David Madore's WebLog: Fragment littéraire gratuit #109 (trahison ?)

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(dimanche)

Fragment littéraire gratuit #109 (trahison ?)

Aujourd'hui on a deux fragments pour le prix d'un.

Un instant, Gilles se laisse faire. Un seul instant, avant de me rejeter violemment.

— T'es un putain de pédé !

C'est plus une explosion qu'une phrase : il prononce les premiers mots doucement, puis de plus en plus vite et de plus en plus fort. Hurlant, il répète encore : T'es qu'un putain de pédé ! Et se tait soudainement, les yeux dilatés, les narines écartées. Il me fait penser à un taureau prêt à ruer. Au loin, un passant s'arrête une seconde, puis presse le pas.

Je recule un peu, juste un peu. Je n'ai pas peur, je suis seulement curieux de savoir ce qu'il va faire. Je lui jette un regard qui doit passer pour narquois. Peut-être que je hoche la tête, je ne sais pas.

Il est vraiment beau, le con.

— T'étais qu'un pédé. Putain, Stéphane ! Putain, mais c'est pas vrai… Dis-moi qu'c'est pas vrai.

Il n'a pas rué. Il ne m'a pas frappé. Est-ce qu'il y a de la tristesse dans sa voix maintenant ? Peut-être pas. Mais ce n'est déjà plus la rage de la surprise. Plutôt la colère qu'il ressent face à ce qu'il doit considérer comme une trahison. Il pense que je suis passé de l'autre côté — celui des fiotes, des tapettes.

— Et moi je t'aimais, bordel. Je t'aimais comme un frère. Tu peux pas comprendre ça, hein ? Toi tu pensais qu'à me sucer…

Le reproche est d'autant plus injuste qu'il mêle vérité et erreur. Pourtant, il ne m'atteint pas. Puis Gilles me tombe dessus, me plaque à terre.

— Moi j'aurais donné ma vie pour toi. Je te croyais ami. Et toi tu voulais juste me baiser.

Toujours pas de coups. Puis un seul, sans énergie. Est-ce qu'il se retient ? Ou est-ce qu'au contraire il cherche à se convaincre de me frapper ? Est-ce qu'il croit être physiquement plus fort que moi, maintenant que je suis « devenu » pédé ? Il répète plusieurs fois sa dernière phrase, en variant légèrement le ton. Comme un acteur qui cherche à entrer dans son rôle, n'y arrive pas. Je me dis qu'il sait très bien que c'est faux.

Il me garde longtemps à terre. Je me demande s'il se rend compte que la situation pourrait passer pour érotique. Je finis par en avoir marre : je me dégage. Je lui fous une baffe :

— Maintenant ça suffit, merde. Oui, je suis un putain de pédé, comme tu dis. La différence entre nous deux, c'est que j'ose dire en face ce que je suis.

Cette fois c'est lui qui recule. D'abord d'un mètre, comme si un serpent l'avait mordu. Puis, sans un mot de plus, il part en courant.

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