pop
(Angèle[#]),
de la lycéenne très BCBG au black des banlieues, ils ont
tous quelque chose de différent et d'intéressant à dire dans ce qu'ils
racontent, mais quand même un thème partagé.
[#] Bon,
apparemment France inclut ici la Belgique francophone.
<U+1F937 SHRUG>
Et l'émission raconte aussi, même si ce n'est pas le sujet
principal, l'évolution du regard du public sur l'homosexualité en
France, depuis années 60 jusqu'à 10 ans après le vote du mariage pour
tous (cet anniversaire étant j'imagine la raison dudit documentaire),
ce qui permet de mesurer le trajet parcouru et aussi le trajet qui
reste à parcourir.
Bref, à voir, vraiment !
Le documentaire est disponible
jusqu'au
en replay sur le site de France TV à
l'adresse déjà
liée ci-dessus.
Digression technique : Si vous ne
voulez pas créer de compte ou si vous voulez garder une copie pour
(re)voir plus tard quand il ne sera plus disponible sur ce site, je
signale à toutes fins utiles
que le
programme yt-dlp (qui est le successeur
de youtube-dl, lequel a l'air d'être mort) sait gérer le
site de France TV et permet donc de récupérer le fichier
vidéo (mumble
mumble ce
que je disais dans le billet
précédent sur le scraping mumble mumble). Si vous lisez ce billet
après expiration du replay de France TV, il
est possible que j'aie gardé moi-même une copie du fichier,
mais évidemment les lois complètement débiles que nous avons sur la
propriété intellectuelle ne me permettent pas de le partager bien
qu'il soit passé publiquement sur une chaîne de télé publique que tout
le monde pouvait enregistrer : n'hésitez pas à me contacter si vous
voulez que je vous nargue en vous disant que je ne peux pas vous en
donner une copie.
Sur le fond du sujet, mon propre témoignage d'homo en France (qui
ai pris conscience de mon homosexualité vers 1989 et ai fait mon
coming out environ dix ans plus tard dans la foulée du vote sur
le PACS) a
été publié ici sur ce blog, je me
permets à cette occasion de le resignaler. J'étais notamment curieux
de comparer l'expérience des intervenants du documentaire (qui sont
pour la plupart plus jeunes que moi) avec ce que j'ai moi-même vécu.
Avec, je l'avoue, une part de préjugé de type pour la génération Z,
être homo doit être d'une banalité totale, les uns doivent considérer
ça avec la même indifférence que suscite le fait
de préférer
les escargots aux huîtres, les autres doivent avoir trouvé les
personnes trans comme nouveau réceptacle de leur haine, mais
apparemment même des jeunes dans un milieu qu'on devine socialement
favorisé ne trouvent toujours pas évident de dire qu'ils sont
homos.
Ce que je regrette un peu, cependant, mais le documentaire est déjà
raisonnablement long et peut-être que ce n'était pas le sujet, c'est
qu'ils n'aient pas ou presque pas abordé la question de comment on se
rencontre, et comment on drague, entre homos, en France en 2023.
Comme je l'écrivais dans mon témoignage lié ci-dessus, il y a une
vingtaine d'années j'ai fréquenté un certain nombre
d'associations LGBT étudiantes qui servaient de points de
rencontre à la fois pour la sociabilité et pour la drague : j'ai
l'impression que ces associations ont en bonne partie disparu : pour
la recherche de partenaires sexuels je n'ai pas de doute qu'il y a
plein de choses qui les remplacent
(Grindr, par
exemple ?), mais pour les autres fonctions (convivialité, rencontres
pas forcément sexuelles) je me demande ce qui a pris leur place. S'il
y a des homos plus jeunes que moi (ou simplement plus actifs
socialement) qui me lisent, qu'ils n'hésitent pas à me tirer de mon
ignorance.
Le titre (Sodoma), le sous-titre (Enquête au cœur du
Vatican), les titres et sous-titres en d'autres langues (comme en
anglais : In the Closet of the Vatican: Power,
Homosexuality, Hypocrisy), le mode d'édition (l'ouvrage paraissant
simultanément en 8 langues et dans 20 pays), peut-être même la
couverture (un cierge démesuré portant le titre en lettres énormes)
suggèrent que le dernier livre de Frédéric Martel, consacré à
l'homosexualité et à l'homophobie (les deux étant intimement liées) au
sein de la hiérarchie catholique, vise à créer la polémique ou à faire
éclater le scandale, peut-être en mode presse people
(révélations explosives sur les cardinaux gay !) ; cette impression
est, en fait, trompeuse : le travail tient généralement plus de
l'étude journalistique minutieuse, appuyée par de nombreux
témoignages, que du pamphlet (il rejette, par exemple, l'idée
d'un lobby gay), et quand il s'y mêle une part de jugement,
celui-ci est nuancé, Frédéric Martel n'ayant évidemment pas pour
intention de dénoncer l'homosexualité mais pas non plus celle de faire
un procès à l'Église catholique en général, et on devine que même
s'agissant des personnages hypocrites, hiérarques homosexuels refoulés
et homophobes, dont la description constelle son récit, il a souvent à
leur égard une part de sympathie ou, disons, de pitié.
Il s'agit, donc, d'une enquête sur l'homosexualité et l'homophobie
— quitte à dévier parfois sur d'autres sujets — parmi les dignitaires
catholiques (évêques, cardinaux), et particulièrement au sein de la
curie romaine (mais aussi des nonciature et primature apostoliques de
différents pays). Les conclusions
principales[#] de cette enquête
sont que (A) l'homosexualité est non seulement fréquente dans la
hiérarchie catholique, mais même majoritaire, au moins aux
échelons supérieurs de cette hiérarchie, car plus on y monte, plus
elle est fréquente (homosexualité étant entendu ici comme
orientation, attirance sexuelle, pas nécessairement mise en
pratique, ou pouvant l'être de manière variée — Martel utilise,
quoique de façon pas très systématique, le terme un peu désuet
d'homophilie pour parler de l'attirance) ; et (B) il y a une
forte corrélation entre l'homosexualité et l'homophobie des prélats.
Une conclusion additionnelle, qui déborde de la problématique de
l'homosexualité mais qui la rencontre fréquemment, est que la curie
est un véritable panier de crabes, dominée par des luttes de personnes
parfois dévastatrices pour l'institution.
L'auteur ne se contente pas de livrer ces conclusions, il donne
quelques pistes d'explications, elles aussi appuyées par des
témoignages. S'agissant de (A), la raison proposée est que le jeune
homme catholique qui pressent ou découvre qu'il est homosexuel — s'il
n'abandonne pas purement et simplement sa religion — va naturellement
chercher à se tourner vers le sacerdoce, lequel fournit à la fois une
motivation ou une justification au célibat et à la chasteté (ou en
sert de prétexte), et a contrario, ce jeune homme ne va pas
avoir le sentiment de renoncer à grand-chose en s'interdisant le
mariage (hétérosexuel !) ; ajoutons que ceci était d'autant plus
fortement vrai il y a vingt, quarante ou soixante ans, c'est-à-dire
pour les générations de ceux qui occupent maintenant des postes élevés
à la curie, à une époque où les mouvements de libération gay étaient
inexistants ou inaudibles, mouvements qui semblent maintenant
incompréhensibles à ces prélats âgés. Le parcours typique semble
d'abord de tenter de vivre de manière chaste, puis, comme c'est
généralement trop difficile, de mener une double vie plus ou moins
culpabilisée, plus ou moins connue de tous, mais évidemment jamais
ouvertement assumée : l'Église tolère en fait très bien cet état de
fait tant qu'il n'y a pas de vagues — attitude que Martel résume par
ce slogan qui eut été en vigueur dans l'armée
américaine : don't
ask, don't tell. Mais évidemment, ceci conduit aussi à (B),
puisque condamner publiquement l'homosexualité, ou mener un combat
contre les droits LGBT, est une façon pour le prélat
lui-même homosexuel d'écarter de soi les soupçons et les éventuelles
vagues, sans parler de la rancune qui peut exister vis-à-vis de ceux
qui vivent ouvertement quelque chose qu'on doit cacher (aux autres
sinon à soi-même). Le résultat est une sorte
de surenchère
d'hypocrisie et d'homophobie qui est ce que dénonce avant tout
l'auteur de Sodoma.
Le livre explore aussi quelques conséquences du phénomène,
notamment celle, très grave, qui touche aux affaires d'abus sexuels
(particulièrement sur mineurs) : la thèse de Frédéric Martel est, ici,
que ces affaires ont été systématiquement étouffées en raison de la
culture du secret mise en place pour protéger la double vie des
prélats homosexuels. C'est-à-dire que, comme l'Église ne distinguait
guère de niveau de gravité entre les relations librement consenties
entre adultes de même sexe et les agressions sexuelles sur mineurs,
les supérieurs de prêtres coupables d'abus sexuels en venaient à les
couvrir par peur que leur propre orientation sexuelle soit exposée.
Au-delà du cas des mineurs, la structure fortement hiérarchique de
l'Église catholique offre à certains prélats haut placés et au
tempérament prédateur un « terrain de chasse » à la discrétion
assurée. De façon plus large, le fait que tout le monde au sein de la
prêtrise finisse par savoir les secrets « coupables » de tout le monde
fournit des armes à tous contre tous et contribue à en faire un panier
de crabes (Martel n'utilise pas cette expression, mais elle reflète
très bien ce qu'il décrit).
Le livre, de 632 pages, est structuré en quatre parties consacrées
aux papes François, Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI (dans cet
ordre ; le petit mois du pontificat de Jean-Paul I est évidemment
passé sous silence). On comprend que Frédéric Martel a une certaine
sympathie pour le pape actuel qui semble résolu à faire changer les
choses : non pas rendre l'Église « gay friendly », on en est bien
loin, mais au moins d'estomper cette surenchère dans l'homophobie,
cette véritable obsession pour l'homosexualité, qui a conduit à des
conséquences graves en interne et à l'extérieur, et se concentrer sur
autre chose que les questions de mœurs ; et en cela, il rencontre des
oppositions internes (notamment lors du synode sur la famille convoqué
en 2014). Les parties dédiées aux papes précédents montrent chacun
leur contribution à la mise en place de ce système d'homophobie
institutionnalisée : Paul VI et sa fascination pour la pensée du
français Jacques
Maritain que Frédéric Martel propose comme clé de son pontificat
et dont il nous explique que, lié d'amitié aux homosexuels André Gide,
Jean Cocteau, Julien Green et Maurice Sachs, il a tenté de les
persuader les uns et les autres soit de lutter contre leurs
inclinaisons soit au moins de ne pas les révéler publiquement ;
Jean-Paul II dont le conservatisme moral fut avant tout une question
politique, obsédé qu'il était par la lutte contre le communisme et la
théologie de la libération, prêt à toutes les alliances pour les
contrer ; et Benoît XVI qui, peut-être pour des raisons personnelles,
a eu une approche encore différente de l'homosexualité, insistant
surtout sur la nécessité pour les homosexuels de rester abstinents et
rejetant catégoriquement toute forme de culture LGBT. À
l'intérieur de chaque partie, différents chapitres, pas toujours dans
l'ordre chronologique, évoquent différents aspects du sujet : les
gardes suisses, par exemple, les prostitués romains, ou le combat
contre les avancées des droits LGBT dans différents pays,
ou enfin les deux
affaires Vatileaks.
Tout ce récit est parsemé de descriptions de différents personnages
(typiquement des cardinaux occupant ou ayant occupé des postes
importants à la curie), personnages souvent hauts en couleur, parfois
nommés et parfois non (ou désignés par un sobriquet comme la
Mongolfiera). C'est là qu'on peut trouver que le livre montre une
certaine faiblesse : d'abord, ces portraits sont trop nombreux, on se
perd entre tous ces gens, il manque cruellement un index pour s'y
retrouver (même si la plupart des personnages ne réapparaissent pas) ;
ensuite, on ne sait pas ce que cette multiplication apporte vraiment :
au N-ième cardinal dont on nous décrit d'un côté ses
positions homophobes et de l'autre son attitude excessivement maniérée
ou sa façon de collectionner les jolis garçons (en portraits ou comme
assistants), on finit par se dire, c'est bon, j'ai compris le message,
il ne sert à rien d'aligner les exemples. D'autant que pour des
raisons juridiques évidentes, aucun personnage vivant identifié n'est
jamais clairement étiqueté comme homosexuel (sauf s'il l'assume
lui-même, ce qui n'est essentiellement le cas que pour des prêtres
défroqués) ; donc on ne peut avoir droit qu'à des insinuations. (Par
exemple, s'agissant de Benoît XVI, il évoque sa grande proximité avec
le beau Georg Gänswein pour qui le pape a eu toutes sortes
d'attentions, et de façon plus anecdotique il fait référence
à cette
vidéo bien connue où on voit des acrobates torse nu effectuer
devant Benoît XVI un spectacle incroyablement homo-érotique, ou encore
à une phrase d'un entretien où le pape a évoqué un prostitué là
où il aurait été plus logique d'imaginer une femme [franchement, cet
argument me semble incroyablement faible] ; mais bien sûr Frédéric
Martel n'écrira jamais que Benoît XVI est homosexuel, puisqu'il n'en
sait pas plus que vous ou moi — tout au plus prend-il le soin de
préciser qu'il l'imagine plutôt comme sincèrement abstinent.) Je
trouve ça un peu… fastidieux. Même si je comprends bien l'intérêt de
fournir quelques exemples concrets (et qui ne soient pas tous
anonymisés) des thèses avancées, et même si certains des personnages
décrits finissent par être bizarrement attachants dans leur humanité
si pleine de contradiction. Indépendamment du lien ténu avec le
sujet, l'évocation du train de vie exorbitant de plusieurs cardinaux
est assez instructive.
On pourrait trouver d'autres reproches à faire à ce livre pour ce
qui est de la forme : certains passages m'ont paru parfaitement
gratuits, à la limite du délayage, d'autres fois c'est le style qui
m'a agacé (comme la manière d'invoquer Rimbaud à tout bout de champ en
l'appelant le Poète avec un ‘P’ majuscule), mais qui
suis-je pour juger ? (ou à plus forte raison pour jeter la
première pierre), n'est-ce pas… Dans l'ensemble, j'ai été plus
intéressé que je l'avais pensé a priori par un livre que je
m'étais attendu à lire très en diagonale. Ne serait-ce que pour avoir
un aperçu des luttes de pouvoir entre courants et clans au sein de
l'Église catholique, et des compromissions dans ses combats
politiques, c'est amusant. Enfin, c'est amusant pour le non
catholique (et pour l'homosexuel que j'espère pas trop homophobe) que
je suis.
[#] L'auteur énonce en fait quatorze règles de Sodoma au fil
du livre (de façon inégalement répartie), que je peux citer
intégralement comme illustration :
Le sacerdoce a longtemps été l'échappatoire idéale pour les jeunes
homosexuels. L'homosexualité est une des clés de leur vocation.
L'homosexualité s'étend à mesure que l'on s'approche du saint des
saints ; il y a de plus en plus d'homosexuels lorsqu'on monte dans la
hiérarchie catholique. Dans le collège cardinalice et au Vatican, le
processus préférentiel est abouti : l'homosexualité devient la règle,
l'hétérosexualité l'exception.
Plus un prélat et véhément contre les gays, plus son obsession
homophobe est forte, plus il a de chances d'être insincère et sa
véhémence de nous cacher quelque chose.
Plus un prélat est pro-gay, moins il est susceptible d'être gay ;
plus un prélat est homophobe, plus il y a de probabilité qu'il soit
homosexuel.
Les rumeurs, les médisances, les règlements de compte, la
vengeance, le harcèlement sexuel sont fréquents au saint-siège. La
question gay est l'un des ressorts principaux de ces intrigues.
Derrière la majorité des affaires d'abus sexuels se trouvent des
prêtres et des évêques qui ont protégé les agresseurs en raison de
leur propre homosexualité et par peur qu'elle puisse être révélée en
cas de scandale. La culture du secret qui était nécessaire pour
maintenir le silence sur la forte prévalence de l'homosexualité dans
l'Église a permis aux abus sexuels d'être cachés et aux prédateurs
d'agir.
Les cardinaux, les évêques et les prêtres les plus gay-friendly,
et ceux qui parlent peu de la question homosexuelle, sont
généralement hétérosexuels.
Dans la prostitution à Rome entre les prêtres et les escorts
arabes, deux misères sexuelles s'accouplent : la frustration sexuelle
abyssale des prêtres catholiques trouve un écho dans la contrainte de
l'islam, qui rend difficile [sic] pour un jeune musulman les actes
hétérosexuels hors mariage.
Les homophiles du Vatican évoluent généralement de la chasteté
vers l'homosexualité ; les homosexuels n'y font jamais le chemin en
marche arrière en redevenant homophiles.
Les prêtres et les théologiens homosexuels sont beaucoup plus
enclins à imposer le célibat des prêtres que leurs coreligionnaires
hétérosexuels. Ils sont volontaristes et très soucieux de faire
respecter cette consigne de chasteté, pourtant intrinsèquement
contre-nature.
La majorité des nonces sont homosexuels mais leur diplomatie est
essentiellement homophobe. Ils dénoncent ce qu'ils sont. Quant aux
cardinaux, aux évêques et aux prêtres, plus ils voyagent, plus ils
deviennent suspects !
Les rumeurs colportées sur l'homosexualité d'un cardinal ou d'un
prélat sont souvent le fait d'homosexuels, eux-mêmes dans le placard,
qui attaquent ainsi leurs opposants libéraux. Ce sont des armes
essentielles utilisées au Vatican contre des gays par des gays.
Ne cherchez pas quels sont les compagnons des cardinaux et des
évêques ; demandez à leurs secrétaires, leurs assistants ou leurs
protégés, et à leur réaction vous connaîtrez la vérité.
On se trompe souvent sur les amours des prêtres, et sur le nombre
de personnes avec lesquelles ils ont des liaisons, « parce qu'on
interprète faussement des amitiés comme des liaisons, ce qui est une
erreur par addition », mais aussi parce qu'on peine à imaginer des
amitiés comme des liaisons, ce qui est un autre genre d'erreur, cette
fois par soustraction.
— Mais je trouve que ce n'est en fait pas là un très bon résumé du
livre, parce que ces règles se répètent un peu, sont désorganisées et
pas très bien énoncées, et ne couvrent pas bien tous les sujets
abordés tout en en couvrent trop certains.
J'avais commencé à écrire cette entrée vers septembre–octobre 2017,
pour me changer les idées à l'occasion d'une période
de stress particulier (liée, entre
autres, à mes cours de conduite — à l'époque, de voiture, donc), et je
l'ai un peu remaniée quelques fois depuis, mais je ne l'avais jamais
publiée. Comme quelqu'un a fait un commentaire sur
la dernière entrée me demandant si
je m'étais déjà pris des râteaux (le pape est-il catholique ?), et
c'est vrai que la comparaison est intéressante, cela vaut peut-être la
peine de la ressortir, quitte à la finir et relire en vitesse.
Forcément, cette écriture en plusieurs phases doit laisser des traces,
le style est un peu incohérent, et peut-être même que les faits le
sont (toute histoire est une
réinterprétation, qui sait combien ma mémoire a trahi la
vérité).
Je vais parler un peu de moi, donc, et en l'occurrence, de mon
rapport à mon orientation sexuelle : si vous n'aimez pas le racontage
de vie, passez votre chemin. (Si vous aimez, je note que j'avais
déjà écrit ici une petite
autobiographie sur mon rapport à l'informatique.)
Ajout : voir cette
entrée ultérieure pour un documentaire fort intéressant qui
rassemble divers témoignages.
1. Collège et lycée
J'essaie de me rappeler à quel moment précis j'ai pris conscience
que j'étais attiré par les garçons, mais sans grand succès. Ça devait
être en 1989 ou 1990, vers la classe de quatrième, soit quand j'avais
treize ans. Plus exactement, ce que je me rappelle nettement, c'est
mon premier béguin. (Je vais utiliser le terme béguin, même
s'il ne me plaît pas trop, pour un amour à sens unique, non
réciproque, ce qu'on anglais on peut rendre
par crush ou infatuation ;
l'idée est de réserver autant que possible le terme amour pour
quelque chose qui se construit à deux.) Béguin qui est resté
complètement secret, évidemment.
Sébastien H.[#1.1] était un
garçon de ma classe (nous étions aussi parmi les rares à faire russe
en LV2), sportif, gentil, plutôt
« populaire ».
Surtout, il était de ceux qui ne me regardaient pas trop comme
un OVNI. Je ne veux pas donner l'impression que
j'ai été harcelé au collège ou au lycée : pas du tout, globalement
l'ambiance était très bonne, je n'ai pas subi de
moqueries[#1.2] ou d'autres
méchancetés ; et j'avais de bons amis ; mais le geek atypique
très-bon-élève-sauf-en-sport que j'étais était vite catalogué comme
légèrement surdoué/cinglé (j'ai la faiblesse de croire que les deux
sont faux) et certains m'évitaient ou, en tout cas, n'auraient pas
voulu m'inclure dans leurs cercles de fréquentations. Sébastien, lui,
était plutôt protecteur à mon égard : en cours de sport (où j'étais
franchement nul, donc), il m'encourageait ; si au handball nous étions
dans la même équipe, il pouvait me passer la balle alors que la
plupart des autres cherchaient surtout à éviter ça sachant que je
risquais de la perdre ou de faire une faute avec.
Mais aussi, il devait correspondre à une certaine image que j'avais
de la virilité. J'ai déjà raconté
ici que je n'ai jamais su clairement distinguer le désir que je
peux éprouver pour un homme (l'envie-d'avoir, disons, l'envie
de coucher avec) et l'envie que me fait son corps
(l'envie-d'être, je veux dire, l'envie de
lui ressembler, voire d'être à sa place, dans sa peau) : si
bien que les garçons qui m'attirent
physiquement[#1.3] sont,
généralement parlant, ceux à qui je voudrais ressembler et vice versa.
(Et dans les deux cas, mes goûts sont
assez éclectiques et passablement
incohérents.)
Je n'arrive pas à me rappeler ce que je pensais de mon propre
corps. Quand je regarde les peu nombreuses photos de moi entre la
puberté (exemple ici en
classe de troisième) et, disons, la fin de ma prépa, je me trouve
très moche ; mais bon, je ne suis vraiment pas attiré par les garçons
de 14 ans, c'est forcément un peu difficile de juger avant autant de
recul. Ce qui est sûr, c'est que le type de garçons qui m'attiraient
au collège et au lycée, le type de garçons à qui je rêvais de
ressembler, ou dont je rêvais d'être dans la
peau[#1.4] quand je me
masturbais, étaient différents de mon physique réel.
Bref, je dois reconnaître que je ne comprends pas vraiment l'ado
que j'ai été. Ou plutôt, l'ado qui a maintenant disparu et dont j'ai
hérité de souvenirs (cf. ici) sans
avoir toutes les clés pour les déchiffrer.
Pourquoi, par exemple, est-ce que j'ai persisté à être mauvais en
sports (c'est-à-dire, à m'autopersuader que je l'étais) plutôt que de
comprendre que le sport pouvait être une façon à la fois de regarder
des jolis garçons et d'améliorer mon propre physique ? Je n'en sais
rien. J'avais dû m'enfermer dans le rôle du geek forcément mauvais en
sport et qui faisait semblant de ne pas s'intéresser au physique des
gens avec toute la facilité avec laquelle on laisse ce genre de
mensonges nous coller à la peau.
Je me souviens pourtant qu'un moment précis où ce Sébastien m'a
« tapé dans l'œil » était pendant un cours de sport où il s'est mis à
faire des pompes pour crâner en exhibant ses bras musclés — je ne sais
pas s'il a eu l'attention de qui que ce soit d'autre, mais il a
certainement eu la mienne.
Petite pub pour le livre Contes et légendes de Florence Azé
J'avoue faire de la pub alors que je n'ai pas encore lu le livre
lui-même, mais déjà l'idée du livre me plaît ; et j'avoue que
l'auteure est une amie, mais je sais qu'elle écrit bien : je prends
donc une minute pour mentionner le
livre Contes et
légendes des autres amours de Florence Azé. Il s'agit d'un
petit recueil de contes et légendes racontant des histoires d'amour
homo, bi, trans, ou en fait tout ce qui sort un peu du banal
prince-charmant-qui-sauve-une-princesse. La narration est de
Florence, mais les histoires ne sont pas d'elle, ce sont des histoires
anciennes de pays variés, et ce qui m'impressionne surtout est qu'elle
ait réussi à en trouver assez pour en faire un livre (fût-il mince).
Et elle tient à souligner, et je suis d'accord que c'est très
excellente initiative, que c'est un livre pour enfants (ou pour
adolescents, parce que bon, quand même, dans les contes de fée, il y a
toujours de la violence). Recommandation particulière pour les
parents, donc, qui veulent aider leurs enfants à s'ouvrir
l'esprit.
Mise à jour : maintenant je l'ai lu, mais je n'ai
pas grand-chose à ajouter. Le choix est intéressant et assez varié,
et c'est bien écrit. Je pense que cela convient à un public de tout
âge.
La maison
d'édition Édilivre
a l'air intéressante, aussi, comme une sorte d'intermédiaire entre
l'édition classique et l'édition à compte d'auteur. (← J'ai commencé
par écrire à conte d'auteur, c'est mignon.)
Cette entrée n'a rien de
particulièrement zeitgemäß, mais le fait d'avoir
écrit la précédente m'a donné envie
de dire un mot à ce sujet.
Roland Emmerich est un réalisateur plutôt connu pour ses films
catastrophe
(Independence
Day, Godzilla, The
Day after
Tomorrow, 2012,
etc.), à gros budgets et plus ou
moins nanaresques. Dans cette
liste, Stonewall,
semble incongru : il raconte, à travers la vie d'un jeune homme gay
chassé de chez lui par ses parents, l'histoire des émeutes du 28 juin
1969 (soit juste après l'enterrement
de Judy
Garland) au bar homo de ce nom sur Christopher Street, Greenwich
Village, New York, et qui sont à l'origine de la Gay
Pride (les pays germanophones disent
d'ailleurs Christopher Street Day).
Une autre chose incongrue est que ce film a une note
sur IMDB très nettement inférieure aux autres que du même
réalisateur que j'ai nommés ci-dessus : aurait-il réussi à faire un
nanar encore plus intergalactique que Independence
Day ? le film nous fait-il nous découvrir que le Stonewall
était un repaire d'extra-terrestres et que les homos se sont ralliés
pour empêcher la Terre d'être envahie ? pas vraiment. Manifestement,
il y a eu une campagne virale pour donner à ce film la note la plus
basse — ce genre de campagne est la raison pour laquelle les notes et
les sondages sur Internet ne valent à peu près rien, mais passons ; et
la campagne en question ne vient pas des fans habituels des films
d'Emmerich qui se seraient agacés qu'il fît un film pour pédés, non,
ce sont essentiellement des militants et
sympathisants LGBT qui ont détesté le film.
Quel est le problème ? Il y a beaucoup de points précis sur
lesquels la vérité historique a été déformée (par exemple en laissant
penser que la mort de Judy Garland avait plus d'importance qu'elle
n'en avait, ou en résumant une réalité forcément un peu complexe).
Certains reproches se contredisent un peu : par exemple, d'avoir
minimisé le rôle des lesbiennes, des drag queens et transgenres (alors
qu'elles et ils étaient plutôt les premiers à lancer les émeutes),
mais en même temps d'avoir utilisé le personnage réel tout à fait
masculin de Raymond Castro pour inspirer un personnage fictif (Ray)
très efféminé ; ou encore, d'avoir essayé de rendre le film plus
digeste pour les hétérosexuels en se focalisant sur des personnages
bien « propres sur eux », mais en même temps de caricaturer les homos
ou drag queens, et d'avoir noirci
la Mattachine
Society qui proposait justement aux homos de se fondre dans
la masse et de ne pas faire de vagues et qui (selon le film) n'était
pas terriblement heureuse des émeutes.
En fait, les reproches se concentrent surtout autour d'un point :
une forme
de whitewashing,
en l'occurrence, d'avoir choisi de construire le film autour d'un
personnage blanc, jeune homme, de classe moyenne, bon élève,
cissexuel, pas du tout efféminé, « seulement » homosexuel, bref, tout
ce qu'il faut pour le rendre relatable (je ne
sais pas dire ça en français, tiens) par le public de spectateurs
(très majoritairement hétérosexuels) que Hollywood vise
principalement. En l'occurrence, ce héros (Danny Winters) est joué
par Jeremy Irvine, qui est
le poster-boy
presque trop parfait d'un tel rôle, avec son visage de gendre
idéal qui ne fera peur à personne. (Comme en plus il doit y avoir
beaucoup de garçons homos qui mettraient bien sur leurs murs un poster
du boy en question et qui rêvent qu'il puisse être homo, ça permet de
gagner sur tous les terrains.) Soulignons bien que le personnage du
Danny Winters en question est fictif : on ne reproche pas aux
scénaristes, ici, d'avoir transformé un personnage réel ; mais comme
ils lui font, tout à fait littéralement, jeter la première pierre qui
déclenche les émeutes, on peut dire qu'on lui donne la place de la
personne qui a vraiment jeté cette première pierre : certains l'ont
identifiée comme étant la drag queen
noire Marsha
P. Johnson (qui apparaît effectivement dans le film, et n'est pas
whitewashée)… sauf que les choses ne sont jamais simples, et en fait
on n'en sait rien, il n'y a probablement pas eu de « première pierre »
jetée, et pas une seule personne qui a déclenché les émeutes, fût-ce
Judy Garland, Marsha P. Johnson
ou Stormé
DeLarverie.
Tous ces reproches sont justes, et ne sont pas sans importance,
mais je crois qu'ils passent à côté de l'intérêt du film.
Car à mon avis le but — malgré le titre — n'est pas tant de
raconter l'histoire des émeutes de Stonewall, ou en tout cas pas de le
faire avec la précision d'un historien, c'est, à travers l'histoire
personnelle du héros, de présenter un débat, ou un dilemme, qui se
pose à (et parfois déchire) la communauté LGBT : veut-on
revendiquer le droit à l'indifférence ou le droit à la différence ?
veut-on se fondre dans la société ou se révolter contre elle ?
veut-on réclamer l'étiquette normal ou arborer la fierté
d'être anormaux ? Il va de soi que formulée dans des terme
aussi simplistes et caricaturaux, cette question n'admet pas de
réponse, et que toute tentative sérieuse pour y répondre doit
commencer par examiner les termes de cette fausse alternative : mais
la présentation caricaturale n'empêche pas que la problématique est
réelle.
Et je trouve que Stonewall pose cette question avec
une certaine finesse : Danny Winters est partagé entre le camp,
incarné par la Mattachine Society, des
homos blancs, financièrement aisés et « bien propres sur eux » qui
cherchent à se fondre dans la masse et espèrent faire évoluer la
société en ne faisant peur à personne, et celui, incarné par les
garçons et filles de la rue obligés de se prostituer, qui sont les
véritables héros des émeutes de Stonewall ; c'est justement parce
qu'il est blanc, cissexuel, etc., que Danny doit faire ce choix,
et que le choix en question est douloureusement intéressant : un de
ses amis lui dit justement, moi, je n'ai pas le choix — Danny
doit accepter de risquer sa place potentiellement privilégiée dans la
société, et possiblement sa bourse pour Columbia, s'il choisit de
rejoindre les révoltés. La scène où il jette la première pierre
incarne ce dilemme : l'instant avant, la drag-queen noire Marsha lui
demande how can it get worse? […] a society hating
and oppressing us for being gay, and you still wanna be polite? cause
it's going to take away your precious fuckin' scholarship if you get
arrested? cone on! ; puis un membre de
la Mattachine Society tente de le
décourager de jeter la pierre : no, that's not the way, Danny.
Tout ça n'est peut-être pas historiquement correct, mais le
développement du personnage est intéressant.
Et dans l'ensemble, je trouve que Stonewall montre une
subtilité que les films-catastrophe bourrins de Roland Emmerich ne me
laissaient pas du tout présager. Les personnages ont une réelle
profondeur, les acteurs jouent plutôt bien. La diversité de la
communauté LGBT est peut-être insuffisamment représentée,
mais il est injuste de nier qu'il y ait un certain effort pour
l'honorer. Le scénario est assez convenu, mais il marche plutôt bien.
Ce n'est le film de la décennie, probablement pas même le
film LGBT de l'année, mais ce n'est pas un nanar, et il
ne méritait pas le procès qu'on lui a fait.
Évidemment, le dilemme que j'évoquais ci-dessus se pose aussi au
niveau méta : doit-on souhaiter que l'industrie du cinéma
« mainstream » fasse des films abordant des
thèmes LGBT à destination d'un public majoritairement
hétérosexuel ? ou préférer que le cinéma LGBT reste
totalement différent (pour être plus libre, par exemple), et ne vise
que les spectateurs de cette population ? Je crois qu'il ne faut pas
sous-estimer l'importance
de Brokeback
Mountain, qui reste quasiment le seul film
« mainstream » (disons, avec des acteurs vraiment
célèbres) centré autour d'une histoire d'amour homo. (Il est vrai
qu'Ang Lee avait auparavant commis le
magnifique
喜宴 / Garçon d'Honneur / The
Wedding Banquet, mais il était beaucoup moins connu à
l'époque.) J'imagine que Roland Emmerich, dont je crois comprendre
qu'il est lui-même homo, a dû se poser la question, et j'imagine que
ça a été un peu un dilemme pour lui, qu'il a pensé prendre un risque :
je trouve vraiment dommage que la réaction ait été de lui faire un
procès plutôt que de dire qu'il aurait pu faire mieux.
Je dédie cette petite fiction à tous ceux et celles à qui la
société rend les choses plus difficiles qu'elles n'ont besoin de
l'être sous prétexte qu'ils ou elles ne rentrent pas bien dans
les petites cases binaires dans
lesquelles on veut ranger les
gens :
J'avais quinze ans quand j'ai expliqué à mes parents que j'étais un
garçon. J'avais espéré qu'ils comprendraient tout seuls. À force de
m'entendre me faire appeler garçon manqué. De voir comment je
m'habillais. Que j'insiste pour couper mon prénom. Je dois dire, ils
n'ont jamais chercher à m'imposer ce que je ne voulais pas : depuis
l'école maternelle, je refusais de porter des jupes, ils ne m'ont pas
forcé, ni pour les fêtes ni pour l'enterrement de mamie. Mais mon
père espérait quand même que cette phase me passerait, que je serais
sa petite princesse. Alors j'ai dû leur dire. J'ai cru que je n'y
arriverais pas, j'ai pas dormi de la nuit, j'avais une énorme boule
dans le ventre, j'ai pas su les regarder dans les yeux, mais j'ai fini
par arriver à articuler, papa, maman, voilà, je voulais vous dire,
je suis un garçon. Leur réaction était réglo : on te soutient,
Lé, tu seras toujours notre enfant, on t'aimera toujours, tout ça tout
ça. Grand soulagement. Mais je sentais bien que ma mère retenait ses
larmes. Après coup, j'ai su qu'ils pensaient que j'allais leur
annoncer que j'étais enceinte.
Quand j'y repense, j'ai eu de la chance. Mes parents étaient super
gênés lorsqu'on abordait le sujet, et moi aussi avec eux d'ailleurs,
mais c'était vrai qu'ils me soutenaient. Ils avaient du mal à me
parler au masculin, mais ils essayaient. Je suis allé voir un psy :
au début je n'aimais pas l'idée, mais il m'a expliqué qu'il n'était
pas là pour me juger ou pour me faire dire que j'étais une fille, il
était plutôt sympa et je pouvais lui parler vraiment. D'un autre
côté, ce qui se passait au bahut ne l'intéressait visiblement pas des
masses. Et au collège, puis au lycée, tous ceux à qui j'ai voulu
parler, médecin scolaire, assistante sociale, conseillers d'éducation,
se renvoyaient la balle et la renvoyaient à mon psy dès que le
mot transsexuel était prononcé.
Au moins j'ai pu me faire prescrire un truc pour arrêter presque
complètement mes règles. Ça c'est ce que je détestais le plus. Une
humiliation mensuelle imposée par ce corps dont je ne voulais pas et
qui me rappelait sa féminité. J'en pleurais à chaque fois. Un jour,
un petit con macho que j'avais agacé m'a demandé si j'avais mes
règles, j'ai bien failli l'envoyer à l'hosto, et j'ai eu des emmerdes
à cause de ça. Mais pour le reste, mon corps était plutôt androgyne.
Avec ma poitrine plate (heureusement !) sans besoin de la bander, avec
mes cheveux courts, avec des fringues assez larges, je pouvais
facilement passer comme un garçon tant que j'ouvrais pas la
bouche.
J'aurais voulu pouvoir être Léo au lycée, mais il y avait trop de
gens qui me connaissaient déjà et qui m'auraient trahi, et c'était pas
possible de changer d'endroit. Alors je suis resté Lé, ni
fille ni complètement garçon. J'y avais régulièrement droit : eh,
t'es un mec ou une meuf ? ; je répondais toujours : tu préfères
quoi ? — c'était une façon de savoir tout de suite qui était ami
ou ennemi. Une seule fois quelqu'un m'a répondu, et toi, tu
préfères quoi ?, même là j'ai pas osé lui dire vraiment, mais j'ai
retenu que ce Florian était un mec bien. Sinon, y'avait Chloé, ma
seule vraie amie pendant ces années, à qui je suis passé le plus près
de dire la vérité. Elle elle m'a dit qu'elle pensait qu'elle était
bi, on a commencé à faire des choses ensemble, mais ça n'a pas marché.
Elle m'a reproché de ne pas savoir ce que je voulais, ce qui était
vrai. Et nous nous sommes disputés. Puis réconciliés, mais c'était
plus pareil. Je me suis mis à réfléchir plus fort à ce que je
voulais.
Et à dix-sept ans, nouveau coming out à mes parents : au fait, je
préfère les garçons. Eux, ils ne comprenaient plus rien. Alors
finalement tu es un garçon ou une fille ? Je voyais bien mon père
penser, même s'il a pas osé le dire à haute voix : mais à quoi ça
te sert d'être un homme si c'est pour préférer les hommes ? Ben
oui papa, c'est comme ça : je suis pas lesbienne, je suis gay.
À la fac, je me suis fait appeler Léo. Enfin la liberté ! Les
enseignants, qui devaient forcément savoir que j'étais Léa sur le
papier, étaient plutôt cool avec ça, de toute façon ils nous parlaient
peu et nous connaissaient à peine. Plusieurs fois un autre étudiant
m'a démasqué, mais la fac était grande, c'était plus facile qu'au
lycée d'éviter les chieurs. J'avais appris à mieux déguiser ma voix,
aussi. Être un homme, je m'en suis rendu compte, apportait des
avantages dont j'avais même pas conscience : les gens me traitaient
différemment, c'était subtil, mais une fille qui veut faire de l'info
on lui fait des remarques (c'est bien, mais ce sera dur, vous êtes
sûre que c'est pour vous ?) qu'on ne fait pas à un garçon.
Évidemment, c'était pas les mêmes gens, j'étais à la fac et plus au
lycée, mais la différence se sentait. Mais j'ai aussi découvert qu'il
y a des choses que je n'avais plus droit de dire : un jour j'ai fait
une remarque sur le joli petit cul du chargé de TD de
maths, et ça a provoqué un grand silence, et au moins un type a changé
d'attitude vis-à-vis de moi après ça. Leçon retenue : les mecs n'ont
pas le droit de parler des mecs comme les filles.
J'ai pensé que maintenant que j'étais majeur je pourrais sans
problème me faire prescrire un traitement hormonal. Mais après avoir
essayé chez trois endocrinos (une vieille peau qui m'a regardé avec
horreur dès que je lui ai dit être trans, un mandarin des hôpitaux qui
m'a fait attendre six mois pour me voir et qui m'a à peine écouté, et
un petit jeune qui avait l'air complètement dépassé par les
événements), le mieux que j'ai obtenu était : revenez après encore
deux ans de suivi psychiatrique.
Bon, j'ai quand même fini par faire valoir que j'étais suivi depuis
longtemps, et par avoir ma testostérone un peu avant les deux ans.
J'ai eu des problèmes d'humeur au début : des phases euphoriques dans
les jours suivant l'injection et une énorme fatigue dans les jours qui
la précédaient, mais ça s'est stabilisé. J'ai eu mes premiers poils
au menton, et j'étais heureux comme un prince. Je me suis mis à faire
du sport beaucoup plus souvent, en espérant être devenu beaucoup plus
fort, ce qui n'était pas le cas, bien sûr, mais à force de persévérer
j'ai quand même bien progressé.
En fin de licence, j'ai rencontré un mec un peu plus vieux, sur un
terrain de sport de la fac. Très vite nous avons commencé à sortir
ensemble. J'ai voulu aller trop vite, sans doute. Mais j'étais
émotionnellement affamé, je voulais à tout prix avoir un copain :
alors quand il s'est ramené avec son visage de Zac Efron sur un corps
de gymnaste, et qu'il s'est mis à me draguer, mon cœur a fondu aussi
vite que de la neige au Sahara. Comme un con, j'ai pas osé lui dire
tout de suite que j'avais un vagin. Je voulais croire au grand amour.
Je voulais croire que ça n'aurait pas d'importance (pragmatiquement,
je me disais, j'ai une bouche et un cul, c'est ce qui compte).
Peut-être que je croyais qu'un homo serait forcément ouvert d'esprit.
Et ce qui devait arriver arriva : quand il a commencé à vouloir aller
plus loin que les dîners en tête à tête, les câlins tout habillés et
les pelles, j'ai dû lui parler de mon anatomie, et il est presque
parti en courant. Immédiatement après, il m'a envoyé
un SMS pour me larguer : dsl je pense pas pouvoir
sortir avec 1 trans. Quarante-quatre caractères (je les ai
comptés). Il a même pas eu le courage de décrocher quand je l'ai
appelé pour en parler, et quand je l'ai recroisé il a fait semblant de
pas m'avoir vu.
Je pense notamment aux femmes trans (i.e., « MtF »),
qui sont en ce moment dans certains états des États-Unis ciblées par
le nouveau dada des puritains : celui de les obliger à utiliser les
toilettes des hommes (en se basant sur l'argument aussi absurde
qu'abject : ah, mais si on permet à n'importe qui de fréquenter les
toilettes pour femmes, n'importe quel prédateur sexuel pourra se faire
passer pour trans et aller agresser les petites filles). Mais j'ai
préféré raconter l'histoire d'un homme trans (i.e.,
« FtM »), gay qui plus est, (a) histoire de rappeler que
ça existe, et (b) parce que ça m'aide à mettre un peu plus d'empathie,
donc de ressenti personnel, dans cette histoire.
Quelques pensées à deux zorkmids sur l'homosexualité, la masculinité et la tolérance
[Ce qui suit est plus un rant partant dans tous
les sens — et par ailleurs écrit sur un bon nombre de jours, ce qui
explique le manque de cohérence — qu'une réflexion construite. À la
limite, on peut lire dans n'importe quel ordre les paragraphes
ci-dessous, ce sont juste des idées que je lance un peu au hasard
parce que je veux les dumper quelque part, et tant pis s'il y a
beaucoup de platitudes et d'enfonçages de portes
ouvertes-ou-qui-devraient-l'être.]
Comme il n'aura pas échappé au lecteur qui serait tombé sur une des
entrées de ce blog (soit environ 90% d'entre elles) où je trouve moyen
de le rappeler, je suis homo. Si je le signale souvent, je dois
signaler encore plus souvent que je suis un garçon, parce que la
grammaire française l'impose dans presque chaque adjectif ou chaque
participe passé qui se rapporte à moi. (Par exemple à chaque fois que
j'écris je suis allé, ce qui est passablement fréquent. Il
m'est arrivé de vouloir écrire des textes qui ne révèlent pas le genre
du narrateur, et généralement j'ai préféré l'anglais pour ça, qui est
un peu moins lourdement insistant à ce sujet. Quand on y pense, c'est
quand même une connerie
linguistique invraisemblable que la grammaire dépende du genre des
individus : autant que ce le serait de varier des éléments du discours
selon la couleur des cheveux
ou de
la peau.)
Je m'attarde un peu sur cette affirmation que la grammaire me force
à répéter régulièrement : je suis un garçon. En fait, ce qui est
important n'est pas un énoncé sur le caryotype XY de mes cellules : le
genre qui importe vraiment n'est pas le sexe biologique, c'est la
construction sociale qui pour la plupart des individus
(cissexuels, par opposition à transsexuels) le reflète. Et je
pense que c'est vraiment ce qui importe pour l'attirance que je peux
ressentir pour les garçons : je m'imagine beaucoup plus facilement
ressentir du désir pour un garçon transsexuel
(=FtM) que pour une fille
transsexuelle (=MtF), de même que
je ressens plus facilement de l'empathie pour un garçon transsexuel
que pour une fille transsexuelle.
Maintenant, si le genre est une construction sociale reflétant
approximativement un phénomène biologique, on est embarrassé pour se
demander ce qu'il veut dire au juste. Surtout quand, comme
c'est mon cas, on croit fondamentalement à l'égalité entre hommes et
femmes (au sens, par exemple, où c'est de la connerie en barres de
prétendre que les hommes, resp. les femmes, seraient plus « fait(e)s »
pour certains métiers, plus doué(e)s pour certaines tâches, plus
compétent(e)s dans certains domaines). On se retrouve rapidement
à dire n'importe quoi : que le
masculin et le féminin n'existent pas, ou que tout le monde est les
deux à la fois (si tout le monde est quelque chose, ça
s'appelle humain, pas masculin ou féminin). Ou
alors à tomber dans des platitudes ou des définitions circulaires (la
masculinité est l'ensemble des traits communs aux individus de genre
masculin, et le genre masculin est celui qui relève de la
masculinité).
Mais si je ne sais pas définir quelque chose, je cherche un critère
opérationnel pour le reconnaître en pratique, qui nous apprenne plus
que les accords grammaticaux que la personne fait sur elle-même en
français. Voici ce qui pourrait être une tentative naïve,
complètement débile en vérité, mais qui doit fonctionner assez bien en
pratique (étant entendu qu'on se concentre sur une civilisation donnée
dans l'espace et le temps). Vous avez été salement amoché suite à un
accident — en fait, à la façon de Robocop, il ne reste quasiment que
votre cerveau — mais ne vous inquiétez pas, grâce à une technique
médicale révolutionnaire, on va pouvoir vous reconstruire un nouveau
corps : il se trouve qu'on a deux modèles sous la main, l'un qui
ressemble comme deux gouttes d'eau
à Channing Tatum, l'autre à Mila
Kunis : lequel préférez-vous ? Il y aura évidemment des gens pour
faire les malins (il y en a toujours — encore qu'il y en aurait sans
doute beaucoup moins si la question se posait vraiment plutôt qu'être
une Gedankenexperiment), mais globalement je
pense que cette question révèle quelque chose : il s'agit avant tout
de l'apparence que nous voulons avoir, de la manière dont nous nous
percevons et voulons être perçus — notre apparence idéale, disons, et
le canon plastique duquel elle est la plus proche. Il y a
certainement d'autres choses dans le genre social que l'apparence,
mais on aurait bien tort de penser qu'il s'agit de quelque chose de
trivial : si un transsexuel cherche par exemple
à cacher ses
seins, ce n'est pas futile ou frivole, cette question d'apparence
fait partie de la notion de genre social. Inversement, je ne crois
pas du tout à l'idée qu'il existe des caractères (des traits de
personnalité) spécifiquement masculins ou féminins.
Corollaire 1 : comme l'apparence s'étend du corps nu aux vêtements,
notre tenue vestimentaire fait partie de ce qu'on pourrait appeler le
« genre étendu » (qui a un peu plus d'options que le binaire
masculin/féminin). Pour cette raison, je trouve extrêmement
importante la liberté de s'habiller
comme on veut. (Ce qui n'entre pas en contradiction avec des
critiques qu'on peut formuler contre la société, les prescripteurs de
mode, les vendeurs de vêtement, etc., pour tout ce qui n'est pas une
décision personnelle de s'habiller comme ceci ou cela.)
Notamment, tout dress code qui ne serait pas
strictement nécessaire à un emploi (pour des raisons de sécurité, par
exemple) est à mes yeux à peu près aussi inacceptable que si on
demandait aux hommes de cet emploi de se déguiser en femmes ou vice
versa. Penser aussi aux tatouages ou autres modifications corporelles
(mon poussinet a eu plus de difficulté à révéler à sa famille un
tatouage couvrant une partie importante de son corps qu'à annoncer
qu'il préférait les garçons — mais je reviens ci-dessous sur la
tolérance).
Corollaire 2 : les organes sexuels primaires n'étant pas apparents
(dans notre société où il est bien vu de porter des vêtements, cf. le
corollaire 1), ils ne sont pas ce qu'il y a de plus important pour
définir le genre. (Exemple
explicite : ce
monsieur [attention, ce lien est possiblement NSFW, selon vos réglages de recherche Google
images], qui se trouve avoir un vagin — on le sait parce qu'il est
acteur porno —, non seulement s'identifie à un homme mais sera
clairement catégorisé comme tel par n'importe qui qui voit sa
photo.)
Remarque : écartés les gens qui font juste les malins, il y aura
certainement des gens pour qui le choix entre avoir le corps de
Channing Tatum ou de Mila Kunis ne serait pas évident, pour plein de
raisons. Par exemple parce que, indépendamment de leur identification
de genre, ils ne s'identifient pas à un acteur (resp. une
actrice) américain(e) blanc(he) et trentenaire. Peut-être qu'ils
auraient préféré un choix entre Will Smith et Halle Berry. Ou entre
Sean Connery et Helen Miren. (Je vous laisse imaginer plein d'autres
variations sur ce thème. On pourrait évidemment laisser le choix
entre bien plus que deux options, mais plus le choix laissé est large,
plus l'interprétation de la réponse est sujette à caution : si on
présuppose que tout un tas de modèles définissent le masculin,
resp. féminin, on met la réponse dans la question.) Et il aura bien
sûr aussi des gens qui auraient vraiment du mal à décider,
soit parce qu'ils préféreraient s'incarner dans un corps ni trop
masculin ni trop féminin, soit parce que les deux leur plaisent
également : loin de moi l'idée de
suggérer que le genre est forcément
binaire, et d'ailleurs je vais revenir dessus. (Néanmoins, pour
la plupart des gens, il l'est, et c'est un fait qu'on ne peut pas
ignorer.) Et puis, il y a sans doute des gens dont l'apparence idéale
est celle d'un elfe androgyne, un lion, un chêne,
une sphère
irisée, ou que sais-je encore : à part regarder si le lion a une
crinière, ça ne nous apprendra pas grand-chose sur leur genre, à part
que masculin et féminin n'est pas le fin mot de
l'histoire.
Maintenant, si j'imagine de définir (au moins opérationnellement !)
le genre à travers la question à quoi voudrais-je ressembler ?,
c'est aussi pour amener la remarque suivant, qui me ramène à
l'homosexualité. Personnellement, je ne fais aucune
différence entre le fait de vouloir ressembler physiquement
à X et le fait d'être physiquement attiré
par X. Si je trouve qu'un corps me fait envie,
c'est à la fois l'envie de l'avoir comme mon corps et l'envie de
l'avoir dans mon lit : ce n'est pas seulement que ces désirs vont
toujours ensemble, je n'arrive même pas à imaginer la différence.
(Attention, je ne dis pas que je suis attiré par les garçons qui me
ressemblent : je suis attiré par ceux à qui je voudrais
ressembler. Il se trouve que j'ai des goûts franchement
éclectiques.)
J'écris personnellement ci-dessus, parce qu'il semble (de
quelques discussions statistiquement pas du tout significatives que
j'ai eues sur la question) que même chez les homos cette
identification totale entre, pour faire court, désirer avoir et
désirer être, n'est pas si fréquente. En un certain sens, c'est
dommage, parce que ça aurait fait une définition intéressante de
l'homosexualité (les hétéros, et aussi les bisexuels à moins qu'ils
soient aussi bigenre, doivent bien savoir ce que ça fait d'éprouver de
l'attirance pour un corps qu'ils n'ont pas envie d'être). Que mes
lecteurs, surtout homos, n'hésitent pas à me faire part en commentaire
de leur perception en la matière.
Pour continuer dans mon histoire personnelle, donc, quand j'étais
un jeune ado et que j'ai commencé à regarder avec fascination
certaines photos d'hommes (acteurs, chanteurs, sportifs, militaires en
treillis…) que je trouvais dans les magazines auxquels j'étais abonné
(c'était avant le Web !), j'ai commencé par analyser ça comme une
admiration physique et un désir de leur ressembler — ce qui était
vrai — et il m'a fallu prendre conscience que c'était aussi,
et en même temps du désir tout court. Ceci pourra expliquer, par
exemple, mon commentaire récent
sur l'ado geek homo encore mal assumé qui rêve de pouvoir
s'incarner en barbare musclé armé d'une grosse épée (ou autre
arme totalement
masculine). Ou pourquoi je fais de
la muscu.
Je vais éviter de raconter une fois de plus, même si le radotage
fait partie du savoir-blogguer, que j'ai aussi eu du mal à
m'identifier comme homo parce que la société me renvoyait (surtout à
l'époque) cette idée de l'homosexuel masculin comme forcément
efféminé, ce que je ne me sentais pas du tout (puisque je rêvais de
ressembler, justement, à ces icônes de masculinité devant lesquelles
je me branlais) : pour ceux qui ont réussi à échapper à
mes N répétitions de cette histoire, vous pouvez par
exemple lire ici ce que j'en
écrivais il y a quatre-cinq ans. Mais il est sans doute pertinent de
la reconsidérer à la lumière de ce que je raconte ici.
On peut avancer deux théories simplistes évidentes (le
mot théorie est trop grandiose — disons deux schémas
caricaturaux) sur le « mécanisme » de l'homosexualité : (A) celle qui
apparemment vient à l'esprit de l'hétéro qui découvre qu'il existe des
hommes qui aiment les hommes (et qui plus tard découvrira qu'il existe
aussi des femmes qui aiment les femmes, et des gens qui aiment les
gens, et encore plein d'autres subtilités, mais n'anticipons pas),
c'est que puisque ce sont normalement les femmes qui aiment les
hommes, ces hommes-là doivent être un peu comme des femmes ; et
(B) celle qui généraliserait mon expérience personnelle évoquée plus
haut, à savoir la confusion totale entre désir(-d'avoir) et
désir-d'être. Celui qui croit à l'explication (A) va certainement
conclure que les homosexuels masculins sont plutôt efféminés, celui
qui croit à la (B) va croire plutôt le contraire. (Voyez
aussi ce
qu'en dit l'humoriste australien et métalleux Steve Hughes.)
Évidemment, ces deux théories sont idiotes, mais le fait est qu'il y a
des gens qui raisonnent comme ceci ou comme cela, parce que les
schémas faciles sont aussi tentants.
Maintenant, une idée que les gens ont énormément de mal à
comprendre, c'est que ce que les (autres !) gens sont libre de vivre
leur vie privée comme ils l'entendent. Ceci vaut aussi pour les homos
eux-mêmes qui ne sont pas forcément les derniers à être homophobes
(sans même parler de bi-phobie, transphobie, etc.) : je ne sais pas
combien de fois j'ai entendu un mec homo se moquer d'un autre mec homo
parce qu'il [le deuxième] était une grande folle ou quelque
qualificatif équivalent servant à tourner en dérision son apparence
efféminée. Voilà qui est bien triste : on a le droit de ne pas être
attirés par les garçons efféminés (personnellement, ce n'est pas mon
truc : comme je l'ai expliqué, je suis attiré par ce à quoi je veux
ressembler), mais les moqueries sont lamentables, et d'autant plus
qu'on est soi-même membre d'une (voire, la même !) minorité sexuelle.
Maintenant, l'ironie, c'est que ce courant de « follophobie » dans le
milieu homo a pu engendrer une contre-réaction qui tombe dans
exactement le même travers, consistant à se moquer des garçons homos
qui ne sont pas du tout efféminés comme n'assumant pas
leur homosexualité ou singeant les hétéros, ce qui est
également crétin. • Et une forme de contre-contre-réaction a été la
création (sur Reddit, puis ça s'est exporté, même si je ne crois pas
qu'un équivalent français ait encore été trouvé) du
terme gaybro,
expliqué ici
en bref (même si certaines de ces définitions sentent un peu mauvais)
et par
exemple ici
ou là
ou
encore là
en plus de détails. On voit que la polémique(?) n'est pas de sitôt
éteinte, ce qui est d'autant plus ridicule qu'elle ne pourrait pas
exister si tout le monde acceptait ce postulat de bon sens que tout le
monde est libre d'être, ou de chercher à être, aussi masculin ou
féminin qu'il veut, indépendamment de son orientation
sexuelle, et sans mériter de devenir objet de dérision. (Ça devrait
vraiment être une porte ouverte. Hélas, il semblerait que ça ne le
soit pas.)
Bien sûr, être homo n'immunise pas contre la connerie. Pour ceux
qui auraient le moindre doute à ce sujet, je vous présente
l'interview
d'un membre d'un groupe de skinheads russes gays néonazis (le logo
du groupe est carrément gratiné). Mais je souligne bien que parmi ces
qualificatifs, celui qui fait de lui une ordure, c'est néonazi
(outre le fait que, à la lecture de l'interview, il apparaît aussi
clairement entre autres comme misogyne) ; parce que, en soi, les
skinheads, il en existe d'extrême-droite, bien sûr, mais aussi
d'extrême-gauche, d'autres apolitiques (et qui prétendent, peut-être
avec raison, être les seuls vrais et authentiques ; remarquez, même
s'ils n'ont pas une idéologie politique nauséabonde, ils ne
sont pas forcément très fréquentables pour autant, voyez certains
supporters de foot) ; et il en existe aussi quantité qui sont homos,
pouvant intersecter l'une des catégories précédentes. (La couleur des
lacets des rangers est réputée permettre de différencier ces
catégories, mais je soupçonne que c'est surtout un mythe.)
L'existence de cette dernière catégorie de skinheads, qui est
d'ailleurs peut-être majoritaire dans certains pays, met mal à l'aise
les autres catégories, les homos qui ne sont pas des skinheads, et
sans doute beaucoup d'autres gens, et sans doute pas uniquement à
cause de pratiques sexuelles en comparaison
auxquelles Fifty Shades of Grey apparaît
clairement comme la version familiale édulcorée du sadomasochisme ou
du fétichisme (bon, je n'en sais rien, je n'ai pas lu/vu le
livre/film, mais je soupçonne fortement que c'est très propre et
gentillet ; j'ai néanmoins vu
la critique
par The Onion, qui comme d'habitude est
hilarante).
Bon, je me suis un peu perdu dans les digressions et je ne sais
plus bien où je voulais en venir en racontant ça, mais parmi les
portes ouvertes que j'avais prévu d'abattre avec ma grosse hache bénie
+2 de barbare musclé, il y avait certainement que la liberté de vivre
sa vie privée comme ils l'entendent s'applique aussi, et en
fait surtout à ceux dont la vie privée en question rentre
dans ce qu'on peut appeler
le ick
factor. Concrètement, donc, ceux qui s'accordent des
points de vertu parce qu'ils ont très bien réagi en apprenant que leur
fils / frère / meilleur ami / quilibet était homo, ou parce qu'ils le
sont eux-mêmes, devraient se demander s'ils réagiraient aussi bien
s'ils apprenaient quelque chose d'un peu moins conventionnel : d'une
certaine manière, de même que le vrai courage ne se démontre qu'en
dépassant sa peur instinctive (et pas si on n'en ressent jamais), la
vraie tolérance se démontre en dépassant
sa répugnance
instinctive. (Donc, si vous faites partie de la majorité des gens
qui ne trouvent pas spécialement bandant, disons pour reprendre
l'exemple de ci-dessus, de vous habiller en skinhead et de vous faire
mettre un bras dans le cul jusqu'à l'épaule en étant attaché à un
harnais, la question intéressante est comment vous prendriez le fait
d'apprendre que c'est le cas de votre petit frère. Ou de votre petite
sœur.)
Je finis par une remarque sur l'éclectisme de mes goûts. Comme je
le disais, il y a énormément de types d'hommes que je trouve attirants
— qu'il s'agisse du look vestimentaire, de la morphologie, du type
ethnique… je ne peux absolument pas décrire mon homme idéal parce que,
même s'il y a des combinaisons qui ne me plaisent
clairement pas, celles que je trouve séduisantes ont assez
peu de points communs, je ne peux vraiment pas dire que mon truc c'est
les grands blonds aux cheveux longs et au look métalleux, ou les
sportifs musclés petits et concentrés, ou quoi que ce soit
de précis. (Du coup, les sites de rencontre homo avec
recherches physiques multi-critères me sont passablement inutiles.)
Si je devais donner des exemples de célébrités que je trouve sexy, il
y aurait clairement un biais, mais ce biais n'est pas autant le mien
qu'il l'est de la société dans laquelle je vis (par exemple, non
seulement les acteurs hollywoodiens
sont désespérément
blancs mais en plus il y a un biais dans les rôles qu'on confie à
ceux qui ne le sont pas et du coup dans le physique qu'on
recherche : Morgan
Freeman est ainsi cantonné à des rôles du genre vieux sage ou
Dieu, ce qui est peut-être flatteur mais pas
spécialement sexy). Maintenant, comme je disais plus haut
que je ne fais pas la différence entre les hommes qui m'attirent et
ceux à qui je voudrais ressembler, on en déduit que, contrairement à
mon genre pour lequel j'ai une idée mentale claire et fixe, je n'en ai
pas pour ce qui est, disons, de la couleur de ma peau. (Variante :
dans mes rêves, j'ai clairement conscience d'être un homme — même si
je ne saurais pas dire exactement comment cette conscience se
manifeste — mais je n'ai pas spécialement conscience d'être grand ou
petit, blanc ou noir, etc.) Est-ce que ceci explique pourquoi tout le
monde considère que j'ai des « goûts de chiottes » ? je ne sais
pas.
И радужному знамени всех стран мы будем всегда беззаветно верны!
Une initiative que je trouve très touchante et très belle : pour
protester contre les lois russes homophobes (qui interdisent toute
représentation publique favorable de l'homosexualité — pour plus de
détails, voir le documentaire de Stephen Fry que
je mentionnais récemment), sans
pour autant être suspects de russophobie, environ 2000 Suédoises et
Suédois se sont rassemblés dans le stade olympique de Stockholm paré
de drapeaux arc-en-ciel
pour chanter
l'hymne national russe (qui est d'ailleurs, à mon avis,
musicalement, le plus beau de tous les
hymnes nationaux).
Tu vaux mieux que ça, éternelle Russie !
(Pour éviter à mes lecteurs qui ne seraient pas
des « lecteurs idéaux souffrant d'une
insomnie idéale » de chercher ce que signifie le titre de cette
entrée : les deux derniers vers du dernier couplet de la version
soviétique de l'hymne sont И красному знамени славной
Отчизны мы будем всегда беззаветно верны!, c'est-à-dire quelque
chose comme Et à l'étendard rouge [ou bien : beau] de notre célèbre
Patrie nous serons toujours sans réserve fidèles ! — ce que je
modifie en : Et à l'étendard arc-en-ciel de tous les pays
[etc.] ; всех стран étant aussi une référence
à la
formule finale du Manifeste du parti communiste qui
était aussi la devise de l'URSS.)
Je suis tombé sur le
livre Out
in the Army en
errant chez Foyles le
mois dernier, je l'ai acheté parce que ça m'intéressait d'avoir de
la non-fiction (comment dire ça en français ?)
britannique à lire, et bien que ce ne soit pas trop le genre de choses
que je lis d'habitude, j'ai trouvé ce livre étonnamment captivant.
C'est l'autobiographie de James Wharton, un jeune soldat britannique
(du prestigieux régiment
des Blues
and Royals), ouvertement homo (et un des premiers ou des
rares à l'être, qui s'est du coup retrouvé un peu malgré lui propulsé
au rang d'emblème — par la presse ou par des Américains qui voulaient
mettre un terme à la stupide politique
du Don't
Ask, Don't Tell). Il y raconte, avec une candeur que j'ai
trouvée assez touchante, dix ans passées dans l'armée, entre la garde
de la reine et le déploiement en Iraq ; l'acceptation de son
homosexualité et la rencontre avec l'homme de sa vie ; mais aussi
toutes sortes de scènes amusantes qu'il a pu vivre, ou des célébrités
qu'il a été amené à croiser (comme quand
le prince
Harry, qui s'appelle apparemment lieutenant
Wales dans l'armée, lui demande si c'est vrai qu'il est considéré
comme une icône gay). Et aussi des passages moins drôles, comme quand
il se fait tabasser par un membre homophobe de la même unité, ou quand
il se lie d'amitié avec un soldat américain en Iraq qui finit par lui
avouer qu'il est homo lui aussi mais qu'il doit le garder absolument
secret pour ne pas être chassé de l'armée.
La reine Élisabeth II, sur le conseil de
son Lord Chancelier, a
officiellement fait
grâce à Alan Turing, plus de 60 ans après les faits, pour sa
condamnation pour actes homosexuels (gross
indecency) ; cette condamnation l'avait fait subir, pour ne pas
aller en prison, un « traitement » hormonal, dont on peut légitimement
penser qu'il l'a poussé au suicide. Un tel traitement est indigne en
toute circonstance, mais y soumettre l'inventeur de l'informatique et
le héros de guerre qu'était Turing avait quelque chose de remarquable
dans la bassesse. (On se référera
à sa
célèbre biographie par Andrew Hodges pour les détails des mérites
de Turing. J'avais pour ma part lu cette biographie — trouvée chez un
ami — quand j'étais ado, et elle m'avait beaucoup ému, surtout que je
n'avais aucune idée que Turing était homo et je venais à peine de
comprendre que je l'étais moi-même.)
Je traduis pardon par grâce, parce
qu'en France on parle du droit de grâce, mais il y a peut-être
plusieurs concepts non équivalents (pardon, grâce, clémence…), et
Wikipédia ne m'éclaire pas énormément sur ce qu'ils recouvrent
exactement. Mais je n'aime guère le terme de pardon ou de grâce,
parce que cela suggère qu'il y avait quelque chose à pardonner ou à
gracier. Or c'est le Royaume-Uni, pas Turing, qui a à demander
pardon. Ce
qu'il
a fait en 2009, par la voix de son Premier ministre Gordon
Brown :
Thousands of people have come together to demand justice for Alan
Turing and recognition of the appalling way he was treated. While
Turing was dealt with under the law of the time and we can't put the
clock back, his treatment was of course utterly unfair and I am
pleased to have the chance to say how deeply sorry I and we all are
for what happened to him.
Alan and the many thousands of other gay men who were convicted as
he was convicted under homophobic laws were treated terribly. Over
the years millions more lived in fear of conviction.
This recognition of Alan's status as one of Britain's most famous
victims of homophobia is another step towards equality and long
overdue.
But even more than that, Alan deserves recognition for his
contribution to humankind… It is thanks to men and women who were
totally committed to fighting fascism, people like Alan Turing, that
the horrors of the Holocaust and of total war are part of Europe's
history and not Europe's present
So on behalf of the British government, and all those who live
freely thanks to Alan's work I am very proud to say: we're sorry, you
deserved so much better.
— Même si ce n'est pas un acte juridique, je trouve ce
texte beaucoup plus important, et beaucoup plus approprié, que la
grâce royale (ou le pardon) dont il peut bénéficier aujourd'hui. À la
limite, s'il fallait prendre un acte juridique, il m'aurait semblé
plus approprié que ce fût un acte du Parlement
(qui en
a le pouvoir) effaçant rétroactivement toutes les condamnations
pour homosexualité : effaçant, au sens qu'il n'y aurait pas à
« pardonner » mais à réparer une erreur, et toutes, pas
simplement celle de Turing, qui pour être plus héroïque n'était pas
plus victime d'injustice que n'importe quel autre condamné.
Je ne sais pas bien quel est le sens juridique de ce genre d'actes
posthumes. Pour ce qui est du droit français, il me semble qu'il est
dans une ambivalence aberrante : l'action publique pour
l'application de la peine s'éteint par la mort du prévenu
(article 6
du Code de procédure pénale), ce qui va avec l'idée que la Justice est
une affaire de vivants et pas de morts, néanmoins il existe une Cour
de révision qui, s'il y a impossibilité de procéder à de nouveaux
débats, notamment en cas […] de décès […], après l'avoir expressément
constatée, statue au fond en présence des parties civiles, s'il y en a
au procès, et des curateurs nommés par elle à la mémoire de chacun des
morts ; en ce cas, elle annule seulement celles des condamnations qui
lui paraissent non justifiées et décharge, s'il y a lieu, la mémoire
des morts
(article 625). Qu'est-ce
que ça veut dire, au juste, décharger la mémoire des
morts ? Est-ce purement symbolique ? Dans ce cas, ce n'est
pas la fonction de la Justice de s'en occuper (en tout cas, pas plus
que ceux qui seraient décédés avant d'avoir été poursuivis). Ou cela
produit-il des effets juridiques positifs ? (Ou a contrario, une
condamnation pénale continue-t-elle d'avoir des effets une fois que le
condamné est décédé ?) Dans ce cas, je veux bien qu'on m'explique
quels seraient ces effets, et pourquoi on considère qu'il est utile de
les réévaluer si la personne a déjà été jugée mais pas si elle est
décédée entre les faits et le jugement. Plus exactement, je ne
comprends pas pour quelle raison on voudrait qu'il y eût une
quelconque différence entre la situation où quelqu'un commet un crime
et meurt d'une crise cardiaque cinq minutes avant que soit rendu un
arrêt le condamnant définitivement et la situation où il meurt cinq
minutes après : l'heure du décès n'a aucune importance sur les faits
qu'il a commis, et ne devrait avoir aucune importance sur les effets
juridiques — si elle en a, c'est un défaut du droit, qu'il faudrait
corriger (soit en permettant de poursuivre pénalement les morts, si on
considère que les effets d'une condamnation peuvent être importants de
façon posthume, soit en supprimant tous ces effets ce qui me semble
beaucoup plus sensé, mais alors il n'y a aucune raison de réviser les
procès dont les condamnés seraient décédés). Si c'est purement pour
le symbole, ça ne devrait pas être le boulot de la Justice,
il y a des Historiens pour ça, on pourrait instaurer un comité spécial
de la faculté d'Histoire qui aurait pour objet de réhabiliter
solennellement les gens, de refaire le procès de Jeanne d'Arc ou de
qui ils voudront. Bref, je déplore cette confusion des rôles que je
vois aussi dans le « pardon » fait à Turing.
Et pour ce qui est de l'homophobie et de l'homophobie d'État, il
vaut sans doute mieux s'occuper des vivants que des morts. À ce
sujet, je viens de voir le récent documentaire en deux
parties Out There de Stephen Fry
(disponible sur YouTube
— 1
et 2 — mais
peut-être pas pour longtemps, alors
à
vos youtube-dl),
consacré à l'homophobie dans différents pays du monde (Ouganda,
États-Unis, Brésil, Russie, Inde) : il est à la fois drôle et triste,
et en tout cas touchant, de le voir parler avec des croisés homophobes
comme ce ministre de l'Ouganda (et ce prêtre qui refuse d'entendre
qu'il n'y a pas d'implication ni dans un sens ni dans l'autre entre
sodomie et homosexualité masculine) ou ce député russe, pour essayer
de comprendre leur homophobie, qu'il compare dans l'introduction à une
haine irrationnelle des téléphones de couleur rouge de quelqu'un qui
aurait décidé de les éradiquer de la planète
(mais pourquoi ?, par Hermès, pourquoi en vouloir
aux téléphones rouges ?). J'ai déjà dit que j'aimais beaucoup Stephen
Fry ? Ah oui, je
l'ai déjà dit.
(D'ailleurs, dans le genre, je recommande
aussi sa
série consacrée à la visite des
États-Unis : 1, 2, 3, 4, 5, 6, bonus.
Là aussi, ça fait partie des choses qui apparaissent et disparaissent
de YouTube — la copie que j'avais regardée a déjà été retirée — donc
attendez-vous à ce que ces liens cassent d'ici quelques semaines ou
mois.)
Tout à l'heure quand
j'étais[#] dans le métro ligne 6
en train de rentrer chez moi, j'ai vu monter un énorme groupe de gens
à la station Quai de la Gare. La rame était assez vide avant leur
montée, pleine à craquer après. Groupe encadré par des organisateurs
en gilet de chantier jaune fluo. Majoritairement des garçons ; dans
les 25–35 ans. Comme ils ne faisaient pas trop touristes, j'ai pensé
d'abord à un groupe de supporters d'un sport quelconque. Puis j'ai
remarqué un autocollant bleu-blanc-rouge avec la mention Paris est
patrie. Ah, ce sont donc
des identitaires
— des fafs — qui vont à la
manifestation Paris
fierté pour commémorer Sainte-Geneviève et son glorieux
combat contre les envahisseurs (ou quelque autre florilège
d'anachronismes dans le même genre). En réponse à la question d'un
autre passager (sans doute comme moi curieux et/ou pas très
rassuré[#2]), un petit groupe
d'entre eux à plaisanté sur leur xénophobie (sur le ton un peu
grinçant de celui qui ne se considère pas lui-même comme xénophobe,
qui sait que tout le monde pense le contraire et qui doit se
l'entendre dire assez souvent, et qui s'en amuse) ; puis ils ont
commencé à rigoler en imitant les paroles des quémandeurs dans les
transports en commun (nous ne sommes pas des voleurs…).
Leur site (lié ci-dessus) est semblablement déroutant : laissant de
côté Sainte-Geneviève, il faut un moment pour se rendre compte qu'on
n'est pas sur un innocent site culturel d'amateurs de Paris, et
apparemment ils mettent plus en avant leur opposition à Starbucks (qui
provoque leur ire en voulant s'implanter à Montmartre) que leur
xénophobie. Souci calculé de se montrer respectables, ou est-ce
qu'ils n'assument pas ?
Sinon, parmi ceux qui n'assument pas, il y a aussi ceux qui vont
manifester demain, au départ de juste à côté de chez
moi, pour revendiquer que les
hommes et les femmes n'aient pas les
mêmes droits dans ce pays. On peut certainement se réjouir que
l'homophobie soit devenue une valeur dont ils hésitent à se
revendiquer ouvertement (sauf peut-être le tristement
célèbre institut
Civitas, qui doit relever de la même mouvance que mes
parisiano-génovéfains), là où aux États-Unis certains ne rechignent
pas à dire clairement qu'ils pensent que l'homosexualité est un
péché : reste que je ne sais pas s'il y a plus ou moins d'hypocrisie à
prétendre qu'on n'est pas homophobe et sexiste quand on soutient que
l'homme et la femme sont figés dans des rôles tels qu'il faut un
couple hétérosexuel pour élever correctement un enfant, ou bien à
plaisanter qu'on n'est pas xénophobe quand on va honorer la lutte de
Sainte-Geneviève contre les Huns.
Ayant vu aujourd'hui un visage de la bêtise et de la haine, j'irai
peut-être en regarder un autre demain, histoire de comparer : renifler
les idées nauséabondes m'aidera peut-être à dégager mon nez encore
encombré.
[#] Après être resté
cloîtré à la maison pendant une semaine à cause
de la grippe, j'ai voulu prendre un
peu l'air.
[#2] Indépendamment de
toute considération idéologique, je dois dire que les foules me
font peur. Mais il y avait sans doute aussi quelque chose de
plus subtil : l'idée vague qu'un autre voyageur, qui n'aurait pas fait
attention au fait que j'étais déjà dans la voiture, aurait pu me
prendre pour un du groupe.
Il m'arrive assez souvent de me surprendre — rétrospectivement —
par ma naïveté. Je pensais, j'espérais, quand le projet de
loi sur l'ouverture du mariage aux couples de même sexe a commencé à
être discuté, que ce débat n'intéresserait pas l'opinion : que les
Français étaient bien trop préoccupés par l'économie (pas que
j'apprécie de voir que la politique se réduit de plus en plus à
l'économie, mais c'est ce qui transparaît), que personne ne trouverait
à objecter à un changement où les seules personnes
vraiment concernées ne peuvent être que favorables — que ceux
qui y sont idéologiquement opposés auraient soit peur d'être
ridiculement ringardisés soit la pudeur de se cacher un peu — et qu'au
final le texte passerait en suscitant autant d'attention que
le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le
Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume
de Norvège sur l'enseignement dispensé en France aux élèves norvégiens
et le fonctionnement des sections norvégiennes établies dans les
académies de Rouen, Caen et Lyon
(I'm
not making this up). Bref, j'ai été bien naïf : au lieu de
ça, il nous faut supporter un débat si fastidieux que, vous
l'avouerai-je, je vois avec soulagement la petite parenthèse que nous
offre le numéro de duettistes du principal parti d'opposition.
Je ne cacherai pas qu'une partie de mon agacement vient de la
manière dont les partisans de l'égalité dans le mariage défendent leur
position : c'est-à-dire que, de ce que j'ai pu voir, au lieu de
répondre aux arguments (enfin, ce qui en tient lieu) avancés par leurs
contradicteurs, ils préfèrent crier le mot homophobe sur tous
les registres possibles. En un sens, c'est très bien que l'homophobie
soit maintenant globalement connotée négativement : même les opposants
au projet de loi prétendent (un peu hypocritement, certes) défiler
aussi contre l'homophobie ; dans le monde parallèle du racisme,
nous nous situons dans la phase où on commence à éprouver une certaine
gêne, pas encore de la honte, mais au moins de la gêne, à affirmer
l'inégalité de telle race sur telle autre — le premier timide pas pour
sortir du bourbier de la connerie. Mais à force de crier à
l'homophobie, on va user ce mot. Par exemple quand
quelqu'un passe
des pages entières à traiter Lionel Jospin d'homophobe parce qu'il
a prononcé
des propos à vrai dire assez brumeux et incompréhensibles qui
interprétés de la bonne manière (et si on ne rechigne pas à couper et
ignorer totalement une phrase assez importante comme la
discrimination à l'égard de telle ou telle orientation [sexuelle]
m'est insupportable) peuvent effectivement s'interpréter comme une
forme d'homophobie, au moins au passé ; même comme ça, il faut
beaucoup et délibérément déformer pour arriver à lui faire penser
que les gouines et les pédés ne font pas vraiment partie de
l'humanité (!) : moi, tout ce que je vois c'est que Jospin
n'est pas d'accord avec moi, et
qu'il n'est pas doué pour dire aux journalistes en fait, ce sujet
ne m'intéresse pas alors il dit deux-trois phrases nébuleuses et
contradictoires — est-ce bien une raison pour le traiter
d'homophobe ?, je ne le crois pas. De même quand François Hollande a
eu une expression certes passablement malheureuse pour signaler aux
maires geignards qui ne veulent pas marier des sales pédés qu'ils
peuvent toujours laisser ça à leurs adjoints, je ne sais vraiment pas
si c'était la peine
d'aller manifester
à ce sujet (et créer une sous-polémique dans un débat déjà assez
pénible comme ça).
Je ne veux pas juste dire il faut savoir qui est l'ennemi :
je veux dire qu'un des principes fondamentaux, dans un débat, c'est
qu'on discute avec des gens qui ne sont pas du même avis. Ou au moins
qu'on répond à ce qu'ils disent, et pas juste pour crier oh les
vilains ! (même si c'est vrai). Le fait est que la partie
relativement conservatrice de l'opinion, qui, comme je l'espérais
naïvement, n'en
avait initialement
franchement pas grand-chose à faire de ce sujet (et donc était
mollement favorable par défaut),
est en
train de s'orienter comme le lui disent ses mentors traditionnels.
(Il y a du vrai dans ce que disent les sociologues qui prétendent que
l'opinion publique n'existe pas parce que la mesure ou le débat
perturbe le phénomène mesuré.) Que cela plaise ou pas, il faut parler
à ces gens. Ou alors on peut craindre que la droite ne tienne sa
promesse de faire annuler la loi dès qu'elle reviendra aux affaires
(a priori je ne le crois pas, mais ce n'est pas totalement
exclu non plus, justement si le débat s'envenime trop et polarise
l'opinion de ces conservateurs).
Parce qu'il y a quand même des réponses qu'on peut faire qui me
semblent un peu plus — ahem — productives que traiter d'homophobe le
Premier ministre au moment du vote du PACS.
L'Église catholique (puisqu'elle semble avoir endossé les habits de
principal opposant au projet de loi) à eu la subtilité d'éviter de
parler de Dieu — de placer, au moins formellement, ses arguments sur
le terrain sociétal — et ce serait une grave erreur d'ignorer ce
qu'elle dit.
(Heureusement, certains
s'emploient à lui répondre intelligemment.)
Par exemple, quand un évêque parle de rupture de
civilisation, on peut aller interroger des gens qui vivent pas
très loin de chez nous, du côté de Charleroi, Anvers, Amsterdam,
Barcelone… leur demander comment ils ont vécu cette rupture de
civilisation : je pense que l'absurdité de l'idée apparaîtra assez
rapidement. S'il y a eu rupture de civilisation, c'est lorsque le
divorce a été autorisé : on peut demander à l'Église pourquoi elle ne
considère pas le mariage de couples de même sexe de la même manière
que le mariage de divorcés — quelque chose qu'elle ne pratique pas
elle-même mais qui ne semble plus lui poser un grave problème par sa
simple existence. Quand certains avancent qu'un contrat civil
renforcé devrait être suffisant pour garantir l'égalité des droits, on
peut rétorquer que le mariage dispose d'une reconnaissance
internationale qu'aucune union civile n'a (un couple
français PACSé ne sera pas reconnu comme couple
même dans les pays où le mariage existe entre personnes de même sexe).
Quand dans le débat sur
l'adoption[#]
(dont j'expliquais naguère qu'il
devrait être à mon avis bien séparé de celui sur le mariage) certains
avancent qu'un enfant a droit à un père et une mère, on peut
répondre simplement que dans la grande majorité des cas, la question
est de savoir si tel enfant aura droit, aux yeux de la Loi, à une
seule mère ou bien deux (ou : un seul père ou bien deux) ; et qu'à
partir du moment où l'adoption est possible par les
célibataires et que les opposants de maintenant qui ne se sont
pas réveillés plus tôt sont vraiment de mauvaise foi. Ce sont des
réponses assez simples à faire, et que j'ai trop rarement
entendues.
Une autre chose que j'ai trop rarement entendu souligner,
lorsqu'est servi le trop usé argumentaire du droit des enfants (et si
on prononce le mot enfant, on pense automatiquement aux
petits), c'est que la relation de filiation n'est pas quelque chose
qui cesse quand on devient adulte. (Mon père et ma mère n'ont pas
cessé d'être mon père et ma mère quand j'ai eu 18 ans.) Or on
interdit à ceux qui ont été élevés par un couple de même sexe et qui
sont maintenant majeurs de se voir reconnaître leur complète parenté
(et en particulier, de porter le nom — ou d'hériter sans payer des
taxes prohibitives — de l'un des parents).
Toujours est-il que ce n'est pas demain la veille que toute
référence au sexe d'un individu disparaîtra de la Loi et de
l'état-civil (comme je le souhaite
ardemment) : en attendant, il faut subir un débat laborieux pour un
petit corollaire de ce principe — mais ce sera déjà ça.
[#] Je pense qu'il
faudrait aussi ne pas faire l'amalgame entre plein de questions qu'on
peut ranger dans le mot homoparentalité : l'homoparentalité est
une situation, mais il y a plein de manières dont on peut arriver à
cette situation : selon que, par exemple, un couple de même sexe
cherche à adopter, un homo célibataire cherche à adopter (est-ce de
l'homoparentalité, ça ? et si c'est un bi ?), un homo/bi a eu un
enfant dans un couple hétéro mais a perdu son/sa compagnon/-e et entre
en couple de même sexe avec une autre personne (je pense que c'est la
situation la plus courante), une personne en couple avec quelqu'un du
même sexe a eu un enfant (par insémination artificielle ou en trouvant
un partenaire de reproduction de sexe opposé) et cherche à le faire
adopter par son/sa compagnon/-e, etc.
Florian commande une pression. Toi, un café. Le silence
s'installe : le passage du serveur a tué la conversation
superficielle. Merde, tu ne sais plus quoi dire. Dans trente
secondes exactement, ce silence va devenir gênant. Un compte à
rebours commence dans ta tête. 29… 28… 27…
Tu es en train de passer en revue différentes répliques pour rompre
la glace, toutes aussi nulles les unes que les autres (plus que dix
secondes !), quand Florian se met à sourire. C'est un cliché trop usé
de dire qu'un sourire « illumine » un visage — au diable le
cliché !
Kurt Cobain. Voilà à qui il te fait penser, soudainement, avec ses
cheveux mi-longs qu'il écarte de son visage d'un geste machinal, sa
barbe éternellement naissante, ses yeux clairs timides, ses sourcils
tendrement expressifs, son regard maladroit et son look débraillé.
Kurt Cobain et son sourire un peu enfantin. Tu espères que ce n'est
pas de mauvais augure. (Il n'a pas encore 27 ans.)
Il a dit quelque chose. Ou étaient-ce tes propres pensées ? Non,
il a dit quelque chose. Tu reviens en arrière de cinq secondes dans
le temps :
Il est très sexy, n'est-ce pas ? Tu te retournes. C'est du
serveur que Florian parle. Et c'est vrai. Occupé à prendre la
commande d'une autre table. Il pourrait être mannequin, celui-là.
Dans une pub pour un parfum de Calvin Klein. Il a peut-être été
recruté pour son physique. Ou peut-être pas. Jolie paire de fesses,
en tout cas, quand il se dirige vers le bar.
La remarque te désarçonne. Homo ? Non, il a eu une copine quand
il était lycéen. Puis une autre. Puis encore une autre. Il faisait
peut-être semblant. C'est idiot, ça, il pourrait être bi. Pourquoi
oublie-t-on toujours que les bi existent ? Et puis, pourquoi un mec
hétéro ne pourrait pas faire une remarque sur la beauté d'un autre
mec ? Tu secoues la tête comme pour en chasser tant de préjugés et
tant de bêtise. Mais pourquoi Florian a-t-il dit ça ? pour faire
conversation ? pour te tester ? pour envoyer un message ?
Il a une manière particulière de parler, aussi. Comme une trace
d'accent. Encore une remarque idiote : tout le monde a un accent, il
n'y a que les Français — certains Français — pour s'imaginer qu'ils
n'en ont « aucun », ils ont l'accent d'Orléans, c'est tout. Celui de
Florian pourrait être alsacien. Pour quelle raison aurait-il un
accent alsacien ? Idée saugrenue. C'est sans doute juste une façon
de parler. Tu essaies de te rappeler s'il l'a toujours eue ; tu ne
sais plus bien.
La question n'était pas que rhétorique. Apparemment il attend une
réponse. Tu acquiesces vaguement. Pas sûr que ça suffise.
Sa sœur (Sophie, pas Sandra) était comme ça. (Est comme
ça, vraisemblablement.) Elle te posait souvent des questions
incongrues sur tout ou n'importe quoi qui venait à passer sous ses
yeux ou dans sa tête, et elle attendait une réponse : gare à qui
n'aurait pas d'avis ! Elle serait mieux en rouge, cette voiture,
tu ne trouves pas ? (Pourquoi précisément cette voiture parmi
toutes celles qu'on a pu voir aujourd'hui ?) Qu'est-ce que tu
penses de cette façade, elle est hideuse ?Je suis sûr que ce
type est trader, tu ne crois pas ?Qui a le plus de classe,
entre Morgan Freeman et Sean Connery ? (La conversation ne
tournait pas du tout autour du cinéma.) C'était à Mégara,
faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar : tu ne trouves
pas que c'est une façon extraordinaire de débuter un roman ?
(Idem, Flaubert était arrivé là comme un cheveu sur la soupe.) Tu
serais plutôt LSD ou plutôt ecstasy ? Et le plus
bizarre : Si Newton avait été archevêque de Cantorbéry, l'histoire
du monde aurait-elle été différente ? (Il n'y a que Sophie pour se
demander ça. C'était peut-être venu juste après la question sur les
drogues, d'ailleurs. Newton n'avait pas plus de raison d'être
archevêque que Michelange d'être pape ?)
Il a un mignon petit cul. Lequel de vous a dit ça ? En
tout cas, c'est Florian qui en rigole.
Alors, homo ou pas ? Tu te dis que tu te poses trop souvent cette
question. Surtout s'agissant de jolis garçons. (Le serveur aux
belles fesses, gay ou pas gay ? Et Kurt Cobain, d'ailleurs ? Ce
n'est pas lui qui taguait God is Gay sur les murs
de sa ville natale ? Lui-même était bi, sans aucun doute.)
Tu te rappelles tout d'un coup la scène à Chamonix où, rentrant à
l'improviste, tu avais trouvé Florian allongé nu sur son lit (la porte
même pas fermée), en train de se branler. Il n'avait pas
tiqué : ah, c'est toi ? salut ! déjà de retour ? (pas
embarrassé une seule seconde ; toi tu avais quand même tenu à fermer
la porte pendant qu'il finissait le boulot). Comment avais-tu pu
oublier ça ? Remarque, ça ne te dit pas à quoi il pensait à ce
moment-là.
Bon, trêve de divagation, de toute façon tu ne vas pas coucher avec
lui. (Si ?)
La remarque a décoincé la conversation. Qui part dans une
direction inattendue : Call of Duty (le jeu
— enfin, les jeux), qu'il mentionne de manière aussi
incongrue que les fesses du serveur, et dont il s'avère être fan (le
jeu, pas les fesses), encore plus que toi. Il est en train de mimer
un tir quand le serveur (toujours le même) revient avec la bière et
l'expresso. Vous trinquez. On ne trinque pas avec un café, mais vous
trinquez.
Les verres vidés, Florian se sent assez à l'aise pour poser la
question qui, visiblement, le démange : Excuse-moi si je suis
maladroit… ça t'embête si je te pose quelques questions indiscrètes
sur ta transition ?
Je suppose que beaucoup de mes lecteurs, surtout ceux qui n'ont pas
la chance d'être soit Allemands soit homosexuels ,
ne doivent pas
connaître Ralf
König. Il est un dessinateur et scénariste de bédés allemand
(vivant à Cologne, mais je ne l'ai pas croisé dans la rue la semaine
dernière), dont les albums, au début surtout adressées au lectorat gay
(par exemple sa série Conrad & Paul, qui met en scène
un couple de garçons colognais, Conrad, le grand, un prof de piano
gentil et plutôt coincé, et Paul, le petit, l'alter ego du
dessinateur, qui couche avec tout ce qui bouge et fantasme sur les
mecs musclés et poilus, tout le contraire de Conrad, ce qui ne
l'empêche pas de l'aimer quand même), mais qui devient de plus en plus
mainstream, met en scène et s'adresse maintenant aussi aux hétéros
(notamment Comme des lapins, qui évoque pour une fois les
problèmes de couples hétéros), et s'est peut-être un peu assagi du
même coup.
Toutes ses bédés (dont je commence à avoir fait le tour) ne se
valent pas, mais, globalement, j'adore. Il a un génie à la fois pour
le dessin et pour le théâtre : pour ce qui est du
dessin, une
petite recherche sur Google images devrait donner une idée du
style, qui n'est pas exactement soigné, mais il a un vrai
talent pour croquer les émotions (l'étonnement, la concupiscence,
l'esprit vide, la gêne… ceci dit, ce qu'il a fait de mieux dans
ce domaine c'est peut-être Roy & Al, où les héros
éponymes sont deux chiens) ; et pour ce qui est de l'intrigue, je
trouve que ça tient souvent de Marivaux : les personnages se mettent
dans des situations inextricables qui conduisent à des quiproquos
hilarants. Il y a pas mal d'humour cru, mais aussi beaucoup
d'allusions sophistiqués, et on voit que l'auteur est très cultivé.
Certains de ses albums sont vaguement des parodies d'œuvres célèbres :
il a notamment écrit un Lysistrata d'après Aristophane
(que je n'ai pas lu), Jago dont je vais parler
ci-dessous, Djinn Djinn qui fait référence
aux Mille et Une Nuits (et aussi aux cadeaux offerts par
Hārūn al-Rashīd à Charlemagne, rien que ce passage-là est génial), ou
encore trois livres sur la bible
(Prototyp, Archetyp
et Antityp, non encore traduits en
français, sur Adam, Noé et Jésus — j'ai lu les deux premiers et
je dois avouer qu'à part Dieu et le Serpent qui sont vraiment
excellents, le reste est un petit peu décevant).
Au début je lisais Ralf König en français (il faut dire que les
traductions françaises sont très bien faites), puis je me suis rendu
compte qu'il ne me fallait pas tant d'effort que ça pour pouvoir le
lire en allemand ; en plus, ça m'apprend pas mal de vocabulaire peu
conventionnel et rigolo (et potentiellement utile, qui
sait ?) : schwul (homo), die
Schwuchtel (la pédale, dont on peut tirer un
verbe, schwuchteln), die
Tunte (la tantouze), die Sau (la truie
→ le bâtard ;
voire, Drecksau), Kuchelsex
(les câlins), knutschen (se
peloter), ficken (to
fuck), reinrammen (to
ram into : faire pénétrer bien
profondément), geil (bandant, sexy, chaud ; par
exemple : geile Sau), der
Schwanz (la queue), die Funz (le fond, le
fion), das Gleitgel (le gel
lubrifiant), die Klappe
(les toilettes
dans lesquelles on baise, terme assez spécifique apparemment,
d'ailleurs les
hétéros allemands n'ont pas l'air de comprendre ce qu'est
un glory hole)… Bref, toutes sortes
de mots que mes profs d'allemand ne m'ont jamais appris au lycée !
Le dernier livre que j'ai lu de lui, c'est Iago
(Jago en allemand), qui, comme on s'en
doute, est une parodie de Shakespeare — un mélange
d'Othello, de Macbeth,
de Hamlet, du Songe d'une nuit d'été,
de Roméo et Juliette et de Vénus et Adonis,
un peu à la façon du film Shakespeare in
Love (que je recommande d'ailleurs aussi très vivement au
passage). Ça se passe à Londres du vivant de Shakespeare (qui est
présenté comme un soûlard qu'on retrouve régulièrement bourré, la
nuit, en train de pisser aux pieux sur lesquels on plante des têtes
coupées), d'ailleurs précisément en 1603, la troupe
de Burbage
joue Hamlet et les acteurs en coulisse discutent de la
beauté du bourreau (celui qui coupe les têtes qu'on plante en haut des
pieux) ; l'acteur qui interprète Horatio est un petit bonhomme mal
rasé et attiré par les mecs musclés et poilus (bizarrement, il y a
toujours dans les bédés de Ralf König un petit bonhomme mal rasé et
attiré par les mecs musclés et poilus, on se demande pourquoi), et
voilà que débarque un Maure musclé et poilu qui va susciter la
jalousie entre cet acteur et son collègue qui joue Ophelia (les femmes
au théâtre étaient, à l'époque shakespearienne, jouées par des
hommes), folasse blonde qui s'habille en Galvin Klyne et auquel
trois sorcières vont faire des prophéties de gloire… à partir
de là, ça se complique énormément. La bédé fait neuf actes, rythmés
par plein de citations de Shakespeare qu'on peut jouer à reconnaître
(comme dans Shakespeare in Love, mais je
trouve ça plus difficile quand les citations sont en allemand que
quand elles sont en VO), la solution est donnée à la fin.
Bref, j'ai particulièrement aimé, alors je recommande ! — à la
fois aux amateurs de Shakespeare et à ceux qui veulent pratiquer leur
allemand.
Construction du genre et de l'orientation sexuelle : quelques fausses alternatives
Je m'étais déjà promis de ranter
autour de ce thème : que l'idée selon laquelle ce qui fait
l'orientation sexuelle serait forcément soit la génétique soit
l'éducation, est une idée idiote. Je prends prétexte pour cela qu'on
me
signale un
article du Figaro Magazine (journal qui ne fait pas
partie de mes lectures habituelles), intitulé La bataille du
“genre” s'invite au lycée, et qui rapporte une
(vraie-fausse) polémique autour de la question à cause d'une mention
un peu obscure dans
les nouveaux
programmes de SVT des classes de première :
Devenir femme ou homme : On saisira l'occasion
d'affirmer que si l'identité sexuelle et les rôles sexuels dans la
société avec leurs stéréotypes appartiennent à la sphère publique,
l'orientation sexuelle fait partie, elle, de la sphère privée. Cette
distinction conduit à porter l'attention sur les phénomènes
biologiques concernés.
— Bulletin officiel spécial de l'Éducation nationale nº9 du
30 septembre 2010 : programme d'enseignement spécifique de sciences de
la vie et de la Terre en classe de première de la série scientifique |
arrêté du 21 juillet 2010 (NOR MENE1019701A)
(Je donne la référence et la citation, parce que
c'est incroyable à quel point les publications officielles françaises
sont merdiques et impossibles à retrouver entre toutes les différentes
sortes de bulletins officiels et de journaux officiels et de textes
qui disent qu'un autre bout du texte sera publié ailleurs sans donner
de référence précise, et encore de sites Web censés donner les
programmes et qui ne donnent que ceux du passé et pas ceux de
l'avenir. Passons.)
L'article du Figaro Magazine est l'occasion d'un
déversement de fiel de
commentateurs qui expliquent que c'est certainement un complot
pour que des profs pédophiles attirent dans leur lit leurs chères
petites têtes blondes. Ou quelque chose de ce genre.
Mais même parmi les gens qu'on pourrait qualifier de progressistes,
les questions autour de la façon dont se construisent le sexe, le
genre, et l'identité et l'orientation sexuelles — qu'est-ce qui
est inné et qu'est-ce qui est acquis —, font aussi débat. Si
l'orientation sexuelle obéit à un pur déterminisme génétique, cela
contredit les gens qui veulent y voir un choix, ces derniers étant
typiquement bien représentés chez les conservateurs qui prétendent que
l'homosexualité est une faute ou un péché (ce qui sous-entend que le
pécheur a une mesure de choix dans l'histoire) et qui proposent de
« (re)convertir » les sales zomos vers le bon chemin (voyez par
exemple
le mouvement
ex-gay) ; à l'inverse, si l'orientation sexuelle est une
construction sociale, cela laisse penser que c'est un choix, et cela
donne plus ou moins raison à ces gens (au moins sur la possibilité, ce
qui n'est certainement pas pareil que l'opportunité, de changer
l'orientation sexuelle de quelqu'un). Donc des gens partent de bonnes
intentions pour essayer de trouver un « gène gay ». Mais a contrario,
on peut arguër que trouver un tel gène ferait de l'homosexualité une
maladie, une tare, ou au moins une anomalie, génétique, et on voit
pointer les vilaines accusations d'eugénisme. Donc on peut tout
autant être animé de bonnes intentions pour essayer de montrer que ce
gène n'existe pas. En tout état de cause, personne ne l'a trouvé. Et
en tout état de cause, la vérité scientifique ne doit pas être
influencée par ce que nous voudrions qu'elle fût — elle n'a
aucune raison de nous arranger.
Mais comme je le disais au début, ceci sous-entend une dichotomie
avec laquelle je ne suis pas, mais pas du tout, d'accord : le principe
que ce serait soit inné soit acquis, ou plutôt
(parce qu'avec de tels mots on peut en faire une
tautologie) soit déterminé par un petit nombre de gènes
facilement identifiables soit déterminé par des influences
sociales elles aussi plus ou moins identifiables. Avec des deux côtés
l'idée qu'on doit pouvoir trouver une « cause » assez isolable : je
suis pédé soit parce que le gène truc sur mon
chromosome N porte telle mutation (explication génétique),
soit parce que mon papa a été trop absent quand j'étais petit
(explication psychanalytique), soit parce que j'ai grandi dans une
société qui blablabla (explication sociologique), bref, pour une
raison exprimable et cernable. Or je ne vois aucune raison pour
laquelle une telle raison existerait, aucune raison de le croire, et
je pense que comme pour la majorité de nos traits de caractères ou
autres attributs de personnalité, il n'y en a simplement pas.
Si ce n'est pas la génétique et que ce n'est pas l'éducation,
qu'est-ce que c'est alors ? Simplement le hasard (j'ai déjà ranté
sur une autre circonstance où nous
refusons souvent de reconnaître la part que joue le hasard, et je
pense que ceci en est une autre instance). Le hasard, bien sûr, prend
son assise dans la génétique et dans tous les événements qui nous
arrivent depuis notre naissance, mais de même que la météo
d'aujourd'hui est déterminée par les lois de la physique et les
conditions météo dans le passé sur tous les points du globe et
pourtant n'est pas attribuable à une circonstance particulière, le
fait d'avoir des causes ne signifie pas qu'on puisse les isoler. Je
n'exclus pas du tout qu'on puisse un jour trouver un gène qui se
corrèle très fortement à l'homosexualité (ce qui ne veut pas dire
qu'il en est la cause immédiate), ni que certaines circonstances
personnelles ou culturelles puissent avoir tendance à la causer,
encore moins qu'il n'y ait rien d'intelligent à dire sur la sociologie
de l'orientation sexuelle, mais l'idée de trouver une cause ou une
catégorie de cause qui englobe tout me semble furieusement naïve,
comme chercher le gène de la bosse des maths ou de la poésie.
Ce qui ne signifie pas que des questions adjacentes ne puissent pas
admettre de réponse intelligente. Par exemple, même si
l'homosexualité n'est pas, ou pas principalement, d'origine génétique,
on peut quand même se demander comment elle est explicable dans un
cadre darwinien (car il faut bien qu'elle le soit, à moins de penser
que c'est une nécessité logique, ce qui semble un peu saugrenu) : cela
peut s'expliquer par exemple par un épiphénomène de la façon dont
fonctionnent les mécanismes du désir (i.e., ce serait difficile et
coûteux de l'éviter vue la façon dont le cerveau fonctionne) ou par
des raisons sociales (j'avais exposé
quelques idées à ce sujet il y a longtemps). La question est
souvent présentée comme un mystère, il ne me semble pas que ça en soit
un : je ne sais pas si elle est vraie, mais l'idée que
l'homosexualité serait un mécanisme pour défléchir les désirs sexuels
des mâles non reproducteurs dans un groupe social primitif me semble
suffisamment plausible pour qu'on ne puisse pas qualifier la
question d'inexplicable.
Une autre question adjacente, et plus brûlante, c'est la question
de savoir si on peut changer d'orientation sexuelle. Comme absolument
toutes les tentatives menées dans ce sens (et elles ont été
nombreuses) ont abouti à des échecs, ou à des gens éminemment
malheureux, ou à des gens qu'on
peut soupçonner
de mentir (évidemment, là, on peut dire que je ne suis pas
impartial en disant ça), il faut croire que la réponse est non,
pas volontairement, et certainement
pas systématiquement. Ce qui n'exclut pas, en revanche, que
cela arrive parfois fortuitement (autre dichotomie à la con, l'idée
que quelque chose est soit absolument fixe soit changeable à volonté).
Ça n'a rien de mystérieux, il en va ainsi de tous nos goûts : parfois
on peut se forcer à aimer quelque chose, mais généralement ça ne
marche pas, et plus souvent nos goûts changent sans nous demander
notre avis.
Mais pour continuer mon enfonçage en règle de portes
qui devraient être ouvertes, il faut que je dise un mot sur
la bisexualité, parce que c'est aussi ce sur quoi on entend deux
clichés contradictoires qui m'énervent, et qui sont parfois présentés
sous forme d'une fausse alternative un peu comme celles que j'ai déjà
dénoncées ci-dessus : l'idée que soit la bisexualité n'existe pas (les
bi seraient juste des homos qui ne s'assument pas ou des hétéros qui
expérimentent ou je ne sais pas quoi encore) soit au
contraire tout le monde est bi (et refoule juste ses désirs
homosexuels ou plus rarement hétérosexuels). La première idée de
cette alternative est tellement stupide qu'elle ne mériterait même pas
de mention si elle n'était pas l'origine d'un courant de biphobie
notamment de la part des homos (ce qui est quand même aussi pathétique
que détestable) ou s'il ne se trouvait pas
des études
scientifiques sérieuses pour prouver le contraire (la hache pour
enfoncer les portes ouvertes est financée par le département de
psychologie de Northwestern University). La seconde idée est plus
subtile, parce qu'elle peut être présentée de façon à devenir un
truisme : effectivement, il est invraisemblable que quelqu'un puisse
n'être attiré en toute circonstance exclusivement que par des hommes
ou par des femmes, parce que cela supposerait déjà de n'être
infaillible sur la question, ce qui n'est pas possible. Personne ne
peut être absolument certain, à s'en donner le bras à couper, qu'il ne
sera jamais attiré sexuellement ou affectivement par un homme,
resp. par une femme (même en se limitant aux cas où la distinction est
parfaitement claire) parce que, après tout, on ne sait jamais de quoi
la vie sera faite (et même pour quelqu'un qui ne l'a jamais été et qui
est à l'article de la mort, on peut toujours se dire qu'il aurait
pu). Mais c'est juste une remarque triviale et qui ne sert à
rien. Car dans la pratique, beaucoup de gens ne sont pas
bisexuels, et si je ne peux pas exclure complètement la possibilité
qu'un coup de foudre me fasse tomber amoureux d'une femme ou voir
Dieu, je peux quand même me dire homosexuel et athée. Et n'en
déplaise aux gens qui « n'aiment pas les étiquettes » (insérer ici
plein de clichés du même genre), ces catégories sont utiles
pour me définir, donc peu importe qu'un événement logiquement possible
mais invraisemblable puisse les rendre fausses. Bien sûr
qu'il existe un continuum (et pas
à une seule dimension, d'ailleurs) de possibilités entre
hétérosexualité, bisexualité et homosexualité, et entre homme et
femme, mais ça n'empêche que certaines étiquettes sont utiles, de même
que le fait qu'il existe un continuum de tailles, de poids et de
formes n'empêche pas de décrire de façon utile les gens comme grands,
petits, gros ou maigres. Vlan ! Une nouvelle porte ouverte
enfoncée.
Ce qui est à coup sûr assez socialement construit, en revanche, et
par des mécanismes qu'il est bon d'étudier, c'est la façon dont
l'identité sexuelle et l'orientation sexuelle données vont se traduire
au niveau des comportements. J'ai
déjà pesté contre l'idée que
l'homosexualité masculine a un lien réel avec la féminité (et expliqué
que me dire d'accepter la part de féminité qui est en moi n'est pas
moins hors de propos que le dire à un
transsexuel FtM) — et exposé
l'idée que si elles semblent liées c'est par un biais social
d'observation. Plus généralement, je suis persuadé que la plupart des
comportements que nous classons comme masculin ou féminin sont
socialement construits, et à ce sujet mes lecteurs ont suffisamment
l'habitude de m'entendre faire référence
à Élisabeth Badinter pour que je
n'aie pas besoin de le faire autrement que par prétérition (cf. par
exemple tout ce qu'elle a écrit sur l'« instinct maternel »).
Allez, encore une fausse alternative pour la route : celle entre
les queers qui réclament le droit à la différence (= je n'ai
pas à copier mon comportement sur celui des hétérosexuels ou à me
couler dans le moule qu'ils me proposent) et ceux qui au contraire,
agacés par les débordements d'extravagance lors des marches des
fiertés LGBT (et par les chaînes de télévision qui
retransmettent ces événements toujours en montrant les déguisements
les plus excentriques au rayon des drag-queens ou du SM),
veulent le droit à l'indifférence (= mon orientation sexuelle
ne doit pas faire de moi un objet de curiosité). Or ce n'est pas que
par irénisme facile que je proclame cette évidence : ces deux
revendications ou ces deux droits ne sont aucunement contradictoires ;
c'est même une banalité dès lors qu'on constate que le droit de
s'afficher n'implique pas le devoir de s'afficher. Et de même, si je
pense que l'État ne devrait pas
connaître le sexe des individus, cela ne signifie pas que je crois
que le genre n'existe pas ou n'a pas d'importance.
Allez, un autre jour, quand je trouverai le temps, je raconterai ce
que je crois que l'école devrait raconter sur tous ces sujets
(c'était, après tout, la question, et je l'ai soigneusement éludée
avec un talent que vous ne manquerez pas d'applaudir).
C'est un mec grand, la quarantaine, complètement chauve, sourcils
blonds et yeux bleus, piercing dans le septum, barbe de trois jours
autour de la bouche. Il porte un tee-shirt noir serré, sans doute
choisi pour mettre en valeur sa musculature impressionnante, mais qui
révèle aussi qu'il a du bide — tee-shirt avec un logo formé de
runes ᛏ et ᛋ superposées. Des mitaines en cuir noir aux
mains. Treillis camouflage. Doc Martens aux pieds. Il me déplaît
spontanément. Il parle d'une voix agressive même en se voulant
amical.
— Salut, je peux te payer à boire ?
J'essaie de communiquer du regard qu'il m'emmerde, sans pour autant
avoir l'air hostile : que son offre ne m'intéresse pas parce que je me
doute qu'elle cache quelque chose. Je ne sais pas dire tout ça avec
les yeux, alors j'essaie avec la bouche :
— C'est sympa, mais j'ai déjà ce qu'il me faut.
Je n'ai pas dû penser laisse-moi tranquille assez fort, ou
mes compétences en télépathie ne sont plus ce qu'elles étaient. Le
mec s'accroche, il insiste pour faire conversation : mes réponses sont
brèves et agacées, mais je réponds malgré moi. Oui, je suis très
blond, merci. Non, je ne suis pas Norvégien. Ni Suédois, Finlandais,
Danois, ni même Allemand. Non, je n'ai pas l'habitude de venir ici.
Non, je ne veux vraiment pas une bière, d'ailleurs je ne bois pas
d'alcool. Oui, c'est comme ça. Non, je ne suis plus étudiant, j'ai
trente-cinq ans même si je ne les fais pas. Oui, je
suis vraiment blond aux yeux bleus, je ne suis pas décoloré et
je n'ai pas des lentilles de couleur. (Apparemment l'autre est
immunisé contre le sarcasme.) Non je ne veux pas non plus un Red
Bull, je n'ai plus soif. J'attends quelqu'un.
Quand il attaque une fois de plus sur la couleur de mes cheveux, je
n'en peux plus, même mon tempérament à toujours fuir la confrontation
ne me retient plus :
— Écoute, je ne sais pas si tu cherche à me recruter pour un
groupe néonazi ou à baiser avec moi dans la communion du sang aryen,
mais dans les deux cas ça me dégoûte.
Je pars me poser ailleurs, et ce chieur me suit. Il m'attrape le
bras, le serre, et me souffle à l'oreille sur un ton menaçant :
— Les deux. J'aime qu'on me résiste. Mais tu ne tiendras
pas longtemps.
Pourquoi je lui ai répondu ? J'aurais dû m'en aller — ah
non, je pensais attendre Erwan. J'aurais dû l'ignorer, alors. Ou lui
rire au nez, faire un scandale, lui foutre une baffe. Mauvaise idée,
la baffe, peut-être. Mais je n'aurais pas dû le suivre sur le terrain
où il m'entraînait. Quel con je suis. Me voilà en train de jouer au
jeu qu'il a choisi, de répondre à son défi, de me mesurer à sa
volonté. Quand je dis non, je ne coucherai pas avec toi, ça
veut dire oui, parce que je vais perdre : il le sait, et je le
comprends trop tard.
Il ne faut pas longtemps pour que nous sortions ensemble du bar, je
lui emboîte le pas d'un air mi-soumis mi-furieux — ou du moins
je le crois — cherchant à me raconter à moi-même que je ne suis
pas complètement consentant pour ce qui va arriver — je me sens
sale.
Je suis méchant : Hollywood produit des films qui sont
incroyablement formatés, mais qu'il n'y a pas de honte à apprécier
comme tels. D'abord, il y a de jolies images ; de très
jolies images, même : très formatées, léchées, aux effets spéciaux
soignés comme des tableaux qui seraient une sorte de croisement
entre John
Martin pour les perspectives monumentales (vous ne connaissez
pas John
Martin ? il faut admettre qu'il n'est pas inoubliable), et
Jacques-Louis David pour les personnages au style pompier. Je vais
souvent voir les films juste pour les images, en fait (la séquence,
dans le Seigneur des Anneaux, où on allume les feux
d'alerte, mérite à elle seule qu'on voie le film) ; même si je
regrette de plus en plus qu'ils soient en train de relâcher cette
beauté picturale à la faveur de la whizzbangitude 3D, mais passons.
Pour le reste, vous avez une morale bien plan-plan et tout aussi
formatée que les images, et un scénario accessible à un débile, et qui
comporte comme contrainte syndicale une histoire d'amour hétéro
gentillette. Comptez aussi avec le politiquement correct, qui ici a
voulu faire jouer à un acteur noir un dieu nordique (et spécifiquement
Heimdallr, qui est pourtant connu comme le plus blanc des dieux, 'fin
bon), et un autre à un japonais.
Sauf que là il y en a un peu plus dans le scénario qu'une morale
gentillette. Juste un peu, mais ce n'est pas mal, en fait : il y a
deux personnages intéressants. Pas le héros, Thor, qui est aussi peu
original qu'il est joli garçon, ni l'héroïne, qui est prétendument
scientifique (et à cause de ça il faut supporter héroïquement des
phrases du style the electromagnetic storm had the
characteristic signature of an Einstein-Rosen bridge —
pitié !). Pas non plus les acolytes du héros ou de l'héroïne, qui
font de la pure figuration. Non, les deux personnages intéressants
sont Odin et Loki. Odin est joué par Anthony Hopkins (qui prouve
qu'il ne sait pas faire que des méchants psychopathes et vraiment je
suis surpris), et celui-ci rend justice à un dieu magicien et sage,
qui nous fait en même temps penser au Roi Lear — sans doute
n'est-ce pas pour rien que Kenneth Branagh est un célèbre
shakespearien. Loki, lui, est joué par un acteur anglais qui
apparaissait justement aussi dans le
film que j'ai vu jeudi soir, sauf que là il avait consigne de
cacher son accent Anglais alors que dans Thor il le
montre bien (Hollywood aime bien que les méchants aient un accent
anglais), mais je digresse… Loki n'est pas purement méchant
(pour un blockbuster comme ça, c'est un exploit), et le personnage
reflète assez bien le caractère compliqué et insaisissable du dieu
nordique qui l'inspire. Je ne dis pas que tout cela soit extrêmement
profond, mais par rapport à ce que je me m'attendais à trouver, c'est
une heureuse surprise.
Bref, pour les personnages d'Odin et de Loki et pour les très jolis
paysages en images de synthèse et pour le beau blond aux yeux
bleus dans le rôle éponyme, ça peut valoir la peine de voir ce
film.
Beaucoup de mes lecteurs connaissent sans doute
déjà Stephen
Fry : soit comme acteur (il a par exemple joué un rôle
dans V
for Vendetta qui ressemble d'ailleurs vaguement à son
personnage réel), soit comme humoriste et présentateur télé (je
conseille de regarder sur
YouTube des
extraits de
l'émission QI
— Quite Interesting — de
la BBC qu'il anime, c'est assez
rigolo[#]), soit comme militant
de différentes causes : il est notoirement homosexuel (ça n'a pas
vraiment de rapport, mais j'aime vraiment
beaucoup cette
vidéo-ci où il explique comment être magnifique), athée
(voir par
exemple sa
participation à côté
de Hitchens
au débat Intelligence Squared sur la
question de savoir si l'Église catholique est une force pour le bien
dans le monde) et militant pour le logiciel libre et contre les abus
de la propriété intellectuelle (cf. par exemple
la vidéo qu'il a
faite pour le 25e anniversaire du
projet GNU). Je mentionne tout ça pour situer,
mais aussi parce que ce n'est pas sans pertinence pour le livre dont
je vais parler.
Je ne savais pas qu'il était aussi écrivain. Je suis tombé l'autre
jour
(chez W. H. Smith)
sur des livres de lui (aussi bien des fictions que des essais), et
j'ai acheté le roman Making History (écrit
en 1996), que je recommande ici, pour le
lire à Métabief.
Comme je ne veux pas trop
spoiler[#2] ce dont il est
question (mais quand même un petit peu, donc si vous n'aimez pas les
spoilers, arrêtez de lire ce paragraphe), je vais juste dire que je
recommande particulièrement aux gens qui aiment bien les uchronies,
les histoires de voyage dans le temps et ce genre de choses. Ce n'est
pas une histoire aussi sophistiquée et complexe
que The End of Eternity d'Asimov (par
exemple), ce n'est que marginalement de la SF en fait,
mais c'est quand même astucieux, c'est historiquement très bien
documenté, c'est super bien observé (par exemple sur certaines
pratiques dans le milieu académique, ou sur les différences entre
l'Angleterre et les États-Unis, notamment en matière de langue ou
— effet Zahir en ce qui concerne
des posts récents sur ce blog
— d'accent). Et surtout, c'est truculent et c'est très
rigolo.
Bref, lisez ce livre, il est bien.
[#] Même si s'agissant
de l'extrait vers lequel je fais un lien il
n'a pas tout à
fait raison — car Wikipédia est Encore Plus Forte que
Stephen Fry.
[#2] Un jour il faudra
que je me demande sérieusement s'il y a moyen de
traduire spoiler en bon français.
Le principe de non-discrimination locale selon le sexe
Beaucoup de bruit a été fait récemment (et beaucoup
de portes
ouvertes ont été enfoncées) suite à
une décision
du Conseil constitutionnel qui confirme ce que tout le monde
savait déjà, c'est que la Constitution française n'impose pas que deux
hommes puissent se marier. Je trouve que c'était une erreur
monumentale que de saisir des juges d'une question dont la réponse
était évidente : quelle que soit la chose que l'on espère que la Loi
dît, on ne gagne rien à chercher à lui faire dire le contraire de ce
qu'elle dit évidemment. En revanche, personne ne semble avoir évoqué
la question qui vient naturellement après : qu'est-ce
qui devrait (ou aurait dû) être dans la Constitution
française pour que la décision du Conseil fût différente ? Si on
estime qu'il s'agit d'un choix de société, la réponse appartient
simplement au Législateur, vers lequel le Conseil constitutionnel a
renvoyé les demandeurs : mais si on estime qu'elle devrait découler
d'un principe fondamental (qui, de toute évidence, manque
alors dans la Constitution française), comme d'autres principes
fondamentaux qui protègent les individus
(j'en discutais ailleurs) même
contre le pouvoir de la majorité, quel serait ce principe ?
Je pense que c'est une erreur de le chercher dans la protection
contre la discrimination selon l'orientation sexuelle (Maître Éolas,
dans le billet lié ci-dessus, fait une réponse à cette idée, qui, bien
que typique de la mauvaise foi des logiciens, n'en est pas moins
juste : un homme homosexuel a le droit d'épouser une femme
homosexuelle). Je propose plutôt de le découvrir dans la
non-discrimination selon le sexe. Autrement dit, dans le fait que les
hommes et les femmes devraient avoir exactement les mêmes
drois.
Et c'est là que surgit un problème d'interprétation de la nature de
ceux qui amusent Douglas Hofstadter (voir
notamment ce que je disais ici) :
qu'est-ce que cela signifie, avoir les mêmes droits ? La
version faible du principe, celle que j'appellerais la
non-discrimination globale, serait de dire que si on
remplace tous les hommes par des femmes et tous les
femmes par des hommes, les droits devraient rester les mêmes : ceci
interdit, par exemple, qu'on puisse permettre le mariage entre un
couple d'hommes mais pas entre un couple de femmes, ou vice versa ;
ceci interdit que le législateur permette globalement aux
hommes des choses qu'il ne permet pas aux femmes, ou
vice versa. Mais avec ce principe faible, il garde la possibilité de
traiter différemment des cas lorsque deux personnes ont le même
sexe ou pas le même sexe.
La version forte du principe, en revanche, celle que j'appellerai
le principe local de non-discrimination selon le sexe,
spécifie que les droits d'une personne doivent rester identique selon
son sexe même une fois donnés ceux de toutes les autres. Elle a
notamment comme conséquence que, si une femme peut épouser un homme,
un homme le peut nécessairement aussi. La différence entre les
versions faible et forte du principe est fondamentale : pour
l'expliquer à un mathématicien, je dirai que c'est la différence entre
admettre ℤ/2ℤ pour groupe de symétrie, ou avoir
(ℤ/2ℤ)I où I est
l'ensemble des individus. Pour l'expliquer autrement, je soulignerai
par exemple que, dans sa célèbre
décision Plessy
vs. Ferguson de 1896, par laquelle elle autorisait la
discrimination raciale aux États-Unis, la Cour suprême de ce pays se
contentait du principe global de non-discrimination selon la couleur
de la peau (on voit le bien que ça faisait…) : il aurait été
inconstitutionnel de prévoir uniquement des écoles pour Blancs, mais
il était constitutionnel de prévoir des écoles pour Blancs et des
écoles pour Noirs. Le simple principe global de
non-discrimination selon la couleur de la peau permet de n'autoriser
que les mariages entre deux Blancs ou entre deux Noirs ; il faut
invoquer le principe local pour se rendre compte que ceci
constitue bien une discrimination.
Pour formuler ce principe local sous la forme d'un slogan simple,
je peux proposer ceci :
L'État (notamment, la Loi ou l'administration) ne devrait pas avoir
à connaître le sexe d'un individu.
Ceci a notamment pour conséquence que le sexe ne doit pas figurer
sur l'état-civil ou sur les papiers d'identité (ou alors seulement
comme signe distinctif comme la couleur des yeux figure sur le
passeport) : l'État n'a pas à connaître des hommes et
des femmes, mais seulement des personnes ou
des individus, et de façon générale toute apparition du
mot homme ou femme dans un texte juridique devrait
susciter une certaine méfiance. Les transsexuels ne devraient pas
avoir à faire enregistrer leur transition (ou à se forcer à rentrer
dans des petites cases toutes faites sur ce qu'est le genre d'un
individu). Le fait que j'aie une paire de couilles ou un chromosome Y
dans mes cellules ne regarde que moi, mon poussinet et mes médecins,
certainement pas l'État, et cela ne devrait pas figurer dans un
fichier central sauf si ce fichier est un dossier médical (et alors
avec toutes les garanties qui entourent ce genre de dossiers). De la
même manière que le fait que j'aie les cheveux blonds et les yeux
bleus, ou que je mesure 1m75. Ce principe a naturellement comme
conséquence que le mariage entre deux personnes de même sexe devient
possible s'il l'est (reconnu par l'État) entre personnes de sexes
différents. Mais aussi que disparaissent les lois exigeant qu'une
liste de candidats à une élection comporte autant d'hommes que de
femmes (ceci est compatible avec le principe global de
non-discrimination, mais pas avec le principe local) ainsi que tous
les barèmes sportifs qui sont différents entre garçons et filles.
Personnellement, je serais d'avis de mettre quelque chose de cette
teneur dans la Constitution française, le principe général me semblant
bien plus important que sa conséquence sur une question
spécifique.
Dans un moment d'intense désœuvrement de
Ruxor enrhumé au cerveau en
compote, je zappais il y a quelques jours devant la télé quand je suis
tombé (sur une de ces nombreuses chaînes aussi insipides
qu'interchangeables qu'offre la TNT) sur un documentaire,
le genre qu'on rediffuse trente fois pour bien le rentabiliser, qui
devait s'appeler quelque chose comme Pensionnat: le retour des
méthodes strictes. Un petit tableau de la vie générale et de
la discipline dans trois lycées privés (de confession catholique) où
les élèves sont internes. Le genre de documentaire parfaitement
adapté quand on est fatigué et enrhumé et qu'on a le cerveau en
compote.
C'est difficile d'expliquer ce qui m'a fait tiquer, parce que c'est
subtil. Imaginez un monde parallèle où non seulement
l'homosexualité n'existerait
pas mais personne n'aurait eu l'idée de l'inventer : on ne
s'attend pas à ce que les documentaires sur un sujet complètement sans
rapport soient spécialement différents entre ce monde-là et le nôtre,
pas plus que les émissions de cuisine ou la page météo (peut-être
juste un peu moins d'arcs-en-ciel, mais on ne les prévoit pas). Et
pourtant, là, j'avais cette impression. C'est peut-être à force
qu'ils répètent des explications du style : pendant les projections
de cinéma, les garçons et les filles sont strictement séparés, parce
que quand on ne faisait pas ça certains avaient profité de l'obscurité
pour se rapprocher un peu trop : maintenant, plus aucun risque.
Plus aucun risque, vraiment ? Au bout d'un assez grand nombre de
perches comme ça (le genre de perche qui va passer complètement
inaperçues auprès de, euh, 95% des téléspectateurs), je commençais à
me demander si le documentaire ne le faisait pas exprès, même.
C'est possible, en fait. J'imagine que les parents qui envoient
leurs enfants dans ce genre d'établissement veulent entendre qu'on
prend les précautions nécessaires pour que garçons et filles ne
fassent pas des cochoncetés ensemble. Ils ne veulent surtout
pas entendre qu'on prend des précautions nécessaires pour que
garçons et garçons, ou filles et filles, ne fassent pas pareil : ils
ne
veulent même
pas en entendre parler, parce que s'ils commencent à penser au
sujet ça va les inquiéter, et de toute façon leur rejeton n'est pas du
tout concerné. D'ailleurs, le documentaire de nous montrer plusieurs
rassurantes étreintes viriles et accolades de fraternité entre garçons
qui se félicitaient mutuellement d'un bon résultat sportif ou
s'amusaient entre potes d'internat. Que pourrait-il bien se passer à
mettre ensemble toutes les nuits un groupe de lycéens du même sexe à
l'âge où les hormones s'activent et en les contraignant à une
discipline
stricte ? What
could possibly go wrong?
Ceci étant, je n'ai pas trop l'habitude de me plaindre sur le thème
que les gens oublient toujours qu'il y a des homos dans le monde,
parce qu'on me répond (et on a raison de me répondre) que 95% des gens
n'en ont rien à foutre. N'empêche que sur tout le tas de lycéens et
lycéennes qui ont été filmés dans le cours de cette émission (et qui
l'ont, très probablement, regardée), il y en a forcément au moins
un(e) ou deux qui, devant l'accumulation forcée de phrases bateau du
style c'est un des secrets de <prénom masculin> pour plaire
aux filles, ou bien dans la chambre des filles, les
conversations vont bien train ; leur sujet préféré ? les garçons bien
sûr, a dû ressentir un grand moment de solitude…
Je suis allé
voir Kaboom,
parce que
la bande-annonce
m'avait bien plu. Ben le film n'a pas beaucoup de rapport avec ces
extraits. Enfin, plus exactement, l'impression que j'ai eue est qu'il
y avait deux ou trois scénaristes et qu'ils se sont amusés à ce que
chacun écrive quelques scènes à tour de
rôle[#], et qu'ils
n'avaient pas du tout le même avis sur ce que devait être le
film. Et en plus que l'un d'entre eux avait fait un peu trop usage de
psychotropes et qu'un autre avait un sens de l'humour très
particulier. Bref, il y a des scènes qui sont bonnes, mais dans
l'ensemble, je ne recommande vraiment pas ce film inclassable. Sauf
peut-être comme nanar à regarder après une teuf ou une partouze.
[#] C'est une blague
classique sur Internet, je crois (et peut-être quelqu'un saura-t-il la
retrouver), l'histoire, malheureusement inventée, où un garçon et une
fille (au lycée ou à la fac, je ne sais plus) doivent écrire une
histoire en écrivant chacun une phrase ou un paragraphe à son tour, et
ils ne veulent vraiment pas la faire aller dans le même sens, et le
résultat de la dispute est tout à fait cocasse.
En complément du fait que
les cheveux longs ne semblent
vraiment pas plaire aux homos, la contraposée semble vraie : mon
poussinet s'est rasé les cheveux à zéro (en finissant au rasoir, donc
c'est vraiment à zéro), et l'effet a été stupéfiant si on en juge par
le nombre de regards très manifestement intéressés qu'il a attirés
quand nous nous sommes promenés ensuite dans le Marais (et ce n'est
certainement pas moi qui les causais, et avec juste quelques
centimètres de cheveux il ne provoque vraiment pas les mêmes réactions
non plus). Si j'étais un peu jaloux je l'aurais ramené à la maison
immédiatement.
Et on doit reconnaître que c'est vrai, il est très sexy comme ça,
mon poussinet. Ce qui est rageant, quelque part, c'est qu'on ne
saurait pas dire pourquoi, au juste. Je ne crois pas que ce
soit, par exemple, le fantasme du skinhead qui joue, parce que ce
n'est vraiment pas son look — j'ai bien essayé de le persuader
d'essayer de porter treillis et rangers, mais il n'a pas voulu en
entendre parler… J'avais entendu la théorie que les cheveux
rasés font paraître plus jeune (ce qui est possible, mais je n'en suis
pas complètement convaincu non plus) parce qu'ils évoquent la tête
d'un bébé (là je n'y crois vraiment pas, surtout quand on voit la
racine des poils).
Je prends le temps, parmi les mille et une choses qui réclament
urgemment mon attention au retour de vacances, pour raconter un peu
comment celles-ci se sont passées. Sans ordre ni logique,
cependant :
Neuf jours, ce n'est vraiment pas assez pour visiter correctement
Berlin. En tout cas, pas si on se lève tous les jours à
midi. Ou pas si on ne veut pas visiter les musées
au pas de course. Ou pas si on aime bien se promener à pied, mais que
les pieds, au bout d'un moment, estiment qu'ils ont assez marché. Du
coup, mon poussinet et moi avons tiré un trait sur plein de choses
habituellement jugées indispensables : le musée du Pergamon (enfin, ça
c'était en partie à cause d'une confusion sur ses horaires), le
chateau de Charlottenburg, et Potsdam (ce n'est pas à Berlin, bien
sûr, mais on aurait certainement pu penser à y aller). Et
certainement plein d'autres choses. On a quand même vu un certain
nombre de musées : le musée de la RDA, le musée du mur,
le deutsches historisches Museum (l'idée
étant que tant qu'à venir à Berlin, autant voir des musées qui parlent
de Berlin et de l'Allemagne, plutôt que des antiquités grecques ou
étrusques, aussi remarquables fussent-elles) ; le musée allemand des
techniques (où mon poussinet a pu regarder plein de porno pour
poussinet, c'est-à-dire des trains) ; et
le schwules Museum
(schwul=pédé ; more
about that later).
Plutôt que visiter des musées, nous avons préféré nous promener et
prendre la température des quartiers. Plusieurs choses m'ont frappé :
essentiellement, combien la capitale allemande est étendue, peu dense,
et surtout inégalement animée. La plupart des villes que je connais,
et certainement Paris, ont une structure un peu en oignon, avec des
quartiers centraux très denses, et des couches concentriques de moins
en moins peuplées et fréquentées, couches qui sont, sinon circulaires,
du moins plus ou moins convexes. Berlin n'est pas du tout comme ça :
on peut être à deux pas d'un endroit très animé
(comme Alexanderplatz,
la Potsdamer
Platz ou
le Kurfürstendamm,
et avoir l'impression d'être dans une banlieue très lointaine, avec
des terrains vagues et quasiment personne dans les rues — et
encore deux pas plus loin, on peut revenir dans un endroit très
vivant. C'est très déroutant quand on essaie, comme moi, de se faire
une idée du visage de la ville en marchant un peu au hasard dans les
directions qui ont l'air sympa : en voulant aller au Kurfürstendamm
(la rue commerçante la plus célèbre de Berlin-Ouest) nous avons
commencé par passer par la Kurfürstenstraße qui (comme son nom peut le
laisser penser) est immédiatement adjacente, et nous nous disions que
nous nous étions forcément trompés, qu'on était au milieu de nulle
part, que ça ne pouvait pas être par là.
Nous logions à Berlin-Est, à deux pas de
la célèbre
tour de télé (où nous ne sommes pas montés) et de
la non
moins célèbre Alexanderplatz (que nous avons traversée dans tous
les sens). Je dis Berlin-Est, parce que j'ai l'impression que
la division de la ville pendant trente ans explique en partie le
phénomène que j'évoque ci-dessus que les quartiers animés ne sont pas
adjacents les uns avec les autres ; ceci dit, c'est loin de tout
expliquer, d'une part parce que Berlin a de toute façon changé depuis
1989 (il faut vraiment consulter une carte pour savoir où le mur
pouvait passer) et d'autre part parce qu'on a cette impression qu'il
n'y avait vraiment rien à Berlin-Ouest tant la majorité des choses
intéressantes semble être à l'Est.
Notre hôtel
était dans le genre plutôt luxueux (et à la limite de nos moyens, en
fait, mais c'était un peu notre
voyage de PACS,
et nous avions un peu d'aide de papa-maman ; et en fait, globalement,
à Berlin, les prix ne sont vraiment pas chers par rapport à ce qu'ils
seraient dans d'autres grandes capitales) : il est situé à
l'emplacement de
l'ancien hôtel
emblématique de la RDA, sur une rue portant le nom
d'un socialiste
suffisamment consensuel pour ne pas avoir été débaptisée. Le
gadget de l'hôtel, maintenant, c'était un aquarium de 1000m³ dans le
lobby, où circulent plein de poissons exotiques très jolis, et que
plein de touristes viennent admirer (les visiteurs circulent dans un
ascenseur à l'intérieur de l'aquarium, qui est en forme de double
cylindre, alors que les clients de l'hôtel le voient de
l'extérieur). [Ajout () :
Douze ans plus tard, cet
aquarium vient
d'exploser.]
Pour la téléphonie mobile, nous avons pris des cartes prépayées
(+pack Internet) chez l'opérateur (nouveau
venu) O2,
et donc eu pendant dix jours des numéros allemands, de façon à pouvoir
bénéficier du confort « Internet (surtout Wikipédia et Google Maps)
vraiment partout dans la poche » auquel nous sommes devenus
complètement accros, sans avoir à payer les tarifs scandaleusement
exorbitants que les opérateurs de téléphonie mobile pratiquent pour ls
connexions de donnée en roaming (on en est au
point où ne serait-ce que pour deux jours à l'étranger il me semble
globalement avantageux de prendre une carte prépayée). Notre première
idée avait été d'aller voir chez T-Mobile, mais leur
offre était vraiment pourrie (celle qui semblait la plus intéressante
pour nous était, en fait, une carte SIM pour clé
3G, et le vendeur m'a soutenu obstinément qu'elle ne permettait pas de
faire des appels vocaux — ce qui est complètement faux —
et en plus il leur a fallu quelque chose comme douze heures pour
activer la ligne). Sinon, de façon générale, pour les informations à
ce sujet pour les gens qui voyagent n'importe où dans le monde, je
transmets le conseil qu'on m'a donné de
consulter ce site, qui est
tout à fait excellent. (Ah, et pour ce qui est d'avoir accès aux
cartes de ville avant ou à défaut d'avoir une connexion de données, on
m'a signalé le
programme MapDroyd pour
Android, qui semble bien utile.)
Les transports en commun berlinois sont pratiques et rapides, mais
la clarté des indications laisse parfois franchement à désirer : la
distinction entre S-Bahn et U-Bahn est un
peu gratuite (comme celle entre RER/Transilien et
Métro à Paris), d'autant que les S-Bahn sont parfois
souterrains et les U-Bahn parfois aériens, les lignes
sont numérotées dans deux séries de chiffres qui se recoupent, et le
fléchage pour passer d'un réseau à l'autre dans les stations n'est pas
hyper évident.
Les rues sont (parfois ? toujours ?) numérotées différemment d'en
France, les numéros étant consécutifs d'un côté de la rue, et
repartent ensuite dans l'autre sens de l'autre côté.
On peut vraiment manger pour pas cher à Berlin. Le plat
emblématique de la ville est
le Currywurst
(une saucisse à la sauce au curry ;
éventuellement mit Pommes, c'est-à-dire,
avec des frites), ce n'est pas mauvais mais je m'en lasserais vite ;
par contre, un truc qui présente à la fois une grande variété et un
excellent rapport qualité-prix, ce sont les traiteurs asiatiques sur
le mode du fast-food, notamment les Asia Gourmet (c'est
une chaîne internationale, mais il n'y en a pas à Paris, que je
sache). Pour un truc un peu plus allemand, il y a plein d'endroits où
on peut manger des assiettes de salades certainement plus diététiques
que le Currywurst, et à des prix également imbattables.
Là où les restaurateurs rattrapent le prix très bas du manger,
c'est sur les boissons. Et vraiment le truc que je n'aime
pas du tout avec l'Allemagne, c'est qu'il est en gros impossible dans
un restaurant de demander une carafe d'eau (du robinet, je veux
dire : Leitungswasser
ou Hahnenwasser en allemand) : pas que nous ayons
vraiment essayé, mais c'est évident que personne n'en prend. On en
vient à se demander si les Allemands sont au courant que ce qui
circule dans les canalisations d'eau est potable. En recherchant sur
Internet plus de précisions sur cette question, je suis tombé
sur ce post du blog (en
allemand) d'un Allemand expatrié en Suisse, où on apprend
notamment que même en Suisse allémanique la situation est bien
différente. (J'ai aussi bookmarké quelques pages de discussion qui
montrent que les Allemands n'ont pas l'air de savoir, ou pas l'air
d'accord entre eux à ce sujet, si c'est correct de demander de l'eau
du robinet au
restaurant : celui-ci, celui-là,
et
aussi cette
page de conseils, semblent plutôt dire que oui, mais avec
énormément de réserve.)
Les Berlinois ont l'air de consommer pas mal de cafés et chocolats
glacés (Eiskaffee et Eisschokolade), qui ressemblent un peu, mais pas
tout à fait, à un mélange entre les cafés et chocolats liégeois, et
les cafés frappés, qu'on trouve en France. En tout cas, ça m'a bien
plu. Sinon, nous avons mangé pas mal (et ramené quelques paquets)
de Gummibärchen,
surtout que j'ai appris par un numéro
de Karambolage
(j'ai déjà dit que j'étais fan de Karambolage ?) que les
oursons Haribo qu'on achète en France ne sont que de très pâles
imitations des vrais que l'on trouve en Allemagne.
Je n'ai pas compris si les cartes bancaires allemandes sont
maintenant avec puce, et si oui si le système de puce est compatible
avec le système français : en tout cas, je n'ai payé que deux-trois
fois avec ma carte bancaire (en France je paie quasiment tout comme
ça), parce qu'une fois on m'a demandé mon code et une
signature, et les autres fois une signature — je trouve ça
pénible, alors je me suis rabattu sur les espèces. J'ai aussi
l'impression qu'il y a moins de distributeurs de billets à Berlin qu'à
Paris (et ils ne donnent pas de ticket, ce qui est gravement pénible),
et ils ont l'air plus uniformisés derrière le
logo EC
(electronic cash) qu'en France derrière la Carte Bleue ou Visa,
mais bon, je ne comprends de toute
façon rien au système bancaire et aux relations entre tous ces
sigles et organismes.
Nous avons cherché le ou les quartier(s) gay à Berlin. Il y en a
un qui est facile à trouver, et hautement visible, et très sympa, il
est situé à Schöneberg aux alentours
de Nollendorfplatz.
Il semblerait qu'il y ait aussi des choses
à Prenzlauer
Berg, mais on n'a pas trouvé grand-chose en errant au hasard, et
les rares choses qu'on a effectivement trouvées étaient désespérément
désertes. Même
remarque du
côté de Kreuzberg, où on a quand même pu visiter
le Schwules
Museum, un musée consacrée à l'homosexualité en Allemagne
(essentiellement, le très long combat pour obtenir l'abolition du §175
du code pénal prussien) et à des expositions thématiques — dont
une en ce moment consacré
à Ralf
König, duquel je suis complètement et inconditionnellement fan, ça
tombe bien.
Parmi les choses particulières que nous avons visitées, faites ou
vues :
Le toit du Bundestag. Il y a un restaurant au sommet (très cher,
mais carrément bon), où mon poussinet m'a invité pour mon
anniversaire, et qui offre l'avantage d'éviter la queue pour monter au
toit (les gens qui ont une réservation montent avec les handicapés, en
fait, en priorité sur tout le monde). La coupole est assez
spectaculaire, pas seulement par la vue qu'elle offre sur la ville,
mais aussi par son architecture en elle-même ; et on peut voir
directement, en bas, la salle plénière du parlement. Soit dit en
passant, les bâtiments de la chancellerie, juste en face du Bundestag,
ont l'air très intéressants aussi, mais malheureusement ils ne se
visitent pas (à moins d'avoir un contact avec Mme Merkel ?…
sinon, ils faisaient une journée porte ouverte, mais c'était après
notre départ).
La gare centrale (Hauptbahnhof). Elle est toute nouvelle, et
organisée de façon assez originale (en forme de croix, mais les voies
nord-sud sont en sous-sol, mais les voies est-ouest sont carrément au
2e étage), avec une architecture moderne et vraiment
intéressante, un toit tout en verre et d'immenses espaces à
l'intérieur qui donnent un peu le vertige.
Le Sony dome, une sorte de gigantesque
chapiteau de cirque, à deux pas de la Potsdamer Platz, qui abrite un
certain nombre de restaurants et brasseries, des cinémas, boutiques,
etc., et qui la nuit est éclairé de couleurs changeantes.
L'ancien aéroport
de Tempelhof,
qui est maintenant abandonné comme aéroport, et complètement désert,
mais, bizarrement, les bâtiments ne sont pas tout fermés. (Il doit
encore vaguement servir de lieu pour des tournages ou des réunions ou
quelque chose comme ça. Pendant que nous y sommes passés, il y avait
le tournage d'une sorte de clip, ou de scène de film, sur le tarmac.)
Moi je trouvais ça un peu creepy (voire carrément
effrayant), en fait, un bâtiment aussi gigantesque et tout vide, donc
je n'ai pas osé trop m'aventurer dedans, mais mon poussinet est allé
faire de l'exploration urbaine, et a réussi à entrer dans l'ancien
hall des départs par une porte inexplicablement laissée ouverte.
Le Tiergarten, où il est agréable de se promener.
Malheureusement, la colonne de la victoire
(Siegessäule), qui est au centre, était
fermée pour rénovation, donc nous n'avons pas pu y monter. Et nous
sommes allés voir le zoo lui-même, mais il n'est pas vraiment
passionnant (d'ailleurs, c'est toujours un peu tristounet, un zoo, les
animaux ont l'air d'avoir si peu de place…) ; la chose la plus
intéressante, j'ai trouvé que c'était les hippopotames, parce qu'ils
se sont arrangés pour qu'on puisse bien les voir sous l'eau en même
temps qu'en-dehors.
Dans le quartier homo près de Nollendorfplatz : un « supermarché
homo » (c'est-à-dire essentiellement une
librairie) Bruno's
(comme Bruno
Gmünder), un café d'où on
peut regarder les jolis garçons
passer, plusieurs bars dont un avec backroom (mais la clientèle
n'était pas super intéressante), un magasin de surplus militaire qui
assumait ouvertement le côté fétichiste…
Le
quartier Hackescher
Markt, tout près de notre hôtel, est très intéressant pour la
nourriture. Il y a notamment les Hackescher Höfe, un système de
petites cours intérieures qui communiquent entre elles, et qui sont
jolies à visiter.
Le KaDeWe (Kaufhaus des Westens
= supermarché de l'Ouest), une copie conforme des galeries
Lafayette, mais à l'architecture plus labyrinthique, le temple de la
consommation où, paraît-il, les allemands de l'Est avant 1989 rêvaient
d'aller. Globalement, tout le quartier (de Berlin-Ouest, donc) entre
là et le Kurfürstendamm est très commerçant au
sens corporate, par opposition à d'autres
quartiers commerçants qui ont beaucoup plus de petits commerces.
Il faut que je fasse une mention spéciale d'un adorable petit
café-restaurant
situé sur
la Knesebeckstraße (côté est), appelé Cafe Bistro, où
la cuisine était aussi délicieuse qu'inventive, et pas chère du tout.
(Par contre, la carte était manuscrite, et remplie de termes que je
n'arrivais ni à déchiffrer ni à décoder, donc on a plus ou moins
commandé au hasard.)
Comme je le craignais, mon allemand est pas mal parti aux
oubliettes. Déjà traduire pour mon poussinet les panneaux explicatifs
dans les musées était hautement laborieux, comprendre ce que les gens
disaient l'était encore plus. (Notamment, j'ai eu une expérience
déplaisante dans une boutique T-Mobile, pour essayer de
faire comprendre que, oui, je voulais bien acheter une
carte SIM pour clé 3G pour mettre dans un téléphone
mobile, et que j'étais presque sûr que c'était normal et que ça
permettrait (contrairement aux affirmations du vendeur) de passer des
appels vocaux. Il faut dire que le vendeur ne faisait absolument
aucun effort ni pour se montrer aimable ni pour parler plus
distinctement voyant que je maîtrisais mal l'allemand.) Heureusement,
j'ai pu mettre sur mon téléphone un dictionnaire allemand↔anglais
très pratique pour Android (cherchez QuickDic German Dictionary
dans le marché), c'est beaucoup plus commode que de sortir à chaque
fois mon dictionnaire de mon sac et de trouver laborieusement le mot
dans l'ordre alphabétique. J'ai aussi (re)trouvé une motivation très
forte pour bosser mon allemand : c'est de lire les BD de
Ralf König en VO (j'y arrive, mais à grand renfort de
dictionnaire ; ceci dit, ça permet d'apprendre plein de mots cochons
très importants).
Décidément, je n'ai pas réussi à trouver moyen de contacter un
vrai Berlinois pour lier connaissance (et qui accepterait de jouer un
petit peu au guide touristique), malgré des tentatives pour exploiter
plusieurs sites qu'on m'avait conseillés,
essentiellement couchsurfing.org
(pour trouver des gens qui ont le goût de l'hospitalité)
et gayromeo.com (pour
rencontrer d'autres garçons qui aiment les garçons) ; en fait, un
problème c'est que les gens partent en vacances sans indiquer qu'ils
sont partis, et qu'à la fin on en a un peu marre de contacter les gens
un par uns pour s'entendre répondre qu'ils ne sont pas là — et
si on essaie de passer des annonces collectives, personne ne les lit.
Peut-être que je m'y suis mal pris. Bref, le seul Berlinois avec
lequel on a pu converser quelques minutes, c'est un garçon rencontré
dans un bar gay : comme j'étais en train de baver devant lui et qu'il
était visiblement tout seul, mon poussinet m'a exhorté à aller lui
parler, puis, comme j'étais trop timide pour ça, il est allé le voir
et lui a expliqué que son copain (moi, quoi) le trouvait très mignon
mais n'osait pas lui parler ; bon, le garçon en question (qui se
prénommait Jan) a répondu que je n'étais pas son type (à cause
des cheveux longs, bien sûr), et
par ailleurs il n'était seul que parce qu'il attendait un rencart qui
se faisait attendre — mais ça nous a au moins permis de discuter
un tout petit peu. (Sinon, les trois autres personnes avec qui on a
vraiment bavardé, pendant ce voyage, étaient des
Américains…)
Dans l'ensemble, je crois que je trouve les Allemands plus mignons
que les Français (le poussinet et moi ne manquons pas de nous signaler
l'un à l'autre les jolis garçons que nous croisons, et là ça
n'arrêtait pas, à tel point qu'on a décidé de relever un peu les
exigences sur ce qui mérite d'être signalé, pour ne pas interrompre
tout le temps notre conversation avec nos petits codes). C'est
peut-être simplement un effet du dépaysement (j'ai l'impression qu'à
chaque fois que je me déplace ça me fait un peu cet effet, et je doute
que les Parisiens soient le sommet de la laideur terrestre) ou de la
proverbiale herbe plus verte de l'autre côté du proverbial Rhin. Ou
c'est peut-être que j'ai effectivement une préférence, certes pas
exclusive, pour
les blondinous
aux yeux bleus (je pensais que c'était un peu un mythe que les
Allemands
sont blonds
aux yeux
bleus, mais, de fait, alors qu'en France il est très rare que je
croise des gens plus blonds que moi, à Berlin j'en ai vu un certain
nombre). Peut-être que l'an prochain le poussinet et moi irons
vérifier cette hypothèse du côté de Stockholm.
Les corneilles berlinoises ne sont pas comme les corneilles
parisiennes : elles ont le dos gris (mais la tête noire) alors que les
corneilles parisiennes sont toutes noires. Il doit s'agir
de Corvus
corone à Paris et
de Corvus
cornix à Berlin. Par ailleurs, toujours au rayon de
l'ornithologie, il y a beaucoup moins de pigeons
(Columba
livia) à Berlin qu'à Paris.
Ah, et il faut bien que je finisse en parlant des trains : on a
fait le voyage, dans un train de la Deutsche Bahn, en compartiment de
luxe (c'est-à-dire avec WC et douche dans la chambre).
Même si je dors très mal dans les trains quoi qu'on fasse, c'est une
expérience intéressante (certes un peu onéreuse, mais pas tant que ça
quand on compte qu'elle comprend une nuit d'hôtel). Mais finalement,
ce qui est le plus agréable, c'est encore la voiture-restaurant :
parce que les trains de la Deutsche Bahn, ils ont une vraie
voiture-restaurant — même si on va commander soi-même, ensuite
on mange à une vraie table, assis sur des vraies chaises, et dans de
la vraie vaisselle, pas comme dans les voitures-bar
des TGV français. C'est aussi moins exorbitant au niveau
prix, d'ailleurs.
Voilà, j'oublie certainement encore plein de choses que je pourrais
raconter, mais ça commence à faire assez long comme ça. Il y a un tas
de photos (de très mauvaise qualité…) qui viendront
éventuellement plus tard.
Je tombe sur ce
micro-documentaire de l'AFP, qui, s'il est vrai,
m'apprend d'une part que la Turquie interdit aux homosexuels de servir
dans son armée, et d'autre part que les jeunes homos qui veulent
invoquer cette clause pour échapper à leur service
militaire[#] (la Turquie ne
reconnaît pas, apparemment, l'objection de conscience) doivent fournir
des preuves de leur homosexualité.
Il y a tellement de choses qui me heurtent — et de
façon imbriquée — que je ne sais même pas par où
commencer.
Le niveau un, c'est le service militaire obligatoire. Déjà, un
service national obligatoire,
j'ai tendance à considérer
(apparemment je suis le seul, mais bon) que c'est une violation de
l'acticle 4 de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, mais
bon, quand la France pratiquait encore cette forme-là de servitude il
n'y a même pas quinze ans, et quand l'Allemagne la pratique encore, il
paraît qu'il ne faut pas le dire trop fort. C'est encore pire quand
le service est militaire, évidemment, et qu'il n'y a pas de provision
pour les objecteurs de conscience. (Après, s'agissant de la Turquie,
ce n'est pas le seul problème qu'elle a avec les droits de l'homme,
notamment pour ce qui concerne son armée — qu'il est par exemple
interdit de critiquer.)
Maintenant, il y a une discrimination qui rend le service militaire
en général encore plus scandaleux, c'est le fait qu'il ne s'applique
qu'aux garçons (i.e., n'est obligatoire que pour eux, du moins en
Turquie, et aussi en Allemagne, et, en fait, je crois, dans tous les
pays sauf Israël, qui a quand même une discrimination entre hommes et
femmes sur la longueur du service et qui a d'ailleurs plein d'autres
discriminations scandaleuses rien que là-dessus sur lesquelles je ne
m'étendrai pas parce que ce n'est pas mon sujet immédiat). Personne
ne m'a jamais fourni une explication de pourquoi c'était le cas,
d'ailleurs : pourquoi les garçons et pas les bruns ou je ne sais quoi
— c'est hallucinant que l'Allemagne ou la Suisse tolèrent encore
de nos jours une règle aussi révoltante. Soit dit en passant, toute
personne qui, en France, a pu s'exprimer avant 1996 sur l'égalité des
sexes et « oublier » de parler de ça, disqualifiait son propre
discours (je pense notamment à des gens que je me rappelle avoir
entendu se féliciter du fait que les filles aient le droit de
faire un service national mais oublier de hurler que les garçons
n'avaient pas le droit de ne pas le faire !).
Alors évidemment, la question qui n'est pas du tout évidente pour
quelqu'un qui, comme moi, trouve (a) que le service militaire
obligatoire est une forme de servitude forcée qui n'a pas sa place
dans une société moderne et (b) que les hommes et les femmes devraient
avoir exactement les mêmes droits (et, plus précisément, que l'État ou
la Loi ne devraient jamais, en aucune circonstance ni pour aucune
raison, avoir connaissance du genre d'un individu, ni évidemment
l'égalité ou non du genre de deux individus), c'est : supposant que je
ne puisse pas supprimer le service militaire obligatoire (dans un pays
donné), vaut-il mieux le laisser pour les seuls garçon (ce qui
constitue une discrimination sur le sexe), ou vaut-il
mieux étendre ce mal à tout le monde mais au moins faire
cesser la discrimination ? C'est la question générale des maux
imbriqués qui se compensent partiellement (vaut-il mieux supprimer le
mal imbriqué, quitte à étendre le mal extérieur, ou le laisser le
compenser un peu ?), et il est difficile d'y répondre en général ;
même dans ce cas particulier, je ne sais pas bien quoi dire.
(S'agissant de maux imbriqués, il y a d'ailleurs
des gens qui sont opposés au mariage des couples de même sexe sur
cette ligne de raisonnement-là : ils considèrent que le mariage en
soi, tel qu'il est reconnu par l'État et trop subventionné, est un
mal, et que le fait de le réserver aux couples de sexes différents est
un mal dans un mal, mais qu'il vaut mieux laisser le mal dans le mal
qu'étendre, ne serait-ce que de ∼5%, le mal extérieur.)
Deuxième discrimination, donc : les homosexuels turcs n'ont pas le
droit de servir dans l'armée. Ce n'est pas seulement une règle
complètement gerbante en soi (et
dont on
ne comprend pas du tout la raison), comme aux États-Unis : c'est
aussi une violation de la Convention européenne des Droits de l'Homme,
cf. les jurisprudences Lustig-Prean & Beckett
c. Royaume-Uni et Smith & Grady
c. Royaume-Uni (celles qui ont obligé le Royaume-Uni de mettre
un terme à une discrimination semblable dans son armée) de la Cour
européenne des Droits de l'Homme (la Turquie n'a pas ratifié les
protocoles 4 et 7 de la Convention, mais j'imagine que la
jurisprudence de la Cour ne se base pas sur ceux-ci parce qu'ils n'ont
pas du tout l'air de parler de ça). Remarquez, il paraît que la Grèce
est dans une situation semblable, ce qui est encore plus honteux
puisque la Grèce est aussi liée par le droit communautaire,
et si elle interdit aux homosexuels de servir dans son armée elle
contrevient certainement à
la directive
2000/78/EC du Conseil du 27 novembre 2000.
Alors, si on écarte le cas de ceux qui voudraient faire carrière
dans l'armée, pour qui cette règle est clairement un problème, pour
ceux qui ne veulent pas faire leur service militaire, c'est
peut-être plutôt une bonne chose (du moins si le fait de se faire
exempter n'apporte pas un lot de tracas, par exemple quand on veut se
faire embaucher après) : comme je le dis plus haut, quand un mal en
compense partiellement un autre, on ne sait pas bien s'il faut s'en
réjouir ou s'en désoler. Mais quand là-dessus s'ajoute la
complication que les autorités demandent des preuves de
l'homosexualité de celui qui se ferait exempter, on est au troisième
niveau d'imbrication des maux (je commence à penser
à Inception) : cela
semble compenser la discrimination, mais en fait probablement pas (a
priori, un jeune homo turc a le choix entre faire ou ne pas faire son
service militaire — mais c'est un faux choix, parce que d'un
côté il doit subir une procédure humiliante pour ne pas le faire, et
de l'autre on peut facilement s'imaginer que, s'il ne fournit pas
les preuves demandées et qu'il subit ensuite l'homophobie de
ses co-recrues, il trouvera peu de sympathie de la part de sa
hiérarchie pour s'en plaindre).
Mais alors là où mon cerveau explose complètement par l'imbrication
des maux les uns dans les autres, c'est s'il est vrai, comme le
reportage semble le dire, que la Turquie exclut de son armée
spécifiquement les homosexuels passifs, et donc ajoute aux
conneries déjà énumérées l'idée que ceux qui sont uniquement actifs ne
sont pas vraiment homos. (Et au passage, cela casse complètement
l'argument déjà complètement débile qu'il faut interdire aux homos de
servir dans l'armée pour éviter que les soldats aient à avoir peur
pour leur c**.) Je ne sais plus quoi dire, à un niveau de crétinisme
aussi abyssal.
Ajout () :
La BBC a écrit
un petit article
à ce sujet, et je continue à avoir la tête qui me tourne de tant
de connerie.
[#] Je me demandais
justement, récemment, s'il arrive que (et sinon, pourquoi pas) des
soldats américains, imprudemment engagés dans des guerres dont ils
voudraient sortir (en Iraq, en Afghanistan), parfois au point
d'en préférer
fuir au Canada, se fassent passer pour homosexuels (voire, aillent
vraiment faire quelque chose avec un autre homme, devant témoins),
pour obtenir d'être déchargés de leur service (et sans punition ni
blâme, contrairement à s'ils désertent). À ce
propos, ce comic
(édité par l'armée américaine elle-même) est à la fois hilarant et
bien triste. Heureusement, ce sera bientôt du passé — ou
pas.
Un des problèmes avec les clichés, c'est qu'on marche souvent sur
des œufs quand on veut les combattre : d'une part, parce qu'on
est obligé de leur donner voix pour les combattre (et donc de
s'entendre répondre : ah mais non, personne ne croit ça ! ce n'est pas
ça du tout !), d'autre part parce qu'un cliché fait souvent référence
à d'autres clichés (et eux-mêmes, et ainsi de suite en s'insérant dans
toute une Weltanschauung d'idées reçues), enfin simplement
parce que la seconde loi de Newton prévoit qu'à tout cliché il
correspond un contre-cliché qui n'est pas forcément plus reluisant ou
plus correct. (Heureusement et hélas, la réalité est tout en
nuances ; et une nuance subtile, ce n'est pas la hache bénie +3 qu'on
voudrait pour démolir les clichés et enfoncer les portes
ouvertes.)
Prenons l'idée suivante : les hommes homosexuels sont souvent
efféminés. S'il y a un préjugé véhiculé par la société, une forme
d'homophobie, qui m'a gêné dans la construction de mon identité, qui
m'a blessé profondément, et je me
répète en le disant, c'est bien celle-là. (Je ne dis pas que
l'idée l'homosexualité est une abomination ne m'aurait pas plus
blessé, évidemment !, mais j'ai eu la chance de grandir dans un
environnement extrêmement protégé contre une haine frontale.) J'ai su
relativement tôt que j'étais attiré par les garçons (vers 13 ans, je
sais qu'il y a des gens qui s'en rendent compte beaucoup plus jeunes
— mais il y en a aussi qui le découvrent très tard), et je n'ai
pas spécialement eu de réticence à me l'admettre : mais
l'identification de cette attirance avec
l'étiquette homosexualité a été beaucoup moins évidente parce
que l'idée qu'on me présentait de cette étiquette (un on
indistinct qui désigne la socété encore à la fin des années '80, je
suppose) était quelque chose comme le rôle de Michel Serrault
dans La Cage aux folles, quelque chose avec quoi je
n'arrivais pas du tout à m'identifier. Jamais je n'aurais eu l'idée
de porter une robe ou de jouer à la poupée. Et si je me masturbais en
regardant des icônes de masculinité qu'on pouvait trouver dans les
magazines pour ado que je lisais, j'étais trop innocent pour
m'imaginer faire l'amour avec eux — je fantasmais plutôt sur le
fait d'être eux. Mais je digresse.
Pour revenir à ce cliché, le problème est qu'à vouloir le
combattre, on s'expose à autant de chausse-trapes qu'il y a de
réponses évidentes au cri du cœur mais ce n'est pas vrai du
tout ! — par exemple, à se faire qualifier de misogyne
(c'est vrai, c'est quoi le problème, à être efféminé ?),
« follophobe », voire transphobe… On s'expose à présenter une
vision de la masculinité pas moins caricaturale que la vision de
l'homosexualité qu'on veut dénoncer (et à être très embarrassé, en
fait, pour répondre à la question : c'est quoi, au juste, être
efféminé ? et le contraire ?). On s'expose à ouvrir la porte à
plein d'autres clichés (du style : d'abord, il y
a plein d'homos dans l'armée
— ah, et depuis quand est-ce que l'armée est la
négation de la féminité ? merci pour les femmes militaires). Soit
dit en passant, pour une définition de la masculinité qui dépasse un
peu les clichés pour arriver au stade ô combien exigeant de la nuance
et de la subtilité, je recommande la lecture de l'excellent livre
d'Élisabeth Badinter, XY —
de l'identité masculine.
Pour continuer à rabâcher les choses que j'ai déjà
dites cent fois, ma théorie est
que le cliché en question est un biais d'observation : à la fois du
fait qu'on identifie plus facilement quelqu'un comme homo quand
justement il se conforme à ce cliché, et inversement qu'il soit plus
difficile de s'assumer ouvertement comme homo quand on ne s'y conforme
pas du tout (là aussi, insérer d'évidents contre-clichés sur les mecs
de banlieue et les militaires qui n'assument pas). Plus, évidemment,
un effet d'émulation (pour les gens qui veulent s'afficher comme
manifestement homos, c'est plus évident de se conformer aux clichés
pré-établis), et l'effet des médias, notamment la présentation de
l'homosexualité au cinéma.
Ce n'est pas tellement le côté efféminé, en fait : c'est
surtout que le spectre des types, de codes de conduite ou
vestimentaires, sur lesquels on peut coller l'étiquette mec
homo est incroyablement réduit. En fait, à Paris, on a parfois
l'impression qu'il y en a exactement deux : le look branchouille style
je-m'habille-au-BHV-homme (qui serait le efféminé
du cliché précédent), et le look
clientèle-du-Cox
(tout le contraire de efféminé) ; certes, il y a des sous-types
et peut-être un ou deux cas hybrides (style
sportif-soigné-propre-sur-lui, ou
qui-essaie-de-se-faire-passer-pour-une-racaille-mais-sans-grand-succès),
mais ça reste ridiculement étroit. Le titre de cette entrée souligne
un point anecdotique, mais néanmoins illustratif : je n'ai jamais
rencontré (ni en réalité, ni même en fiction, d'ailleurs) un seul mec
ouvertement/ostensiblement homo, à part moi, qui ait les cheveux
longs.
La vérité derrière le fait que je dis tout ça, en faisant passer ça
pour de la socio vachement sophistiquée (mais mon lectorat n'est pas
dupe), est juste que je suis terriblement frustré.
Frustré, parce que les mecs de mes fantasmes vestimentaires — le
skater, le punk, le un-peu-goth-mais-pas-trop, ou d'ailleurs parfois
le look acheté au Vieux Campeur — ils ne rentrent
pas du tout dans ce spectre. Alors je ne vois jamais deux jolis
garçons au look urban grunge ou jah-jah se faire des bisous dans la
rue : ça me frustre. Et tant que je serai frustré comme ça, je prends
sur moi de m'habiller comme j'aimerais
le voir et de faire des bisous à mon poussinet dans la rue :
peut-être qu'à force, ça prendra. Et sinon, j'ai au moins la
satisfaction de faire quelque chose d'inhabituel.
Le foot et le hasard (et les homos de l'équipe d'Allemagne)
J'ai du mal à comprendre comment on peut trouver le foot
intéressant. Ce n'est pas que je n'aime pas regarder des sports en
général (enfin, surtout pas le sport
professionnel[#]), mais
c'est qu'en plus ce sport est franchement
chiant, il ne s'y passe rien, et
le résultat est vraiment dû au hasard.
Je ne dis pas ça parce que je suis déçu que l'équipe de France se
soit ridiculisée : je suis parfaitement ravi que l'équipe de France se
soit ridiculisée, ça a été rigolo d'écouter les détails sordides se
déverser dans le caniveau et ça a fait qu'on nous a beaucoup moins
saoulé avec le foot après ça (les supporters des équipes étrangères ne
sont peut-être pas plus civils, mais en tout cas ils sont moins
nombreux, c'est déjà ça de gagné). Je dis ça parce que c'est le cas.
Le fait que les deux pays finalistes de la dernière coupe du monde
aient été éliminés au premier tour n'est qu'un symptôme comme un
autre, mais il est assez emblématique.
Quand en 1h30′ de match le nombre moyen de buts marqués est
(si j'en crois Wikipédia, au niveau des compétitions professionnelles
de plus haut niveau) autour de 2.5, décider quelle équipe est la plus
forte sur la base d'un tel score a un sérieux du même niveau que si un
sondeur politique prétendait déterminer le gagnant de la prochaine
présidentielle en France en interrogeant trois personnes tirées au
hasard. Au moins certains sports décident la victoire d'un match sur
une douzaine, voire une centaines d'événements. Au moins certains
sports ont compris qu'il était bon, pour départager des joueurs ou
équipes de niveau proche, d'exiger pour arrêter le match qu'il y ait
un écart minimum entre les scores de ces joueurs : évidemment, ça peut
donner
des matchs
fort longs, alors le foot ne veut pas faire comme ça — on
arrête quand le temps est fini, point ; et s'il n'y a pas de
vainqueur, lorsqu'il en faut un, on utilise un
procédé encore
plus aléatoire où, de nouveau, on ne demande même pas un écart
minimum entre les scores, et où on rend la procédure encore plus
aléatoire après dix tirs parce qu'on s'impatiente vraiment trop
(autrefois on tirait carrément à pile ou face, ce qui, finalement,
était plus honnête). OK, je veux bien croire que quand
le Brésil joue contre la Corée du Nord, le Brésil ne va pas gagner que
par hasard, mais en général, entre deux équipes de bon niveau, c'est
exactement ça qui se passe.
Et si ce n'était pas assez aléatoire comme ça, la structure de
tournoi empire encore les choses. Admettons très généreusement que
l'équipe la plus forte, dans un match donné, ait deux chances sur
trois[#2] de l'emporter sur
l'équipe la moins forte ; et admettons aussi que l'équipe la plus
forte du tournoi se qualifie forcément (c'est relativement
raisonnable, puisque les poules sont un peu moins aléatoires que le
tournoi en pyramide) : il reste que la probabilité que l'équipe la
plus forte gagne effectivement le tournoi est la probabilité qu'elle
gagne quatre matchs d'affilée, soit, à deux chances sur trois à chaque
fois, un peu moins de 20%. C'est dire si c'est significatif !
Mais ce que je trouve amusant (et horripilant pour ce qui me
restait d'espoir dans l'esprit scientifique de mes contemporains), en
période de mondial, c'est à quel point un peu tout le monde se
transforme en expert de foot, formule ses pronostics, évalue tel ou
tel joueur, critique les décisions des entraîneurs et des
joueurs… Dites, vous savez que les joueurs de foot sont des
professionnels ? Vous iriez voir un professionnel du bâtiment, par
exemple, pour lui dire qu'il a mal fait son béton, qu'il devrait s'y
prendre autrement ? Autant faire prédire les résultats des matchs par
un poulpe
extralucide, ça aura tout de suite plus de sérieux.
'Fin voilà pourquoi que je pensais que le foot avait autant
d'intérêt que la coupe du monde de
pile-ou-face[#3], à quoi la
maman de mon poussinet m'a rétorqué : mais tu es bien bête de ne
pas regarder, ils sont vachement beaux, les joueurs de foot !
J'ai juste grommelé sans trop faire attention que, pour ce qui est de
l'équipe de France, certainement pas, et que de toute façon les
terrains étaient systématiquement filmés de très loin donc qu'on ne
les voyait pas du tout.
Bon, puis je suis tombé sur de
la presse
de caniveau (non, non, vraiment, c'était un hasard, je ne lis
normalement pas ce genre de
trucs… par
ici, plutôt, disons), sur la rumeur sur laquelle il y
aurait plein d'homos dans l'équipe d'Allemagne. Pas très
intéressant tout ça. Mais, eh, mais c'est vrai qu'il y en a qui ont
l'air pas mal du tout, sur cette photo : voyons de plus
près… Bof… Mouais… Bon… D'accord… Moui… Tiens,
oui… Ah
oui, quand
même ! Argh ! Re-argh ! Oh
par Saint-Sébastien !
Mince, j'aurais dû regarder la télé plus attentivement, le mois
dernier…
[#] Les tournois de foot
entre pays me semblent un poil moins ridicules, en fait, qu'entre
villes, où les joueurs n'ont aucun rapport avec la ville du club pour
lequel ils jouent, et ce n'est que par un acte de foi complètement
artificiel qu'on décide que tel groupe de gus « représente » telle
ville. Déjà que j'ai du mal à comprendre ce qui fait qu'un supporter
sportif se prend de passion pour les résultats sportifs de gens qui
n'ont de commun avec lui que la nationalité, la région ou la ville,
mais c'est encore plus mystérieux quand ce lien est un
pur fiat.
[#2] Deux chances
sur trois est complètement tiré de mon chapeau, bien sûr, mais
compte tenu de ce que j'ai dit ça me semble bien généreux envers le
foot. Si vous voulez des chiffres un peu moins pipotés : dans les
tournois de ligue, je vois des
statistiques qui montrent que l'équipe qui joue à domicile gagne
environ dans 50% des cas, fait match nul dans environ 25% des cas, et
perd dans environ 25% des cas. S'il fallait prouver que le foot est
du hasard, ces chiffres sont frappants : l'équipe qui joue à domicile
ne devrait logiquement pas avoir d'avantage ; mais admettons que ce
soit effectivement la plus forte, et que cette différence de force
soit représentative des différences entre équipes au niveau du
mondial. En écartant les 25% de nuls, ça donne effectivement une
victoire de l'équipe la plus forte dans 2/3 des cas : voilà d'où je
sors mon chiffre (qui, je le répète, doit largement sous-estimer la
part de hasard dans le foot si les équipes ne sont pas violemment
différentes).
[#3] Soyons gentils :
pierre-papier-ciseaux.
Voire singe-ninja-pirate-robot-zombie.
Il y a un grand élément de psy-cho-lo-gie dans le foot.
Il fut un temps où je parlais plus souvent sur ce blog de
mes expérimentations vestimentaires
(genre, là
ou là), c'est-à-dire ma façon de
mélanger n'importe quoi jusqu'à satisfaire — en me regardant
dans un miroir — mon attirance instinctive pour la provocation
involontaire (ou pour le ridicule), mon sens esthétique d'ado
post-attardé et décalé, ou mon goût de chiottes notoire en
matière de garçons (le poussinet ne doit pas se sentir vexé, ce n'est
pas systématique).
Récemment je me suis acheté le
livre Dictionnaire
du look (Une nouvelle science du jeune) de Géraldine de
Margerie et Olivier Marty (éditions Laffont)
(présenté
ici) : c'est un inventaire assez éclectique et disparate de tout
un tas de looks de djeunz ou de moins djeunz (bcbg,
bling-bling, bobo, caillera, fluokid, metalleux, modasse, punk à
chien, skateur, teuffeur…), tentant parfois de présenter les
modes de vies de tribus urbaines. Ce n'est pas très sérieux,
mais c'est justement rigolo parce que ça ne se prend pas au sérieux.
Par contre, on peut regretter que le choix des looks traités manque un
peu de cohérence ou d'exhaustivité, au moins superficielle (pourquoi,
par exemple, ne pas avoir consacré un chapitre aux gothiques alors
qu'il y en a un pour les plus spécifiques gothic
lolitas ?).
Mais j'ai au moins apprécié qu'ils proposent un nom pour un look
dont je me suis souvent demandé comment l'appeler : ces jeunes
dreadlockés bohême, vaguement néohippies ou cirqueux, en pantalon
bouffant, vieux pull, keffieh et parfois bonnet péruvien, qu'on
imagine facilement arpentant, pétard à la bouche, les couloirs d'un
hypothétique cours de médiation culturelle à Paris VIII. (Mon
poussinet les appelle les je-vais-sauver-le-monde.) Le
dictionnaire en question les nomme les Jah-Jah : même si
une recherche
Google images ne confirme pas trop la popularité du terme, il a le
mérite d'être assez inambigu.
Mon look actuel n'est pas recensé, évidemment. Pour ceux qui
veulent l'imaginer (non, je n'ai pas de photos, il faudra que je
propose au poussinet d'en prendre), je peux le décrire façon magazine
de mode et avec des liens[#]
puisque j'ai quasiment tout acheté en ligne. Le Ruxor, donc, porte
un hoodie DC Shoes
noir avec logo blanc au
ventre[#2],
un pendentif
dent en acier Oxbow (au-dessus du sweat),
un blouson
en
cuir Schott[#3]
à capuche avec logo au dos,
un treillis
camouflage de surplus[#4]
militaire (armée française)
et ceinture
assortie (ou bien, certains jours,
un jean
baggy non marqué), des baskets
« street » DC Shoes
ou Rip Curl[#5] et
des mitaines
en cuir portées sur des sous-gants en soie
noirs Go Sport[#6][#7].
Les tee-shirts (généralement plusieurs épaisseurs, le Ruxor étant
frileux) varient évidemment beaucoup. Mais l'accessoire vraiment
unique pour parfaire la Ruxor touch et
s'habiller en
rouge et noir, accessoire fort approprié en cette saison de
saturnales,
c'est le
bonnet rouge (mais alors vraiment rouge vif, uni : en fait, c'est
un bonnet de pompier[#8]), à
porter bien enfoncé sur la tête (en laissant juste dépasser une ou
deux mèches dans le cou), et avec un air gentiment niais. Le bonnet
rouge permet qu'on me repère de loin (pratique quand le poussinet
s'est attardé pour faire une bêtise, et se demande où je suis passé),
ou d'attirer le regard. D'ailleurs, hier, à la Fnac, je me suis fait
draguer[#9] par un djeunz habillé
assez comme moi (treillis, chaussures de skate, hoodie sur les épaules
et pendentif au cou) mais qui n'avait pas un joli bonnet rouge comme
le mien : je suis sûr que c'est ça qui l'a rendu envieux !
[#] Liens qui seront
inévitablement cassés dans trois mois, puisque les gens qui tiennent
des sites marchands tels que ceux-ci n'ont pas encore compris
l'avantage qu'il pouvait y avoir pour eux à ne pas casser
leurs URL à chaque refonte du site.
[#2] Le logo
me vaut d'ailleurs un certain nombre de questions (les gens qui ne
connaissent pas lisent souvent DG et demandent par
exemple si c'est Dolce &
Gabbana : décidément,
non, par contre, il y a une ressemblance indéniable avec
le logo Chanel).
[#3] Tiens, il est
nettement plus cher que quand je l'ai acheté, celui-là.
[#4] Ce n'est pas par
ce site-là que je l'ai acheté, mais le principe d'un article
réglementaire doit être qu'il ne varie pas beaucoup.
[#5] Ce modèle précis
n'a plus l'air d'exister.
[#6] Article que je
renonce à trouver sur le site Web
de la marque Go Sport, vu combien celui-ci est mal
organisé (les articles ne semblent trouvables que dans le rayon d'un
certain — et unique — sport, et je ne sais pas quel serait
le sport dont des sous-gants en soie seraient un accessoire).
[#7] Je suis content de
la trouvaille de porter des sous-gants en soie sous des mitaines :
quand il ne fait pas atrocement froid, c'est un bon compromis pour se
protéger les mains tout en gardant une certaine dextérité et
sensibilité digitale.
[#8] Enfin, paraît-il !
Je n'ai en fait jamais vu un pompier porter un pareil bonnet. Mais au
moins c'est la couleur emblématique rutilante.
[#9] Le poussinet et
moi ne nous privons pas de mater copieusement (et de nous signaler
mutuellement) les jolis garçons que nous croisons, et il y a sans
doute du vrai dans l'idée que les homos sont sans doute les seuls à le
remarquer — ou en tout cas, à comprendre pourquoi on les
regarde. Le mec en question, j'ai commencé à le regarder par les
pieds (parce que je regardais d'abord des livres situés au niveau du
sol), j'ai remonté le regard parce que le look me plaisait, et le
temps que j'arrive à la tête et que je m'aperçoive qu'il n'était pas
mal du tout, il avait bien vu que je le zyeutais : il me souriait
copieusement, et il a engagé la conversation. Ce sur quoi j'ai fui
dare-dare, parce que (malgré mon bonnet rouge)
je suis timide comme un écureuil
bleu. Quand je lui raconte ce genre de choses, mon poussinet rigole
gentiment de moi.
L'année du bac. Flashback sur un âge ruisselant d'insouciance,
d'exubérance et de testostérone. La photo me montre en short de bain,
exhibant fièrement mes abdos bronzés et mes boucles blondes
dégoulinant d'eau iodée. À côté de moi, Mathieu, en combinaison de
surf, tient sa planche d'une main plantée dans le sable et passe
l'autre bras autour de mon cou dans une accolade virile. Est-ce que
nous avons conscience, à ce moment-là, de l'intensité érotique de
notre pose, presque caricaturale ? Moi sûrement pas, j'étais puceau,
j'essayais encore de me faire croire que je matais les filles.
Mathieu… J'ai appris après qu'il avait déjà l'expérience qui me
manquait. Mais il sortait avec la beauté canon du lycée, personne
n'aurait pensé un seul instant qu'il était bi. Putain d'innocence !
Au dos du cliché, j'ai écrit : Fhloston
Paradise (Lacanau, été 1997) ; je ne sais plus ce que ça veut
dire.
Mon poussinet et moi avons vu le
film Patrick 1,5
(titre bizarrement traduit en français comme Les Joies de la
famille). C'est certes un peu prévisible, mais c'est tout
mignon et ça nous a beaucoup plu : je recommande, donc (et pas
seulement parce que les deux principaux
acteurs, Gustaf
Skarsgård
et Thomas
Ljungman, sont très jolis à regarder). La difficulté, par contre,
c'est qu'il n'est (plus ?) diffusé que quand une douzaine de salles en
France (deux à Paris) : pour notre part, nous sommes allés
au Mk2
Beaubourg (qui s'est fait une certaine spécialité de projeter les
films « LGBT-themed »).
En passant, j'ai vu des gens (je crois que c'étaient
les Mormons de la rue Saint-Merri)
qui s'étaient
installés au
coin de Beaubourg et qui, perchés sur des
bittes[#], lisaient à haute voix
des textes religieux en anglais, probablement la bible du roi Jacques
ou le livre de Mormon ou quelque chose de ce genre : ça faisait
exactement penser à
la scène des
prophètes de Life of Brian (ou un peu
au sermon au tout début
de ce passage
de The Meaning of Life), du coup j'ai
vraiment eu envie de me mettre à côté d'eux et de commencer à prêcher
moi aussi (mais je me suis souvenu de comment Brian finit et j'ai
préféré éviter).
[#] Des bittes pour
empêcher les voitures de passer, je veux dire. Après, si pour Pierre
sur une pierre on peut fonder une Église, on peut certainement aussi
faire des choses intéressantes sur une bitte.
Cet après-midi, mon poussinet et moi nous sommes fait des bisous en
public. C'est pas que ça nous arrive rarement, mais là c'était
appuyé,
et organisé :
à 16h, place Carrée du Forum des Halles (et au même moment dans
d'autres villes de France), plein de couples de garçons, et plein de
couples de filles, et aussi des couples garçon+fille, se embrassés
sous les regards généralement curieux, souvent amusés, parfois
hostiles, de la foule de passants du samedi après-midi, et aussi de
beaucoup de gens qui visiblement avaient eu vent de l'événement mais
qui n'y participaient pas (je ne comprends pas bien pourquoi : homos
célibataires ? hétéros qui n'osaient pas participer ? curieux qui se
demandaient pourquoi tant de gens se rassemblaient là ?). À la fin,
il y a eu des applaudissements assez appuyés. Je ne sais pas si ça
fait beaucoup progresser la lutte contre l'homophobie, mais c'était
amusant.
Après
ça, nous avons profité de la ligne 1 pour aller à la Défense. C'est
idiot : ce n'est vraiment pas loin de Paris, mais je n'y suis
quasiment jamais allé, et pourtant, ça vaut la peine, parce que c'est
un endroit finalement assez agréable (bien aménagé pour le piéton) et
architecturalement intéressant (il y a quelques horreurs, certes, mais
la composition d'ensemble me plaît).
Nous sommes allés visiter
le musée de
l'Informatique au toit de la Grande Arche. Ce n'est pas bien
grand (c'est même tout petit), mais leurs collections sont tout de
même intéressantes pour qui aime les ordinateurs plus ou moins vieux ;
par contre, elles manquent vraiment d'organisation, il y a un sens de
la visite marqué, mais il ne respecte que très approximativement
l'ordre chronologique, on repasse aléatoirement des années '80 à la
carte perforée. Et les explications sur les caractéristiques des
machines exposées sont un peu sommaires. En ce moment, ils ont une
exposition sur le Macintosh, qui expose (quasiment tous ?) les modèles
du précurseur
(le Lisa)
au présent, en passant par le tout premier Mac, le iMac, mais aussi
le NeXT : cette
exposition est beaucoup mieux organisée, pour le coup.
Par contre, le toit de la Grande Arche n'est guère intéressant pour
ce qui est de la vue (bizarrement, elle est presque meilleure depuis
la base). Il n'y a que la montée en ascenseur qui vaille le coup de
ce point de vue-là. À condition de ne pas avoir le vertige comme
moi.
Le Adidas Team Force est-il en voie de disparition ?
Après je ne sais combien de tentatives, j'avais fini par trouver un
parfum dont j'étais content : Adidas Team Force, à la
fois comme gel douche, déodorant bille, déodorant spray et eau de
toilette. Globalement je n'aime pas trop les eaux de toilette « de
marque » (c'est-à-dire vendues en parfumerie : Calvin Klein, Hugo
Boss, Ralph Lauren, ce genre-là), je trouve que ce sont des odeurs
trop marquées, j'aime porter quelque chose de plus basique (ou
peut-être de plus jeune, je ne sais pas comment dire, et en tout cas
moins cher). Donc a priori plutôt du côté de chez Adidas ou Airness
ou Axe. (D'accord, c'est sans doute aussi un peu un truc d'homo :
Adidas et Airness, ce sont des marques très nettement homo-érotiques,
non ? ) Mais même de ce côté-là, je suis loin d'être
content de tout. Bref, la série Team Force d'Adidas
avait fini par me donner satisfaction.
Et voilà qu'Adidas a l'air d'être en train de la supprimer ! En
tout cas, les déodorants (bille et spray) ne se trouvent plus ni dans
mon Champion Carrefour local ni
dans un ou deux Monoprix que j'ai essayés, l'eau de
toilette à peu près non plus, et je me demande si le gel douche ne va
pas subir le même sort.
C'est con, mais j'ai fini par associer mentalement assez fortement
cette odeur à moi-même, ça m'embête vraiment si elle disparaît.
Comme chaque année depuis quelques unes (années), je vais passer
quelques jours en montagne où j'y retrouve mon poussinet (et je vais
essayer de calmer mes nerfs après la perte d'une de mes machines
— celle, regulus.xn--kwg.net, qui me servait à
recevoir mes mails : ça ne veut pas dire que mon mail ne marche plus,
mais j'ai perdu beaucoup de temps dans l'opération).
En attendant, je mentionne une webbédé sur laquelle je suis tombé
(et qu'on m'avait en fait certainement déjà signalée à plusieurs
reprises, et que j'avais dû à chaque fois oublier ou avoir la flemme
d'aller voir, shame on me), parce que ce que j'en
ai lu pour l'instant me semble vraiment
excellent : Khaos
Komix. Ce n'est pas vraiment un webcomic, plutôt une
histoire qui se suit (ou des histoires qui se suivent et se
répondent), et, oui, ça intéressera surtout les homos, mais les
histoires sont toute mignonnes et j'aime beaucoup le dessin —
disons même que je trouve très sexys la plupart des garçons qui
apparaissent. (Message personnel : je pense que ça plaira à mon
poussinet, qui est cependant vivement invité à lire ses articles
en priorité. )
Si je dis que j'aimerais voir des vrais héros gay au cinéma, on va
me regarder un peu bizarrement parce que, clairement, les personnages
homos, dans les films, ce n'est pas ça qui manque. Ce qui me chagrine
toujours, c'est la dichotomie suivante : soit le personnage principal
est homo et c'est le thème du film, ou, du moins, c'est une
partie importante du thème du film (d'où on peut déduire qu'il —
le film — appartient à la catégorie drame ou comédie dramatique
ou comédie tout court, section cinéma gay et lesbien) ; soit c'est un
personnage secondaire qui l'est, et il est là pour donner un peu de
diversité (token queer) au cadre qui peut être
n'importe quoi d'autre. Certes, il y a quelques films qui échappent à
cette dichotomie, mais c'est rare : quand on pense
à Brokeback
Mountain, on pense film de cowboys pédés pas film
de cowboys (qui se trouvent être pédés).
Je veux dire, quand on regarde un blockbuster américain
interchangeable dans lequel Bruce Willis joue un héros qui sauve le
monde, ou un James Bond, ou je ne sais quoi de ce genre, presque à
tous les coups on va nous montrer la copine ou la femme du personnage
joué par Bruce Willis, ou la James Bond girl du moment : elle joue un
rôle secondaire dans l'intrigue — il s'agit d'un film d'action,
pas d'un film sentimental — mais elle est là, et elle nous
apprend quelque chose qui n'était souvent pas strictement nécessaire
dans l'histoire, c'est que le héros est hétéro. Plus rarement
(beaucoup plus rarement, en fait), le héros est une héroïne (disons,
Angelina Jolie), et il y a aussi besoin de nous faire savoir que
l'héroïne est hétéroïne. Y a-t-il des exemples de films de ce genre
dans lequel le personnage principal, sauve le monde des méchants et
sauve aussi son copain dans l'histoire (ou bien est un superhéro et
doit le cacher à son copain journaliste, enfin bref, n'importe quoi de
ce genre) ? Si ça existe (j'imagine quand même que quelqu'un trouvera
un contre-exemple), le moins qu'on peut dire c'est que ce n'est pas
courant (je veux dire, même en tenant compte qu'on
s'attendrait statistiquement à ce qu'environ 5% des superhéros qui
sauvent le monde soient homos ).
Bien sûr, les raisons sont tellement évidentes (et sont les mêmes
pour plein d'autres minorités) que je ne ferai pas l'insulte aux
portes ouvertes suffisamment défoncées à ce stade pour les expliciter.
Reste que je trouve amusant qu'on ait fait un foin de la révélation
par Mme Rowling du fait que le personnage de Dumbledore
dans Harry Potter était, selon
elle[#], gay : c'est une
révélation qui tombe comme un cheveu sur la soupe et qui n'a à peu
près aucun rapport avec le schmilblick — alors qu'aurait-on dit
si elle avait fini par caser Harry Potter avec Draco
Malfoy[#2] ?
[#] J'écris selon
elle, parce qu'il y a quelque chose de sensé au principe que les
auteurs sont comme le pape, ils ne sont infaillibles concernant leurs
propres œuvres que quand ils parlent ex cathedra, i.e. en
l'occurrence, quand ils écrivent quelque chose explicitement dans
l'œuvre elle-même. Après, je n'ai pas lu plus que le premier
volume de Harry Potter, et je n'ai vu que des bouts un
peu au hasard de certains des films (dont, ce soir, il est vrai, le
dernier en date), donc je ne sais pas à quel point on peut
raisonnablement dire que c'est évident (et pas
juste plausible pour certains), en
lisant l'œuvre ou en voyant les films, une fois qu'on a l'idée
de se poser la question. J'ai tout de même des doutes : donc a
priori c'est juste l'avis de l'auteur sur la question.
Comme il est mon avis que le personnage de Voleur de Feu dans
mon roman La Larme du
Destin est homo et tombe profondément amoureux d'Avethas
puis de Wolur, et que ce que j'ai appelé de l'amitié était juste un
mot pour ce que je n'osais à l'époque pas nommer plus explicitement
(même s'il y a quand même quelques phrases qui peuvent mettre sur la
voie) — et ce serait de la récupération de
vouloir coucher avec lui.
[Ajout : voir cette
entrée ultérieure au sujet de ce roman.]
[#2] Oh, je sais, des
centaines de fanfics ont forcément dû faire ça pour elle ! (Promis,
j'ai écrit ça avant de chercher sur Google et de
tomber là-dessus. The
Internet is so predictable.)
Je n'aime pas écrire des entrées qui ne sont qu'un lien vers
ailleurs, mais j'ai beaucoup
aimé ces
courts-métrages[#] qu'on vient
de me signaler. J'aime particulièrement le dernier, En
colo.
(Mon poussinet me dit que je vais sûrement faire remarquer qu'il y
a plein de garçons mignons, en plus. Meuhnon, je ne vais…
Hein, comment ça, la prétérition m'a tuer ?)
[#] Je fais un lien vers
gayclic.com plutôt que vers le site de Canal+ directement, parce que
je ne vois pas comment autrement faire un lien vers la collection des
cinq.
Ceci est le résumé du film que je vendrais mon âme au
diable pour voir un jour (malheureusement, j'imagine que j'en serais
le seul spectateur) :
La première histoire se passe en France, à peu près de nos jours.
Le héros est un dénommé Tristan Gavient, il a dix-huit ans au début et
il vient de passer le bac : il est sur le point d'entrer en prépa et
déménager de Lyon à Paris. Pendant l'été, il commence, sous le
pseudonyme de Cidrolin, un roman dont l'écriture va lui prendre les
trois ans qui suivent. Ces trois ans, en même temps que son parcours
scolaire, c'est sa découverte de Paris, et surtout de sa sexualité.
Emblématiquement, dans la première scène il fait
son coming out auprès de sa mère ; il a d'abord
une vision très « fleur bleue » de l'amour, il s'imagine qu'il va
rancontrer son prince charmant, mais au fur et à mesure que le temps
passe, il évolue et le roman qu'il écrit évolue avec lui.
La seconde histoire a lieu dans un monde fantastique : on y suit
deux personnages principaux. L'un s'appelle Stéphane, duc de
Lyash-Balder, et il est le prince héritier, forcément beau et fort,
d'un empire qui a des côtés un peu féeriques. L'autre, qui n'apparaît
pas immédiatement, s'appelle Pheŋg, et il est, ou plutôt il
devient, un archimage extrêmement puissant, et d'autant plus assoiffé
de pouvoir. Au commencement, Pheŋg est bon, mais au fur et à
mesure que son pouvoir augmente il devient mauvais, il menace l'empire
sur lequel règne le père de Stéphane. Puis, comme le personnage de
Pheŋg gagne en profondeur et en subtilité et cesse d'être
entièrement noir ou blanc, la situation se complique immensément, elle
se mêle à des intrigues politiques et les rapports entre les deux
personnages deviennent ambigus.
Les deux trames sont liées par un cercle vicieux (et d'ailleurs on
voit régulièrement apparaître des allusions aux cercles vicieux, comme
cette gravure d'Escher représentant deux mains qui se dessinent
mutuellement). La seconde histoire est celle du roman qu'écrit
Tristan dans la première. Mais à l'inverse, quand Pheŋg décide
que, pour accroître ses pouvoirs, il lui faut pratiquer l'invocation,
il entre en communication avec un autre monde où, comme la magie
n'existe pas, il doit prendre la forme d'un personnage de fiction.
Chacun de Tristan, de Pheŋg et de Stéphane apparaît dans les
rêves des deux autres. Un pacte est conclu entre l'archimage et
l'étudiant, dont les termes ne sont pas révélés. Ce qui est sûr,
c'est que les scènes où Pheŋg est sur le point de vaincre
l'empire alternent avec les moments de la vie de Tristan où il a ses
expériences les plus dures. C'est complètement transparent quand on
voit en parallèle le sac de Lyash-Balder sous les yeux d'un
Pheŋg transpercé de remords, et une séance de SM à
laquelle Tristan participe par dégoût presque autant que par défi.
Enfin, le concours que passe Tristan pour la deuxième fois et un
meurtre qui a lieu au palais impérial amènent un dénouement où la
réalité et la fiction s'entrecroisent plusieurs fois autour du
personnage de Stéphane, avant la résolution finale de plusieurs
énigmes.
Comment on dit, déjà, au cinéma ? Inspiré de faits réels,
c'est ça. Mais je ne vous dirai pas ce qui est inspiré et ce qui est
inventé.
On nous a apporté nos cafés. Il avait toujours pas l'air de se
décider à desserrer les dents, alors je l'ai poussé : Donc, Hafid,
tu voulais me parler ?
Il était venu me voir à la fin du cours et avait demandé à me dire
quelque chose. Non, pas ici au bahut. Dehors je préfère. Si vous
voulez bien. Ça m'a surpris. Pas le genre à faire des
confidences, Hafid : et de toute façon il m'avait pris en grippe dès
octobre (j'avais dit un truc qui l'avait vexé, il s'était senti
ridiculisé devant la classe). En chemin jusqu'au café, il a pas
prononcé un mot.
C'est le mec à la fierté vissée au corps. Il porte sa tenue de
racaille comme un uniforme, de la casquette aux baskets, chaque
accessoire est positionné au micromètre — un cadet de West Point
serait pas plus soigneux. Ses potes l'aiment bien, savent qu'ils
peuvent compter sur sa fidélité, mais qu'il ne faut pas froisser son
sens sourcilleux du respect. En classe, il est pas trop pénible, il
se tient assez à carreau, il serait bon élève s'il ne faisait pas un
effort pour rester médiocre (sauf en maths et en sport, où il est
excellent). Dehors, c'est plus compliqué : je sais que son bushido
l'a entraîné dans des ennuis parce qu'il devait venger son petit frère
de quelque chose… Par contre, je suis sûr qu'il ne deale pas,
et même il ne boit pas, il se contente pas de ne pas manger de porc.
Il porte toujours au cou un pendentif sur lequel est
calligraphié : وتواصوا
بالحقّ (et ils s'exhortent
à la vérité, sourate 103).
Il remuait sur sa chaise comme si ça le démangeait. J'ai dû le
presser encore un peu pour qu'il accouche. Finalement, les yeux
plongés dans son café, il a murmuré :
Je crois que je suis pédé.
Immédiatement après, il me suppliait de garder le secret. Si
mon grand frère découvre ça, il me tue : je vous jure, il me tue
direct.
J'ai été pris de court, moins par la confession qu'il venait de me
faire que par sa réaction. Il était à la fois terrifié et résigné.
Il se voyait humilié dans sa virilité, détruit dans son image de
lui-même, et en même temps il n'avait pas d'illusion que ça lui
passerait.
J'ai fini par savoir qu'il avait couché mercredi avec un autre
garçon de la classe. Il ne m'a pas dit qui, il s'est retenu de
justesse de prononcer le nom, mais j'ai décidé que c'était Bastien :
j'avais remarqué jeudi que quand Kévin et Bakary avaient charrié
l'aspirant goth (comme à peu près chaque jour en fait) en le traitant
de tapette, Hafid était intervenu et s'était engueulé méchamment avec
les moqueurs et aussi le moqué, pourtant c'est pas son caractère.
J'ai compris que Hafid détestait l'autre pour ce désir qu'il lui avait
fait découvrir, se détestait lui-même encore plus pour s'être laissé
donner le rôle qu'il considérait comme féminin et y avoir pris du
plaisir, et en même temps il se rendait compte de sa propre bêtise à
penser ça.
Puis il m'a expliqué qu'il croyait que seul Dieu connaissait la
raison de cette épreuve (c'est le mot qu'il a utilisé, et il a
insisté : pas une faute, mais une épreuve), mais qu'il fallait qu'il
la subisse quand même. Qu'il ne pourrait jamais en parler à ses
parents, ça les tuerait. Que peut-être il devrait même se marier.
Qu'il vivrait en cachette. Ça faisait beaucoup de conclusions à
partir d'une seule nuit : il avait dû y réfléchir avant.
Moi je n'ai sorti que des platitudes. Je me suis senti con : ce
gamin me fait des confidences qui lui coûtaient autant à sortir de sa
poitrine que s'il s'en arrachait les entrailles, et je ne trouve pas
mieux à lui dire que il faut que tu arrives à t'assumer
et tu dois réussir à être fort. J'ai été moins mauvais quand
je lui ai dit qu'il n'était pas moins masculin pour autant (là, il m'a
regardé comme un cancéreux à qui on annonce qu'il est guéri). Enfin,
je lui ai promis de lui trouver pour lundi des contacts d'associations
de jeunes homos — l'idée a eu l'air de lui faire peur, mais il a
hoché la tête.
Je lui ai aussi demandé pourquoi il s'était confié à moi : il a
vaguement fait référence à la façon dont j'avais évoqué Oscar Wilde,
et finalement, vachement embarrassé, il m'a dit qu'il y avait des
rumeurs sur mon compte… J'ai rigolé et je l'ai détrompé. Puis
on s'est quittés.
Je n'ai rien su de plus. Je lui ai donné quelques adresses la
semaine suivante, il les a acceptées en me remerciant discrètement,
mais à part le fait qu'il s'est mis à éviter Bastien très
soigneusement (évitement peut-être réciproque d'ailleurs) j'aurais pu
rêver tout ça. Hafid est resté semblable à lui-même, parlant des
meufs avec ses potes sur exactement le même ton. Il est passé en
première S surtout grâce à son niveau en maths, et je ne
sais pas ce qu'il est devenu.
Pfff… J'ai un mal incroyable à écrire sur un ton familier
(et je pense que ça se voit, et que ça fait artificiel) : je dois sans
arrêt me retenir d'utiliser le passé simple.
Je souhaitais dans l'ce que j'écrivais
avant-hier écarter explicitement la question de l'adoption par les
couples de même sexe, pas seulement parce que je n'ai pas vraiment
d'avis mais surtout parce que c'est une question multiple (il faut
considérer séparément l'adoption d'un enfant complètement étranger au
couple et l'adoption par un des membres du couple d'un enfant
biologique de l'autre, par exemple). Un commentateur me rétorque que
mon argumentation est alors dénuée de sens, le mariage ne se concevant
pas sans enfants (ou au moins la possibilité d'enfants), et c'est
pourquoi, étant opposé à l'idée d'adoption par les couples du même
sexe, il est opposé au mariage idem. Il faut donc que j'argumente un
peu pour expliquer pourquoi je ne suis pas d'accord, pourquoi, à mon
avis, la question du mariage des couples de même sexe est une question
bien distincte de celle de l'adoption par eux :
Primo, certains pays font, ou en tout cas ont fait, la différence,
dans un sens ou dans l'autre (reconnaissant le la possibilité
d'adopter avant ou après le droit au mariage), pour les
couples de même sexe. (Je ne crois pas qu'il y ait actuellement
d'exemple d'endroits où le droit au mariage est reconnu mais pas celui
à l'adoption — peut-être la province de l'Alberta au Canada
— mais ça n'a rien d'impossible et en tout cas ça eut existé,
par exemple en Belgique entre janvier 2003 et avril 2006.)
De même, parce que l'opinion publique est visiblement capable de
faire la
différence : en
France, elle est majoritairement favorable au droit au mariage
pour les couples de même sexe et pourtant opposée à l'adoption par
eux. (Peut-être cette information est-elle datée, en tout cas, ce qui
est sûr, c'est qu'un nombre non négligeable de gens voient une
différence suffisante entre les deux questions et pour avoir un avis
opposé.)
Pragmatiquement, le droit d'adopter n'a pas vraiment de raison
d'être décidé par des règles catégoriques : l'agrément est soumis à un
contrôle de la DDASS, et il n'y a pas de raison de
ne pas avoir une règle interne imposant que cet agrément ne puisse
être délivré qu'à un homme et une femme vivant maritalement (et non
nécessairement mariés) depuis un temps conséquent : de toute
façon, si on veut refuser le droit d'adopter aux couples de même sexe
et donc aussi, en toute logique, aux célibataires, il faut bien
réformer la procédure. Ou bien, on peut simplement laisser les
inspecteurs, assistants sociaux et psychologues évaluer chaque cas
individuellement (même s'il faut éviter la tartufferie dans la façon
dont les choses seront
dites : la
France a été condamnée devant la Cour européenne des Droits de
l'Homme pour un motif de ce genre). Quoi qu'il en soit,
…l'argument essentiel est que le droit d'adopter n'existe
pas : l'adoption est un service qu'on rend à un enfant abandonné, et
qui doit être décidé selon les intérêts de celui-ci (confer
l'article 21 de la Convention internationale des Droits de l'Enfant),
pas un droit qu'auraient les parents potentiels. Cet argument est
souvent invoqué pour justifier qu'on refuse l'adoption par les couples
de même sexe. Mais cela implique du même coup que
l'adoption n'est pas un droit impliqué par le mariage, donc que
l'argument je ne veux pas donner le droit à l'adoption, donc je ne
veux pas donner le droit au mariage est bidon : le droit à
l'adoption n'existe pas (ni pour les couples hétérosexuels ni pour les
couples homosexuels), celui au mariage existe bien (au moins pour
certains).
L'idée que le mariage et le fait d'avoir des enfants sont
intimement liés est historiquement, ou philosophiquement, incertain
(on pourrait défendre qu'il est avant tout fait pour la mise en commun
du patrimoine) et assez violemment contredit dans les faits de la
société contemporaine, dans les deux sens : nombreux enfants
naissent hors mariage (ils ont maintenant exactement les mêmes droits
que les enfants qu'on eut qualifiés de légitimes) et nombreux
mariages ne débouchent pas sur des enfants ou n'envisagent même pas
cette possibilité (penser aux personnes qui se marient à 80 ans
passés… le législateur a prévu un âge minimal pour contracter
mariage mais pas d'âge maximal, et on se doute bien que l'idée d'en
introduire un, pour la femme, disons, provoquerait scandale). Quant à
l'adoption, c'est un phénomène tout à fait anecdotique dans le mariage
en général.
Enfin et surtout, les revendications elles-mêmes sont différentes.
La grande majorité des couples de même sexe qui revendiquent le droit
de se marier n'ont pas comme arrière-pensée le fait d'adopter des
enfants (je n'ai malheureusement pas de chiffre fiable à offrir pour
soutenir cette thèse, mais je crois tout de même avoir quelque
connaissance de la question), et le désir d'adopter n'apparaît pas
magiquement parce qu'on n'est pas en situation de
procréer[#]. Je trouve qu'il y a
quelque chose de malhonnête à dire on ne peut pas vous donnez ces
droits-là (ceux du mariage), parce que si on vous les donnait, on
serait obligé de reclamer celui-ci (celui d'adopter) — que vous
ne réclamez pas — et on ne veut surtout pas.
Bref, selon moi, le mariage n'est pas une question d'adoption. Ce
n'est pas non plus parce qu'il a une tradition ancienne et forte qu'il
est important, et ce n'est pas qu'un simple moyen de baisser ses
impôts : ce qui est important, et je le soulignais dans l'entrée
précédente, est qu'il a une reconnaissance
internationale[#2] que n'aura
jamais aucun type de contrat d'union civile — toute personne qui
argumente contre le mariage des couples du même sexe et qui prétend
dire autre chose que ben tant pis pour vous, vous n'aviez qu'à être
hétéros devrait au moins faire semblant de répondre à cette
revendication.
[#] J'écris en
situation de procréer : parce que ce n'est pas une question de
pouvoir. Et, de fait, souvent, quand un couple, disons, de
lesbiennes, veut à tout prix avoir un enfant, plutôt que d'essayer
d'adopter, elles vont trouver un homme — typiquement gay —
dans leurs amis pour servir de père. Ça, on peut difficilement les en
empêcher : tout ce que la Loi peut faire (et, en France, fait), c'est
ne reconnaître aucun droit sur l'enfant à la femme qui n'en est pas la
mère biologique (et savoir si c'est dans l'intérêt de l'enfant est,
disons, sujet à débat).
[#2] Pas dans tous les
pays, évidemment, mais au moins dans tous ceux qui admettent pour leur
part le mariage de couples du même sexe et dans quelques
autres (par exemple Israël, suite à une décision de la Cour
suprême du pays ; mais on pourrait citer, au moins dans une certaine
mesure, la France, qui il y a quelques mois a reconnu le droit pour un
couple d'hommes légalement mariés aux Pays-Bas de remplir une
déclaration d'impôts commune — alors qu'un
couple PACSé en France peut toujours se brosser
pour essayer de faire reconnaître son union n'importe où
ailleurs).
Quelques réflexions sur le mariage de couples de même sexe
Le 4 novembre, les Américains ne voteront pas seulement pour élire
(ceux qui éliront) leur président et plein d'autres gens (le tiers de
leurs sénateurs, tous leurs représentants et un certain nombre de
gouverneurs) : il y a également des referenda locaux. Dans plusieurs
États (au moins la Californie, la Floride et l'Arizona), cette année,
une proposition est mise aux voix d'amender la constitution (de l'État
en question) pour faire interdire le mariage des couples de même sexe.
La proposition en Californie (connue sous le nom
de Proposition 8) a sans doute le plus attiré l'attention
puisqu'elle vise spécifiquement à rendre caduque une décision de la
Cour suprême de l'État datant du 2008-05-15 et interprétant la
constitution de l'État comme impliquant le droit de se marier pour les
couples de même sexe. Avant de lire plus loin, on peut regarder les
arguments
des partisans
et
des adversaires[#]
de l'amendement. Actuellement, les sondages semblent donner
un très
léger avantage au non (c'est-à-dire pour maintenir la
constitution comme elle est, i.e., ne pas interdire le mariage de
couples du même sexe), mais on ferait mieux
de ne
pas trop parier dessus.
Laissant de côté la question de l'adoption (mise à jour :
voir l'entrée suivante), qui appartient sans
doute à l'avenir (et qui concerne peu de gens, finalement), le combat
contre le droit au mariage des couples de même sexe est
indiscutablement un combat d'arrière-garde. Je veux dire, dans un
sens purement objectif : ce droit finira par être conquis dans tous
les pays où les droits de l'homme sont généralement respectés.
Notamment, je n'ai aucun doute sur le fait qu'il arrivera en France,
qui n'est pas sociologiquement très différent de la Belgique et de
l'Espagne et qui peut s'inspirer de leur exemple — ce n'est
qu'une question de temps, c'est-à-dire, du hasard du passage des
majorités politiques, qui fait qu'en 1999 la France était plutôt en
avance et que neuf ans plus tard elle est plutôt en retard. Tout ceci
étant dit sans aucun jugement particulier (d'aucuns pourront trouver
que l'avance et le retard dont on parle sont sur une voie de décadence
et de dépravation des valeurs de la famille — on aura deviné que
ce n'est pas mon avis).
Mais les États-Unis ont l'air d'avoir une façon différente de faire
des progrès sur les questions sociétales : ce sont les juges et les
cours de justice, plus que les hommes politiques, qui les font
avancer. En France, le droit à l'avortement est venu avec
la loi Veil de 1975 ; aux États-Unis, c'est
une décision[#2]
de la Cour suprême de l'Union (en 1973), et, de façon générale, cette
même Cour suprême, sous les présidences
Warren
(1953–1969)
et Burger
(1968–1986), a fait faire au pays un grand nombre d'avances dans
le domaine des libertés individuelles. Donc je n'étais pas surpris
que ce soient, de nouveau, des
juges[#3] qui aient constaté
qu'il était discriminatoire de subordonner le droit au mariage au sexe
des contractants. C'est sans doute à la fois la différence
entre Common law et Jus
civile qui joue mais aussi une différence entre Amérique et Europe
(en Angleterre, le pays qui a inventé le Common
law, c'est la loi qui a rendu l'avortement légal).
L'idée d'aller opérer sur la constitution de l'État pour résoudre
une question politique et donner tort aux juges devrait être prise en
général avec d'infinies précautions, et ici je la trouve
particulièrement répugnante. J'attends encore de voir une seule
raison pour laquelle deux femmes n'auraient pas droit de se marier
alors qu'un homme et une femme (même s'ils n'ont pas l'intention, ou
pas la possibilité, de procréer) l'auraient, qui ne se résume pas
à Dieu l'a dit (ou, de façon presque équivalente, nous
sommes plus nombreux que vous, argument qu'on peut camoufler sous
différentes formes d'appels ad naturam).
Un ami (hétérosexuel) me disait il n'y a pas longtemps ne pas
comprendre les gens qui s'opposent au droit au mariage des couples de
même sexe, mais ne pas non plus comprendre ceux qui le revendiquent,
et notamment ceux qui réclament à tout prix le terme de mariage
(par opposition à un contrat civil qui en donnerait tous les droits,
comme c'est le cas en Allemagne). En théorie, ce serait effectivement
satisfaisant (quoique, en théorie, je voudrais sans doute en fait que
la Loi ignore complètement le mot mariage). Mais en pratique
les droits ne sont jamais égaux, on découvre qu'il y a toujours des
petits caractères quelque part (la possibilité de l'acquisition de la
nationalité pour le conjoint serait un exemple typique). Et même si
la Loi ne fait pas de distinction de droit entre le mariage et tel
type de contrat, des tiers peuvent en faire : que sais-je ? des
contrats d'assurance, des offres commerciales, des conventions
d'entreprises, ou toutes sortes de règles privées qui n'auraient pas
le droit de faire de la discrimination selon l'orientation sexuelle
mais qui auraient le droit d'en faire selon le type de contrat conclu
— et il est plus simple pour la Loi d'uniformiser le mariage que
de légiférer sur l'interdiction de différentier entre mariage et
contrat d'union civile. De toute façon, il y a des tiers puissants
contre lesquels on ne peut rien : les autres États ; et même si
ceux-ci reconnaissent les mariages de couples de même sexe conclus
ailleurs, ils ne les reconnaîtront que sous le nom mariage,
donc le nom mariage est important, ce n'est pas qu'une question
de principe : de nouveau, il est plus simple pour l'État d'uniformiser
le mariage que de négocier avec toutes sortes d'autres États la
reconnaissance au-delà des frontières de son contrat d'union
civile.
Comme les émotions sont souvent plus aptes à convaincre que les
arguments rationnels,
voici une
vidéo que je trouve assez émouvante (le maire républicain de San
Diego témoigne de son changement d'avis sur la question des couples de
même sexe).
[#] Toute similarité de
cette dernière pub avec des pubs bien connues d'Apple n'est sans doute
pas accidentelle : Apple fait partie
de ceux
qui soutiennent la campagne du non.
[#2] Indubitablement la
plus célèbre et la plus controversée de l'histoire de cette Cour, et
aussi la seule que sache citer certaine candidate à la vice-présidence
des États-Unis.
[#3] Je suis modérément
surpris, tout de même, que des juges de l'État de Californie aient osé
ça. Car contrairement aux juges de la Cour suprême de l'Union, qui
sont nommés à vie, et peuvent donc n'écouter que leur
conscience (pour le meilleur ou pour le pire…), ceux de la Cour
suprême de l'État de Californie peuvent être révoqués par les
électeurs de l'État. (Le fait que les juges soient responsables
devant les citoyens est, d'ailleurs, à mon avis, un grave problème,
que je crois me rappeler que Tocqueville soulignait déjà : la Loi doit
peut-être être l'expression de la volonté de la majorité, mais la
Justice ne doit sûrement pas.)
Il faut que je précise que j'ai un faible particulier pour les
films qui reconstituent le Zeitgeist d'une époque récente ou
retracent l'histoire d'une période telle que vue à travers les yeux de
personnages auxquels on s'attache. En fait, ce sont les films qui
m'arrachent le plus facilement des
larmes[#] alors que les drames
sentimentaux n'y parviennent généralement pas. J'ai tenté de faire
quelque chose de semblable
dans un
ou deux de mes fragments littéraires gratuits, mais
sans grand succès je le crains.
Par
exemple, La
meglio gioventù (Nos meilleures années) fait
partie de mes films préférés, bien
que je n'aie pas spécialement connaissance de la façon dont l'Italie a
vécu les années en question ; et dans un genre un peu différent, je
pourrais
citer C.R.A.Z.Y. (qui se
concentre tout de même plus sur la vie de la famille que sur
l'atmosphère de l'époque). S'il pouvait être aussi réussi
que Nos meilleures années, un film qui retracerait,
disons, les trente ou quarante dernières années en France (notamment
les années Mitterrand, pour lesquelles j'ai un
souvenir attendri) ferait
certainement un film que j'adorerais (surtout s'il y avait en bonus un
personnage auquel je m'identifierais particulièrement, comme un garçon
homo[#2] d'à peu près mon
âge).
Tout ça pour dire que je partais particulièrement bon public
pour Nés en
68, qui colle à la description que je viens de faire dans
la seconde partie de la phrase précédente. Vu que j'ai bien aimé mais
que je n'en ressors pas non plus complètement emballé, il faut croire
que ce n'est pas aussi réussi que Nos meilleures années.
Les principaux reproches que je pourrais lui faire sont d'abord qu'il
y a des longueurs ou des scènes vraiment trop appuyées, ensuite que
certains événements sont plaqués sur l'histoire des personnages de
façon tellement artificielle que ça ne passe pas (ou alors c'est
plutôt censé être un clin d'œil, comme les images du World Trade
Center en flammes qui apparaissent sur un écran de télé que personne
ne regarde). Et Lætitia Casta, même si elle ne s'en sort pas trop mal
dans le rôle le plus important du film (et arrive presque à faire
croire qu'elle a cinquante ans), est tout de même un peu casse-nerfs à
mon goût.
Nés en 68[#3],
donc, trace le parcours d'un petit groupe de personnages, dont
essentiellement trois qui sont au départ des sorbonnards gauchistes,
et leurs enfants, sur une période de quarante ans (mais en se
concentrant tout de même sur l'intervalle de 1968 à 1999). À travers
eux, les événements qui ont marqué la France pendant cette période,
tels que vus et commentés par des ex-hippies (je pense qu'on ne doit
guère avoir de chance d'aimer ce film si on n'est pas au moins un peu
gauchiste dans l'âme) : la loi Veil, l'élection de Mitterrand, les
années Sida, le passage de Le Pen au second tour, et ça se finit avec
les déclarations de l'actuel président de la République au sujet de
l'héritage de mai '68. Avec comme thèmes importants : la vision
hippie de l'amour libre et de la communauté, le militantisme politique
et la désillusion, et l'activisme gay (un des personnages milite à Act
Up). Si on est branché par ça, alors je recommande.
(Hum, je viens de remarquer qu'Olivier Ducastel et Jacques
Martineau — les metteurs en scène — sont aussi ceux qui
ont fait Drôle de
Félix, Ma
vraie vie à Rouen
et Crustacés et
Coquillages — j'ai d'ailleurs beaucoup aimé ce
dernier, moins les deux d'avant. Donc le fait qu'il y ait au moins un
personnage homo était assez prévisible.)
Ah, et j'ai bien aimé la BO,
aussi.
Si ça vous intéresse mais que vous n'avez pas la patience de passer
au cinéma les 173 minutes que dure le film, il semble qu'il sortira
sur Arte en octobre (en deux moitiés, au total un peu plus long que
celui qui est actuellement en salles). Je peux aussi faire un lien
vers
la bande-annonce.
[#] Je ne parle même pas
spécialement des passages tristes : ce sont plutôt des larmes de
nostalgie, des larmes issues de la pensée moi aussi, j'ai vécu
ça, que des larmes de tristesse. Par exemple,
si Good bye, Lenin! m'a
ému au point de me faire pleurer, c'est que la chute du mur de Berlin
est quelque chose qui m'a énormément marqué quand j'étais petit, le
sentiment de vivre en direct un moment historique (la demi-génération
d'avant retiendrait sans doute le pied d'Armstrong posé sur la Lune,
la demi-génération d'après les attentats du 11 septembre 2001).
[#2] Si le garçon en
question est joué par un acteur extrêmement mignon (en l'occurrence
Théo Frilet, c'est lui qu'on voit sur
l'affiche
du film, et j'avoue que ça a pu m'inciter à le voir), ce n'est pas
plus mal non plus.
[#3] Le titre est
mensonger, d'ailleurs : les personnages de la seconde génération sont,
si j'ai bien suivi, nés en quelque chose comme '69 (Ludmilla et
Christophe), '71 (Boris, celui qui est joué par Théo Frilet), et '80
(Joseph).
Aujourd'hui on a deux fragments
pour le prix d'un.
Un instant, Gilles se laisse faire. Un seul instant, avant de me
rejeter violemment.
— T'es un putain de pédé !
C'est plus une explosion qu'une phrase : il prononce les premiers
mots doucement, puis de plus en plus vite et de plus en plus fort.
Hurlant, il répète encore : T'es qu'un putain
de pédé ! Et se tait soudainement, les yeux dilatés, les
narines écartées. Il me fait penser à un taureau prêt à ruer. Au
loin, un passant s'arrête une seconde, puis presse le pas.
Je recule un peu, juste un peu. Je n'ai pas peur, je suis
seulement curieux de savoir ce qu'il va faire. Je lui jette un regard
qui doit passer pour narquois. Peut-être que je hoche la tête, je ne
sais pas.
Il est vraiment beau, le con.
— T'étais qu'un pédé. Putain, Stéphane ! Putain, mais c'est
pas vrai… Dis-moi qu'c'est pas vrai.
Il n'a pas rué. Il ne m'a pas frappé. Est-ce qu'il y a de la
tristesse dans sa voix maintenant ? Peut-être pas. Mais ce n'est
déjà plus la rage de la surprise. Plutôt la colère qu'il ressent face
à ce qu'il doit considérer comme une trahison. Il pense que je suis
passé de l'autre côté — celui des fiotes, des tapettes.
— Et moi je t'aimais, bordel. Je t'aimais comme un frère.
Tu peux pas comprendre ça, hein ? Toi tu pensais qu'à me
sucer…
Le reproche est d'autant plus injuste qu'il mêle vérité et erreur.
Pourtant, il ne m'atteint pas. Puis Gilles me tombe dessus, me
plaque à terre.
— Moi j'aurais donné ma vie pour toi. Je te croyais ami. Et
toi tu voulais juste me baiser.
Toujours pas de coups. Puis un seul, sans énergie. Est-ce qu'il
se retient ? Ou est-ce qu'au contraire il cherche à se convaincre de
me frapper ? Est-ce qu'il croit être physiquement plus fort que moi,
maintenant que je suis « devenu » pédé ? Il répète plusieurs fois sa
dernière phrase, en variant légèrement le ton. Comme un acteur qui
cherche à entrer dans son rôle, n'y arrive pas. Je me dis qu'il sait
très bien que c'est faux.
Il me garde longtemps à terre. Je me demande s'il se rend compte
que la situation pourrait passer pour érotique. Je finis par en avoir
marre : je me dégage. Je lui fous une baffe :
— Maintenant ça suffit, merde. Oui, je suis un putain de
pédé, comme tu dis. La différence entre nous deux, c'est que j'ose
dire en face ce que je suis.
Cette fois c'est lui qui recule. D'abord d'un mètre, comme si un
serpent l'avait mordu. Puis, sans un mot de plus, il part en
courant.
Je viens de voir הבועה (The Bubble), film israélien dont l'argument
principal est une histoire d'amour entre un Juif de Tel-Aviv (Noam) et
un Palestinien de Naplouse (Ashraf). Contrairement à d'autres films
de même genre, celui-ci a eu la chance de sortir en France sur un
circuit de distribution standard (et pas seulement, par exemple, au Mk2
Beaubourg) ; les critiques en ont été globalement bonnes, et je
suis assez d'accord. C'est parfois un peu facile ou simpliste (disons
que le réalisme est écarté quand il ennuie les scénaristes), le
message politique est gentillet, mais c'est aussi ce côté un peu
« conte de fées » qui rend l'histoire et les personnages attachants.
Et il y a une part intéressante d'autodérision du milieu pédé de
Tel-Aviv complètement dans sa bulle, ou de la gauche
israélienne pleine de bonne volonté mais un peu déconnectée de la
réalité. À part la fin que je n'ai pas trop aimée (il faut dire qu'il
était sans doute difficile de « bien » finir : sans doute eût-il été
plus sage de s'arrêter sans chercher à conclure), je suis content : je
recommande donc de le voir (avant qu'il disparaisse des cinémas,
mardi, j'imagine).
Ça fait
aujourd'hui un an que nous sommes
ensemble, et même si je regrette que quatre de ces douze mois
aient été passés à longue distance
(mais le compteur a dépassé les 80%,
youpi !), je continue à voir des petits cœurs et des petites
étoiles partout. Mais comme il paraît que je suis ennuyeux à trop dire que je suis amoureux, je vais
éviter de trop me répéter.
Quelle chance j'ai, cependant, d'avoir grandi à une époque, dans un
pays et dans un milieu tels que je n'ai pas une seule fois eu à
souffir de l'homophobie ! Certes Paris n'est pas encore tout à fait
au niveau de Toronto[#] ; mais si
je ne fais normalement pas de bisous à mon copain dans la rue c'est
plus par pudeur générale que spécialement parce que nous sommes deux
garçons. Certes, j'ai attendu l'âge de 22 ans[#2] avant de dire que j'étais homo ;
mais quand je l'ai fait je n'ai recueilli que des réactions positives
(au sens large, tout de même ). Tellement de chance,
en fait, que j'ai tendance à prendre ça pour acquis, alors que ce ne
l'est pas forcément pour tout le monde : même à l'ENS, où
la tolérance et la visibilité homosexuelle sont, disons, visibles[#3], il y en a toujours qui ont
beaucoup de difficulté à s'assumer. (Et si j'ai des exemples en tête,
c'est aussi parce que j'ai parfois pu faire un peu pour aider dans ce
sens certaines des personnes concernées.)
[#] Les paris sont
ouverts pour savoir en quelle année (≥2012, manifestement) les
mariages des couples de même sexe seront reconnus en France… Je
ne suis pas spécialement un militant de cette cause, mais je suis
persuadé qu'elle finira par s'imposer comme une évidence : la question
est, combien de temps on peut refuser de voir l'évidence.
[#2] Soit quelque chose
comme 8–9 ans « dans le placard » : mais maintenant j'en ai
passé à peu près autant « en-dehors ».
[#3] Grâces soient
rendues au très sérieux club Chaises longues et Journalisme
d'investigation (et à son fondateur, le mystérieux M), le mensuel Têtu est maintenant déposé
régulièrement dans la K-fêt des élèves, ainsi que d'autres monuments
au prix Pulitzer : Gala, L'Équipe,
Jeune & Jolie et l'incontournable Journal de
Mickey. Car à Normale Sup` nous sommes tolérants de tous les
modes de vie et toutes les sexualités… et nous apprécions
l'humour glacé et sophistiqué du 5824e degré.
Je me plains périodiquement que Têtu est un torchon branchouille-snob et vide de contenu.
Pour être honnête, je ne sais pas s'il pourrait vraiment en être
autrement : je ne suis pas certain de ce qui devrait figurer,
dans le meilleur des mondes, dans un magazine gay et lesbien (enfin,
s'agissant de Têtu, le et lesbien il faut le dire
très très vite) qui ne soit pas totalement nul ; j'ai l'impression que
Têtu eut été moins nul, mais ce n'est peut-être qu'une
illusion, un souvenir faux du temps où j'étais jeune-con-et-fou (ce
qui est vrai, en revanche, c'est qu'il y eut un temps où la couverture
ne représentait pas systématiquement un minet à poil[#]). Il y eut même un temps où on
eut vu une femme en couverture de Têtu : si, si,
c'est possible : sur le nº38 (octobre 1999), par exemple. il y a une
jolie photo de Christine
Angot en couverture. Passons.
Pourtant, il m'arrive encore de l'acheter. Pourquoi ? À la
limite, ce n'est même pas pour le lire : c'est parce qu'acheter
Têtu, vu qu'il s'agit du seul magazine gay que le grand
public connaît, c'est dire publiquement je suis pédé : c'est un
exercice qui a du bon, de temps en temps. Pour le jeune homo ne
s'assumant pas du tout que j'ai été un jour, ce fut un peu une épreuve
initiatique, d'aller à un kiosque et de l'acheter. Et de se rendre
compte, bien entendu, que le buraliste n'allait pas soulever un
sourcil, parce qu'il n'en a vraiment rien à foutre ; il arrive
cependant qu'on ait droit à un sourire complice (ou est-ce mon
imagination ?). S'abonner, c'est trop facile : ce qui est intéressant
c'est de l'acheter en public, et éventuellement de le lire en public.
Il est à soupçonner que les évolutions de la société rendant de moins
en moins difficile l'achat de Têtu (aujourd'hui ça
s'achète vraiment partout, ce n'est pas du
tout Le Gai Pied) sont compensées par les couvertures
et les titres toujours plus aguicheurs, comme s'il fallait que
l'épreuve initiatique reste de difficulté constante.
Aujourd'hui, découvrant que mon magasin Champion (qui
s'est étendu récemment, j'en ai déjà dit
un mot) vendait maintenant aussi la presse, j'en ai acheté un
exemplaire, qui promettait de dévoiler les secrets de l'orgasme
entre hommes (résultat : le caissier n'a pas soulevé un sourcil).
Eh bien, c'est tout aussi vide de contenu que d'habitude.
Bref, Têtu est emblématique. C'est juste dommage que
l'emblème soit aussi nul.
[#] Je dis bien à
poil. On n'est pas prêt de voir un mec à poils en
couverture de Têtu.
Comme les autres soixanteseiziens
(Matoo, si par hasard tu me lis, tu me rajoutes à la liste ?), il faut
que je me prépare psychologiquement à franchir une des « barres en
-taine » qui ponctuent la vie (mettons même la première[#]). Le point à partir duquel on ne
peut décidément plus se faire passer pour un « jeune », même en
étirant le concept, le moment où il faut se mettre à mentir sur son
âge dans les chats gay , etc. Pour moi (pour nous) c'est dans deux mois.
Si je suis plus qu'un peu complexé par mon âge (même si j'en
rajoute souvent pour la forme), et ce n'est pas si commun à trente
ans, certaines raisons sont faciles à deviner : le milieu homo, pour
commencer, est incroyablement « jeuniste »[#2][#3] et à trente ans on passe déjà
pour un vieux schnock, pour lequel un manque d'expérience comme le
mien est pathétique et irrécupérable. Mais plus généralement, quand
je réfléchis à ces dix dernières années, j'ai assez le sentiment
d'avoir « tourné en rond », si j'ose dire, et arrivé à trente ans j'ai
envie de demander : Attendez, il y a des choses que j'ai oublié de
faire, à vingt-deux ans, à vingt-cinq, et à vingt-sept : est-ce qu'on
peut revenir[#4] en arrière ?Hélas,
The Moving Finger writes; and, having writ, Moves on: nor all
your Piety nor Wit Shall lure it back to cancel half a
Line, Nor all your Tears wash out a Word of it.
Plusieurs de mes amis de mon âge ont maintenant des enfants : c'est
certainement une façon, en se prolongeant, de ne pas penser à son
propre âge et d'aspirer à l'éternité.
Pour ma part, je ne me sens pas la moindre envie (frustrée) d'en
avoir[#5]. En revanche, il est
vrai que beaucoup de gens que je fréquente (voire, que je considère
comme des amis) sont plus jeunes que moi : reste à savoir si c'est un
facteur ou une conséquence de mon complexe sur mon âge (je crois
plutôt que c'est une conséquence, mais ça pourrait être les deux).
Bref, peut-on être heureux d'avoir trente ans ? Je suis persuadé
qu'on peut, et je pense même avoir des exemples. Mais moi je
ne crois pas y arriver. Du coup, j'ai l'intention de ne pas fêter mon
anniversaire cette année (ni à l'avenir, jusqu'à ce qu'éventuellement
j'arrive à dépasser cette façon de voir les choses) : ceci étant, je
compte quand même faire une fête pour rassembler des amis, peut-être
quelque chose comme le 3 juillet[#6], pour célébrer un de mes non-anniversaires.
[#] Pour éviter que
quelqu'un fasse remarquer que vingtaine finit aussi en -taine,
je m'explique : je ne pense pas qu'on considère normalement que les
vingt ans soient une barre à franchir, en tout cas je ne l'ai
pas vécu comme ça. D'ailleurs, il y a une définition simple de la
vieillesse : on est devenu vieux lorsque chaque anniversaire, chaque
année qui passe, cesse d'être perçue comme quelque chose qu'on a
gagné pour devenir quelque chose qu'on a perdu. Je
crois pour ma part que c'est à peu près à 24–25 ans que j'ai
changé d'optique. Selon cette définition, il y a des gens heureux qui
arrivent à être encore jeunes à 80 ans (pas vingt-quatre :
quatre-vingts) : comme ils ont de la chance !
[#2] Si tout le monde est
attiré par les gens plus jeunes que soi, forcément, il va y avoir un
problème quelque part.
[#3] Le milieu
mathématique aussi, d'ailleurs, même s'il a au moins le tact
d'attendre quarante ans avant de vous rappeler qu'il est maintenant
trop tard pour la médaille Fields et cinquante avant de vous mettre à
la porte de Bourbaki. Je crois que beaucoup vient de cette phrase de
G. H. Hardy
qui, dans l'Apologie d'un mathématicien, écrit : No
mathematician should ever allow himself to forget that mathematics,
more than any other art or science, is a young man's game. […]
I do not know an instance of a major mathematical advance initiated by
a man past fifty. (Hardy, quand il écrivait ça, à soixante-trois
ans, pouvait se vanter d'avoir effectivement apporté une contribution
significative aux mathématiques. Accessoirement, pour ce qui est de
son homosexualité, Littlewood l'a un jour qualifié de
non-pratiquant… ce qui laisse à se poser des
questions.)
[#4] Pas que j'aie
spécialement envie de revivre tout ce temps, cependant : il y
a bien des choses, sur ces dix dernières années, que je suis content
d'avoir derrière moi. Ce n'est même pas tant que j'aurais envie de
corriger des choses : simplement d'en rajouter.
[#5] Entre autres parce
que le cynique en moi a tendence à considérer que ce n'est pas un
cadeau à faire à quelqu'un que de le faire naître dans le monde où
nous sommes. Mais surtout, m'avoir pour père, en tout cas tel que je
suis maintenant, ce n'est vraiment pas quelque chose qu'on peut
souhaiter à qui que ce soit.
[#6] L'avantage
pratique étant qu'il sera beaucoup plus facile de rassembler des gens
début juillet que début août.
J'ai souvent exprimé mon intérêt
pour les fictions (ou semi-fictions) qui arrivent à capturer
l'« esprit » d'une époque ou d'une année (surtout assez récente). De
ce point de vue, The Line of Beauty d'Allan Hollinghurst,
comme un tableau de l'Angleterre de Thatcher, est assez
impressionnant : le personnage du Premier ministre (qu'on appelle
généralement the Lady, avec un trémolo dans la
voix), presque sans apparaître directement, plane sur l'histoire d'un
bout à l'autre, et contribue certainement pour beaucoup à cette
impression saisissante de réalisme.
L'histoire est celle d'un jeune homme anglais, Nicholas Guest, qui
habite, entre 1983 et 1987, à Notting Hill, chez la famille d'un
député (un empee) conservateur anglais, Gerald
Fedden, dont il a rencontré le fils à Oxford. Il s'agit donc
notamment d'une occasion pour peindre le portrait de la riche société
anglaise des années '80, vue par quelqu'un qui l'admire mais qui n'en
fait pas vraiment partie (ou qui essaie). Hollinghurst a un talent
incontestable pour rendre la personnalité de ses héros, dont chacun a
un caractère riche et finement analysé, aussi bien les personnages
principaux (qui apparaissent comme plutôt sympathiques, ou en tout
cas, très humains) que des caractères plus secondaires (parfois hauts
en couleur, comme tel millionnaire libanais arrogant).
Quant à la maîtrise du style, elle est tout simplement
époustouflante :
The service stairs were next to the main stairs, separated only by
a wall, but what a difference there was between them: the narrow black
stairs, dangerously unrailed, under the bleak gleam of a skylight,
each step worn down to a steep hollow, turned tightly in a deep grey
shaft; whereas the great main sweep, a miracle of cantilevers,
dividing and joining again, was hung with the portraits of
prince-bishops, and had ears of corn in its wrought-iron banisters
that trembled to the tread. It was glory at last, an escalation of
delight, from which small doors, flush with the panelling, moved by
levers below the prince-bishops' high-heeled and rosetted shoes, gave
access, at every turn, to the black stairs, and their treacherous
gloom. How quickly, without noticing, one ran from one to the other,
after the proud White Rabbit, a well-known Old Harrovian porn star
with a sphincter that winked as bells rang, crowds murmured and
pigeons flopped about the dormer window while Nick woke and turned in
his own little room again, in the comfortable anticlimax of home.
Je vous rassure cependant : tout n'est pas dans ce genre, ce serait
vite indigeste — mais l'auteur a manifestement une maîtrise
exceptionnelle de la langue (qui tourne parfois à l'esthétisme, mais
rarement à la lourdeur). D'ailleurs, si le livre a reçu le Booker Prize 2004, ce n'est sans doute pas un
hasard.
Et une autre figure (à part Margaret Thatcher) qui plane sur le
roman, c'est celle de Henry James (appelé, quant à lui, the Master), sur lequel le héros écrit une thèse,
dont il (Nicholas Guest) cherche à copier le style jusque dans sa
conversation (comme quand il décrit quelqu'un de chauve : a trifle too punctually, though not yet quite
lamentably, bald), et dont il se demande régulièrement ce qu'il
(le Maître) aurait pensé de telle ou telle situation. N'ayant pas,
moi-même, lu d'œuvre de James, je ne sais pas exactement dans
quel mesure Hollinghurst l'imite ou s'en inspire, mais je devine
facilement que le regard porté sur la société anglaise a effectivement
quelque chose de très jamesien.
Mais la décennie '80 est aussi dominée par le
SIDA, et Nick, qui assume ouvertement, quoique
timidement, son homosexualité, doit y faire face comme il doit faire
face à des réactions d'intolérance ou d'incompréhension face à ce qui
(les relations entre deux adultes consentants de même sexe) n'est plus
un crime depuis '67 mais peut encore provoquer des scandales
politiques. Ce n'est pas tant la vie gay londonienne qui est décrite
(ou seulement obliquement, telle que la vivent, marginalement, Nick et
son amant) que les petits mensonges hypocrites ou grosses mises en
scène derrière lesquels on se cache pour éviter de dire qu'untel et
untel couchent ensemble ou que si untel est en train de mourir c'est à
cause du SIDA. Mensonges que la fille du député,
Catherine Fedden, ne supporte décidément pas, elle dont la sensibilité
politique va décidément heurter celle de sa famille.
Bref, un excellent roman. (Pourtant, normalement, je n'aime pas
les pavés, et là il fait tout de même 500 pages. Mais on ne s'ennuie
presque jamais.) En voici une critique par le
London Review of Books.
Toujours pas de résultats de mes auditions (l'attente est vraiment
atroce), et je ne suis pas encore en
état de manger des aliments solides, donc je vais passer l'heure
du déjeuner à parler d'autre chose.
Je suis allé voir C.R.A.Z.Y.
et j'en ressors avec l'impression générale suivante : c'est un très
bon film (j'ai vraiment beaucoup aimé), mais il aurait facilement pu
être encore meilleur (et du coup c'est un peu dommage).
En bref, il s'agit de l'histoire — à travers deux décennies
— d'une famille québecoise, les Beaulieu, avec cinq fils (dont
les noms ont pour initiales les lettres du titre : Christian
l'intello, Raymond le mauvais garçon, Antoine le sportif, Zachary le
personnage principal et Yvan le petit dernier), vue de la perspective
de l'avant-dernier, Zach, né le jour de Noël 1960, de son rapport avec
ses parents, ses frères, la musique, les garçons…
Là où le film est vraiment excellent, c'est pour ce qui est de
capturer l'esprit du temps : les
années '60, puis '70, puis le début des années '80, à travers le style
vestimentaire, la décoration intérieure, et surtout l'ambiance
musicale (si le père Beaulieu aime Aznavour et tient à chanter
Emmenez-moi à chaque Noël, Zach, lui, est fan de David
Bowie). La manière dont on voit les enfants grandir est simplement
vraie à tel point que ç'en est frappant. (Mais il faut dire
que je suis bon public pour ce genre de fresques historiques
familiales : par exemple j'avais énormément aiméLa
meglio gioventù (Nos meilleures années).) Et
j'ai trouvé touchante la manière dont on nous montre Zach prenant
(difficilement) conscience de son homosexualité et arrivant (encore
plus difficilement) à l'assumer dans une famille québecoise
catholique. (Le mot québecois pour pédé est fif, comme
je le savais à cause du titre de la fort intéressante étude Mort
ou Fif sur le suicide des jeunes homos. D'ailleurs, il est
amusant de voir que pour la diffusion de C.R.A.Z.Y. en
France, les producteurs ont cru bon de sous-titrer certaines
répliques, des fois que les gens ne comprendraient pas bien le
québecois.)
Le principal reproche que je ferais, en revanche, c'est que c'est
parfois un peu brouillon. Que le ton hésite entre le sérieux et le
comique, ce n'est pas un reproche, mais disons qu'on passe parfois de
façon vraiment inattendue de l'anecdotique au drame ou vice versa, et
que cela peut donner une impression de manque de punch, ou de
construction un peu lacunaire. Disons que c'est j'ai le sentiment que
le montage aurait pu être plus resserré ; ou que certains éléments
sont introduits, puis oubliés aussitôt, sans avoir vraiment servi,
comme si les scénaristes avaient changé d'avis mais sans corrigé ce
qu'ils avaient écrit. Ceci dit, ce reproche (somme toute léger) ne
suffit pas à entamer sérieusement mon enthousiasme pour ce film. Que
je recommande donc.
Je viens de finir de lire ce petit livre d'Élisabeth Badinter
(XY — de l'identité masculine, qui n'a pas de
rapport avec le magazine). Comme son
nom l'indique, il s'agit d'un essai (tiré de séminaires donnés par
l'auteur à l'École polytechnique dans les années '80) sur l'identité
masculine, structuré en deux grandes parties : Construire un
mâle et Être un homme.
Pendant des siècles, les hommes (viri) ont
cherché à identifier leur identité à celle de l'humanité tout entière
(homines) si bien qu'on a beaucoup plus de mal à
cerner, maintenant, ce qu'est l'identité masculine que ce qu'est
l'identité féminine. Et, lorsqu'on entend dire à un garçon sois un
homme (un vrai) ! ce n'est pas le pendant d'une fille à qui on
dirait — et cela semble plus rare — sois une femme (une
vraie) ! ; le continent inconnu, de nos jours, nous explique
É. Badinter, ce n'est plus la femme, c'est l'homme. Et c'est de cette
interrogation qu'elle part pour tenter de comprendre comment un homme
se construit, ce qu'il est, et ce qu'il doit être. Elle note
judicieusement : Contrairement à la vieille histoire de la
damnation d'Ève, Dieu s'est fait son complice. Non seulement il a ôté
le pouvoir créateur à Adam pour le donner à sa compagne, mais du même
coup, il a accordé aux femmes le privilège de naître d'un ventre du
même sexe. Il leur a ainsi épargné tout un travail de différenciation
et d'opposition qui marque de façon indélébile le destin masculin.
Car encore maintenant ce sont souvent beaucoup plus les mères que les
pères qui élèvent les enfants : on sait combien Élisabeth Badinter
combat cette idée que les rôles des parents seraient figés et que
l'instinct maternel aurait quelque chose d'unique. En
attendant, pour parodier Simone de Beauvoir : On ne naît pas homme,
on le devient.
J'ai déjà expliqué à de nombreuses
reprises que j'avais souffert, en tant qu'homosexuel, dans ma
construction de mon identité masculine (et gay) de cette idée —
absurde[#] — fréquemment
renvoyée par la société en général et parfois les homosexuels
eux-mêmes[#2], que l'homme
homosexuel est moins masculin que l'hétérosexuel. À ce sujet,
justement, É. Badinter met pas mal de points sur les ‘i’,
notamment dans la partie intitulée L'homosexuel est-il un homme
mutilé ?, examinant tour à tour des clichés opposés pour les
réfuter.
Bref, globalement, j'en conseille la lecture à tous les hommes, de
7 à 77 ans, quelle que soit leur perception personnelle de leur propre
identité masculine. Il est vrai que j'ai généralement de l'admiration
pour l'auteur. Le livre a
malheureusement l'air épuisé les jours impairs, ou peut-être selon la
phase de la lune, mais j'ai pu l'acheter sur
Amazon.fr et je l'ai vu récemment chez Gibert (dans une autre
édition, je ne sais pas si le contenu diffère).
[#] L'explication que je
propose à l'apparence qu'on peut avoir est que le phénomène
s'auto-entretient : si la rumeur populaire veut que les hommes
homosexuels soient moins masculins que les hétérosexuels, ceux
qui ne s'identifient pas à cette image vont avoir plus de mal à
s'assumer, donc être moins visibles, ou tout simplement moins
identifiables comme homosexuels, et du coup la rumeur semblera
confirmée. Il ne faut pas chercher plus loin. Ceci expliquerait
aussi pourquoi, dans des milieux traditionnellement considérés (et de
façon assez douteuse, aussi) comme très masculins, par exemple
l'armée : il n'y a pas d'homos, il n'y a que des hommes qui
s'aiment… On ne sort pas du raisonnement circulaire.
[#2] Par exemple dans
l'insistance que certains ont de parler d'eux au féminin (surtout au
féminin pluriel pour un collectif). Si j'objecte, on me rétorque
qu'il faut accepter sa part de féminité… bullshit : si j'appelle une femme Monsieur et
qu'elle s'en offusque, il me faudrait un sacré culot pour lui dire
qu'elle ne doit pas se vexer mais plutôt accepter sa part de
masculinité.
Il y a quelques années, je m'étais abonné à ce journal. Qui ensuite ne m'avait pas
envoyé un seul numéro : j'avais cru qu'ils m'avaient totalement oublié
(après avoir encaissé l'argent…), mais je ne me
sentais pas assez motivé pour leur casser les pieds à ce sujet, bref,
j'ai surtout complètement oublié l'affaire. Et voilà que cet
après-midi j'en reçois un numéro dans ma boîte aux lettres, de façon
complètement inattendue, accompagné d'un mot expliquant que le journal
avait failli cesser d'exister et qu'il reprenait maintenant en
espérant pouvoir désormais paraître mensuellement. Bon, je suis
peut-être un peu vieux pour le lire (déjà quand j'ai payé pour
l'abonnement, et à plus forte raison maintenant), parce que c'est
essentiellement pour les djeunz, mais ça va quand même être rigolo de
le recevoir. Beaucoup plus rigolo que Têtu, en tout cas, auquel
j'ai été abonné pendant un temps mais dont le côté branchouille-snob-vide-de-contenu a fini
par me casser les couilles sérieusement. Au moins, XY,
lui, ne se prend pas — mais pas du tout — au sérieux.
Pour commencer, leur couverture cite… l'article
Wikipédia qui leur est consacré : a brazenly honest gay youth
mag with rather dark sense of humor.
Il y a à peu près trois ans, au moment où j'ai commencé ce blog, j'avais une certaine
vie sociale : par exemple, je fréquentais une (voire deux) associations d'étudiants
gays&lesbiennes, je traînais sur des canaux IRC (je
veux dire, des canaux où les gens se rencontrent parfois en vrai, ils
ne se contentent pas de se parler virtuellement), je lisais un bon
nombre de blogs, et je sortais régulièrement (au moins pour me
promener). Et puis, je ne sais pas bien comment, mais sans doute à
cause de périodes de déprime que j'ai traversées, je me suis isolé de
tout ça. Un des prétextes que j(e m)'avance est que « je n'ai pas le
temps », mais, en fait, le temps a une bizarre propriété d'élasticité
qui est que quand on arrête de faire certaines choses parce qu'on est
débordé, on est toujours aussi débordé après qu'avant, donc ça doit
pouvoir marcher à l'envers. Bref, en ce moment, je me trouve trop
coupé du monde, il faut que je fasse un effort pour m'y replonger (au
moins dans la mesure où je l'ai déjà fait par le passé).
Tout le monde a déjà dit et écrit tant de choses sur
Mitterrand, en notamment à l'occasion du dixième anniversaire de sa
mort, que je me garderai bien d'en rajouter sur l'homme politique, et
ce d'autant plus facilement que je n'ai pas grand-chose à dire : ses
réformes politiques qui me paraissent admirables, comme l'abolition de
la peine de mort, elles ont été menées dans les toutes premières
années de son « règne », et j'étais bien trop jeune pour m'intéresser
à la politique en 1981. (D'ailleurs, la première fois que j'ai voté
c'était pour la présidentielle de '95, donc précisément à la fin de
son deuxième mandat.)
Ce qu'il semble le plus évident à dire, et assez incontestable,
c'est qu'il était d'une très grande intelligence et qu'il a marqué son
temps. Car ceux qui sont nés, ou ont passé l'essentiel de leur
enfance, pendant ces quatorze années de 1981 à 1995, portons volens
nolens le nom collectif de Génération Mitterrand :
aucun autre président français ne laisse son nom à une classe d'âge.
Du coup, le 8 janvier 1996 (je me rappelle très bien le moment où j'ai
appris sa mort : nous étions en cours de physique quand un ami me l'a
dit), je n'ai pas éprouvé une grande tristesse mais j'ai eu le
sentiment qu'un symbole de ma jeunesse venait de passer. (D'accord,
il y a un peu d'une interprétation a posteriori dans ce que
j'écris là, mais c'est tout de même assez vrai.) Déjà en '95 on
devait s'habituer à ce qu'un autre que lui puisse être président,
c'était assez étrange.
Mais c'est surtout le mystère de ses contradiction, probablement,
qui fascine. Certainement chaque homme a ses contradictions, et
certainement la vie politique les met en lumière de façon aiguë, mais
Mitterrand semble avoir cultivé leur mystère a un point très
particulier (en tout cas à partir de 1981) : il n'est pas un
compliment qu'on puisse lui faire qui ne doive aussitôt être suivi par
une nuance d'ombre, et pas un reproche qui ne soit à nuancer d'une
part de lumière. Tous les ingrédients sont rassemblés pour qu'il
puisse avoir des fans inconditionnels (comment s'appelle, au fait, ce
film qui dépeint justement une jeune fille totalement folle de
Mitterrand ? ah, on me répond dans les commentaires : Tontaine et
Tonton).
Une autre qui cultive le mystère (mais d'une
tout autre manière !) et dont on parle en ce moment, c'est Mylène
Farmer. J'ai du mal à voir ce qui, globalement, explique l'engouement
qu'elle provoque, à part le mystère à la fois autour de sa personne et
dans ses chansons. Isolement de la chanteuse : tour d'ivoire
— la métaphore de Sainte-Beuve ne s'est jamais aussi
parfaitement appliquée — dont je soupçonne fortement qu'elle
n'est pas tant due à un besoin personnel d'intimité (les vedettes qui
ont ce besoin réagissent de façon assez différente à la célébrité)
mais plutôt à une volonté de paraître énigmatique. Caractère
mystérieux des paroles : c'est très poétique, cela suggère plein de
choses, mais, globalement, ça ne veut vraiment rien dire, donc chacun
peut comprendre ce qu'il veut. Je précise que j'aime bien l'essentiel
de ce qu'elle fait (mais j'aime bien, c'est tout).
En revanche, je ne saisis absolument pas pourquoi elle s'est
imposée aussi évidemment comme une égérie gay : rien dans le contenu
de ce qu'elle écrit, pour autant que je sache, ne le laissait
particulièrement présager. Dans mon propre esprit, l'association
mentale existe parce que j'ai (inévitablement !) découvert sa musique
au moment où j'ai commencé à découvrir le milieu homo. Et c'est
inquiétant parce que, comme le disait cyniquement un ami à moi : Le
jour où, comme Dalida, elle va se suicider, on aura une énorme vague
de mortalité chez les pédés français. Mais bizarrement, je
l'imagine assez bien, elle, mourir sur scène, devant les projecteurs,
d'une mort bien orchestrée. Et emportant son secret avec elle, pour
que les exégètes puissent s'étriper encore longtemps après sur ce
qu'elle était vraiment.
Imaginez un groupe de gens (la K-fêt de l'ENS, mais
peu importe). Toutes les filles présentes forment un cercle autour
d'un mec. Ce mec[#] est homo.
Pourquoi ? (La réponse la plus évidente serait qu'elles sont filles à
pédé, mais je crois que ce n'est pas trop le cas.)
Je suis sûr qu'il y a quelque chose d'un peu profond à apprendre et
à comprendre sur le comportement des gens et sur leurs contradictions
et leurs absurdités, à partir de cette petite observation et de cette
question triviale. Mais quoi ?
[#] Juste pour éviter
les malentendus : ce n'est évidemment pas moi.
Tu entres, fatigué, dans ton appartement, et tu découvres avec
surprise que tu n'y es pas seul : une jeune fille que tu n'as jamais
vue t'attend sur la mezzanine du salon. Elle est jeune — à
peine pubère — et d'une beauté qui te laisse même toi
stupéfait : oui, c'est bien ainsi que tu peux imaginer la princesse
d'un conte de fées, symbole de la pureté innocente et de la
noblesse… Pourtant, le tissu léger et sans apprêt qui vêt cet
enfant signale que sa condition est tout autre. Son attitude est
celle de la soumission. Cherchant à ne pas trahir ta surprise, tu lui
demandes sa raison d'être là. Elle te répond simplement qu'elle est
un don que te fait le Prince : ta première impulsion est peut-être de
craindre les Grecs et ceux qui font des présents, mais il te faut un
temps pour comprendre ce que tu comprends — la monstruosité de
ce « cadeau » et de l'usage qu'on attend que tu en fasses. Toujours
en cherchant à dissimuler ton émotion, tu tentes de rassurer la jeune
fille, tu lui donnes ta parole qu'elle n'a rien à craindre et que tu
ne la toucheras pas. Cela ne semble pas l'affecter, elle se contente
de t'affirmer mécaniquement son obéissance, tu te demandes même si
elle n'est pas inquiète à la pensée de ne pas te plaire. Si un moment
tu ressens de la fierté à l'idée que tu arraches cette enfant à un
destin terrible, ensuite la certitude de ta vertu s'estompe à
l'instant où tu te demandes quelle aurait été ta réaction si le Prince
t'avait offert un garçon à la place. Or nul doute que son hospitalité
le poussera à te faire cette proposition quand il apprendra tes
goûts.
Cela fait maintenant plus de deux
ans que je bloggue et, dans cet intervalle, la « blogosphère
francophone » est vraiment devenue un phénomène de masse (disons qu'en
2003 le Français moyen ou même légèrement branché n'avait jamais
entendu le mot blog, en 2005 il est vraiment passé dans le
vocabulaire courant). Au centre de cette sphère, il semble y avoir un
petit cercle[#] assez fermé de
blogs généralement anciens tenus par des gens qui se connaissent, se
lisent les uns les autres, se référencent les uns les autres, et
évoquent généralement des sujets relativement semblables. Une partie
significative sont homos[#2],
d'ailleurs. Trouver quelques-uns de ces blogs (et donc, tous) devrait
être un exercice très facile : il n'est pas nécessaire que je
fournisse des exemples. Un observateur acerbe pourrait être tenté de
ridiculiser le nombre d'entrées de ces blogs consacrées à la
blogosphère elle-même, ses potins, ses blagues, ses mèmes qui passent d'un blog à
l'autre… un peu (dirait cet observateur acerbe) comme si les
célébrités du show-biz lisaient la presse people où on parle
d'elles. Je ne pense pas que ce soit une critique sérieuse :
c'est plutôt, en fait, un signe de santé, un indice d'émergence d'une
communauté dans un sens assez fort et plutôt positif, que cette
tendance à devenir réflexif, à s'observer soi-même. Mais je
digresse.
Je suis moi-même, je veux dire, ce blog est, très éloigné, de ce
centre lumineux de la blogosphère. Pourquoi ? Je ne sais
pas. C'est étrange, finalement, parce que j'ai globalement les
mêmes préoccupations, la même forme de geek-attitude, et je connais
bien quelques-uns de ceux qui y sont beaucoup plus profondément. Mais
la teneur ou, en tout cas, la longueur de mes entrées, est différente,
ce que je serais tenté de résumer en disant que mon blog est plus
chiant (et, tout simplement, plus mauvais) que ceux des autres, mais
je ne sais pas pourquoi. (Et peut-être certains de mes lecteurs[#3] seront-ils tentés d'être en
désaccord, mais il y a un biais évident parce qu'ils sont —
justement — mes lecteurs. Mais même certains de mes amis
proches qui au départ lisaient mon blog ont décroché, plus ou moins
rapidement, et cela me fait très mal : si je n'arrive pas à susciter
l'intérêt chez eux, où le susciterai-je ?) Zeus, même mes lecteurs
sont d'un genre très différent, comme un ami (un bloggueur plus
conventionnel, justement) me le faisait remarquer aujourd'hui : dans
le sens positif (pour moi), le lecteur moyen du blog typique n'a pas
cinq DEA et n'est pas capable de disserter de tout et de
n'importe quoi ; dans le sens négatif, le lecteur moyen du blog
typique n'est pas cinglé. (Avertissement : si vous vous demandez si
vous êtes visé par cette dernière phrase, c'est probablement que vous
ne l'êtes pas…)
Une autre remarque cruellement vraie qu'on m'a faite aujourd'hui,
pour reprendre le fait qu'il y a beaucoup de « blogs gays » dans la
blogosphère (francophone, c'est de celle-là que je parle, mais dans
les autres aussi), c'est que le mien ne peut certainement pas passer
pour tel : il n'y a quasiment pas de « contenu gay » dessus. Ce que
ça veut dire, bien sûr (et c'est pour ça que c'est cruellement vrai),
c'est qu'il n'y a pas de « contenu gay » dans ma vie, pour commencer :
le blog n'en est que le reflet.
J'ai donc un assez triste sentiment d'échec, que ne pourra pas
aténuer l'idée (réelle ou feinte) que mon blog a un intérêt
différent[#4] : le fait
est qu'il n'est pas ce que je voudrais qu'il fût. (Et, de
nouveau, mon blog n'est en cela que le reflet de ma vie.) Et je tire
mon chapeau à d'autres — qui ne le sauront pas parce qu'à deux
ou trois exceptions près ils ne lisent pas mon blog.
[#] Il y a un
cercle au centre de la sphère ? OK, je
craque, mais il est tard, tout ça.
[#2] À moins que ce
soit un biais d'observation de ma part ? Il y a sans doute de ça,
mais je pense vraiment que le nombre de pédébloggueurs est une
proportion plus significative du nombre de bloggueurs « en vue » (dans
n'importe quel sens raisonnable) que 5% ou 10%.
[#3] En excluant les
petits cons qui me lisent juste pour pouvoir poster une méchanceté sur
chaque entrée. Et à qui j'ai envie de donner ce conseil amical : get a life.
[#4] Imaginer
différent exactement comme dans le vocabulaire politiquement
correct : on ne doit plus dire disabled mais differently abled.
Demain a lieu la promenade
annuelle à laquelle je me demande une fois de plus si je vais y
aller. Les raisons d'aller, ce serait que je connais pas mal de gens
qui y seront, ça peut être sympa de les croiser (par hasard, toujours,
parce que d'expérience c'est totalement désespéré de se dire qu'on va
se donner rendez-vous). Aussi parce que je n'ai raté aucune des six
dernières, alors pourquoi commencer ? Les raisons de ne pas y aller,
c'est que c'est déprimant (de voir autant de beaux garçons qui, pour
être homos — au moins en proportion significative — n'en
sont pas moins inaccessibles). Et que le bruit est quand même parfois
insoutenable (c'est con mais j'ai les oreilles très sensibles). Et
tout simplement que je n'aime pas trop les foules, quelles qu'elles
soient. Mais avant tout parce que ça s'appelle marche des
fiertés, et s'il y a une chose dont je ne suis pas du tout fier
(et tout à fait indépendamment de mon orientation sexuelle), c'est
d'être moi. Alors ensuite, ce n'est pas facile.
Je crois que je vais appliquer la sélection au réveil : si je suis
debout à temps pour pouvoir y aller raisonnablement, j'irai, et sinon
non.
J'avais déjà écrit sur un sujet
proche : il est curieux de constater que malgré mon individualisme
et mon indépendance revendiqués, j'éprouve un besoin indéniable
d'appartenir à des groupes (je parle, là, de groupes plutôt petits
— plus des « bandes » que des « communautés »), et je souffre
d'une certaine manière de ne pas arriver à en trouver dans lequel je
m'intègre complètement.
Disons globalement que c'est peut-être finalement un de mes loisirs
préférés que de discuter avec des gens, des groupes de gens, d'à peu
près n'importe quoi (ou, à défaut de parler, d'écouter parler). Tout
simplement, j'aime la compagnie.
Je suis mathématicien (enfin, ce n'est pas encore acquis, on vous
met tellement de bâtons dans les roues pour rentrer dans ce métier !
mais admettons que je le sois). Pourtant, je ressens beaucoup de
timidité, et finalement assez peu d'affinité, par rapport aux autres
matheux ; quand ils parlent de maths, je ne comprends jamais rien (je
me demande toujours si c'est une impression partagée et qu'on n'ose
pas le dire, ou si c'est juste moi qui suis vraiment très lent à
comprendre) ; et quand ils parlent de « potins mathématiques » (du
style, qui a eu un poste à quel endroit, qui a fait des progrès dans
tel domaine, qui est influent, voire, qui couche avec qui) ça ne
m'intéresse pas du tout (bon, a posteriori je me rends souvent
compte que ça peut être dommage pour moi de ne pas plus tendre
l'oreille, mais le fait est que je trouve ça plutôt ennuyeux). De
toute façon, les mathématiciens ne forment pas vraiment des groupes,
ils se côtoient mais ne se fréquentent pas beaucoup — ils sont
assez solitaires.
Je suis geek, au moins au sens passionné d'ordinateurs (enfin, je
suppose — disons que j'ai plutôt une relation d'haine-amour avec
ces sales machines). Mais les geeks non plus ne forment pas vraiment
des groupes. Et quand ils le font, d'ailleurs, ça a tendance à
devenir limite glauque, et en tout cas tout à fait monothématique pour
ce qui est de la conversation, ce que je n'aime pas du tout (une des
choses qui m'insupportent le plus, ce sont les gens ou les groupes de
gens capables de ne parler que d'un seul sujet).
Je suis pédé, mais je trouve de plus en plus que je n'ai rien en
commun avec les autres homos (déjà assez peu avec ceux de la culture
mainstream, et généralement encore beaucoup moins
avec ceux qui sont fiers de dire qu'ils s'en éloignent). À commencer
par le fait que je n'en connaisse aucun autre (qui se revendique
ouvertement homo) qui ne soit pas en couple et qui n'ait aucune forme
de vie sexuelle (et pas par choix, ni par attachement à un idéal de
couple, ou quelque raison de ce genre) : mine de rien, ça fait quand
même une singularité marquante (dont je me passerais bien !) qui rend
un peu bizarre la fréquentation de groupes unis justement par
l'orientation sexuelle ou les préférences affectives. Je crois aussi
avoir assez peu de goûts en commun avec le gay le plus visible (par
exemple, au niveau vestimentaire — enfin, bon, je n'ai pas de
goûts tout court, en fait).
Ces temps-ci je fréquente surtout des normaliens, mais il est
indéniable que la différence d'âge se fait sentir (ou alors l'idée que
les élèves et les enseignants ne doivent pas se mêler ?), en tout cas
il y en a qui ne m'adressent pas la parole (sans doute pour des
raisons diverses, mais l'idée générale doit être que je suis un boulet
qui piétine leurs plates-bandes). Heureusement j'arrive encore à y
avoir un cercle d'amis très chers, mais le fait est que les gens
finissent par se disperser : ce n'est pas quelque chose de
durable.
Enfin, bien sûr, c'est l'idée générale : j'ai des amis auxquels je
tiens beaucoup dans toutes ces catégories, ou dans plusieurs d'entre
elles, ou dans d'autres. Mais la morale, c'est que parfois le critère
qui constitue le groupe rend le groupe, finalement, moins intéressant.
Je ne sais pas si je suis clair. Je pourrais essayer de rencontrer
des gens, mettons, en jouant à des jeux de rôle (c'est un exemple
arbitraire, ça marche avec n'importe quel autre jeu, ou en faisant je
ne sais quel sport, ou en pratiquant d'un instrument de musique, ou
n'importe quoi) : mais, finalement, ce n'est pas le jeu qui
m'intéresse, ce sont les gens, et le groupe de gens est rendu en un
sens moins intéressant parce qu'il est relié par quelque chose qui
n'est pas mon intérêt primaire.
Un vrai maître (ou un α-mâle, comme dirait quelqu'un)
constituerait ses propres bandes autour de lui par son seul charisme,
et sans avoir besoin d'un prétexte fédérateur.
Hum… peut-être que je derais fonder une secte ? Argh, zut,
c'est déjà fait.
Homonormalité organise
ce soir une soirée Plumes, et j'ai eu peur, un instant,
d'avoir perdu la plume
mythique d'il y a trois ans. Ouf, je l'ai retrouvée (et vous savez où
elle était ? euh, non, rien, en fait).
Je zappais tranquillement entre les six chaînes de ma préhistorique
télé pré-TNT (je
la regarde très rarement), et je suis tombé sur (une rediffusion d')un
reportage de Zone
Interdite (M6)
consacré au fantasme ultiiiiime de tous les pédés, les pompiers ; et
pas n'importe quels pompiers, les élèves de l'école de recrutement des
marins pompiers de
Marseille. Rhâââââ (les scènes dans les vestiaires, où la caméra
s'attarde longuement sur les beaux garçons musculeux en petite tenue,
c'est pas possible, ils le font vraiment exprès)…
Bon, fantasme gay mis à part, le reportage n'était pas mauvais du
tout, j'avais l'impression que la caméra a su les filmer avec beaucoup
de naturel et sans voyeurisme (vestiaires exceptés, donc). Mais, dans
ce corps d'élite, quelle sélection sévère ! où quasiment toutes les
épreuves[#] sont éliminatoires.
(En comparaison, la sélection pour devenir mathématicien, c'est de la
gnognote, vraiment.) À peu près tout enfant normalement constitué a
un jour rêvé qu'il serait pompier en grandissant, je trouve qu'il y a
quelque chose de particulièrement touchant à voir ceux qui ont su
conserver ce rêve et qui luttent pour y arriver alors qu'on n'est pas
tendre avec eux. Et c'est sans doute le métier qui a la plus
haute cote de sympathie auprès des Français en général.
Il se trouve aussi que l'héroïne du documentaire, la seule fille
dans la promotion filmée, ressemble de tout point de vue (le physique,
l'expression du visage, le ton de la voix, la manière de s'exprimer,
et aussi la forme de motivation et de dévouement envers autrui qui
peut pousser à devenir pompier) à une fille[#2] que je connais un peu. On prend
parti pour elle quand on la sent devenir la tête de turc des garçons,
et il y a un vrai suspens quand on se demande si elle ne va pas
échouer si près du but.
Enfin voilà : j'ai peut-être raté ma vocation profonde,
moi.
[#] Je suis content, je
passe au moins sans trop de mal l'épreuve éliminatoire numéro zéro :
j'arrive à aligner plus de vingt pompes, et j'arrive à rester plus de
vingt-quatre secondes accroché bras pliés à une barre fixe. Mais bon,
j'aurais été recalé à la suivante (je ne sais plus ce que
c'était).
[#2] Lesbienne,
d'ailleurs. Je note ça avec amusement, parce que le métier de pompier
ce n'est peut-être pas que pour les garçons homos que c'est un
fantasme : une (autre) amie lesbienne me faisait un jour remarquer,
le pédé il rêve de coucher avec le pompier, la goudou elle rêve de
conduire le gros camion rutilant. Hum…
J'ai déjà parlé d'un film
où Gaël Morel (pour lequel j'ai notoirement un faible) apparaissait
comme acteur, là, il est réalisateur : j'ai regardé Le Clan
cet après-midi en DVD, et j'ai beaucoup aimé. Je choisis
l'image ci-contre (très tendre) pour l'illustrer, mais ce n'est pas un
film sur l'homosexualité, c'est un portrait de trois frères, Marc,
Christophe et Olivier, de leurs rapports et du monde dans lequel ils
évoluent. Il n'y a pas vraiment d'histoire à raconter, plutôt une
succession de scènes — toutes ne m'ont pas semblé géniales, mais
certaines sont vraiment fortes et l'ensemble est très beau. L'acteur
débutant qui joue Olivier (le jeune frère), Thomas Dumerchez, me
paraît très prometteur. Bref, je conseille.
Hier soir on m'a appris qu'une des idées dans les cartons des Powers That Be était de faire passer la charge
d'enseignement des maîtres de conférences dans les universités
françaises à 384 heures annuelles (contre 192 actuellement, 384 étant
la charge d'un professeur agrégé dans le supérieur), ce qui voudrait
dire en pratique qu'ils ne feraient plus de recherche. De toute
façon, la recherche
fondamentale française (publique — mais la recherche
fondamentale privée ça n'existe pas) a l'air destinée à mourir prochainement
telles que les choses sont parties. Sale temps pour les
mathématiciens purs et, pire encore, algébristes ou apparentés.
Mauvaise nouvelle suivante : le Conseil européen a adopté un texte
favorable aux brevets logiciels dans l'Union, avec une entorse à la
procédure (le lien précédent contient des explications très détaillées
à ce sujet). L'étape suivante de la procédure de codécision est une
deuxième lecture au Parlement, qui ne se fera peut-être même pas (si
elle n'a pas lieu le texte est adopté) où il faudrait un vote à la
majorité absolue des membres pour arrêter la procédure.
Malheureusement, il est peu probable qu'on puisse faire quoi que ce
soit : des lobbys très puissants et très riches veulent absolument que
les brevets logiciels soient ouverts en Europe, au mépris de l'intérêt
de tous les utilisateurs d'ordinateurs, et les pressions exercées sur
toutes les instances dirigeantes européennes sont gigantesques, ainsi
que Michel Rocard l'a exposé dans une
interview au journal Le
Monde (daté du 17 février).
À un niveau plus local, celui de l'ENS, il y a également des
mauvaises nouvelles qui se préparent (venant de l'administration), et
il semble qu'elles soient de taille. On n'en sait pas plus pour le
moment (sauf un petit nombre qui sont dans le secret des dieux et qui
refusent de lâcher le morceau), des choses seront révélées dans une
semaine environ, mais il semble qu'on doive s'attendre au pire. Je
m'abstiendrai de polémiquer plus largement contre l'administration de
l'École sur un site Web qui y est hébergé, mais disons qu'on (élèves,
anciens élèves, enseignants et chercheurs) a eu déjà certaines causes
de mécontentement ces derniers temps.
Pour me remonter le moral, je viens de voir un téléfilm incroyablement déprimant
(Résumé en bref et avec spoilers : ça commence en 1941 dans la France
occupée ; Sarah est juive, elle voit toute sa famille se faire
massacrer presque sous ses yeux, elle se réfugie auprès de son seul
ami, Jean, dont elle est amoureuse, et elle apprend qu'il est
homosexuel ; le frère de Jean, Jacques, par jalousie, fait arrêter son
frère, comptant le faire relâcher immédiatement, mais Jean est accusé
à tort d'avoir eu une relation avec un officier allemand, et déporté ;
ensuite, Sarah voit l'amant de Jean, qui était résistant, se faire
descendre, elle est recueillie par Jacques, plein de remords, qui
l'épouse et lui donne un fils ; mais à la libération Jacques est
accusé de collaboration et de traffic avec l'ennemi, on témoigne que
c'est lui qui a fait arrêter son frère, et il se suicide en prison ;
enfin, à la libération des camps, Jean revient, mais il a été torturé
puis lobotomisé pour tenter de le rééduquer, et il meurt
stupide peu de temps après son retour.) Le genre d'histoire qui vous
remonte le moral et vous redonne la joie de vivre, quoi.
À part ça, je suis assez mécontent du TD que j'ai
donné tout à l'heure (j'ai été très mou, et obscur sur plusieurs
points), j'ai plein de petits changements triviaux mais pénibles à
faire dans ma thèse, et j'ai encore des problèmes informatiques
idiots.
Est-ce que quelqu'un pourrait me donner une bonne nouvelle, pour
changer un peu ? Quelque chose qui remonte le moral ?
Télérama dit énormément de
bien de ce téléfilm
qui passe demain (lundi) soir à 20h55 sur France 2 (par le même
réalisateur que Juste une question
d'amour, qui avait eu un succès immodéré auprès des homos
il y a quelques années) :
En France, en 1942, le destin tragique de trois amis, stigmatisés
par les nazis parce que juifs ou homosexuels. L'étoile jaune et le
triangle rose les précipitent en enfer.
Têtu nº97 :
A-t-on encore le droit d'être gay et célibataire en 2005 ? On
considère généralement les célibataires gay comme de pauvres filles
qui cherchent désespérément un mari — et sont trop moches pour
espérer en trouver un — ou comme des obsédés du cul qui vont de
bordels en coups d'un soir.
Bon, le cul, c'est bon pour l'audimat de mon blog. À part ça, je
vous suggère une réflexion qui m'est venue aujourd'hui, au moins aussi
profonde qu'une énigme du Père Fouras : Vieillir, ce n'est pas
perdre l'inconstance de la jeunesse, c'est simplement ne plus
l'assumer.
Le lien entre la photo du jour et la réflexion du jour est laissé
en exercice trivial au lecteur.
Je reviens du Festival de Films
Gays et Lesbiens de Paris où je suis allé (comme chaque année depuis 1999) voir la séance
de courts métrages gays. L'avantage avec les courts, surtout si on
n'a le temps d'aller qu'à un nombre restreint de séances du festival,
c'est qu'on a une plus grande diversité, et aussi la plus grande
certitude qu'il y aura au moins une chose qui plaira (alors que si on
va voir un seul long métrage et qu'on est déçu, c'est vraiment
dommage). Et puis, globalement, j'aime bien les courts métrages, de
même qu'en littérature j'ai un faible pour la nouvelle, parce que cela
donne souvent des choses plus percutantes, ou plus drôles.
L'inconvénient du court métrage, en revanche, c'est qu'il y a des gens
qui se croient artistes (voire artistes libertaires) et qui
revendiquent leur liberté d'expression, qui s'imaginent que
n'importe quelle connerie qui leur passe par la tête est bonne à
filmer, et n'ont pas l'air de comprendre que quand c'est Andy Warhol
qui le fait c'est intéressant parce que c'est la première fois, mais
ensuite ce n'est plus drôle : ce genre de gens n'ont pas les moyens
financiers de réaliser des longs métrages, heureusement, mais ils
arrivent hélas à produire des courts et à profiter du fait qu'on leur
offre un amphithéâtre de spectateurs. Là, il y avait un réalisateur
qui avait dû coucher avec un des organisateurs du festival, ou quelque
chose de ce genre, pour placer trois de ses trucs
complètement débiles (imaginez, par exemple, les pieds d'un type en
train de sautiller filmés pendant 4′ : super, non ?) au cours de
la même soirée, et ça, c'est vraiment dommage. Mais ça n'empêche
qu'il y avait aussi des films très bien (notamment, Un beau jour, un
coiffeur, l'histoire très drôle d'un étudiant en thèse de
philo qui m'a rappelé des souvenirs).
J'irai peut-être voir les courts métrages lesbiens, aussi (parce
que faut pas être sectaire, d'abord ).
Le gaydar est la capacité présumée (essentiellement des
homosexuels et bisexuels eux-mêmes) à repérer qui n'est pas
hétérosexuel (l'histoire ne dit pas précisément, cependant, si ça
s'applique uniquement sur les individus de même sexe que
l'identificateur ou sur hommes et femmes également). Assurément ça
existe au moins dans une certaine mesure ; et ça n'a rien de
magique : il y a suffisamment de gens qui tiennent expressément (même
sans en être forcément conscients) à afficher, dans leur attitude ou
dans leur look, quelle est leur orientation sexuelle, qu'il est
certainement possible de les identifier. (Et il est assez naturel,
quand on est homo, de vouloir être identifié comme tel au moins par
ceux qui le sont aussi.) Quand on fréquente un nombre assez important
de personnes dont on connaît l'orientation sexuelle, on doit forcément
acquérir dans une certaine mesure la capacité à faire du pattern matching sur des indices discriminants.
Au-delà de ce qui est évident, ça commence à devenir douteux, par
exemple : qu'on reconnaisse les gens sur leur look, c'est une chose,
sur leur gestuelle ça commence à me sembler déjà plus douteux, et sur
leur seule apparence physique je n'y crois pas du tout. Ceci étant,
faire des études serait difficile, et on ne sait pas exactement quel
serait le phénomène recherché à étudier.
Pour autant que je me rappelle et que je le sache (il est vrai que
ça fait des restrictions importantes), les seules fois où on m'a
identifié comme homo (quand on ne le savait pas à l'avance et que ce
n'était pas évident d'après — si j'ose dire — le contexte)
c'est vraiment que j'avais tout fait pour. Ce qui est rare :
s'agissant du look, je n'aime pas du tout m'habiller pour coller aux
stéréotypes (et c'est bien triste, parce que ça ne me gênerait pas du
tout, paradoxalement, d'être outé par ma tenue).
Le problème avec les stéréotypes, c'est que dans une certaine
mesure on ne peut que les confirmer. Par exemple, si on prend celui
qui dit : les pédés sont efféminés. À mon avis, c'est une
connerie complète, et la raison pour laquelle on pense ça, c'est que
ça a commencé comme un raisonnement sans fondement (du genre, être
attiré par les hommes, c'est une caractéristique féminine, donc ils
doivent avoir d'autres caractéristiques féminines) et qu'ensuite
ça s'est entretenu tout simplement parce que, du coup, ceux qui
collent au stéréotype sont plus visibles que ceux qui n'y collent pas.
(Variante du phénomène : dans des environnements où la virilité des
hommes est extrêmement marquée et importante, il est très difficile de
se revendiquer comme homo, justement à cause du cliché dont je parle,
et du coup, ceux qui le sont ne s'affichent pas, ce qui renforce le
cliché. OK, je sais, je sais, je tourne en boucle.)
Une autre chose qui peut se produire, c'est un échange de regards
juste autour du seuil de la conscience. Il peut s'en passer plein de choses, dans le regard,
même le plus bref.
J'ai déjeuné aujourd'hui[#]
avec une amie d'enfance, Barbara (il y avait aussi son petit ami,
ainsi que la mère de Barbara, et la mienne), qui enseigne à présent le
français (et l'allemand pour les débutants) dans un lycée privé en
Angleterre, au nord de Londres. Assez naturellement, la conversation
est venue à tourner sur les différences entre l'éducation en
Angleterre et en France. Notamment, une des choses qu'elle nous a
expliquées est qu'en plus de son enseignement scolaire proprement dit
elle a un nombre assez important d'heures de présence obligatoire au
lycée pour de la surveillance ou de l'encadrement (par exemple,
d'activités sportives le samedi après-midi : les collégiens et lycéens
anglais ont normalement le samedi de libre, mais les écoles privées
sont très libres d'adopter leur propre rythme de travail et leur
propre calendrier de vacances).
Entre autres, elle va devoir assurer un module d'éducation sexuelle
au sens très large (j'ai oublié quel était l'intitulé précis, mais
cela va des détails pratiques et matériels jusqu'à une réflexion plus
générale sur les relations affectives). En quelque sorte, on lui
demande de jouer un rôle de parent. En France, cela serait assez
inconcevable (il est censé y avoir des cours d'éducation sexuelle dans
le cadre du programme de sciences naturelles, je crois, et
éventuellement un élargissement sur quelques questions « sociales »,
mais pas grand-chose de ce genre : au moins, rien qui soit assuré par
les profs — en revanche, les lycées peuvent faire intervenir des
personnes extérieures et cela se voit parfois[#2]). En Angleterre, il semble
surtout y avoir (par ce module d'enseignement) une volonté d'enrayer
un nombre de grossesses chez des adolescentes extrêmement important
par rapport à d'autres pays européens. Il apparaît une certaine
contradiction (qui retombe sur les profs) entre une demande de
politiquement correct (surtout ne jamais dire que quelque chose
est mal, ne pas critiquer, ne pas fâcher) et des consignes mal
assumées d'insister sur l'importance ou le caractère préférable d'une
relation stable monogame. …Et hétérosexuelle, puisque la
fameuse section 28[#3] de
la Local Government Act 1988 interdit (aux gouvernements
locaux) de intentionally promote homosexuality or
publish material with the intention of promoting homosexuality ou
promote the teaching in any maintained school of the
acceptability of homosexuality as a pretended family
relationship.
Un autre point intéressant concerne la relation entre profs et
élèves, et là ce n'est pas tant une différence entre Angleterre et
France (même s'il y en a) qu'une évolution dans le temps : le prof non
seulement descend de son piédestal, mais aussi apparaît de plus en
plus explicitement comme un employé au service des parents (ou par
extension, de l'élève lui-même) et ce, en Angleterre du moins, même
dans les écoles publiques[#4].
Malheureusement, il semble qu'on ait du mal à trouver une relation
réellement saine en passant d'un extrême à l'autre.
[#] À la
Coupole, un café-restaurant assez célèbre, boulevard de
Montparnasse — mais à ne pas confondre avec le
Dome, qui est juste à côté. C'était bon, quoique un peu
cher (mais ce n'est pas moi qui ai payé…), et en tout cas le
cadre « art déco » est intéressant et mérite d'être vu.
[#2] Par exemple, le MAG, une
association de jeunes homos parisienne, a réalisé un certain nombre
d'interventions dans des lycées (à la demande de ceux-ci) autour d'une
valise pédagogique sur la lutte contre les discriminations (sexisme,
racisme, xénophobie, homophobie, handiphobie…), parfois aussi
de façon moins ciblée sur les discriminations pour parler du vécu des
jeunes homos.
[#3] Pour autant que je
sache (Barbara semblait le croire, en tout cas), cette clause assez
hallucinante, dont la compatibilité avec la Charte européenne des
Droits de l'Homme est d'ailleurs douteuse, est encore en vigueur. Le
gouvernement de Tony Blair avait promis de la supprimer, et une motion
dans ce sens était présentée en 1999 ; en 2000, cependant, la Chambre
des Lords a refusé de voter cette suppression comme les Communes
l'avaient fait. Pour en savoir plus (il y a quelques subtilités à
prendre en compte : notamment sur le fait qu'il s'agit là de droit
interne et non de droit civil ou pénal), je renvoie à un dossier
très intéressant sur la section 28 (d'un point de vue tout
à fait impartial) sur le site Web du parlement anglais. Je ne crois
pas savoir que la situation ait évolué depuis.
[#4] J'emploie
public ici dans le sens français du mot, puisque les Anglais
ont cette façon complètement cinglée de parler de public schools pour désigner des écoles privées.
À défaut de pouvoir trouver les livres que je voudrais lire, et
n'étant pas capable de les écrire moi-même, je peux au moins les
méta-écrire !
— Mon idée, c'est de faire trois parties, une sorte de
thèse-antithèse-synthèse. Chacune se déroulant dans une grande
capitale européenne : la première à Londres, la seconde à Rome et la
troisième à Paris. Le roman s'ouvrirait sur l'abbaye de Westminster
et se terminerait sur Notre-Dame. Chacune des trois parties aurait un
personnage principal, qui n'apparaîtrait que dans un tiers du livre,
et elle décrirait un an de sa vie : la même année vécue trois fois, à
trois endroits et par trois personnes.
— Ce n'est pas spécialement original.
— Je n'ai aucune prétention à l'originalité. Entre ces trois
personnages, donc, des points communs : ce sont trois garçons, ils ont
le même âge, sont étudiants, et sont homosexuels. Mais aussi des
différences de milieu : l'Anglais est d'origine tout à fait modeste,
un personnage que Ken Loach pourrait aimer, il doit travailler comme
serveur pour financer ses études, il veut à tout prix réussir, et il
est très bon élève ; l'Italien est fils d'un homme d'affaires
richissime et d'une sorte de Barbara Cartland méditerranéenne, il
habite un grand appartement à deux pas de la piazza di Spagna, et sa vie est oisive et douce ;
le Français est fils d'intellectuels…
— Décidément, tu ne recules devant aucun cliché !
— Tu est pénible, tu sais. Tu veux que je te raconte, oui,
ou non ?
— Excuse-moi, je trouve juste que tu y vas un peu fort. Mais
continue.
— Le seul lien connectant les trois personnages (même s'il y
a d'autres liens deux à deux) c'est un ami américain, qui vit à New
York — ou peut-être San Francisco —, dont on ne sait pas
au juste les relations avec les héros, mais qui correspond avec chacun
des trois, et qu'on ne connaît qu'à travers ces lettres ; on le devine
plus âgé, mais on ne sait pas si on doit lui donner quarante ou
soixante ans.
— Bon, et avec tout ça ? La matière, c'est quoi ?
— La description de la vie (et notamment de la vie gay) dans
les trois villes en question. Ce sont elles les véritables
héroïnes.
— Mais je rêve ! Tu n'as jamais mis les pieds à
Rome, et tu n'as passé que quelques jours à Londres. Comment
pourrais-tu décrire quoi que ce soit de la vie romaine ou
londonienne ? Et je ne parle même pas de la vie branchée ?
— Est-ce que ce n'est pas le propre d'un artiste de pouvoir
rapporter parfaitement les choses qu'il n'a jamais vues, qu'elles
soient inventées ou réelles ? D'écrire un poème que chacun croira
fait pour lui ? Tu ne voudrais pas que je dévoile les
secrets de l'art, tout de même ? Ceci dit, tu n'as pas tort : pour
éviter les erreurs factuelles les plus bêtes, il ne me suffira pas de
lire Time Out, il va falloir voyager un
peu. Je te propose donc que nous passions deux mois à Londres et deux
à Rome…
J'avais vu Les Roseaux
sauvages / Le Chêne et le Roseau[#], probablement la version courte,
il y a assez longtemps, à la télé (à l'occasion d'une rediffusion : ce
n'était pas lors de sa sortie en 1994 mais plutôt en 1999 ou 2000).
J'en avais gardé une image très positive ; cependant assez floue, à
l'exception de cette scène (dont je tire l'image ci-contre), que je
trouve extrêmement forte et belle, où François, le personnage joué par
Gaël Morel, se met devant un miroir et se force, difficilement au
début, à dire je suis pédé en se regardant.
Il y a quelques semaines, j'ai vu à la Fnac que le DVD
était sorti, et je l'ai acheté : je viens juste de le regarder et cela
n'a fait que confirmer à quel point j'aime ce film. Évidemment, c'est
surtout le rôle de François qui m'émeut ; en fait, je suis stupéfait
de voir (je n'en avais pas gardé un souvenir aussi précis) à quel
point il me ressemble, ce pédé immature et bourgeois (comme
Maïté — Élodie Bouchez — le qualifie, et ça me va
parfaitement), maladroit, attendrissant, sporadiquement bavard, avide
de compagnie, bon élève et gentiment cuistre : il fait même de la tachycardie (et pas assez de sport) !
Mais tout me plaît dans cette histoire où flotte un frais parfum de
vacances ensoleillées. Pourquoi diable ne l'ai-je pas vu au moment où
je passais moi-même le bac ?
Ah, et puis, si par hasard quelqu'un lisait ceci qui connaisse Gaël
Morel, je lui demanderais volontiers un autographe.
[#] Je crois que l'un
des deux titres (probablement le deuxième) doit faire référence à la
version moyen métrage qui est un téléfilm produit sur commande d'Arte, l'autre désigne la version
longue.
Je crois que c'est un manque qui ne sera jamais comblé et qui, à sa
manière, me pèsera toujours : l'amour homosexuel n'a pas la
représentation culturelle qu'a l'amour hétérosexuel. Ce que je veux
dire, c'est qu'il existe quantité de formes artistiques (ou, plus
généralement, culturelles), de la poésie à la peinture en passant par
le théâtre, le cinéma, la chanson ou la sculpture, qui de toutes
sortes de façons ont célébré l'amour, et qui sont les bases d'une
certaine représentation mentale inévitable sur laquelle nous
construisons, ensuite, notre conception de l'amour ; or, si on
excepte, en gros, des choses qui ont été produites dans la seconde
moitié du XXe siècle ou bien des œuvres qu'il faut lire à
travers des filtres sophistiqués, il ne s'agit jamais que de l'amour
hétérosexuel. En se promenant dans un jardin à la française orné de
statues, on ne voit pas une représentation de deux garçons en train de
s'embrasser ; quand on écoute des chansons populaires, on n'en entend
jamais célébrant l'amour entre deux femmes ; quand Shakespeare écrit
Roméo et Juliette, il s'agit d'un homme et d'une femme ;
et ainsi de suite. Il n'y a pas une tragédie de Racine, pas une
comédie de Molière, pas une pièce de Marivaux, pas un drame de Hugo,
qui raconte l'amour entre deux femmes ou entre deux hommes ; pas non
plus un poème de Ronsard ou une chanson de Brassens qui s'entende de
cette façon. Cela est l'évidence même, mais ce silence est vraiment
assourdissant. (Inutile, soit dit en passant, de me sortir des
contre-exemples d'un chapeau de magicien, de me dire qu'à la troisième
allée à gauche du château de Kleinschwarzsteintalseebaden on peut voir
une sculpture représentant deux personnages de sexe masculin en train
de s'embrasser : je n'ai aucun doute que les lecteurs de mon blog sont
capables de dénicher ce genre d'exceptions, mais mon observation
demeure. Et, oui, j'ai lu la seconde églogue de
Virgile, que j'aime énormément, mais qui ne change pas grand-chose
non plus à ce que je dis.)
Bien entendu, les choses ont changé : il n'est plus tabou de
représenter l'homosexualité dans l'art, et on ne s'en prive pas.
Seulement, l'art a évolué, lui aussi. L'art produit à la fin du XXe
siècle, ou au XXIe, n'est pas celui qu'on faisait au XIXe ou au XVIIIe
ou avant. Et pour cette raison, la lacune dont je parle ne sera
jamais comblée. Il n'y aura pas un nouveau Shakespeare pour
écrire Romain et Jules, parce qu'on n'écrit plus comme
Shakespeare (ou alors ce serait une parodie, et ce n'est pas pareil ;
mais il n'y a pas de Pierre Ménard capable de nos jours de refaire du
Cervantès) ; pas plus qu'on n'écrit d'œuvres romantiques comme à
la période romantique. Bref, quand bien même les mouvements de
revendication homosexuels obtiendraient la plus grande satisfaction,
quand bien même la société atteindrait une tolérance parfaite, rien ne
pourra jamais refaire ce qui n'a jamais été fait.
Le point n'est pas anodin : je ne le monte pas en épingle pour le
plaisir de me plaindre. Peut-être est-il vrai que je le prends trop à
cœur (et presque de façon personnelle : je pourrais dire, en ne
plaisantant qu'à moitié, idée saugrenue mais qui me plaît, que
j'aimerais faire mon coming out auprès de Victor
Hugo, qu'un esprit aussi profondément bon, progressiste et
visionnaire, ne pourrait que bien le prendre ; malheureusement, il est
mort presque un siècle avant ma naissance, et il est donc un peu tard
pour lui parler : il faut que je me console en lisant
Bug-Jargal avec une interprétation peu orthodoxe). Le
fait est que cela m'a toujours peiné, et qu'à chaque fois que je vois
une belle représentation de l'amour dans une œuvre d'art
classique (au sens très large) je songe avec chagrin que je ne
trouverai pas de semblable image de la forme d'amour qui est capable
de me toucher.
À la dernière minute j'ai presque
hésité à aller à la marche des
fiertés LGBT. Ce qui a fait que j'y suis quand même
descendu, c'est que mon sens des séries : je ne l'ai pas manquée
depuis 1999, donc je continue plus par habitude qu'autre chose. (Et
ma manie de classificateur obstiné demande d'ailleurs que je fasse un
jour le point sur le parcours — et mon parcours à moi —
chaque année où j'y suis allé, et que je tente de me remémorer mon
état d'esprit, tout ça.)
Je ne peux pas dire que j'aie vraiment défilé (je suis typiquement
le genre de personne, dans une manifestation de ce genre, qui sera
comptée par les organisateurs mais pas par la police…). Disons
plutôt que je me suis promené le long du trajet de la marche. Et à
vrai dire, plus que les chars eux-mêmes (que j'ai déjà assez vus),
j'ai regardé ceux qui regardaient les chars défiler — les
spectateurs et les passants, quoi. C'est assez amusant d'observer la
variété des expressions qui se dépeignent sur les visages de ces
spectateurs sur le bord du parcours : l'amusement est le plus commun,
parfois il y a une pointe de réprobation ou d'agacement, ou en tout
cas de perplexité, souvent de la sympathie voire de l'enthousiasme,
etc. On voit plein de jeunes (y compris des « racailles ») qui sont
là manifestement parce que c'est une grande teuf. (Évidemment, on
voit aussi plein de jeunes dans la marche elle-même : de plus en plus,
j'ai l'impression — ce n'est pas juste moi qui vieillis —
et je trouve que ça fait plaisir.) J'aime bien, aussi, voir de temps
en temps une petite dame carrément âgée et qui fait des signes
enthousiastes d'approbation devant tous ces gens qui se trémoussent en
musique.
Parlant de musique, je voudrais justement mettre un bémol : je ne
sais pas si c'est mon imagination, mais il me semble que chaque année
c'est encore plus fort que la précédente. Et là on atteint quand même
des niveaux exagérés : je ne veux pas faire mon vieux con aigri, mais
les sonos utilisées notamment par les chars commerciaux sont carrément
monstrueuses. Faire la fête en musique c'est bien — faire
s'écrouler des murs (et en tout cas assourdir tous ceux qui sont dans
un rayon de 200m), ce n'est pas forcément indispensable. Il faudra
que j'essaie de convaincre des gens qui siègent au conseil de
l'inter-LGBT d'aborder cette question.
Mais bon, ce point excepté, c'est vraiment rigolo de se promener à
côté de tous ces gens, je ne regrette pas d'y être allé — il y a
indiscutablement un sentiment de joie et de fête qui est très
communicatif. La météo était parfaite à mon goût : ciel couvert (donc
pas de risque d'attraper un coup de soleil) mais température
délicieuse. Le parcours (Denfert-Cluny-Sully-Bastille) était plutôt
bien (il me semble qu'il avait déjà servi il n'y a pas si longtemps,
ça devait être en 2000), même s'il était peut-être un peu court.
Au final je suis quand même monté
sur le char de >Dégel!, vers la fin du parcours ; c'est presque par
hasard que je me suis conformé au dress-code (en m'habillant j'ai
remarqué qu'il me restait un vieux tee-shirt rose élimé, que j'avais
complètement oublié depuis des années, donc je l'ai mis), et du coup
on m'a poussé à monter. L'ambiance y était très sympathique.
Ah, et à la Bastille, on a eu droit à une interprétation de la
Marseillaise avec des paroles revues et corrigées, qui
était vraiment bien.
Bon, et sinon, je n'ai pas de photos à vous montrer (je n'ai pas
voulu perdre mon temps avec ça cette année), mais il s'en trouvera
certainement à plein d'endroits.
Allez, un peu de pub gratuite pour les copains : l'association >Dégel! organise le dimanche 28
mars (c'est-à-dire dans deux semaines) un gay tea dance, de 16h à
minuit à l'Enjoye Café (sic ?), 88 rue Amelot, Paris 11e.
L'entrée est gratuite. Venez nombreux !
J'ai acheté le premier numéro pour voir ce que ça donne. Eh bien,
s'il y a une différence entre ce nouveau magazine gay et Têtu, je ne l'ai pas vue.
C'est exactement aussi branchouille-creux avec plein de jolies images
de minets dans des tenues invraisemblables quoique légères (et qui
doivent coûter des prix absolument inabordables — je parle des
tenues, mais vous pouvez généraliser aux minets si vous voulez), et
des articles dont on se dit, tiens, c'est peut-être intéressant, je
lirai ça plus tard, et qu'on ne lit jamais. Seule petite nuance,
peut-être : Préférences n'a pas l'air de faire même
vaguement semblant de prétendre s'adresser aux lesbiennes. Enfin
voilà. Les paris sont ouverts pour savoir s'ils dépasseront le nº5 ou
s'ils mourront avant.
S'il existe des magazines ciblant les homos qui ne sont pas une
sorte de croisement entre le Figaro Madame et le
catalogue de Gucci, ça m'intéresserait de les connaître
(et merci de ne pas répondre le catalogue d'IEM).
Idol était plus rigolo, déjà, mais il n'a pas tenu.
PS : En fait, ce qu'il me faut, c'est XY : celui-là, il est
vraiment marrant — mais à peu près impossible à se procurer en
France, ne parlons même pas de s'abonner.
Quelqu'un est passé tout à l'heure sur #gay (le canal de Rezosup) manifestement dans
l'esprit « je veux trouver le mec de ma vie maintenant tout de suite à
l'instant ». Ce qui m'amuse, c'est que ceux qui ont ce genre
d'attitude regardent de très haut l'attitude, complémentaire si j'ose
dire, « je veux trouver un mec pour la nuit maintenant tout de suite à
l'instant » (notez bien la différence ; et signalons que le canal
IRC dont je parle n'est normalement peuplé ni par l'une
ni par l'autre de ces attitudes) : ils la jugent frivole et vaine,
méprisent de très haut le sexe pour le sexe, tout ça tout ça, eux ce
sont des gens adultes, qui veulent quelque chose qui dure.
Mais il ne leur vient apparemment pas à l'esprit que vouloir tout
de suite à l'instant quelque chose qui dure (pour la vie si
possible), c'est un peu absurde, quelque part. D'autant plus
qu'il nous dit encore que des amis, il n'en cherche pas (d'accord, l'amitié et l'amour ce n'est pas pareil,
mais quand même). J'ai cherché à lui faire observer gentiment
l'incohérence de son attitude, et il a pris la mouche. Mais
globalement, c'est assez caractéristique : il y a un nombre assez
important de gens dans le milieu gay qui se plaignent de la frivolité
du sexe facile (euh, du sexe facile, vraiment ? où ça ?) et qui
s'obstinent à vouloir trouver une relation « durable » comme s'il
était normal de la trouver avec la même facilité, comme si on pouvait
décréter d'avance : cette relation sera durable. Comme si on
pouvait faire le choix de l'« homme de sa vie » sur un site de petites
annonces ou un chat anonyme avec deux ou trois clics-clics pour dire
si on le veut fumeur ou non (buveur ou non, et ainsi de suite), et
préciser le coloris. Bref.
Juste après, je me suis fait avoir en beauté par quelqu'un qui,
arrivant sur le canal, s'exclame : David Madore ? putain, je savais
pas que t'étais homo ! — et disparaît dans la nature. Alors
moi je me suis confondu en conjectures sur qui ça pouvait être (quand
même, pour me connaître sans savoir que je suis homo, il faut le
faire), avant qu'il me dise qu'il s'était foutu de moi et qu'il ne me
connaissait pas du tout. Arf, je me sens très con, là… (En
jargon normalien, je me sens vraiment testé.)
L'homophobie : êtes-vous pour, contre, contre contre, ou contre contre contre ?
Aujourd'hui avait lieu à Paris une manifestation contre
l'homophobie (en réaction à une attaque homophobe particulièrement
barbare commise le 16 janvier dernier, à Nœux-les-Mines dans le
Pas-de-Calais, sur la personne de Sébastien N. qui a été gravement
brûlé par ses agresseurs). Après une douloureuse hésitation, j'ai
décidé de ne pas y aller, et je veux ici expliquer pourquoi. Mon
intention n'est pas de lancer un débat politique : je veux expliquer
ma position, pas chercher à convaincre qui que ce soit. Le problème
n'est pas non plus que je me désole de façon dont la « manifestation »
est devenue en France le passage obligé de toute revendication, comme
si on ne pouvait écouter l'avis des citoyens que lorsqu'ils descendent
dans la rue. Ni que je désapprouve l'organisation de manifestations à
la sauvage sans notification à la Préfecture de Police. Ni même que
je suis assez fâché de la manière dont le message venez à la
manif a été propagé comme du spam et comme une sorte de diktat
moral (sous-entendant : si vous ne venez pas, c'est que vous laissez
faire l'homophobie, et c'est très mal). Ce sont là des détails qui
m'irritent mais qui ne changent pas grand-chose au problème de
fond.
Le fait de témoigner sa sympathie envers les victimes d'actes
criminels, en particulier dans des circonstances emblématiques, me
semble assurément louable. Le fait de s'élever contre l'homophobie
et de vouloir lutter contre elle est certainement souhaitable. Ce
avec quoi je ne suis pas d'accord, c'est la revendication politique
qui fait apparemment partie du mot d'ordre politique donné à la
manifestation : par exemple, quand je lis Nous demandons donc :
L'inscription de la lutte contre toutes les discriminations et donc
contre l'homophobie, la lesbophobie et la transphobie dans la
constitution (extrait du texte d'appel
unitaire à cette manifestation), je ne peux qu'exprimer à regret
mon désaccord (ne serait-ce que parce que la Constitution n'est pas
censée servir à ce genre de choses, et que je trouve qu'on la modifie
déjà beaucoup trop en ce moment pour des raisons inappropriées).
Je suppose que je tire d'un fond libertaire mon attitude qui
consiste à défendre la liberté d'expression avant toute autre, comme
symbolisé par la fameuse citation-qui-n'est-pas-de-Voltaire :
notamment, je trouve que la liberté d'expression des imbéciles qui
veulent me traiter de sale pédé est plus importante que mon droit à ne
pas être appelé un sale pédé. C'est la même attitude que lorsque
Chomsky préface un livre négationniste sous l'argument que les
négationnistes doivent eux aussi avoir le droit de s'exprimer (et que
les lois françaises qui le leur interdisent sont délétères pour un
sain débat prouvant l'ineptie de leurs thèses) : il faut être
décidément bien sot pour penser que Chomsky puisse être lui-même en
sympathie avec ces thèses.
Évidemment, j'aimerais aussi pouvoir exercer mon droit à ne pas
être brûlé vif parce que je suis homosexuel. Mais que je sache, le
fait de brûler quelqu'un est actuellement un acte puni par la loi,
dans ce pays, même s'il est pédé (et les faits à l'origine de la
manifestation dont je parle sont poursuivis par le parquet et
sont qualifiés de tentative d'assassinat). Dire que c'est
plus grave s'il s'agit d'une agression homophobe voudrait
dire, a contrario, que c'est moins grave si ce n'est
pas le cas, donc qu'il y a des cas où il n'est pas si grave de brûler
quelqu'un — ce qui est sans doute un postulat dangereux. Disons
que c'est probablement moins grave lorsqu'il s'agit d'un coup de
colère (meurtre sans préméditation) et je pense que le fait d'agir en
raison d'une haine discriminatoire (racisme, antisémitisme, homophobie
et ainsi de suite) doit être compris comme impliquant la préméditation
(contre une catégorie de personnes et pas contre un individu), mais
au-delà de ça je ne pense pas que ce soit spécialement plus
grave.
L'erreur de logique fondamentale consiste à penser que si on est
contre <foobar>, on doit être
obligatoirement pour une loi contre
<foobar>. Or cela est manifestement absurde, on
peut être à la fois contre <foobar> et contre une loi
contre <foobar>, parce qu'on pense que la loi sera
inefficace, sera inapplicable, sera dangereuse pour
<bazqux>, sera un abus de pouvoir, ou encore
participe d'une dérive générale vers une judiciarisation outrancière de la
société. S'il faut un exemple trivial, prenez pour <foobar>
la stupidité humaine : je suis contre la stupidité humaine, mais je ne
réclame pas une loi contre la stupidité humaine. Il en va de même de
l'homophobie (disons sous la forme des propos homophobes).
On prétendra sans doute qu'une loi pénalisant les propos homophobes
ne peut pas faire de mal. Mais c'est parce qu'on ne pense qu'aux cas
clairs d'homophobie (qu'il faut combattre) et non aux cas douteux, à
la région grise entre ce qui est politiquement correct et ce qui est
injurieux. Faut-il rappeler que Michel Houellebecq a été traîné en
justice (fin 2001) pour avoir dit : la religion la plus con, c'est
quand même l'Islam ; il a été relaxé, mais je pense que ce genre
d'affaire illustre assez bien ce qui se passe quand on adopte, bille
en tête, des lois contre les discriminations, et qu'on découvre avec
stupéfaction qu'elles sont vraiment dangereuses pour la liberté
d'expression (serait-il permis de dire, par exemple, que le mouvement
gay est une idiotie ?).
Ce qui est tout à fait vrai, en revanche, c'est que je dis tout ça
du haut de ma tour d'ivoire, moi qui ai la chance de n'avoir
jamais été victime de la moindre trace d'homophobie (tout au
plus ai-je entendu quelques réflexions vraiment crétines) et
certainement rien de menaçant. C'est bien pour cela que j'ai hésité
assez longuement, et c'est aussi la raison pour laquelle je ne cherche
pas non plus à convaincre autrui du bien-fondé de ma position (je me
contente ici de l'exposer platement).
Deux méta-remarques : primo, ce serait
gentil d'éviter si besoin est de transformer les commentaires de cette
entrée en un débat ou une tribune — je répète que je voulais
juste expliquer pourquoi je n'étais pas venu à la manifestation, pas
persuader qui que ce soit de quoi que ce soit (de toute manière, je
suis assez désabusé quant à l'efficacité du débat politique).
Secundo, je suis effondré par mon incapacité totale à m'exprimer
succinctement ; curieusement, c'est une des choses que
j'admire justement énormément chez Chomsky, sa faculté à marquer des
points en très peu de mots.
Les commentaires sur la précédente
entrée me désolent (ce ne sont pas les seules choses, évidemment :
ils ne sont que des gouttes d'eau de plus dans la cascade — je
ne dis pas dans le vase, parce que les gouttes d'eau ne s'accumulent
pas, elles coulent). Il y a vraiment
des moments où je me demande pourquoi je ne tire pas un trait
définitif sur toute tentative d'avoir une vie sentimentale, affective,
ou sexuelle : manifestement, quelque obscure divinité dont les
desseins sont impénétrables a Écrit, du fond de l'abysse, que je n'y
aurais pas droit, ce n'est pas la peine d'essayer de comprendre
pourquoi, je n'ai qu'à m'y plier et à laisser tomber les tentatives
ridicules (aussi pitoyables que de changer de coupe de cheveux) pour faire
évoluer ma situation. Arrêter de me dire homosexuel : c'est aussi
prétentieux que si je me disais athlète, apparemment je suis asexuel,
et mon insatisfaction vient de ma comparaison avec le milieu gay en
général ou mes amis homos (comparaison qui fait que ne pas avoir eu un
seul copain stable en 27 ans d'existence est, quelque part,
« anormal », alors que pour les hétéros ce n'est pas franchement
extraordinaire). Mais qu'est-ce que je fous à fréquenter la
communauté homo, bon sang ? Plutôt couper tout lien avec elle, avec
laquelle je n'ai semble-t-il aucun
rapport (et parler d'autre chose dans ce blog, ça intéressera sans
doute plus les lecteurs). Il y a d'autres façons de trouver le
bonheur (que ce soit les mathématiques, le soleil qui brille et les
oiseaux dans les arbres, ou la musique, que sais-je encore), plein de
gens y trouvent d'ailleurs leur compte et puisque je suis malgré tout
d'un naturel heureux, je ne devrais pas le laisser gâcher ainsi. (Et
d'aucuns ne manqueront pas d'observer que je suis, d'ailleurs,
terriblement prétentieux de me plaindre alors que j'ai toutes les
conditions nécessaires à la félicité, quand il y a des gens qui ont de
vraies raisons de se plaindre.) Comme ça je pourrai même
offrir mon témoignage à une secte chrétienne fondamentaliste (voyez,
j'étais homosexuel et j'étais terriblement malheureux, et j'ai décidé
d'arrêter de vivre dans le péché) — ahem.
Et pourtant non. On sait tous que ce qui se cachait au fond de la
boîte de Pandore…
Il paraît que je parle trop de sexe dans ce blog (loi de McCain :
c'est ceux qui en parlent le plus qui en mangent le moins),
alors pour changer je vais vous parler d'amour…
…Et d'amitié, puisque pour moi ça va ensemble. Mais pas
pour tout le monde, manifestement, et même pas pour la plupart des
gens, j'ai l'impression, et ça me laisse perplexe. Je ne dis pas que
je suis un peu amoureux de tous mes amis (quoique ce n'est pas
complètement faux si on se limite aux garçons de mon âge et assez
mignons), même de mes meilleurs amis, ni que je ressens l'amour comme
une forme d'amitié (et surtout pas comme une forme plus forte
d'amitié). Il serait déjà plus juste de dire que, pour moi, l'amour
est un sentiment qui naît de l'amitié + l'admiration + l'attirance
physique.
On est censé faire quoi, quand on se rend compte qu'on devient
amoureux de quelqu'un qui est déjà un ami (et en tout état de cause
qui vous considère probablement comme tel) ? C'est une chose de faire
des avances à quelqu'un qu'on vient de rencontrer, si on sait
exactement où on veut en venir, mais je trouve ça autrement plus
délicat vis-à-vis de quelqu'un qu'on connaît déjà bien et lorsque la
relation est déjà placée sur un terrain différent ; et c'est encore
pire si on craint que l'amitié en question en souffre (logiquement il
n'y a pas de raison, mais la logique et les sentiments ont peu de
rapports entre eux). C'est sans doute justement parce que c'est
difficile que beaucoup de gens veulent séparer complètement amour et
amitié.
À un étranger on peut faire des petits signes discrets indiquant
que « je m'intéresse à toi », qu'il comprendra s'il est observateur.
Mais pour un ami on est déjà censé avoir un intérêt réciproque.
Parfois de la tendresse mutuellement exprimée, et ça n'en rend la
situation que plus confuse (surtout que cette tendresse est parfois
basée sur le contrat implicite qu'elle est « pure » de tout
sentiment amoureux). Quant à la déclaration explicite, c'est une
façon de mettre les gens au pied du mur, et ils peuvent réagir très
mal à ça (parce qu'ils ne veulent pas que la relation, à laquelle ils
sont attachés, change de nature ; d'où des « mais ça fait cinq ans
qu'on est amis, pourquoi veux-tu maintenant que ça change ? »).
(D'ailleurs, j'ai un ami — juste un ami, hein
— qui prétend que les déclarations d'amour, ça ne marche que
quand il n'y avait de toute façon rien qui ne puisse pas marcher.)
Alors quoi ? Faut-il refuser absolument l'amitié des gens dont on
est susceptible de devenir amoureux, ou à tout le moins refuser toute
déviation de la relation sur une voie où l'amitié gênerait l'amour
éventuel ? Peut-être. Mais il faut déjà y voir clair dans ses
propres sentiments (pas donné à tout le monde). Et j'ai pour ma part
tendance à me considérer comme facilement lié d'amitié, j'ai du mal à
refuser ; et de toute façon je ne peux pas vraiment concevoir
autrement la naissance du sentiment amoureux. Savoir où une relation
est partie dans la mauvaise direction (« mais moi je te draguais, je
ne voulais pas juste être ton ami ! et tu n'as pas compris ? ») n'est
pas aisé.
Je ne dis pas tout cela en pensant à un cas précis. C'est quelque
chose qui m'arrive tout le temps, et à quoi j'ai fini par m'habituer
complètement (ce qui ne veut pas dire que je ne le regrette pas !).
Je suis entouré de gens dont j'aurais pu vouloir qu'ils soient autre
chose que juste des amis, et parfois je me soupçonne d'être vraiment
trop prompt à sympathiser avec quelqu'un pour m'épargner la difficulté
de trouver autre chose derrière. Maintenant, le fait d'être homo et
d'avoir un nombre important de garçons hétéros parmi mes amis m'a au
moins appris à sublimer (je n'aime pas ce mot, mais je ne connais pas
mieux) mes would-be sentiments amoureux, jugés
désespérés, en quelque chose d'autre et qui ne cause pas de chagrin.
L'ennui, c'est qu'à force de m'exercer à contenir ainsi mon amour,
puisque j'en ai acquis la capacité, j'ai fini par le faire
systématiquement : je commence à me demander si je me permettrais
jamais plus d'être amoureux — il y a plusieurs personnes que je
fréquente actuellement dont je pourrais être fou d'amour, mais je
crois d'avance que c'est perdu, que ce n'est pas la peine, qu'il est
plus sage, et plus prudent, d'en rester ami (ou quelque chose de ce
genre).
À force, je vais oublier ce que c'est, l'amour. C'est
terrible.
Stéphane Hoguet était mon professeur de mathématiques en hypotaupe
(l'année scolaire 1994–1995, il y a neuf ans, donc).
Ses cours se lisaient comme un livre. Il arrivait dans la classe,
divisait le tableau en deux (toujours en deux, toujours au même
endroit : nous nous étions amusés à prolonger ce trait, « le trait
d'Hoguet », sur le plafond et le plancher jusqu'au fond de la classe,
et en voyant ça il avait déplacé son trait de cinq centimètres vers la
gauche), puis il commençait son cours : il écrivait d'une écriture
parfaite (quoique un peu petite), sans se tromper (il lui arrivait
d'hésiter, mais quand il notait quelque chose au tableau, c'était
toujours juste), sans rien effacer avant d'être arrivé au bout du
tableau, presque sans consulter ses notes. Il en disait à peine plus
que ce qu'il écrivait, ce qui se suffisait : vraiment, ses leçons
s'apparentaient à la lecture d'un traité systématique. Le niveau
dépassait largement le programme attendu en math sup (par exemple, il
nous avait fait une belle introduction à la théorie des nombres, et en
devoir maison il nous faisait démontrer la loi de réciprocité
quadratique et étudier le prolongement analytique des fonctions
L associées aux caractères de Dirichlet afin de démontrer
le théorème de la progression arithmétique). Il y avait une réelle
reconnaissance de la beauté des mathématiques dans ce cours —
qui était sans doute bien difficile à suivre pour ceux dans la classe
qui ne connaissaient pas déjà l'essentiel du programme de taupe en
arrivant, ou qui n'avaient pas, du moins, une certaine habitude du
raisonnement mathématique et un certain pouvoir d'abstraction
(célèbre phrase tirée de l'introduction des Éléments de
mathématique de Nicolas Bourbaki, sous l'égide de laquelle
Stéphane Hoguet nous avait placés en la citant lors du premier
cours).
Un jour il n'est pas venu donner son cours. C'était le samedi
veille des vacances de février (le 1995-02-18, précisément), et nous
avons donc conclu qu'il s'était donné un jour de congé de plus (même
si cela ne lui ressemblait pas, mais le personnage était assez
énigmatique). Ces vacances, je les ai passées au Maroc aux frais du
CIC (la banque),
qui offrait un voyage à tous les franciliens ayant eu la mention
très bien au baccalauréat (l'année précédente), et nous étions
plusieurs de ma classe de sup à nous y retrouver.
À la première heure à la rentrée (un cours de dessin industriel),
le proviseur adjoint nous attendait ainsi que notre professeur de
physique, accompagnés de l'inspecteur général André Warusfel (ancien
prof de taupe du lycée, il venait d'être promu IG), qui
nous a annoncé que Stéphane Hoguet était décédé. Du
SIDA. Le
1995-03-03.
La tragédie inattendue a glissé sur nous : l'effet de surprise
était si grand qu'il n'y a pas eu de réaction. D'abord, les
professeurs ne sont pas censés mourir pendant l'année scolaire : ce
n'est tout simplement pas quelque chose qu'on envisage (à moins
d'avoir quelque indice objectif laissant penser que cela pourrait se
passer, bien sûr) — c'est presque une faute de goût, en
fait. Mais ici, Hoguet avait fait preuve d'un courage qui laisse sans
voix : se doutant qu'il ne finirait pas l'année, il avait demandé à
l'administration de prévoir un remplacement (Emmanuel Goldsztejn),
lequel avait joué le rôle de khôlleur entre temps. (Il est vrai que
le lycée Louis le Grand ne doit pas avoir trop de mal à trouver un
prof de prépa. Au demeurant, Emmanuel Goldsztejn était aussi un très
bon enseignant.) La situation n'avait dû être facile pour personne,
mais nous ne nous étions doutés de rien. Tout au plus avions-nous
constaté que Hoguet avait l'air vraiment très fatigué (et il mettait
un temps considérable à corriger nos devoirs sur table — mais
nous mettions cela sur le compte du perfectionnisme — et il n'a
jamais corrigé nos devoirs maison). Certains pensaient que c'était
parce qu'il n'arrêtait pas de faire la fête. Autant dire qu'apprendre
la vérité a été un choc.
Ensuite, le SIDA était une maladie dont on entendait
évidemment beaucoup parler, mais dont personne n'était censé mourir.
Je veux dire, personne qu'on connaît : c'est l'effet ça n'arrive
qu'aux autres, enfin surtout aux autres qui sont loin et qu'on ne
fréquente pas. Des rumeurs insistantes circulaient dans la classe
depuis le début de l'année selon lesquelles Hoguet était homosexuel
(et sans doute y avait-il objectivement des raisons de le croire, si
on se fie à certains clichés ; il avait une façon vraiment très
butch de s'habiller, et une voix très douce), mais ces rumeurs
font partie du « paysage ».
Je n'arrive pas à resituer mes propres émotions dans tout cela ; le
garçon que j'étais en taupe m'est désormais fort éloigné, je n'arrive
plus à m'identifier à lui. Je savais avec certitude que j'étais pédé
(et j'en pincais en secret pour les beaux yeux verts d'un garçon de la
classe, Cyril). J'admirais passionnément les cours de Hoguet qui
répondaient exactement à ma façon de concevoir et d'aimer les maths.
Mais que ressentais-je pour l'homme ? Je suis incapable de le dire.
Je me rappelle avoir pensé, au cours d'une messe donnée à sa mémoire à
la chapelle du lycée (ses parents étaient d'ailleurs, à ce que j'ai pu
comprendre, très croyants), que pour bien se souvenir de lui il
faudrait commencer par réussir à le connaître tel qu'il était
vraiment, non pas seulement à travers ses cours ou les cérémonies
commémoratives. Quelquefois je me suis dit que j'aimerais rencontrer
ceux qui l'ont connu autrement : ses amis, ses confidents… (du
moins ceux qui sont encore en vie). Mais comment les trouver ?
Telle est la vie des hommes. Quelques visages aperçus, très vite
remplacés par d'irrémédiables absences. Il n'est pas nécessaire de le
dire aux enfants.
Ce film
est… bizarre. Je n'arrive pas à décider s'il est nul ou très
bon. En fait, il est déstabilisant parce qu'il y a énormément de
choses dont on ne sait pas si on doit les prendre au premier, au second
ou au troisième degré. D'un côté on a des clins d'œil divers et
variés au milieu français des grandes écoles (en l'occurrence : une
école de commerce imaginaire et non nommée — même si les
bâtiments doivent être bien réels et j'essaie sans succès de me
rappeler lesquels ce sont — et, dans une moindre mesure, Normale Sup section lettres), parfois
jusqu'à la caricature. De l'autre, des passages véritablement
touchants. Entre les deux, des scènes dont on ne sait pas si on doit
en rire ou s'en émouvoir, des effets trop appuyés dont on ne sait pas
si c'est intentionnel ou lamentable. Bref, c'est étrange. Il y a
aussi un désagréable effet « théâtre filmé » de certaines scènes (mais
pas toutes) : peut-être parce que c'est justement adapté d'une pièce.
Pourtant, si on est disposé à accepter de lire le film à plusieurs
degrés, de rire sans trop savoir si c'est de lui ou
avec lui et d'être parfois un peu touché, alors il n'est pas
désagréable à voir. En tout cas je n'ai pas le sentiment d'avoir
perdu mon argent ou mon temps.
En revanche, j'aurais été ravi de pouvoir échapper à l'effet
« bande de copains homos sortis d'école de commerce » dans
l'assistance, qui sont manifestement venus voir ce film parce que
c'est « leur » film, et qui ne se privent pas pour le commenter à voix
haute pendant la séance, et pour rire à gorge déployée.
Une réplique que j'ai bien aimée (et que je cite
approximativement) : ah oui, les amis… qui choisirait d'être
petit alors qu'on peut être meilleur ?
C'est absolument scandaleux à quel point il est mignon sur cette
photo de l'affiche du film Peter
Pan. Voir cette image sur tous les murs, c'est une
véritable incitation à la pédophilie, c'est insupportable : je suis
déjà suffisamment frustré avec les mecs d'à peu près mon âge, ce n'est
pas la peine d'en rajouter avec les gamins de quinze ans.
Ah, c'est vrai que Peter Pan n'a pas d'âge, de toute façon.
Je viens de voir Nettoyage à
sec (dans le cadre d'une projection organisée par Homonormalité,
l'association homo de l'ENS). Je pourrais dire
beaucoup de bien sur le film, qui est vraiment magnifique (ça fait un
moment que je me disais que je devais le voir), mais je dirai surtout
ceci : putain de bordel de merde,
qu'est-ce qu'il est beau gosse, Stanislas Merhar !
Je ne suis pas à la recherche de l'âme sœur (enfin, frère),
ou d'un mec avec qui partager ma vie.
Si je prends la peine de le dire, c'est que pour une raison qui
m'échappe, beaucoup de gens qui me connaissent semblent en être
convaincus.
Quand j'essaie de rencontrer des gens, c'est soit pour être amis,
soit pour coucher ensemble (ou les deux à la fois, éventuellement : je
ne vois aucune raison pour laquelle ça devrait être incompatible), ou
en tout cas pour faire connaissance parce que c'est toujours
intéressant de lier connaissance — et j'essaie de ne pas avoir
trop d'a priori sur ce que je veux avoir comme relation. Mais en tout
cas l'idée de chercher à avoir une relation stable monogame fidèle
exclusive tout ça tout ça n'est pas ce qui me motive (je ne dis pas
non plus que j'en exclus complètement la possibilité). Il est vrai
que par le passé j'ai pu tenir un discours différent.
Je ne sais pas pourquoi, beaucoup de ceux qui me connaissent
semblent pourtant persuadés que c'est ça que je veux : me trouver
un copain. Peut-être est-ce une projection de ce qu'ils
souhaitent eux-mêmes (l'idée que l'épanouissement affectif et sexuel
ne peut être pleinement satisfaisant que dans le cadre d'un couple
stable est un mème très
répandu). Peut-être pensent-ils que je suis un garçon sérieux
(mwahahahahaha), et qu'un garçon sérieux ne peut chercher qu'une
relation sérieuse. Peut-être leur est-il absolument inimaginable
qu'un homo ni trop vieux ni trop moche ne puisse trouver personne avec
qui baiser — c'est vrai que je suis Très Fort. (Et peut-être
que je ne trouve personne avec qui baiser parce que tout le monde
s'imagine que ce n'est pas ça que je cherche ?)
Globalement, ma vie n'est pas quelque chose que je cherche à
partager. D'ailleurs, je ne conçois pas bien comment ça peut se
partager, une vie — c'est un peu étroit pour ça, si j'ose dire.
Mais enfin. De toute manière, je pense que je suis assez invivable
sur le long terme, et je suis certain que je suis trop jaloux de ma
liberté pour laisser quelqu'un foutre son nez dans mes affaires. Ce
n'est pas tellement le point. Par ailleurs, j'ai un assez grand
nombre d'amis — ou en tout cas de connaissances — qui ont
tous leurs qualités propres, toutes différentes et toutes précieuses,
et je ne vois absolument pas comment une seule personne pourrait se
substituer à la moitié du quart du commencement de tous ces rapports
humains. Ceci étant, ça n'a pas beaucoup de sens de justifier
pourquoi je cherche ceci ou cela : ce n'est pas exactement une envie
raisonnée.
Je ne dis pas que je cracherais sur le mec idéal si je le trouvais,
évidemment. Mais le mec idéal ne se trouve pas, il se construit :
deux personnes peuvent s'apprivoiser l'une l'autre, se changer chacune
sous l'influence de l'autre, et se rendre compte au bout d'un temps
qu'elles sont devenues quelque chose de très fort l'une pour l'autre.
Je ne renie absolument pas ça. Je trouve juste que se dire au départ
d'une relation qu'on veut qu'elle devienne ceci ou cela, c'est un peu
inutilement orgueilleux. Notamment — mais je me suis déjà exprimé à ce sujet — je trouve que
la fidélité en couple est quelque chose qui doit venir naturellement
et qu'on ne doit sans doute pas chercher à s'imposer.
Alors pourquoi diable, me demanderont certains, si je cherche juste
à baiser (parce que pour les amis, je suis très satisfait de ceux que
j'ai, même si bien sûr je m'estime toujours prêt à m'en faire de
nouveaux), ne vais-je pas dans une
des nombreuses boîtes à sexe que compte la capitale française ?
Tout bêtement parce que ce n'est pas du sexe furtif et anonyme que je
cherche. Une comparaison rendra peut-être ma position plus
claire :
Ruxor en a assez de manger tout seul, mais il ne trouve décidément
personne avec qui partager ses repas. Le problème n'est pas tant
qu'il fait partie des 5% de la population préférant le salé (alors que
90% préfèrent le sucré, et peut-être 5% aiment autant les deux) : il a
après tout un certain nombre d'amis qui ont des goûts sans doute
compatibles avec les siens. Mais il est considéré comme terriblement
malpoli de demander à quelqu'un de partager sa table, et la réponse
sera forcément non si des manœuvres d'approche savantes
n'ont pas été employées. Déjà, il y a tous ceux qui se sont trouvé
quelqu'un avec qui manger en tête-à-tête, et il serait alors
inacceptable pour eux de le faire avec quelqu'un d'autre (et parfois
même mal vu de dîner seul). De faire un repas en groupe entre amis,
il n'est évidemment pas question : l'idée même est presque choquante.
Évidemment, on peut toujours aller au restaurant, et là, il y en a
pour tous les goûts, et pour tous les styles. Certainement la
nourriture peut y être meilleure que ce qu'on se prépare soi-même en
vitesse. Seulement, est-on vraiment moins seul quand on mange au
restaurant, à la même table qu'un inconnu (ou plusieurs), que quand on
le fait seul ?
D'accord, cette analogie est sans doute exagérée. (À la base, la
raison principale pour laquelle je ne veux pas baiser avec un inconnu,
c'est que je suis trop timide pour ça.) Je ne peux pas honnêtement
dire qu'un acte sexuel soit exactement aussi anodin que celui de se
nourrir. Dans les deux cas il s'agit d'accomplir socialement un acte
biologique fondamental, mais il y a quand même des raisons assez
naturelles pour que le sexe se fasse à deux — maintenant, il y a
aussi des raisons assez naturelles pour qu'il se fasse entre un homme
et une femme, alors… Ceci étant, dormir c'est aussi accomplir
un acte biologique fondamental, et ce n'est vraiment pas quelque chose
que j'aime faire en compagnie.
Tiens, dormir, ça c'est une idée. Je crois que je vais faire ça
(et seul) au lieu de débiter des conneries plus grosses que moi.
Un grand bravo à Garoo pour
avoir tenu
le pari et avoir pris une photo aussi réussie de M@nu qui nous fait un très joli
mois de janvier. On
espère que le courage du principal auteur se maintiendra et qu'il aura
les moyens de réaliser les douze mois de l'année. En tout cas j'ai
proposé ma candidature pour un mois ultérieur (à déterminer).
Nicolas m'a fait observer, après le
repas, ce soir, que s'il trouvait qu'il y avait un domaine où mon
'blog lui semblait problématique, c'est vis-à-vis de mes
étudiants.
La réflexion est assez théorique, parce que je suis quasiment
certain que jusqu'à présent aucun d'entre eux n'a eu l'idée
de chercher
« David Madore » sur le Web. C'est un peu surprenant, parce que
c'est typiquement la première chose que je fais, moi, quand j'entends
parler de quelqu'un, que de chercher son nom dans Google. Mais ils
ont beau être nés vers '85 (c'est-à-dire que le Web est apparu quand
ils entraient à l'école primaire), ils n'ont pas encore la culture
d'Internet, ces étudiants, c'est bizarre. Qu'ils ne passent pas tous
tout leur temps devant un écran, c'est heureux, mais que pas l'un ait
eu la curiosité de faire cette recherche, c'est surprenant ; et si
l'un le faisait, je suis certain que la nouvelle que le chargé de
TD de maths est pédé serait immédiatement connue de
tous, et que j'aurais entendu quelques ricanements idiots à ce sujet
(ou alors est-ce que je sous-estime leur civilité ? j'en doute assez).
Les ricanements ne me gênent pas, d'ailleurs (j'y ai déjà eu droit,
des années passées), ils m'amusent plutôt, en fait ; et, quand bien
même, la possibilité qu'un seul étudiant puisse apprendre la nouvelle
en se disant, tiens, je ne suis pas le seul homo dans cette fac
vaut bien le risque de supporter tous les ricanements du monde. Mais
passons, ce n'est pas le point.
La question que je m'efforce de me poser toujours, c'est, adopté-je
toujours une attitude parfaitement correcte ? Ce que j'ai raconté sur la surveillance d'examens
est-il décent, par exemple ? Il ne faut pas se voiler la face (ni
porter le tchador) : sur une vingtaine de garçons de dix-huit-vingt
ans, il y a forcément quelques belles figures ; mes collègues hétéros
ne pensent pas autrement, mutatis mutandis.
Disons même qu'il y en a un ou deux dans le groupe qui sont beaux à se
cogner la tête contre les murs. Mais je n'ai pas l'habitude de me
branler en regardant le trombinoscope (de toute façon la qualité des
photos est trop mauvaise ) ; je n'ai pas l'intention
de les violer ou de me livrer au moindre début de commencement de quoi
que ce soit qui ressemblerait à de la drague avec chantage
(d'ailleurs, je ne sais pas draguer).
Et dans mon attitude envers eux je crois adopter un comportement
impeccablement stoïque (autant que je puisse penser, intérieurement,
rhâ, mais c'est pas possible d'être aussi beau gosse).
Simplement, ici, je ne vois pas pourquoi je me priverais de faire
quelques remarques comme je viens d'en faire (étant évidemment entendu
que je ne donnerai pas de nom) : ceux qui lisent ceci sont a
prioriavertis, ils ont fait
l'effort de venir jusqu'ici, etc. Suis-je néanmoins trop direct ? Je
me pose la question.
La situation : le buffet de fin d'année d'une association étudiante gaie &
lesbienne. Donc tout un tas de garçons et de filles, pour
l'essentiel homos ou bis, qui bavardent bruyamment autour de paquets
de chips et de bouteilles de sodas (ou de bières). Et dans le tas il
y en a un — qui vient pour la première fois à l'association
— que je trouve vraiment gravement mignon, dans le genre
blondinet aux yeux bleus (bon, c'est peut-être vrai, en fait, que j'ai
un petit faible pour les blonds). D'accord, il est polytechnicien,
mais enfin, personne n'est parfait. (Hum, à ce stade-là, tous les
lecteurs de mon 'blog qui se trouvaient être à ce buffet ont compris
que c'est de J. que je parle. Mais je m'en fous assez, après tout.)
La question à deux cents zorkmids : comment je suis censé faire passer
le message qu'il ne m'est pas indifférent ? Dans un lieu anonyme (la
rue, un bar, une boîte), je conçois qu'on peut faire ça par le regard, mais là, c'est quand même
plus technique, vu qu'on discute déjà ensemble, et c'est assez normal
de regarder son interlocuteur quand on parle. J'ai avec tout le monde
à peu près le même comportement gentiment sociable et relativement
loquace. Comment on est censé draguer, dans ces circonstances ? Je
n'en sais rien, moi, on ne m'explique jamais rien, à moi. Et ça doit
bien être possible, puisqu'il y a des gens qui ont réussi. Quand il a
dit qu'il aimerait bien que quelqu'un l'héberge pour la nuit, flemme
de rentrer à Palaiseau par le dernier RER, je lui ai
innocemment offert de coucher chez moi, mais finalement, comme la
soirée devait se prolonger en nuit blanche chez Y. et qu'il a voulu y
aller, ma manœuvre innocente a échoué.
Bah, je ne suis vraiment pas doué, moi. Mais j'en ai l'habitude,
ça fait 9999 jours que c'est comme ça. Je ferais mieux de vous
raconter ce que sont la voûte étoilée de Zariski, la Longue Droite, et
le compactifié de Stone-Čech des naturels. Au moins c'est dans
mes cordes.
Tiens, dans le genre idiot, au cours de la conversation, il a été
question du « Prince Albert ». J'ai été surpris de voir que
pratiquement personne ne savait ce que c'était. Faisons donc
l'éducation des masses : c'est un piercing au pénis, qui traverse le
gland, et qui est nommé de la sorte en l'honneur du mari de la reine
Victoria, Albert de Saxe-Cobourg-Gotha, cela se portait souvent à
l'époque, et servait à retenir le pénis, par une petite chaîne, pour
éviter qu'on pût distinguer la moindre protubérance. J'ai raconté
tout ça, et j'ai sans doute rougi un peu (euphémisme : je rougis
très facilement, en fait à peu près systématiquement si
j'adresse la parole à plus de deux personnes), et « on » a conclu que
je rougissais parce que j'avais moi-même un Prince Albert. Bon, eh
bien je ne dirai pas ce qu'il en est : ceux qui veulent la réponse,
vous savez ce qu'il vous reste à faire.
Je ne sais pas pourquoi, je trouve les films pornographiques fort
peu excitants. D'accord, ce jugement se base sur un nombre
d'observations très limité — vu le prix des productions (et vu
qu'à la télé je n'ai que les chaînes hertziennes non cryptées), étant
donné que je bâille d'ennui au bout de cinq-dix minutes, j'avoue que
je n'ai pas tellement envie d'approfondir mon étude. Enfin, quand je
dis je ne sais pas pourquoi, je peux quand même être plus
précis que ça : je ne vois pas ce qu'il y a d'intéressant à regarder
deux (ou plus) mecs faire l'amour (et à plus forte raison un mec et
une fille, ou deux filles) — ce qui est intéressant, c'est de
le vivre, pas de le regarder. Mais bon, ça ne doit pas être une
opinion trop répandue, sinon l'industrie du porno n'existerait
pas.
Je ne dis pas que je ne peux pas être stimulé par des images : mais
pas par juste celles d'un acte sexuel. Les images qui m'excitent ne
sont pas celles qui montrent mais celles qui suggèrent. Même les
images, par exemple, des célèbres et kitschissimes photographes Pierre
& Gilles, me font en général plus d'effet que du porno cru :
souvent derrière la plastique plus que parfaite on sent affleurer une
force érotique incroyable. J'exagère : leurs images à l'esthétique
onirique ne font pas non plus de bons excitants, mais entre ces
extrêmes il y a de la place pour des choses très fortes. En images
fixes, ce n'est pas difficile à trouver : il suffit de descendre au
sous-sol des Mots à la
bouche pour en trouver quantité d'exemples. Mais n'y
a-t-il rien d'analogue en film ? (On croirait que non : Bel Ami, qui
fait des photos fixes relativement soft, quand il
prend une caméra, réalise des pornos tout à fait ordinaires,
semble-t-il.) J'imagine que ce n'est pas forcément évident à
produire : on sera forcément plus exigeant sur le scénario si le but
du jeu n'est pas simplement d'enfiler les orgasmes que si on demande
qu'ils soient entourés de — ah, euh — préliminaires
plausibles. Pourtant, les films érotiques (de charme, doit-on
peut-être dire) hétéros, ça existe. N'y a-t-il rien de semblable au
rayon gay ?
(Pffffff… Ce que je me retrouve à raconter, moi ! Et dire
que j'ai hésité entre écrire ça et raconter — avec les mains
— ce que c'est que la voûte étoilée de Zariski ! Bon,
ben les amateurs de maths attendront un autre jour. En plus,
maintenant je vais à nouveau passer pour un romantique éperdu ou une
autre sottise de ce genre. )
Après un peu de temps passé à continuer le boulot de la veille (c'est-à-dire
juste ce qu'il fallait pour remettre la machine en accès public et
rétablir les services absolument indispensables, de façon à diminuer
légèrement l'urgence des problèmes qui se posent) j'ai occupé
l'essentiel de ma journée à regarder, avec quelques amis, la version
longue des deux premiers volets de la trilogie du Seigneur des
anneaux de Peter Jackson.
C'était la cinquième fois que je voyais La Communauté de
l'Anneau (la troisième fois en version longue), et à la fin
je dois admettre que je m'ennuyais franchement ; en revanche, pour Les Deux
Tours, je ne le voyais « que » pour la troisième fois, et
la première en version longue, et ce fut donc nettement plus agréable.
Globalement je ne trouve pas que ces versions longues apportent
beaucoup de scènes inoubliables (le premier montage, projeté dans les
salles, était donc un bon choix), néanmoins je suis nettement content
de l'éclairage donné au personnage de Faramir dans la version longue
des Deux Tours, parce que j'avais trouvé dans la version
courte qu'il était vraiment amoché (moralement parlant) par rapport au
livre. Dans l'ensemble, pourtant, j'estime les films extrêmement
fidèles à l'œuvre écrite : si on entend cependant des reproches
nombreux dans le sens contraire, c'est simplement parce que le livre
de Tolkien a ses légions de zélotes prêts à aboyer au moindre écart
— ils feraient bien de lire mon Histoire de la Propédeutique
à la Reine des Elfes pour savoir ce qu'il se passe quand on
vénère trop cette œuvre. Finalement, très peu d'adaptations
cinématographiques ont un tel degré de fidélité au roman dont elles
sont tirées.
Maintenant, un problème fondamental que je me pose est : y a-t-il
entre Frodo(n) et Sam uniquement de l'amitié et de l'affection, ou
doit-on penser que cela va plus loin ? Bon, c'est une question qui
n'a pas vraiment de sens (Frodo et Sam n'existant pas, faut-il le
rappeler) ; dans l'esprit de Tolkien il me semble clair que cela ne va
pas plus loin, mais je m'interroge surtout sur le film. Autrement
dit, les acteurs ont-ils joué avec l'intention de faire paraître des
regards vraiment amoureux entre les deux hobbits (avec l'accord du
réalisateur, ou à sa demande) ou bien est-ce simplement une lecture
possible (et peut-être un peu tirée par les cheveux) ? Ou : est-il
« naturel » quand on on voit le film, de penser qu'ils s'aiment ? On
m'avait plus ou moins convaincu que non, c'est moi qui interprète
parce que je suis homo et donc assez enclin à penser à ce genre de
lecture. Mais à revoir les films (surtout l'un à la suite de
l'autre), je suis de nouveau convaincu que c'est vraiment trop évident
pour que ce soit uniquement dans ma tête. (Et ceux qui regardaient
avec moi avaient l'air d'être aussi assez de cet avis : là, si le
spectateur américain moyen n'était pas aussi puritain, ils devraient
se rouler une pelle a-t-on dit à un moment — enfin, le
problème est surtout que ça ferait hurler les fans, mais l'idée y
est ; et un autre copain plaisante : quand Sam dit si je fais un
pas de plus, je serai allé plus loin que jamais avant il veut dire
voilà, c'est ma première fois….) Finalement, ce qui
me convainc n'est pas tellement la manière dont Sam se décrit auprès
de Frodo comme your Sam ni la façon dont il fait
des scènes de jalousie sur l'attention de Gollum, c'est vraiment la
manière dont ils échangent des regards. En tout cas, si quelqu'un me
dévisageait de façon aussi délibérée et aussi intense que Sam regarde
Frodo à plusieurs reprises, j'en concluerais vraiment qu'il est
amoureux de moi. En revanche, il faut signaler qu'on apprend, dans la
version commentée par les acteurs du film, que c'est Ian McKellen (qui
est lui-même homo) qui a suggéré fortement que Sam prenne la main de
Frodo quand ce dernier se réveille à Rivendell (Fondecombe) : cela
semble indiquer que ce n'était pas trop naturel et spontané pour les
acteurs de le jouer ainsi.
J'ai passé mon après-midi au Festival de Films Gays et Lesbiens de
Paris, comme je l'avais décidé.
Un parfum nommé Saïd (à 14h15) était franchement
mauvais : une sorte de souvenir de vacances interminable sur fond
d'une aventure du réalisateur qui n'avait rien d'intéressante et qui
ne donnait de beau rôle ni à lui ni à son amourette ; à part pour dire
« le Maroc c'est beau, allez-y », ça n'avait aucun intérêt. Frisk (à
18h30) était moins mauvais, mais quand même un peu vide (comme
beaucoup de films qui croient que faire trash suffit à remplir
— néanmoins j'ai vu largement pire). En revanche, ce
qui m'a vraiment emballé, c'était les courts métrages (à 16h30).
Notamment deux films français : Far West
(que j'avais déjà vu, cependant), et surtout Le Cas
d'O d'Olivier Ciappa (un petit thriller comique, dont le
rapport avec l'homosexualité était un peu distant, mais absolument
excellent dans l'ensemble, et puis Orient est incroyablement beau
gosse — dommage que l'acteur, qui était présent, ait précisé
qu'il était hétéro) ; et deux films nord-américains, Straight in the Face et Target
Audience, tous deux absolument hilarants ; j'ai aussi bien
aimé Œdipe
N+1, et Avant j'étais triste de
Jean-Gabriel Périot. Bref, quasiment tout ce qui était là était entre
très bon et absolument excellent (seul un tout petit métrage de cinq
minutes m'a déplu, une animation de dessins de Tom de Pékin).
Vraisemblablement certains de ces courts métrages sortiront dans la
collection Courts mais gays (c'était déjà le cas de
Far West et il est certain que ce Le Cas d'O
viendra, puisque c'est Antiprod qui produisait), et je ne manquerai
pas de les acheter.
J'avais entendu parler de La Ville dont le prince
est un enfant, téléfilm tiré de l'œuvre du même nom
de Montherlant : comme je suis tombé, l'autre jour, sur le
DVD à la Fnac, je l'ai acheté (d'accord, j'avoue avoir un
petit faible pour Naël Marandin), et je viens de le regarder. C'est
un très beau film : même si la mise en scène laisse un peu à désirer
(notamment à la fin, qui m'a semblée un peu… étirée), les
acteurs sont convaincants et l'argument est à la fois très pudique et
très fort. Bref, j'ai beaucoup aimé.
(« Marandin », c'est le même nom de famille que mon prof de
français en cinquième, Jean-Patrice (ou Jean-Patrick ?) de son prénom,
que j'admirais passionnément. Je me demande s'il y a un lien de
parenté.)
“But he [Leto II] says that the male army was a survival of
the screening function delegated to the nonbreeding males in the
prehistoric pack. He says it was a curiously consistent fact that it
was always the older males who sent the younger males into
battle.”
“What does that mean, screening function?”
“The ones who were always out on the dangerous perimeter
protecting the core of breeding males, females and the young. The
ones who first encountered the predator.”
[…]
“I don't find this a curious theory.”
“You have not heard all of it.”
“There's more?”
“Oh, yes. He says that the all-male army has a strong
tendency toward homosexual activities.”
Idaho glared across the table at Moneo. “I
never…”
“Of course not. He is speaking about sublimation, about
deflected energies and all the rest of it.”
“The rest of what?” Idaho was prickly with anger at
what he saw as an attack on his male self-image.
“Adolescent attitudes, just boys together, jokes designed
purely to cause pain, loyalty only to your pack-mates… things
of that nature.” […] Moneo nodded. “The
homosexual, latent or otherwise, who maintains that condition for
reasons which could be called purely psychological, tends to indulge
in pain-causing behavior—seeking it for himself and inflicting
it upon others. Lord Leto says this goes back to the testing behavior
in the prehistoric pack.”
(Frank Herbert, God Emperor of Dune)
C'est une théorie remarquable et relativement provocatrice : en
clair, l'homosexualité masculine se maintiendrait parce qu'elle aurait
une fonction dans la structure sociale de la cellule préhistorique
humaine voire pré-humaine (je ne sais pas comment traduire pack : meute ? tribu ? groupe ?), fonction qui
devient ensuite l'institution de l'armée, à savoir protéger le centre
(« civil ») de la meute, où se trouvent les mâles reproducteurs et les
femelles, et défléchir les impulsions sexuelles des (jeunes) mâles
non-reproducteurs/gardiens les uns sur les autres.
Théorie évidemment trop simpliste pour être vraie, et en même temps
trop jolie (en tout cas c'est mon avis) pour être fausse. Et qui est
surtout pleine d'ironie puisqu'on a d'un côté un certain nombre
d'armées dans le monde qui continuent à refuser les homosexuel(le)s
dans leurs rangs (pourquoi ? je crois que personne n'en a la moindre
idée) et d'un autre côté un fantasme homo clairement identifié au
sujet de l'armée. Maintenant, je me demande où Herbert est allé
chercher tout ça : s'il l'a inventé lui-même, c'est quand même assez
impressionnant ; s'il l'a trouvé ailleurs, je voudrais bien savoir où
(j'ai le vague souvenir d'avoir croisé la même théorie ailleurs, mais
je suis incapable de me rappeler quand ou comment).
Bon, et comme je suis en verve, je vous offre même deux théories
fumeuses pour le prix d'une. Voici la seconde (pas incompatible avec
la première), que je paraphrase parce que ce sont des mèmes
orphelins : je ne sais plus du tout d'où je sors ça ; elle dit ce qui
suit. Tous les hommes (la théorie ne parle pas du tout des
femmes) sont homosexuels latents : cela fait partie du fonctionnement
général et normal de l'émotivité humaine ; seulement, un mécanisme
(neurochimique ou psychique) intervient, à un niveau différent, pour
défléchir le désir homosexuel en désir hétérosexuel, de façon à faire
écran à ce dernier ; ce mécanisme de reconversion soit n'est pas
activé (pour une raison non précisée) chez certains individus (qui
sont alors homosexuels) soit ne fait pas écran au désir homosexuel
chez d'autres (qui sont alors bisexuels) soit s'efface de façon
temporaire (homosexualité de circonstance, par exemple lorsque les
femmes sont trop peu nombreuses dans le milieu) soit enfin n'apparaît
qu'un peu tardivement (périodes d'interrogation pendant l'adolescence,
et homosexualité transitoire). Reste à justifier pourquoi on
proposerait cette explication bizarre de « reconversion » d'un désir
homosexuel en désir hétérosexuel. Premièrement, il est fort douteux
que le désir homosexuel et hétérosexuel procèdent de deux phénomènes
différents (ne serait-ce que parce qu'ils présentent des similitudes
symptomatiques incontestables ; et aussi pour de simples raisons
numériques, car si les phénomènes étaient indépendants, le rapport de
la proportion de bis sur celle d'homos serait sensiblement égale à
celle d'hétéros sur le nombre de personnes n'éprouvant aucun
désir sexuel, et apparemment ce n'est pas du tout le cas,
puisque la première proportion est de l'ordre de grandeur de 1 tandis
que la seconde est très élevée). Deuxièmement, une fois qu'on admet
que les deux désirs sont apparentés, il est difficile d'expliquer
pourquoi le désir homosexuel apparaîtrait autrement qu'en supposant
que c'est le cas de base (car il est plus facile d'expliquer qu'un
phénomène — en l'occurrence la reconversion — est normal
et est parfois absent, que d'expliquer un phénomène rare sans raison
apparente).
On ne peut que finir sur cette fameuse phrase (probablement
apocryphe) de Niels Bohr :
Your theory is crazy, but it's not crazy enough to be true.
Je suis allé au festival de films gays
et lesbiens avec Nicolas et sa copine
Muriel (ben oui, il y a même des hétéros qui vont faire un tour à ce
festival, la preuve). Nous avons vu The
Politics of Fur, un film à très très petit budget mais qui
m'a tout de même bien plu. Plus exactement : je l'ai beaucoup aimé en
tant que comédie (avec une ironie parfois féroce contre certains types
sociaux) ; en revance, il semble que la réalisatrice (qui était
présente pour répondre à quelques questions) a voulu faire aussi du
mélodrame, et là je trouvais que ça tombait complètement à plat (mais
sans gâcher l'ensemble, parce que le mélodrame se lisait très bien
lui-même au second degré) : bref, elle n'a pas vraiment compris le
film . C'est bien aussi parce que c'est un film à la
fois lesbien (surtout) et gay (aussi, quand même). Les acteurs ne
sont pas trop mauvais pour un aussi petit budget, et même si
l'ensemble est un peu théâtral (presque tout dans le même lieu,
notamment), je trouve que ça donne un résultat plutôt bon. Si cette
description vous donne envie de le voir, il repasse samedi — le
29 — à 22h30 (en salle 300 du forum des images).
J'irai peut-être voir Frisk (soit jeudi
soir soit dimanche soir) et peut-être Tandil
Forever aussi, et en tout cas certainement Un parfum
nommé Saïd et les courts-métrages gays, dimanche
après-midi.
Le Festival de Films Gays et
Lesbiens de Paris revient pour la 9e fois, du samedi 22 novembre
au dimanche 30 novembre 2003. Pour moi ce sera la cinquième saison
que j'irai (si ma mémoire est bonne…), et je suis très attaché
à ce festival. Notamment j'aime beaucoup leurs séances de courts
métrages (même si, évidemment, il y a du bon et du moins bon).
Qui suis-je ? C'est une question qui me revient périodiquement à
l'esprit. Dans un sens non métaphysique mais bêtement culturel (et
« identitaire »).
Prenons l'exemple de la nationalité ou de l'origine ethnique :
beaucoup de gens se servent de cette base pour se construire une
identité, soit parce qu'ils sont fiers de « leur » pays, soit parce
qu'ils sont fiers de leurs origines dans un pays d'adoption. Et moi,
que suis-je ? Je suis Français et je vis en France ; mais je n'ai pas
d'attachement particulier à la France en tant que pays : je l'aime
simplement parce que c'est là que se trouvent la plupart de mes amis,
et c'est à eux que je suis attaché, et non à elle. Je ne vibre pas
spécialement en entendant La Marseillaise ou en voyant
flotter les couleurs nationales ; et à la limite j'ai encore plus
d'attachement pour la République française (qui a tout de même
certaines lois dont je ne suis pas trop mécontent) que pour la
France-idée-immortelle. La seule langue que je parle (et que j'écris)
assez correctement, c'est le français, et je doute que j'arrive dans
mon temps de vie à en maîtriser parfaitement une autre (même
l'anglais), mais ça ne me donne pas un amour particulier pour le
français : toutes les langues ont leur beauté, parfois je sais la
reconnaître en lisant, parfois je ne vois que la beauté formelle de
l'écriture, mais je ne crois pas à la supériorité de telle ou telle
langue dans la mosaïque de Babel (ou d'Unicode…). Mon père,
d'ailleurs, parle à peu près également l'anglais, le français et
l'allemand, mais aucune de ces langues parfaitement (il vit en France
depuis maintenant presque quarante ans, mais continue à commettre des
fautes de français, même si sa prononciation, elle, est parfaite ; il
voyage régulièrement en Allemagne, et comme il fait beaucoup plus
d'efforts pour apprendre l'allemand que pour le français, comme il lit
énormément en allemand, il possède à peu près aussi bien la langue de
Goethe que celle de Molière ; quant à l'anglais, qui est sa langue
maternelle, il en a beaucoup oublié, faute de pratique). J'ai une
culture largement française (même s'il s'y greffe des éléments
étrangers surtout anglo-saxons) ; mais je considère que c'est plus un
hasard que quelque chose qui me définit vraiment.
Et qu'en est-il du Canada ? J'ai la nationalité canadienne car mon
père l'a (même s'il est aussi Français, maintenant), mais je n'ai vécu
au total qu'un an et quelques mois au Canada. J'y ai appris à parler
(relativement) l'anglais, j'y ai regardé Sesame Street quand
j'étais petit, ainsi que The
Wizard of Oz, j'y ai même fêté Thanksgiving et Halloween;
mais est-ce que je peux vraiment me considérer comme Canadien ? je
n'en ai pas l'impression. Si je me lève quand on chante God Save the Queen, c'est par plaisanterie.
À l'intérieur de la France, je n'ai pas d'identité régionale
claire. Les Bretons revendiquent souvent leur identité de Bretons,
les Corses de Corses, etc. Mais je suis né à Paris (dans le 13e
arrondissement, où j'habite d'ailleurs, même pas à Montmartre où il
peut y avoir une identité de « poulbot »), j'ai grandi à Cassis (près
de Marseille) et surtout à Orsay (en banlieue parisienne) ; ma mère
est née à Sannois (aussi en banlieue, mais au nord), la famille de son
père vient du Centre, celle de sa mère vient de Lorraine. Bref, je
suis un pur produit, sans identité, du melting-pot francilien.
À la rigueur je peux me sentir Européen. La construction de
l'unité européenne, cela me semble une grande et noble idée ; il est
dommage qu'elle se fasse surtout, pour l'instant, par la monnaie
(l'euro), mais c'est déjà quelque chose. Cependant, tellement de
choses restent à faire ; et si j'arrive assez facilement à me sentir
proche des Allemands, des Italiens, des Espagnols, des Hollandais, ce
m'est beaucoup plus dur pour les Polonais, ou d'ailleurs les Grecs (je
veux dire, les Grecs d'aujourd'hui) : réactions complètement
irréfléchies, et que je ne prétends pas justifier, mais qui n'en
existent pas moins.
Je n'ai pas non plus d'identité religieuse. Je suis moi-même
athée. Personne dans ma famille proche (même par alliance) n'est ni
juif ni musulman. Ma mère a été baptisée dans la foi catholique, mais
elle n'y a jamais vraiment cru, et ça fait plus de quarante ans
qu'elle a clairement quitté l'Église ; même sa mère n'a jamais
vraiment pratiqué. Mon père est d'origine protestante (un de ses
oncles était pasteur, d'ailleurs), mais lui aussi est athée depuis sa
jeunesse, et son père était plutôt agnostique. Mes parents se sont
mariés à l'église pour faire joli, mais ils ne m'ont pas fait baptiser
(m'épargnant ainsi le souci de faire acte d'apostasie). En même
temps, je ne vois pas dans le fait d'être athée un élément d'identité
(pas plus que dans le fait de ne pas croire aux éléphants roses,
disons) ; je n'ai juste pas besoin de concevoir un Dieu pour donner un
sens à ma vie ou pour me fonder une éthique, et il m'importe peu de
savoir si les autres gens font ou non cette hypothèse. Une des seules
circonstances où je me rappelle spécialement que je suis athée, c'est
lorsque j'entends, par exemple un musulman (je ne sais pas pourquoi,
j'ai déjà entendu ça un certain nombre de fois avec un musulman,
beaucoup plus rarement avec d'autres religions) dit quelque chose
comme, vous autres, que vous soyez catholiques, ou protestants, ou
juifs, et j'ai envie de lui signaler que tout le monde n'a pas une
religion, que ce serait sympa de ne pas reléguer les agnostiques et
athées à la poubelle des énumérations. (Bon, pour essayer de marquer
le coup, j'évite de dire « mon Dieu » : je dis « par Zeus » à la
place. Je dis aussi « avant l'ère commune » au lieu de « avant
Jésus-Christ », mais ça c'est plutôt pour une question d'exactitude
historique, Jésus étant sans doute né autour de l'an 4 avant l'ère
commune.)
Quelqu'un me racontait qu'un clacissite de ses amis, parlant de la
bataille de Marathon, tellement imprégné de culture classique, s'était
exclamé, mais c'est nous qui l'avons gagnée. Je
trouve cette histoire très belle. Malheureusement je parle trop mal
le grec, barbare que je suis, et je suis incapable de courir 42195m,
je n'aurai donc pas le culot de revendiquer l'identité d'Athénien.
Je n'ai pas vraiment d'identité politique non plus. Je suis plus
proche des sociaux-démocrates que d'autre chose, mais en même temps
les questions que je trouve politiquement les plus importantes sont
rarement celles que les hommes politiques abordent, et vice versa.
Les libéraux me
considèrent comme un odieux étatiste parce que je crois qu'une
sécurité sociale forte est une bonne chose, et les antimondialistes comme un odieux
droitiste parce que je ne suis pas spécialement révolté par la
mondialisation (ni par la pub).
On me souffle que je suis au moins trois choses : mathématicien,
geek, et homosexuel. Moui. Mais être mathématicien me relie aux
mathématiques, pas aux autres mathématiciens : si j'ai une certaine
affinité pour certains d'entre eux, je reste convaincu que c'est un
métier solitaire, et je ne peux pas imaginer mettre
mathématicien dans mon identité. Geek, c'est quelque chose que
je suis un peu malgré moi ; quelque chose dont on ne sait pas
exactement ce que ça veut dire, au juste, d'ailleurs. Et dans
« homosexuel » il y a « sexuel », donc ce serait un peu déplacé de ma
part de le revendiquer comme identité.
Oh, je suis encore plein d'autres choses comme je le disais il y a un mois : masculin,
humain, mammalien… Mais ce ne sont pas exactement des identités
culturelles.
Il ne faut pas chercher à tout prix à se coller des
étiquettes, me dira-t-on enfin. On m'a même soutenu très
sérieusement que j'avais un devoir d'être moi. Ho hum. Je ne sais
pas si ça m'emballe, tout ça. Je n'ai pas demandé à être moi, moi !
Et je ne sais pas si c'est spécialement intéressant. D'ailleurs je
raconte vraiment des âneries, là, alors je vais arrêter.
Pas terrible, ce salon. En tout cas ça ne valait pas les 10€
que j'ai payés pour y rentrer. Le plus pénible, c'était sans doute la
fumée : le hall est censé être non fumeur (c'est affiché au-dessus de
chaque sortie de secours) mais les organisateurs en avaient
apparemment décidé autrement (trop de fumeurs parmi les homos ?) et il
y avait des cendriers partout, et, de fait, plein de gens avaient une
cigarette à la main ; le plafond a beau être très haut, l'air
empestait le tabac. Le bruit ambiant était aussi assez désagréable :
je suppose que c'est assez inévitable dans ces grands halls de Paris
Expo où le son se réverbère à l'infini, mais tout de même ils auraient
pu éviter la musique aussi forte. À part ça, les stands étaient
évidemment d'intérêt variable. Il y en avait beaucoup dont je me
demandais ce qu'ils faisaient là (comme un nombre incroyable
d'expositions des œuvres picturales ou sculpturales de divers
artistes, œuvres même pas vaguement homoérotiques ou sur un
thème justifiant un quelconque rapprochement avec la « rainbow
attitude » ; plein d'agences de voyages, aussi, des décorateurs
d'intérieur, et même des marques de champagne !) : bref, ce n'est pas
que le côté commercial me pose un problème en lui-même, c'est juste
que je ne saisis pas la logique, parfois (à part « tous les prétextes
sont bons pour faire de la pub »).
Bon, j'en suis revenu avec un nombre incalculable de tracts,
prospectus et flyers en tous genres, dont la plupart vont finir
rapidement à la poubelle. Mais j'aurai au moins appris l'existence du
magazine Gus, ou de la soirée Glam As You, entre autres, que
j'ignorais complètement. Ah, et j'ai assisté à un débat sur le thème
« tolérances, intolérances », en fait surtout sur les rapports entre
homosexualité et religions, où il s'est dit un certain nombre de
choses intéressantes (notamment un pasteur de l'église réformée de
France a tenus des propos extrêmement intelligents).
Je n'ai pas spécialement plus de raison d'être sexuellement frustré
aujourd'hui qu'avant-hier, il y a trois semaines, ou il y a trois mois
(après tout, la dernière fois que j'ai consommé remonte à — euh,
je préfère ne pas essayer de retrouver la date, ce serait vraiment
trop déprimant), mais, je ne sais pas pourquoi, aujourd'hui
spécialement j'en suis particulièrement conscient.
C'est idiot, parce que je n'ai pas un besoin physique de
sexe à ce point : si j'avais une bonne raison de croire que je devais
m'en passer (si quelqu'un me disait clairement, tu n'y arriveras
jamais parce que <telle raison précise>) je suis assez
certain que j'arriverais très bien à contrôler le manque. Mais le
besoin est créé par l'impression absolument obsédante de facilité :
coucher (pour une nuit, je veux dire), dans le milieu homo, est
censé être aussi facile que trouver des chouettes à Athènes
(zut, j'ai déjà utilisé cette image).
Du moins tant qu'on n'est pas « vieux » (avec une notion
outrageusement jeuniste du mot « vieux », certes, mais malgré mon âge
canonique je ne tombe pas encore dedans) ou « moche » (ça
simplifierait mon enquête si on me disait que c'était mon cas, mais il
paraît que non, ce serait de la mauvaise foi de ma part de mettre mes
difficultés sur ce compte-là). On entend des gens se plaindre qu'ils
n'ont pas réussi à trouver un « plan cul » tel ou tel jour, comme si
c'était vraiment l'exception à peine croyable (bien sûr, ils ne se
donneraient pas la peine de dire comment ils font les jours où ça
marche, parce que c'est tellement évident que ça ne le mérite pas),
alors ce n'est pas vraiment plausible que je n'arrive pas à
en trouver un en <…> mois sans être Quasimodo. J'ai même
entendu quelqu'un se plaindre en longueur que c'était
vraiment trop facile à tel point que ça en ôtait tout
plaisir, ou tout intérêt, je ne sais pas, je n'ai pas trop écouté pour
pouvoir retenir mon calme. (Je ne parle pas de la difficulté de se
trouver un copain vaguement stable, voire le prince charmant de sa vie
— là tout le monde s'accorde sur le fait que c'est difficile.)
Alors je ne sais pas si je suis un cas unique au monde, ou s'il y en a
d'autres comme moi qui sont désespérément silencieux. Je crois au
moins avoir réussi un exploit absolument unique et sans précédent en
ayant passé presque deux ans au MAG (et j'y allais
très régulièrement — quasiment chaque semaine) et en étant
encore puceau à l'arrivée : c'est un peu comme réussir à parcourir la
rue de Rivoli d'un bout à l'autre un samedi soir sans rencontrer une
seule voiture. OK, je n'ai pas encore essayé DialH (ni le dépot, for
that matter) : on verra quand j'en aurai marre de traîner dans
des bars en espérant que quelqu'un me retourne un regard, mais je me
sens encore capable de réaliser des exploits inouïs devant lesquels la
rue de Rivoli serait un jeu d'enfant (le périph' à pied sans voir
l'ombre d'un véhicule, peut-être ?).
Ce n'est pas mon propos : ce que je voulais dire, c'est qu'être
frustré comme ça ce n'est pas bon déjà parce que ça emmerde les
lecteurs de mon 'blog à qui je raconte toutes sortes de conneries sans
intérêt, et aussi parce que ça a une influence néfaste sur mon
caractère, ça me rend impatient, aigre, cassant, voire carrément
haineux et jaloux (disons que je sens ça remuer quelque part au
tréfonds de mes entrailles et ce n'est pas plaisant). Et, bien
entendu, ça menace mon sentiment de bonheur. Je ne sais pas à quel
point je suis mentalement robuste ou fragile : j'imagine que si ma
résistance cède, ce sera assez soudain (au jeu du corps à corps,
l'esprit est bien plus fort).
Le piège, c'est que c'est précisément dans les endroits et dans les
circonstances où j'ai des chances de trouver de quoi résoudre cette
frustration (en la satisfaisant) que je trouve aussi de quoi
l'alimenter. C'est le piège de l'espoir du fond de la boîte de
Pandore : conservez l'espoir et il vous fait souffrir, abandonnez-le
et vous ne pouvez plus agir.
L'Église de Jésus-Christ des saints du dernier jour a installé un
lieu de prosélytisme rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie. (Ce n'est
peut-être pas nouveau : ça fait longtemps que je me demande ce que
c'est que cette « exposition » ouverte ; mais là c'est clair : c'est
écrit en toutes lettres.) Ils espèrent que les homos seront
particulièrement réceptifs à leur message ?
Je reviens d'une soirée organisée (à l'École) par Homonormalité.
Très réussie, je dois l'admettre : plein de beaux garçons (et aussi de
jolies filles, sans doute, mais ça me frappe moins que les beaux
garçons, curieusement), beaucoup de monde de façon générale
(curieusement, les soirées d'Homonormalité rassemblent
vraiment beaucoup plus de monde que n'importe quel autre genre de
soirée à l'ENS — et ensuite on s'étonne que les
clichés genre « les homos savent faire la fête » aient la vie
dure ), et une musique qui, cette fois, ne perforait
pas les tympans à cent mètres à la ronde. Thème : « rouge et noir »
(je n'ai toujours pas compris ce qu'il faut comprendre derrière ça, ni
pourquoi Homonormalité fait si régulièrement des soirées
appelées comme ça, mais peu importe) — et plein de gens
s'étaient habillés de manière appropriée (pour ma part, je suis
toujours en noir de toute façon).
Mais je me demande bien si c'est une bonne idée pour moi d'aller à
ce genre de soirées : ça a surtout tendance à souligner mes
frustrations. D'abord, je ne connais plus grand-monde, dans cette
École (j'y suis rentré en '96, je rentre donc en « huitième année »
d'une scolarité qui en compte quatre), je m'y sens de moins en moins à
ma place. Et voir tous ces jeunes beaux gars se tortiller en rythme,
ça m'apporte quoi ? Le sentiment d'être vieux et moche (en tout cas,
comme d'habitude, personne ne me gratifie d'un regard), inhibé
(incapable de trouver un prétexte pour ne serait-ce que faire
connaissance) et surtout infiniment frustré. Bref, une incitation à
être malheureux, dont je n'ai aucun besoin. À ce
titre-là, j'aurais mieux fait de rester chez moi (sans compter que ça
me fait me coucher tard, donc c'est raté pour me lever de bonne heure, et hop ! me voilà
remis sur la mauvaise pente du sommeil incontrôlé). Seulement, ce
n'est pas en restant chez moi que je vais faire des rencontres.
Demain, il y a une autre soirée (beaucoup
plus spécifiquement homo, celle-ci) inscrite sur l'agenda. Je fais
quoi : j'y vais ou je jette l'éponge ?
[Attention, rant ahead : cette entrée est fort
longue (peut-être en ferai-je une page séparée). Mais ça fait un
moment que je me propose d'écrire ce mot, qui me tient beaucoup à
cœur, alors il faut bien m'y lancer un jour.]
Je pars de l'extrait suivant (daté du 26 février 2002) du
Journal interrompu de Sylviane Agacinski (l'épouse de
l'ancien Premier ministre Lionel Jospin, mais c'est ici « en tant
que » philosophe qu'elle parle, de sorte que cette précision est peu
pertinente), dont je recommande au passage la lecture :
Je comprends que l'on parle des complications de l'identité
sexuelle, puisque le masculin et le féminin ne s'appliquent pas
simplement aux hommes et aux femmes et que chacun est mixe, à sa
façon. Dans cette mesure, on peut dire qu'il y a plus de deux
« genres ». Mais je conteste que cette multiplicité, cette
multiplication des genres, puisse jamais réduire, encore
moins annuler, la division sexuelle originaire. Il y a au
moins deux genres, et là est l'irréductible.
L'hétérogénéité sexuelle de l'espèce fonctionne comme modèle de
toutes les divisions — comme de toutes les oppositions
hiérarchiques.
Toute neutralisation de la différence (comme de dire que la
binarité sexuelle est disséminée jusqu'au point où « elle cesse de
faire sens ») est contraire à ce qui relève pour moi de l'ordre d'une
expérience élémentaire. Ainsi la possibilité d'être enceinte et
porter un enfant constitue-t-elle une épreuve absolue de l'altérité
sexuelle de deux façons au moins : elle est l'épreuve du corps
maternel, qui accueille en lui un autre ; et elle est l'épreuve de
l'altérité sexuelle, celle du mâle sans lequel le corps féminin ne
peut être fécond.
D'autres expériences, fort obscures, font que n'importe quel homme
m'est toujours étranger, toujours étrange, même si je l'aime, alors
que n'importe quelle femme est un peu une sœur — même si
je ne l'aime pas. Et la lionne elle-même m'est plus proche que le
lion. […]
Enfin le différend sexuel est beaucoup plus ancien et profond que
la division secondaire entre homosexuels et hétérosexuels.
L'affirmation de caractères ou de valeurs liés à l'homosexualité en
général ne devrait pas être affaiblie par le fait que les gays sont
des hommes et les lesbiennes des femmes. Ce que l'on peut dire, c'est
qu'il y a plusieurs « genres » de femmes, et plusieurs « genres »
d'hommes, et non un seul de chaque « côté ». Mais il n'y en a pas
moins deux côtés : penser la femme comme l'autre côté de
l'être humain. Non pas son mode mineur, ou faible, mais son autre
face.
Selon Augustin, Ève a été tirée d'un côté d'Adam, et non
de sa côte (latus, et non costa).
Les genres se démultiplient, mais ils ne se neutralisent pas
(contrairement au ni… ni… de la pensée
queer).
Je suis parfaitement en accord avec ces remarques (à quelques
détails près), et surtout avec l'utilisation du mot
profond (le différend sexuel est beaucoup plus […]
profond que la division secondaire…). C'est
essentiellement sur ce point que je voudrais insister.
En bref : je suis un homme (vir —
individu de genre masculin) avant d'être homosexuel.
Certainement les deux qualifications ont leur importance (comme
beaucoup d'autres, je vais y venir), mais la première, l'affirmation
de mon genre (tant biologique qu'identitaire) en a nettement
plus que la seconde, affirmation de mon orientation sexuelle.
Pourquoi éprouvé-je le besoin de le souligner ici (et maintenant) ?
Je vais tenter d'expliquer pourquoi je pense cette profession de foi
capitale et ce qu'elle signifie concrètement (car ce n'est pas qu'une
déclaration abstraite et une pétition de principe sub
specie æternitatis).
Pour commencer, peut-être ma proclamation suprendra-t-elle des
lecteurs de ce 'blog : on ne compte plus les entrée dans lesquelles
j'ai cru utile de rappeler que j'étais pédé — à peu près chacune, en
fait, celle-ci comprise — alors que je n'ai pas cru nécessaire
d'insister lourdement et péniblement sur le fait que, sans
contrefaçon, je suis un garçon. Mais cette insistance est trompeuse :
les faits les plus fondamentaux ne sont pas ceux sur lesquels nous
devons insister le plus constamment (deux plus deux font quatre,
répétez après moi, deux plus deux font quatre…), et parfois le
langage le fait pour nous : chacun de nos mots présuppose tout
l'Univers et toute notre conception d'icelui. En l'occurrence, chaque
phrase dans laquelle j'accorde avec moi un adjectif ou un participe au
masculin renvoie à mon genre, ce n'est pas un choix délibéré de ma
part, c'est simplement la grammaire française qui le veut (d'autres
langues ne le font pas), mais ce n'est pas pour autant anodin. (Je ne
compte pas faire une petite crise de Sapir-Whorf-isme, je vous
rassure, ni prêter allégeance à Lacan.) Et au-delà du langage : il
n'est pas forcément évident, quand on me croise dans la rue, de
m'identifier comme gay, alors qu'il est passablement clair que je suis
un garçon (sinon, vous avez besoin de lunettes).
Concrètement, cela veut dire que je me sens le plus proche, que
j'ai le plus de facilité à m'identifier, dans ma sensibilité, dans ma
manière d'appréhender le monde (je ne parle pas spécifiquement de la
pensée rationnelle, que je crois asexuée), d'un homme
hétérosexuel que d'une femme (quelle que soit son orientation
sexuelle). Certainement, je partage avec les lesbiennes
l'appartenance à une minorité identifiée par son orientation sexuelle,
et donc un certain nombre de valeurs ou de revendications qui peuvent
procéder de l'appartenance à cette minorité. Certainement, je partage
avec les « hétéroïnes » une attirance affective ou sexuelle pour le
genre masculin. Mais l'appartenance à ce genre masculin
prime sur l'attirance ressentie pour lui. Et la femme, la féminité,
me restent distantes et inaccessibles, même incompréhensibles (Das Unbeschreibliche, / Hier ist's getan; / Das
Ewigweibliche / Zieht uns hinan). J'insiste sur le fait que je ne
parle pas ici de la pensée rationnelle, qui assurément ne connaît pas
les frontières du sexe (ni peut-être celles de l'espèce, cela est un
autre problème) : mais réduire l'individu à l'étroitesse de la pensée
rationnelle est une fort singulière limitation de sa richesse et de sa
diversité.
Concrètement, cela veut dire aussi que je trouve extrêmement
blessante l'habitude qu'ont certains (notamment des homosexuels
eux-mêmes, justement) de parler au féminin des garçons homosexuels ou
de les désigner par des mots féminins (si j'ai écrit que « pédé » ne me gêne pas, en
revanche je trouve « tapette » ou même le censément affectueux
« tapiole » très insultants). Évidemment, je reconnais à tout le
monde le droit de se désigner comme ils le veulent : juste soyez assez
aimables pour ne pas dire « elle » en parlant de moi, merci (ni
« elles » d'un groupe dont je fais partie — si vous n'aimez pas
le fait que la grammaire française demande le masculin à moins que
tous les membres du groupe soient féminins, dites par exemple « elles
et ils »). Il va de soi que je ne trouve rien d'insultant au féminin
in ipso : c'est juste que je ne m'y rattache pas.
Au demeurant, ce sont autant les femmes qui pourraient être insultées
de la suggestion que prendre un homme et lui retirer son goût pour les
femmes fait de lui un individu féminin : quel singulier outrage à la
dignité féminine que de penser qu'une femme est un homme « avec
quelque chose en moins » !
Si je souligne aussi lourdement, c'est que cela correspond pour moi
à un lourd traumatisme (et mon but n'est donc pas ici seulement de
débiter mes théories mais aussi de parler de moi, ce qui est normal,
c'est mon 'blog et c'est fait pour ça). Je n'ai jamais eu le moindre
problème pour m'identifier moi-même (par rapport à moi-même,
j'entends : devant les autres il m'a fallu plus de temps) comme
homosexuel, ni évidemment comme individu de sexe masculin ; mais
l'image que la société (ou que ma vision, adolescent, de la société)
me renvoyait de l'homosexualité masculine, apparemment associée à des
caractéristiques féminines ou efféminées que je ne trouvais pas du
tout en moi, m'a causé un profond trouble identitaire. Comment
pouvais-je réconcilier ma masculinité (ou, n'ayons pas peur du mot, ma
virilité) avec mon homosexualité alors que toute l'iconographie ou
l'idéologie que je recevais au sujet de ces idées les présentait comme
contradictoires ? Comme je ne pouvais douter de ma masculinité (je
suis en train de le dire, c'est ce qui est le plus significatif), j'ai
pu me demander si ce que j'identifiais comme de l'homosexualité
n'était pas une erreur de jugement de ma part : il m'a fallu un
certain temps avant de comprendre qu'il n'en était rien, c'était
seulement une certaine représentation de l'homosexualité qui ne
correspondait pas à la réalité. Maintenant je fais un rejet
extrêmement fort de l'association d'idées entre l'homosexualité
masculine et la féminité ; rejet qui pourtant n'a rien à voir avec une
« follophobie » comme certains en éprouvent (et que je réprouve), mais
seulement avec un traumatisme d'adolescence.
Passons. Cependant j'en profite pour demander s'il est réellement
opportun de rassembler, comme on le fait fréquemment, les transgenres
et transsexuels, avec les homosexuels. Au-delà du fait trivial que
tous ces groupes prônent de façon générale une plus grande tolérance
sexuelle de la société (mais ce fait-là regrouperait également les
zoophiles ou adeptes du sado-masochisme, par exemple) et peut-être la
demande que la loi n'ait jamais connaissance du genre d'un individu,
je ne vois pas ce qui regroupe les transgenres et les homosexuels. Et
à vouloir assimiler ceux-là à ceux-ci ou ceux-ci à ceux-là, on risque
de perdre de vue que leurs revendications ne sont pas du tout les
mêmes (bien qu'elles puissent s'allier) ; donc oublier la spécificité
des transgenres et entretenir des idées fausses sur les homosexuels.
Je maintiens : l'homosexualité n'a rien à voir avec une confusion
des genres (pas plus que la transsexualité, d'ailleurs), c'est au
contraire nier l'existence même de l'homosexualité que de la ramener à
une confusion des genres (le ni… ni… dont
parle Sylviane Agacinski) dans laquelle il n'y aurait plus
d'homosexualité ni d'hétérosexualité mais une pansexualité tout
simplement contraire à l'observation la plus immédiate. Et c'est
aussi ignorer la bisexualité (un oubli trop fréquent) que prétendre
qu'il y a un clivage fondamental entre l'hétérosexualité et
l'homosexualité.
Je ne prétends évidemment pas qu'il existe une séparation absolue
et infrangible entre les genres. D'abord, ce n'est pas parce que
j'insiste sur l'existence et l'importance de l'altérité sexuelle que
je nie pour autant le fait que nous ayons chacun en nous des
caractéristiques identifiables comme masculines et d'autres que l'on
pourrait qualifier de féminines. C'est d'une telle banalité que j'ai
presque honte à le dire ; mais parfois il faut défoncer les portes
ouvertes pour être sûr d'être parfaitement bien compris. Je ne
prétends nullement jouer au « macho », nier ou rejeter ma féminité en
affirmant distinctement que je suis un individu de sexe et de genre
masculin et en proclamant ma fierté quant à ma virilité, ni même en me
prétendant incapable de comprendre la femme ; je prétends en revanche
que cette féminité en moi n'a pas à voir avec mon homosexualité. Et
je prétends encore que si l'on passe de l'affirmation (banale et de
peu d'intérêt) « il y a du masculin et du féminin en chacun d'entre
nous » à « tout est en tout et réciproquement » on risque de sombrer
dans une eau de vinaigre intellectuelle qui ne mène à rien. S'il faut
une illustration, je propose plutôt cette très jolie phrase (que j'ai
d'ailleurs déjà citée) : I'm more man than you'll ever be and more woman than
you'll ever get.
Mais continuons à attaquer au bélier les rares portes ouvertes
encore intactes : il est évident qu'encore plus important que notre
genre est le fait que, femmes et hommes ensemble, nous soyons des
humains. Car la discrimination, toute discrimination, et
notamment celle fondée sur le sexe, vient non d'une exagération de la
différence entre les genres, mais de l'oubli simple de cette donnée vitale : notre genre est
masculin ou féminin peut-être, mais c'est aussi le genre
Homo (pun unintended, mais
assurément bienvenu). N'oublions pas non plus que nous sommes encore
d'autres choses. Par exemple : des mammifères ; cela peut paraître
très bête à dire, mais de notre identité mammalienne proviennent
certaines des fonctions « nobles » de notre cerveau, les émotions les
plus importantes (dont l'amour maternel) ; donc je le dis sans crainte
du ridicule, soyons fiers d'être des mammifères, voyons en les chats,
les chiens, les rats et les vaches nos cousins, et n'ayons pas peur de
dire que nous avons survécu là où les dinosaures ont péri.
Je laisse au lecteur le soin de trouver ce qui doit être tiré de notre
identité de primates, de vertébrés, et tout simplement d'êtres vivants
(et quelle importance doit être donnée à chacune).
Le « 1er salon européen gay et gay friendly » (dixerunt) s'installera à Paris Expo porte de
Versailles les 18 et 19 octobre 2003. J'ai vu quelques affiches. À
part ça, impossible de tirer quelque info que ce soit de leur site Web tout pourri tout
en flash et donc impossible à naviguer sans criser (ne serait-ce qu'à
cause de la lenteur de réaction). Je me suis toujours demandé ce
qu'on trouvait au juste à exposer dans un salon de foobar
pour toute valeur de foobar, et celui-là ne fait pas
exception.
OK, ce n'est vraiment pas original. Mais il
se trouve juste qu'ils sont apparus dans la lucarne magique que, lobotomisé par ma dure journée, j'avais
allumée.
And the winners are: Gaël Leforestier et
Jonathan Cerrada. (Ben oui, j'avais bien dit pas original du tout.
Enfin, il s'en trouvera certainement pour dire quand même que j'ai des
goûts de chiottes.)
Un lecteur s'est ému de mon utilisation du mot « pédé » dans une récente entrée.
Le plus simple serait pour moi de rétorquer que je n'applique ce
terme qu'à moi-même — jamais aux autres sauf si je suis sûr que
ça ne les dérange pas ou bien si je désigne un groupe indéterminé
(genre, les pédés portent rarement les cheveux longs) ; quand
j'ai un doute, je dis « homo ». Mais j'admets que c'est une défense
un peu facile et insatisfaisante.
Est-ce une insulte ? Je m'interdis d'emblée de considérer
l'étymologie du mot pour le savoir (pour éviter des débats vaseux pour
savoir s'il doit être considéré comme signifiant la même chose que
« pédéraste » ou si l'abréviation a un sens autonome — et pour
ne pas avoir à gloser sur le sens de « παῖς »
en grec, enfant ou adolescent, risque de pente glissante vers le sens
de « pédophile ») : de toute façon, c'est une erreur de croire que
l'étymologie définit le vrai sens d'un mot. (L'étymologie du mot
« étymologie » a beau être « la science du vrai », nous ne devons pas
la croire : c'est justement l'étymologie qui fait sa propre publicité,
mais ce n'est pas en affirmant qu'elle a raison qu'elle nous
convaincra.) Maintenant, ce serait aussi un peu facile de dire le
sens d'un mot est celui qu'on lui donne, et ce n'était pas une insulte
puisque je ne l'ai pas utilisé comme insulte (l'insulte,
pourrais-je alors rajouter, est dans l'œil du proverbial
spectateur, ou lecteur en l'occurrence).
“When I use a word,” Humpty Dumpty said in
rather a scornful tone, “it means just what I choose it to
mean—neither more nor less.”
“The question is,” said Alice, “whether you
can make words mean so many different
things.”
“The question is,” said Humpty Dumpty, “which is
to be master—that's all.”
Alors, est-ce une insulte ? Il me semble que ce n'en est une qu'à
partir du moment où on admet que traiter quelqu'un d'homo est une
insulte : je veux dire, le problème n'est pas que le mot « pédé »
insulte les pédés — c'est que quelqu'un essaie d'insulter en
traitant de pédé, parce que, pour l'insulteur, être homo est la pire
insulte imaginable. Mais justement, ce n'est pas une prémisse que je
suis disposé à admettre. Quelles sont les paroles, au fait ? Ah
oui : Moi les lazzi, les quolibets / Me laissent froid, puisque
c'est vrai : / Je suis un homo comme ils disent. (Bon, Aznavour
n'a pas eu le culot de mettre « pédé ». Hum, c'est un comble que je
cite cette chanson que je n'aime vraiment pas.)
C'est sans doute en imitant le combat que certains Noirs — on
pense évidemment à Léopold Sédar Senghor — ont mené pour
réhabiliter le mot « nègre » que des homos ont fait de même pour le
mot « pédé ». Et ça ne date pas d'hier comme le prouvent les
échantillons du défunt Gai Pied que Matoo a exposés sur son 'blog.
Il y a certes d'autres mots qu'on pourrait utiliser (les
appellations diverses et variées des homosexuels, ce n'est pas ça qui
manque !). Mais « gay » ne satisfait pas ceux qui ne se reconnaissent
pas dans une certaine culture communautaire ; personnellement, je
trouve que c'est surtout pour des raisons d'euphonie qu'il passe mal
en français, en fait (en plus, on ne sait jamais si ça inclut ou non
les lesbiennes). Et « tapiole », même si c'est mignon et affectueux,
me déplaît parce que c'est un nom féminin et que je suis résolument
opposé au fait de parler au féminin des homos de sexe masculin.
Mais finalement, ce qui me convainc le plus en faveur de « pédé »,
c'est ce passage des Roseaux
sauvages, une scène toute simple mais qui m'a véritablement
bouleversé quand j'ai vu le film : Gaël Morel (dans le rôle de
François) se regarde dans un miroir, comme s'il se découvrait, et
articule — doucement au début, et avec plus de force à mesure
qu'il prend courage — je suis pédé. Une insulte ? Non :
une reconnaissance de soi. J'en ai pleuré.
J'ai beaucoup aimé. C'est très touchant et drôle, et il y a un
petit côté à la fois (légèrement) amateur et authentique qui donne
vraiment du charme au film.
Et pourtant ce n'était pas gagné : je suis très facilement agacé
(pour ne pas dire mis en furie dès le moindre écart) par toute
insinuation d'association entre l'homosexualité masculine et des
caractères efféminés. (Il faudra que j'en reparle plus longuement
ici, d'ailleurs.) Alors, une équipe de folles ostentatoirement
revendiquées, ça avait de quoi éprouver mes nerfs. Mais rien de cela
ici, ce sont les adversaires des Satree Leks qui sont joliment
ridiculisés par leur homophobie. Et on pourrait ressortir à propos de
la sympathique équipe cette jolie phrase que prononce Antonio Fargas
dans Car
Wash : more man than you'll ever be and
more woman than you'll ever get.
Je suis surpris, au passage, que ce soit l'UGC
Ciné-Cité les Halles qui ait sorti ce film : normalement c'est
plutôt le Mk2
Beaubourg qui fait ce genre de coups. Évidemment, la moitié de la
salle était homo rien qu'à vue de nez (ce qui est dommage, parce que
ce n'est vraiment pas nécessaire, je pense, pour apprécier ce film),
et, forcément, j'ai croisé des gens connus.
Je compte voir ce
film (voir aussi sa fiche
Allociné) demain (samedi) soir à l'UGC
Ciné-Cité les Halles (à une des séances de 18h10, 20h20 ou 22h30,
je ne sais pas encore ; Mise à jour : c'est celle de
22h30). Plusieurs personnes m'en ont dit énormément de bien. Si des
gens veulent aussi le voir et auraient envie d'y aller avec moi,
qu'ils me contactent.
[N'est-ce pas que le Web est génial ? Je ne connais pas un mot de
thaï (enfin, si, maintenant, j'en connais deux — สตรี qui veut dire
« femme », et เหล็ก
qui veut dire « fer » — mais il y a dix minutes je n'en
connaissais pas un), et en jouant un peu le détective grâce à l'IMDB, Google, Unicode et thai-language.com, j'ai
réussi, à partir d'une transcription foireuse, à retrouver l'écriture
originale du titre, qui doit être correcte puisque quand on la
recherche dans Google, on tombe bien sur le site officiel du film.]
Une émission sur M6
tout à l'heure consacrée aux jumeaux ; le genre d'émissions typique de
M6 : une vague sauce scientifique sur un reportage un peu
creux, un zeste de caméra cachée, pas mal de rigolade, et le tout
donne quelque chose de pas trop sérieux, vaguement écervelant, mais
qui se laisse finalement regarder.
Certainement j'aurais regardé de toute façon, parce que —
comme sans doute pas mal de monde — j'ai toujours été fasciné
par les jumeaux. Déjà par la fraternité (je suis fils unique) : mon
ami Laurent m'en avait fait la remarque très tôt à la lecture de mes
œuvres littéraires (en particulier La Larme du
Destin ; plus récemment j'ai été très clair dans mon Requiem à la mémoire d'une
ombre), mais plus encore par la gémellité.
Clairement un fantasme homo : je ne sais pas en général, mais dans
mon cas c'est indubitable, et j'ai pu constater que ce n'est pas rare
pour les homos d'avoir cette fascination pour les jumeaux, pour leur
relation très proche, parfois fusionnelle, et sur l'idée de possibles
rapports incestueux. C'est idiot, me disait un ami, autant
fantasmer sur quelqu'un en train de se masturber que sur deux jumeaux
qui baisent ensemble. Certes, et pourtant ! (Bon, il y a bien sûr
des gens qui tripent sur la masturbation solitaire, mais ce n'est pas
trop mon truc — comme fantasme, je veux dire, hein .)
En plus, c'est idiot : vu que je suis absolument persuadé que je ne
me supporterais pas moi-même si je devais me côtoyer, je ne vois pas
comment je pourrais supporter un frère jumeau (bon, en grandissant
avec, c'est autre chose, mais justement je ne serais pas moi-même
— et je serais peut-être moins imbuvable — si j'avais eu
un germain). De toute façon, je ne peux pas avoir un evil twin brother séparé de moi dès la naissance,
parce que si c'était le cas je l'aurais forcément retrouvé grâce à
Google.
I had bought Mercedes Lackey's
novel Brightly Burning some time ago, and only last week
did I start reading it. Well, I do not recommend it: as a
matter of fact, I stopped reading it halfway through. This is
disappointing because I had very much enjoyed Mercedes Lackey's
The Last Herald-Mage Trilogy (Magic's Pawn,
Magic's Promise and Magic's Price), and
(although to a lesser extent) Take a Thief, all these
novels taking place in the imaginary realm of Valdemar. I heard about
The Last Herald-Mage Trilogy because it is one of the
rare heroic fantasy stories whose main character is gay (though I
mentioned another one in this 'blog);
now, quite independently of that, it is a very good story (or three
stories, I guess). On the other hand, Brightly Burning
was simply boring. There's this sort of enveloping
“well-meaning” atmosphere that just gets on the nerves
after a while: it's just a tad too obvious that the author
simply took some scenes, or a plausible story, from the contemporary
world, and transposed it (with some added magic and all that) in her
fantasy realm. But things don't seem any bit plausible in a
supposedly medieval setting: a good number of these characters of hers
are simply modern college kids (the intended readership?), with modern
college kids' worries, not believable at all in the context in which
they are supposed to be. Like, the hero and his pal going away for
Christmas holidays—except it's called “Midwinter”
and not “Christmas”—in the pal's family, who are
supposedly peasants but very much gentlemanly; or trying to make us
believe that in that super-special school of theirs (the school of
“Heralds”), where many are called but few are Chosen,
things are so well that highborn and freemen just get along together
as equals. Hello, world? Worse than that, entire chapters are spent
just painting the background, so to speak: this is acceptable when the
background is of very special interest; but, with due respect
to Mercedes Lackey, Valdemar (or its Collegium) isn't that
fascinating. So I recommend against reading Brightly
Burning and I won't go to the end. On the other hand, I repeat
that I do recommend The Last Herald-Mage
Trilogy: it has its flaws, but it's worth reading.
Eh bien je ne recommande pas ce film : c'est vraiment sans intérêt.
En fait, le gros problème c'est que ça se prend vraiment trop au
sérieux. Si j'ai bien aiméPirates des
Caraïbes, c'est surtout pour son humour agréable et
rafraîchissant (quand on va au cinéma l'été ce n'est en général pas
pour voir du Bergman) ; et si
Indiana
Jones est si bon, c'est pour son mélange d'action et de
distraction, et c'est aussi pour ça que Charlie's
Angels, récemment, m'a bien plu. Mais dans Tomb
Raider, le comique lui-même se veut presque sérieux. Et du
coup, ça n'a pas pris (enfin, pour moi en tout cas) : qui peut
s'intéresser à une histoire de recherche de la boîte de Pandore (tout
de même, il fallait oser !) si ce n'est pas raconté sur le ton de la
légèreté ?
En plus, le grand méchant n'est pas réussi. Il est caricatural
sans faire peur. On ne comprend pas sa psychologie ou ses motivations
(à part « être le grand méchant » — ce qui ne va pas chercher
loin). Et tout le monde sait que c'est souvent un grand méchant
réussi qui est la seule façon de sauver un film d'action.
Finalement, peut-être ce qui m'a surtout amusé, et fait plaisir,
c'était d'apprendre que Lara Croft était anglaise.
Une autre chose qui m'intrigue, c'est comment on est censé regarder
Lara Croft elle-même. Je peux tenter une analyse sociologique à
0.02€ : autrefois, dans les histoires d'aventure, le héros était
un homme et les femmes servaient surtout de faire-valoir, de princesse
que l'aventurier va sauver, et dont le rôle va peut-être aller jusqu'à
poignarder le grand méchant au moment où il croit avoir vaincu le
héros, mais c'est à peu près tout ; ah, il y a aussi le cas de la
femme fatale, méchante, mais qui parfois va irrésistiblement succomber
aux charmes du héros, et se mettre à ses côtés au moment décisif.
Bon, on a progressé depuis, donc : les femmes peuvent être des
héroïnes à part entière ; mais le sont-elles vraiment pour
elles-mêmes, ou sont-elles simplement là pour le regard du spectateur
masculin (hétérosexuel) ? Finalement, je ne suis pas certain que Lara
Croft, héroïne remplaçant les héros machos, soit un réel progrès pour
le féminisme. Superficiellement, elle peut passer pour une icône
lesbienne — sauf que les producteurs ont pris grand soin de bien
montrer qu'elle n'est pas lesbienne.
Dans cette ligne d'idées, d'ailleurs : c'est peut-être naïf et
enfantin de ma part, comme souhait, mais ça me plairait vraiment
beaucoup si un jour on pouvait voir un film d'action / aventure, grand
public (si, si), dont le héros (ou peut-être son acolyte, si c'est
vraiment trop dur que ce soit le héros) serait homo. Pas forcément
montré avec des scènes aussi explicites que quand on tient à nous
prouver qu'il apprécie les femmes, hein : ça a le droit d'être plus
discret que ça, peut-être même juste suggéré, mais que ce soit
envisageable, quoi. Et je veux vraiment parler du genre de
personnages qui cogne partout et qui sauve le monde des griffes de
l'immonde grand méchant : pas le technology geek
qui tapote à toute vitesse sur un clavier et vous déchiffre n'importe
quel code secret — ni le hobbit aux grands yeux, plein de
courage, mais qui ne se la joue pas vraiment Lara Croft — ou
autres rôles dont on consent parfois à nous laisser penser que
peut-être ils sont ambigus. Diable, je trouve que ce serait même bien
si le grand méchant pouvait éventuellement passer pour homo,
parfois.
Mais bon, d'accord, ça n'a aucune importance au fond, et je suis
sûrement victime du politiquement correct. Ou de mes propres
fantasmes. Sûrement.
[Traduction anglaise de ci-dessus.]
Well, I won't recommend this film: it's really devoid of interest.
Actually, the big problem is that it takes itself far too seriously.
If I much enjoyedPirates of the
Caribbean, that's mostly for its pleasant and refreshing
humor (when you go to movies in the summer in general it's not to see
some Bergman) ; and
if Indiana
Jones is as good as it is, it's because of its mix of
action and amusement, and that's also why I enjoyed Charlie's
Angels, recently. But in Tomb Raider, the
comic element itself tries to be almost serious. And, consequently,
it didn't work (well, for me at least it didn't): who can seriously
claim interest in a story of the quest for Pandora's box (really, they
had to dare!) if it isn't told on a light tone?
Moreover, the bad guy isn't a success. He is grotesque without
being frightening. One doesn't understand his personality or his
motivations (apart from “being that really bad
guy”—which doesn't get you very far). And everyone knows
that often a successful bad guy is the only way to save an adventure
movie.
All in all, what perhaps amused me most, and pleased me, was to
learn that Lara Croft is English.
Another thing that intrigues me is how one is supposed to consider
Lara Croft herself. If I may attempt a $0.02-worth sociological
analysis here: once upon a time, in adventure stories, the hero was
male, and women were essentially used as foils, as princesses which
the adventurer could save, and whose role could sometimes go as far as
stabing the evil guy at the point where he things he has defeated the
hero, but that's about all; oh yes, and there's also the case of the
femme fatale, evil, but who will sometimes irresistibly succumb
to the hero's charm, and side along with him at the decisive moment.
So, we have made progress since: women can be heroins on their own;
but are they really for themselves, or are they simply there for the
male (heterosexual) spectator's eye? After all, I'm not certain that
Lara Croft, heroin replacing macho heros, is a real progress for
feminism. Superficially she might pass as a lesbian icon —
except that the producers took great care in showing that she's not a
lesbian.
In this line of thought, actually: maybe it is naïve and childish
on my part to wish this, but I would really like it if some day one
could see an action / adventure movie, for the general public
(really!), whose hero (or perhaps the hero's sidekick if it's really
too hard for it to be the hero) would be gay. Not necessarily shown
with such explicit scenes as when they try to prove to us that someone
likes women, eh: it can be more discreet than that, maybe just hinted,
but that it be at least conceivable, you know. And I mean the sort of
blockbuster character who hits rough and saves the world from the
claws of the despicably evil guy: not the technology geek who types at
the speed of light and can decipher any code—nor the hobbit with
really big eyes, full of courage, but who doesn't exactly play Lara
Croft—or any of these roles which they sometimes consent of
letting us believe that maybe they are ambiguous. Hell, I'd even
think it were good if the really bad guy could be gay, sometimes.
But all right, it is utterly unimportant, really, and I'm surely
victim of politically correct. Or of my own fantasies.
Surely.
Un reportage sur la très sérieuse chaîne Arte vient de nous l'apprendre
officiellement : la drague, c'est plus facile pour les homos que pour
les hétéros.
Conclusion : c'est vraiment moi qui ne suis pas doué. Ouin.
L'acteur Aurélien Wiik est vraiment très beau garçon. (Je l'ai
repéré l'autre jour dans un rôle très secondaire dans le téléfilm Les
Inséparables — téléfilm au demeurant sans
intérêt —, mais je l'avais déjà remarqué dans In Extremis
précédemment.) Voilà, c'est une contribution de plus à la rubrique « le beau gosse du
jour ».
Je suis complètement dingue des dreadlocks sur cheveux blonds.
C'est quelque chose qui m'a frappé avant-hier quand j'ai croisé un ado
au look skater (bon, ça joue aussi, ça) avec les cheveux comme ça.
Question associée : pourquoi est-ce que je ne connais aucun pédé qui
se coiffe de la sorte ?
Les points d'Eckardt sur les surfaces cubiques, c'est
pénible. Si vous ne comprenez pas ce que la phrase
précédente veut dire, c'est normal — juste faites-moi confiance.
Si vous croisez un jour un point d'Eckardt, tuez-le.
Primo, comment peut-on être suffisamment con pour essayer de
photographier la tour Eiffel depuis les Tuileries au flash ?
Essayer de photographier des feux d'artifice, c'est une chose (je n'en
sais rien, mais je suppose qu'avec une pellicule assez sensible et une
assez grande ouverture on peut arriver à capturer le parcours de la
fusée pendant le temps d'exposition). Mais la tour Eiffel au flash,
c'est vraiment trop débile.
Secundo, pourquoi faut-il que les gamins trouvent les pétards si
rigolos ? Pourquoi n'a-t-on toujours pas interdit ces jouets
bruyants, dangereux et vraiment stupides ? Est-ce que je deviens
vieux et grincheux ? D'ailleurs, il faudrait aussi interdire les feux
d'artifice amateur : déjà qu'un feu d'artifice professionnel fait par
les meilleurs artificiers que la mairie de Paris a pu engager, et que
quelques centaines de milliers de personnes sont venues admirer, je
trouve ça un peu répétitif et lassant (bon, d'accord, on sait
maintenant faire des trucs qui prennent trois couleurs successivement,
ou qui font des formes un peu plus intéressantes d'une bête sphère,
mais c'est quand même vaguement tout le temps pareil), mais alors une
petite merde amateur à deux euros, ce n'est guère mieux qu'un pétard.
Bon, d'accord, je deviens effectivement vieux et grincheux. J'ai le
droit de m'énerver du fait que le feu d'artifice de Paris ait commencé
avec une heure de retard ?
Tertio, suite à ma note
précédente, j'insiste : il y a vraiment beaucoup de beaux garçons
qui me demandent si j'ai une clope. Surtout quand je suis vaguement
looké en racaille (enfin, en racaille bien pédé, quand même). Comment
expliquer cela ? Est-ce
parce qu'ils se disent qu'un jeune branché comme moi (ha, ha, ha)
doit forcément fumer et être un type sympa prêt à partager ses
cigarettes, ou bien
parce qu'ils ont des tendances homo refoulées (ou non), qu'ils me
trouvent terriblement séduisant et qu'ils utilisent ce qu'ils peuvent
comme prétexte pour m'aborder ?
Je préférais la deuxième option, hein (mais bon, je me sentirais
con du nombre d'occasions que j'aurais ratées en disant « désolé, je
ne fume pas » : bordel, ils ne pourraient pas demander l'heure,
plutôt ?). Manifestement il faut que je m'achète des cigarettes même
si je suis non-fumeur, rien que pour pouvoir en offrir quand on m'en
demande (et trancher entre les deux possibilités ci-dessus).
Quelqu'un peut me conseiller une marque (je n'y connais rien, et pour
cause) ? Ah, et comment faire taire ma conscience qui me dira que
c'est mal de donner un produit nocif à quelqu'un qui m'en
demande, fût-il beau garçon ?
Quarto, comment se fait-il que tous les guides de la drague gay
parisienne en plein air mentionnent
les Tuileries mais disent juste que ça s'arrête à la tombée de la
nuit (quand le parc ferme) ? Moi j'ai l'impression que ça se
délocalise ensuite dans les bosquets (labyrinthes ?) du Carrousel, de
part et d'autre de l'arc du Carrousel. Ou, si ce n'est pas de ça
qu'il s'agit, j'aimerais bien savoir ce qu'y font tous ces mecs qui y
déambulent au début de la nuit. Ils vont pisser ? Ils admirent le
Louvre ? Hum, j'y crois moyennement. Bon, j'enquêterai quand je
serai vraiment en état de manque.
Alain Piriou, porte-parole de l'Inter-LGBT, est un
des mecs les plus mignons que j'aie jamais vu. Voilà, c'était
l'information inutile du jour. Malheureusement, il n'y a pas l'air
d'avoir de photos de lui sur le Web.
Comme c'est devenu habituel le vendredi soir, l'association >Dégel! (association des étudiants
homos de Jussieu et d'ailleurs), s'installe sur les quais de Seine,
dans le square Tino Rossi (également connu comme le jardin aux
sculptures contemporaines ridicules), sur l'herbe, pour manger et
boire et regarder la nuit tomber et la Seine couler, bavarder et (pour
ceux qui sont bien saouls) chanter des chansons paillardes. Le lieu
est d'ailleurs rempli de groupes de gens plus ou moins nombreux qui se
livrent au même farniente, et parfois les groupes se mélangent
(un peu), ce qui est fort sympathique. Je ne sais pourquoi, cette
soirée-ci a été particulièrement réussie à mes yeux. Peut-être
était-ce parce que pour la première fois de ma vie j'ai vu en
vrai un concours de gobage de
Flamby (oui, ils sont fous, il y a bien une fédération française
des gobeurs de Flamby, qui vous expliquera par exemple les 23
techniques officielles du gobage), qui avait lieu juste à côté de là
où nous étions. Mais plus probablement simplement le fait que des
gens sympathiques étaient là ce soir, et que le climat était
spécialement propice à la conversation.
Malgré cela, je m'en tire toujours avec un sentiment un peu partagé
(que j'ai d'ailleurs déjà évoqué).
Ce n'est pas que j'aie le sentiment d'être mis à l'écart du groupe,
c'est plutôt que j'ai un peu tendance à me mettre moi-même en marge,
sans le vouloir, peut-être par une sorte de réserve instinctive dont
je n'arrive pas encore à me départir suffisamment. Par exemple, alors
que tout le monde se jette sur tout le monde (plaisamment, je
précise ! nous ne faisons pas encore de partouze en plein air —
tiens, aujourd'hui quelqu'un que je ne nommerai pas a décidé de donner
libre cours à son fétichisme sur les lobes d'oreille) je réussis
toujours à me faire passer inaperçu. (J'ai un talent incomparable
pour passer inaperçu, même si ça peut surprendre quand on ne m'a pas
vu l'appliquer. Et parfois je l'invoque de façon quasiment
inconsciente.) Ou, pire encore, si ce n'est pas moi qui manifeste de
la timidité, je crois qu'il y en a qui en éprouvent à mon égard (notez
que tout cela est très subtil, et les mots que j'utilise sont
considérablement exagérés) : et c'est encore plus difficile à
vaincre.
Autre chose, c'est qu'il y a plusieurs des garçons, là, (disons
facilement cinq ou six ce soir : tout compte fait je ne suis peut-être
pas aussi difficile que je le dis parfois, ou en tout cas pas avec les
étudiants dans la bonne tranche d'âge), dont je pourrais facilement
tomber amoureux si je me laissais, ou même, si je ne me retenais pas
un peu. Bon, j'ai acquis, à force, un certain contrôle de moi en la
matière, donc ce n'est pas un problème en soi. Nous avons, selon la
personne, des relations amicales, ou cordiales, ou indifférentes, et
je me donne peu de chances d'y changer quelque chose. (Par exemple,
il y en a un — non, je ne donnerai pas de nom — que je
connais depuis quatre ans maintenant, et que j'admire très
profondément, mais je suis dangereusement doué pour ne rien laisser
paraître de ce que je pense. Enfin, je m'entends bien avec lui.)
Maintenant, ce que je me demande bien, c'est quelle idée les autres
ont de moi : passé-je pour un chieur ? un cinglé ? un timide ? ou
encore quelqu'un de parfaitement insignifiant ? C'est bien triste que
je n'en aie aucune idée (« not a clue »).
Mais bon, je ne voudrais pas que ces méditations obscurcissent le
fait que j'ai passé une excellente soirée : j'ai appris à ne plus me
laisser attrister par ce genre de considérations.
Dans l'urgence de mon départ lundi matin aux aurores pour la conférence
à Besançon (surtout que j'expose lundi en début d'après-midi, et
que je dois encore préparer cet exposé), je n'ai pas le temps de
raconter en détail. Je peux juste livrer, brutes de fonderie, les photos
que j'ai prises ; ce sont les fichiers exactement tels qu'ils sont
sortis de l'appareil (et l'heure indiquée est celle à laquelle j'ai
pris la photo), j'ai juste rajouté un court commentaire à côté (et,
bien sûr, vous aurez compris qu'il faut cliquer sur le nom du fichier
pour accéder à l'image en pleine taille) ; il faudrait avant
d'utiliser l'image appliquer une transformation colorimétrique (tels
qu'ils sont, les verts sont atténués), corriger la luminosité, et
éventuellement redimensionner ou recadrer l'image —
malheureusement, les photos floues (oui, je sais, elles le sont
presque toutes — mon appareil est merdique) resteront floues :
mais je n'ai pas le temps de m'occuper de tout ça pour l'instant,
alors on se contentera de cet immonde listing.
Les petits malins essaieront de reconstituer mon trajet à partir
des heures relevées par l'appareil — ce qui ne sera pas
forcément évident, alors je vous aide. Je suis parti de Corvisart
(vers 14h30), j'ai avancé vers l'avant de la marche jusqu'à dépasser
la tête du défilé (vers 15h15), puis je suis revenu à sa rencontre ;
ensuite, j'ai pris un chemin parallèle (par la gare de Lyon et la rue
de Charenton) pour rejoindre Bastille et je suis de nouveau allé à la
rencontre du cortège (rue de Lyon, vers 15h45) ; à partir de là, j'ai
marché en arrière jusqu'au boulevard de l'Hôpital, station
Saint-Marcel, où j'ai pris le métro pour repasser chez moi me
désaltérer un peu (vers 16h30). Ensuite, j'ai repris le métro
directement jusqu'à Bastille (vers 17h20) et j'ai suivi le boulevard
Beaumarchais jusqu'à retrouver le char de >Dégel! et HBO, sur lequel je suis alors monté et c'est comme
ça que j'ai terminé jusqu'à Place de la République (vers 18h).
J'ai fini de lire le court roman Cœur de démon
de Claude Neix (ISBN 2-912706-19-X), et je pense que, globalement, je
peux le recommander. J'étais très enthousiaste au début, moins au
milieu, et de nouveau un peu plus à la fin, et dans l'ensemble j'ai
bien apprécié.
C'est de la heroic fantasy gay, avec une trame
de fond vaguement enquête policière. « Gay » ne signifie pas
érotique, je précise, même s'il y a deux ou trois passages qui le sont
un peu, ça reste très soft et sauf si on est excessivement puritain on
ne s'en offensera pas. Dans le genre fantasy, ce
n'est pas mal du tout, et j'apprécie fort le fait que ça ne fait qu'un
court roman, pas un pavé monumental ou une saga en douze volumes comme
cela semble être à la mode dans ce genre en ce moment. Pour ce qui
est de l'intrigue, son principal défaut est d'être sans doute un peu
trop chargée en événements : l'auteur n'arrête pas de compliquer les
choses, de rajouter des péripéties, peut-être sans ménager assez de
temps de repos pour le lecteur ; mais dans l'ensemble l'histoire est
assez captivante.
Au niveau de l'écriture, c'est bien écrit, l'auteur maîtrise bien
sa langue, ce qui est toujours agréable quand sous l'étiquette
« littérature gaie et lesbienne » n'importe qui a tendance à
s'autoproclamer écrivain et on constate que certains ne savent pas
aligner trois mots ; or ici le style est, sans être excessivement
recherché, relativement soutenu, tout en gardant un ton vivant. Les
personnages sont plausibles et en tout cas attachants, et le
développement psychologique n'est pas nul. L'ambiance me plaît assez,
car elle a certains des côtés intéressants de Dune,
disons, notamment l'étude de la lutte politique assez bien menée, et
cela sans le mysticisme que je trouve sans intérêt et pénible dans
l'œuvre de Frank Herbert. L'argument est un peu rocambolesque
et, comme je l'ai dit ci-dessus, trop chargé, mais il n'est pas sans
intérêt ni ennuyeux. Ah oui, et puis, sinon, il y a une jolie
illustration de couverture.
Bref, ce n'est pas un chef d'œuvre, mais c'est un petit livre
pas du tout désagréable à lire. Je le recommande à ceux qui ont aimé,
par exemple, la trilogie Last Herald-Mage
de Mercedes Lackey, ou mon propre petit conte de fées.
So, basically, what have I been up to, these days, while my Web
site was bit rotting, until I started
this 'blog?
Well, working, for one thing. I'm sorry to say, my thesis is still
not written, and it will be a couple of months yet before I can think
of presenting it. However, my thesis advisor and I have been writing
a paper
together, in which we prove that smooth Del Pezzo surfaces of degree
3 (cubic surfaces) and 4 (complete intersections of two quadrics in
projective space of dimension 4) might have no rational points over
fields of cohomological dimension 1: this is an exciting new
counterexample, and although it dashes some hopes of understanding the
arithmetic of cubic surfaces in a “naïve” way, it gives an
interesting application of Rost's degree formula toward proving
arithmetic results on inexistence of rational points (or zero-cycles).
I'd also like to say that my paper Équivalence
rationnelle sur les hypersurfaces cubiques sur les corps
p-adiques has at last appeared in volume 110
issue 2 of manuscripta
mathematica: essentially, this is my first published math
paper! (Its DOI is 10.1007/s00229-002-0327-3,
and you can grab a local
copy of it if you wish.) Currently, I'm working on cubing
surfaces over C(t), and I also spare a thought from time to
time to trying to find an elementary proof (which I'm sure is
possible) of the fact that smooth projective rationally connected
varieties over C((t)) always have a rational fact (over
C(t) this is a very impressive result by T. Graber, J. Harris
& J. Starr).
On the more personal side, for those who have asked (I know, I
never reply to email, it's maddening): I haven't found myself a
boyfriend. I have firmly resolved, however, not to let that
fact ruin my happiness: while I'm a definite believer in Love with a
capital ‘L’ (and some of my writing proves it), I don't
intend, to put it simply, to let that aspiration shadow other
interesting and positive human relations, such as friendship,
tenderness or plenty of others. An obvious point, really, but some
people seem to simply—miss it. Anyway. In an effort toward
socializing with other gay people (not necessarily in hope of finding
my Brother soul, nor to hunt for sex), I have been going to >Dégel!, the gay & lesbian students
alliance of the Jussieu campus:
this has been a profitable occasion to meet many interesting people
and make new friends. Of course, I am also member of HBO, the similar organization for the Orsay campus: actually, I am a
trustee (and sometime treasurer) of HBO, and one
thing that has occupied me for the last months is the collaborative
process of rewriting the organization's bylaws.
On that subject, I might also mention that I've been found lurking
(and not just lurking, in fact) around IRCnet, notably on the #gayfrchannel under the nick
“Ruxor”
(these irc://
URIs should work
within Mozilla, provided, of
course, irc.ircnet.net is willing to accept you; the name
“Ruxor” is a reference to an old novel of mine).
While I'm ranting, I could add that I now have an ICQ
number (UIN), namely
168950339.
I haven't written much literature recently (my most recent work is
still my favorite: Histoire de la Propédeutique à la Reine des
Elfes; actually, I wrote this erotic short story and these four very short
stories since then, but I think they don't really count).
Actually, I did write something: together with some friends
of mine (from the ENS), I organized a little “short
story writing circle”: we voted on a common theme or subject and
then, each on our own, wrote a story on that theme, and compared
them. You can read the
stories that were written (and one of
them is mine): overall, I thought they were very good. The chosen
subject was The story must start with the death of a character.
And it must end with the death of a character. The same one. Now
we've started a second iteration of the story-writing circle, and the
subject is to write a story that parallels a famous historical or
literary event (such as the death of Julius Cæsar). I hope the
results will be likewise interesting.
Incidentally, in developing a procedure to vote for the common
subject of the aforementioned short stories, I had to implement what I
call the “Condorcet-Nash” electoral system. This is
definitely something I'll have to write about, some time. But I don't
have the time now. In just one sentence, it consists of taking the
optimal (von Neumann-Nash) strategy in the two-player fair zero-sum
game where each player chooses one of the candidates and receives a
score equal to the number of electors who prefer his candidate over
his opponent's (or minus the number of electors who prefer his
opponent's candidate). In a definite sense, this is the best
possible electoral system. I developped an implementation for it
using the GNU Linear Programming Kit, because
finding an optimal strategy in a zero-sum game is done by linear
programming. This is all quite fascinating.
On the computer side of my life, I haven't programmed much these
days. I did a major rewrite of my MIDI writing
library, but I didn't even bother to package it! The stuff is
still completely undocumented, anyway, so essentially it's usable only
by me. I also “discovered” and
documented a gratuitous annoyance in Unix, concerning the behavior of the
connect() system call when interrupted.
What else? I had a renewal of interest in the Rubik's Cube (I spent something like
six hours one night remembering how to solve it, something I knew
seven or eight years ago and had completely forgotten since); but that
probably won't last. Still, I plan on buying a 4×4×4 Rubik's Cube and
try to figure it out, now that I have the 3×3×3 well in hand (it takes
me ages to solve it, but I manage it).
I also went to see a couple of movies in the last few months. I
saw The Two
Towers on the day it was released (worldwide), 2002-12-18,
and I wasn't disappointed, although I thought maybe it lacked
unity. Long Island
Expressway, which I saw on 2003-02-04, nothing like a box
office buster, is a deeply moving story, and I recommend seeing it.
Spielberg's Catch Me
If You Can, which I went to see on 2003-02-19, was nice
(although it gives a, uh, backward image of France). I rather liked
Ma
Vraie Vie à Rouen (no English title that I know of), which
I saw on 2003-03-07, but I did find it lengthy. On 2003-03-10, I was
deeply enthusiastic about 8 Mile: I
don't have any particular fondness for hip-hop music, but I really
loved that film anyway. Next I saw The Rules of
Attraction on 2003-03-19, and I found it funny, but that's
about all. On the next day I went to see Stupeur
et Tremblement (possibly still not released in the US), and
I loved it: it is at once hilarious, beautiful and somehow terrifying.
Snowboarder,
which I went to see on 2003-04-09, is pretty much devoid of interest,
although some of the snowboard figures were spectacular. Next I saw
The Hours
on 2003-04-20, and I very much liked it: it is elegantly built, nicely
filmed, and rather moving; plus, Nicole Kidman's award for her
performance as Virgnia Woolf was well-deserved. The Life of David
Gale, which I saw on 2003-04-23, was a bit disappointing: I
had guessed the ins and outs of the plot not even halfway through the
movie, so the end was sort of spoilt for me. Lastly, I saw X-Men 2 on
the day before yesterday, and I found it rather entertaining. And I
plan on seeing Matrix
Reloaded on the day of its release (which is 2003-05-16 in
Europe: contrary to Lord of the Rings which played the
time zone difference by releasing a few hours earlier in Europe,
Matrix decided to release a few hours later than in North
America).
I've done some reading, too. In particular, I discovered that I
really liked Borges, and I think by now I've read just about all that
he's written (disappointingly little, I might add), in French
translation. I tried to read David Copperfield, but I
just couldn't get the hang of it: much as Balzac annoys me to no end,
I find Dickens' habit of constantly straying off the subject a source
of frustration; I expect to try again with A Tale of Two
Cities. Right now I'm reading The Hours by
Michael Cunningham.
I think that more or less sums it up.
[French translation of the above.]
Alors, finalement, qu'est-ce que j'ai fait ces jours-ci, pendant
que mon site Web était en train de pourrir, jusqu'à ce que je commence ce 'blog ?
Eh bien, d'abord, travailler. Je suis au regret de dire que ma
thèse n'est pas encore écrite, et il va falloir encore quelques mois
avant que je puisse songer à la soutenir. Cependant, mon directeur de
thèse et moi avons écrit un article ensemble,
dans lequel nous prouvons que les surfaces de Del Pezzo lisses de
degrés 3 (surfaces cubiques) et 4 (intersections complètes de deux
quadriques dans l'espace projectif de dimension 4) peuvent ne pas
avoir de points sur des corps de dimension cohomologique 1 : c'est un
contre-exemple nouveau et excitant, et même s'il anéantit certains
espoirs de comprendre l'arithmétique des surfaces cubiques d'une façon
« naïve », il donne une application intéressante de la formule du
degré de Rost pour prouver des résultats arithmétiques d'inexistence
de points rationnels (ou de zéro-cycles). Je voudrais aussi dire que
mon article Équivalence rationnelle sur les hypersurfaces cubiques
sur les corps p-adiques est enfin paru dans le
volume 110 numéro 2 de manuscripta
mathematica : en gros, c'est mon premier article de maths
publié ! (Son DOI est
10.1007/s00229-002-0327-3,
et vous pouvez en récupérer une copie locale si vous voulez.)
Actuellement, je travaille sur les surfaces cubiques sur C(t),
et je dévoue de temps en temps une pensée à essayer de trouver une
démonstration élémentaire (je suis sûr que c'est possible) du fait que
les variétés projectives lisses rationnellement connexes sur
C((t)) ont toujours un point rationnel (sur C(t) c'est
un résultat impressionnant de T. Graber, J. Harris &
J. Starr).
Sur un plan plus personnel, pour ceux qui m'ont demandé (je sais,
je ne réponds jamais aux mails, c'est énervant) : je ne me suis pas
trouvé un petit ami. J'ai fermement résolu, cependant, de ne
pas laisser ce fait gâcher mon bonheur : et même si je crois fermement
à l'Amour avec un grand ‘A’ (et certains de mes écrits le prouvent), je n'ai pas
l'intention, pour dire les choses simplement, de laisser cette
aspiration éclipser d'autres relations humaines intéressantes et
positives, comme l'amitié, la tendresse, ou plein d'autres. J'enfonce
les portes ouvertes, là, vraiment, mais pour certains elles semblent
simplement — ne pas être si ouvertes. Quoi qu'il en
soit… Dans un effort pour socialiser avec d'autres homosexuels
(pas forcément pour trouver mon âme frère, ni pour chasser de la
viande fraîche), j'ai commencé à aller à >Dégel!, l'association gaie &
lesbienne du campus de Jussieu :
ç'a été une occasion profitable de rencontrer des gens intéressants
et de me faire de nouveaux amis. Bien sûr, je suis aussi membre de HBO, l'organisation semblable pour le campus d'Orsay : en fait je suis un
administrateur d'HBO (et autrefois trésorier), et une des
choses qui m'ont occupé ces derniers mois est le travail collectif de
réécriture de ses statuts.
À ce sujet, je peux aussi mentionner que j'ai été trouvé à lurker (et
pas juste à lurker, en fait) sur IRCnet, notamment sur le canal#gayfr sous le nick « Ruxor » (ces URIs en irc://
devraient marcher sous Mozilla,
à condition, bien sûr, qu'irc.ircnet.net veuille bien de
vous ; le nom « Ruxor » est une référence à un vieux roman que j'ai
écrit). Pendant que je bavarde, je pourrais rajouter que j'ai
maintenant un numéro (UIN)
sur ICQ, à savoir 168950339.
Je n'ai pas beaucoup écrit de littérature récemment (mon texte le
plus récent est toujours mon préféré : Histoire de la Propédeutique
à la Reine des Elfes ; en fait, j'ai écrit cette nouvelle érotique et ces quatre nouvelles très
courtes depuis, mais je ne trouve pas qu'elles comptent vraiment).
En vérité, j'ai effectivement écrit quelque chose : avec certains de
mes amis (de l'ENS), j'ai organisé un petit « cercle
d'écriture de nouvelles » : nous avons voté sur un thème ou sujet
commun et ensuite, chacun de notre côté, écrit une nouvelle sur ce
thème, et les avons comparées. Vous pouvez lire les histoires qui
ont été écrites (et l'une
d'elles est de moi) : dans l'ensemble, je les ai trouvées très
bonnes. Le sujet choisi était La nouvelle doit commencer par la
mort d'un personnage. Et doit se terminer par la mort d'un
personnage. Le même. Maintenant nous avons débuté une seconde
itération de ce cercle d'écriture, et le sujet est d'écrire une
histoire qui fait parallèle à un événement historique ou littéraire
célèbre (comme la mort de Jules César). J'espère que les résultats
seront semblablement intéressants.
Incidemment, en développant une procédure pour voter sur le sujet
commun des nouvelles ci-dessus mentionnées, j'ai dû implémenter ce que
j'appelle le système électoral de « Condorcet-Nash ». C'est quelque
chose sur lequel il faut clairement que j'écrive, un jour. Mais je
n'ai pas le temps maintenant. En une phrase, cela consiste à prendre
la stratégie optimale (de von Neumann-Nash) dans le jeu à deux
joueurs, équilibré et de somme nulle, où chaque joueur choisit un des
candidats et reçoit un score égal au nombre d'électeurs qui préfèrent
son candidat à celui de son adversaire (ou moins le nombre d'électeurs
qui préfèrent le candidat de son adversaire). En un sens bien défini,
c'est le meilleur système électoral possible. J'en ai
développé une implémentation en utilisant le GNU Linear Programming Kit, parce que trouver une
stratégie optimale dans un jeu à somme nulle se fait par programmation
linéaire. C'est tout à fait fascinant.
Sur le côté informatique de ma vie, je n'ai pas beaucoup programmé
ces jours-ci. J'ai fait une réécriture importante de ma bibliothèque
d'écriture de MIDI, mais je ne me suis même pas fatigué à la
packager ! Ce truc est toujours complètement non-documenté, de toute
façon, donc essentiellement utilisable seulement par
moi. J'ai aussi « découvert » et documenté une
nuisance gratuite dans Unix, concernant le comportement de l'appel
système connect() quand il est interrompu.
Quoi d'autre ? J'ai eu un regain d'intérêt pour le Rubik's Cube (j'ai passé quelque
chose comme six heures une nuit à me rappeler comme le résoudre,
quelque chose que je savais il y a sept ou huit ans et que j'avais
complètement oublié depuis) ; mais ça ne durera sans doute pas.
Cependant, je compte m'acheter un Rubik's Cube 4×4×4 et tâcher de le
résoudre, maintenant que j'ai le 3×3×3 bien en main (il me faut une
éternité pour le résoudre, mais j'y arrive).
Je suis aussi allé voir un certain nombre de films ces derniers
mois. J'ai vu Les
Deux Tours le jour où il est sorti (dans le monde),
2002-12-18, et je n'ai pas été déçu, même si j'ai peut-être trouvé que
ça manquait d'unité. Long
Island Expressway, que j'ai vu le 2003-02-04, qui n'a rien
d'un blockbuster, est une histoire profondément émouvante, et je le
recommande. Catch Me If You Can de Spielberg, que je suis
allé voir le 2003-02-19, était bien (même s'il donne une image, euh,
retardée de la France). J'ai assez aimé Ma Vraie Vie à
Rouen, que j'ai vu le 2003-03-07, mais je l'ai trouvé un
peu longuet. Le 2003-03-10, j'ai été très enthousiaste de 8 Mile : je
n'ai pas d'amour particulier pour la musique hip-hop, mais j'ai
vraiment adoré ce film malgré cela. Ensuite, j'ai vu Les Lois de
l'attraction le 2003-03-19, et je l'ai trouvé drôle, mais
c'est à peu près tout. Le lendemain, je suis allé voir Stupeur et
Tremblement (peut-être pas encore sorti aux États-Unis), et
je l'ai adoré : c'est à la fois hilarant, beau, et, quelque part,
terrifiant. Snowboarder,
que je suis allé voir le 2003-04-09, est assez dénué d'intérêt, même
si certaines des figures de snow étaient spectaculaires. Ensuite,
j'ai vu The Hours le 2003-04-20, et j'ai vraiment
beaucoup aimé : c'est élégamment construit, bien filmé, et assez
émouvant ; de plus, l'Oscar de Nicole Kidman pour son interprétation
de Virginia Woolf n'était pas volé. La Vie de David
Gale, que j'ai vu le 2003-04-23, était un peu décevant :
j'avais deviné les tenants et les aboutissants de l'intrigue même pas
à la moitié du film, donc la fin était un peu spoilée. Enfin, j'ai vu
X-Men 2
avant-hier, et je l'ai trouvé assez divertissant. Et je compte voir
Matrix
Reloaded le jour de sa sortie (à savoir 2003-05-16 en
Europe : au contraire du Seigneur des Anneaux qui a joué
le décalage horaire en sortant quelques heures plus tôt en Europe,
Matrix a décidé de le sortir quelques heures plus tard
par rapport à l'Amérique du Nord).
J'ai aussi lu. En particulier, j'ai découvert que j'aimais
vraiment beaucoup Borges, et je crois que maintenant j'ai lu à peu
près tout ce qu'il a écrit (et c'est décevant à quel point il y en a
peu, devrais-je ajouter), en traduction française. J'ai essayé de
lire David Copperfield, mais je n'ai pas accroché : de
même que Balzac m'agace incessamment, je trouve frustrante la façon
dont Dickens s'écarte constamment du sujet ; je compte réessayer avec
A Tale of Two Cities. En ce moment je lis
The Hours de Michael Cunningham.