Le séminaire Bourbaki a
lieu trois fois par an (le week-end), dont aujourd'hui et demain, à
l'Institut Henri Poincaré (11
rue Pierre et Marie Curie, Paris 5e). Il est normalement prévu pour
permettre aux mathématiciens de se tenir au courant des résultats
nouveaux et intéressants dans les branches des mathématiques dont ils
ne sont pas spécialistes : c'est-à-dire que l'idée est que chaque
orateur fasse un exposé sur l'actualité de son domaine de spécialité à
l'intention des spécialistes d'autres domaines, et compréhensible par
eux. En pratique, je trouve que cette idée tout à fait intéressante
ne marche pas du tout : les gens ne viennent pas aux exposés des
domaines dont ils ne sont pas spécialistes, et les orateurs ne jouent
pas le jeu, s'adressant d'emblée à ceux qui connaissent au moins les
bases du domaine dont ils parlent. Par exemple, cet après-midi, Emmanuel Peyre
nous a fait un exposé — au demeurant très bon et très
intéressant, mais, justement, c'est mon domaine de recherche —
sur les obstructions au principe de Hasse et à l'approximation
faible
, dans lequel il n'a pas attendu dix minutes pour définir le
groupe de Brauer d'une variété comme le deuxième groupe de cohomologie
étale de celle-ci à valeurs dans le groupe multiplicatif : je ne sais
pas si un mathématicien appliqué, un analyste ou un logicien est censé
comprendre ce que ce charabia veut dire, mais j'en doute assez. (Ne
parlons pas d'Alexander Grothendieck, qui profitait du séminaire
Bourbaki pour poser les fondements de la géométrie algébrique dans des
exposés de très haute technicité !)
C'est vraiment dommage : les mathématiciens ne savent pas vulgariser ! Alors que tout un tas de physiciens sont rompus à l'exercice de parler au grand public de ce qu'ils font et de l'expliquer avec les mains de façon à être compris même par la proverbiale ménagère de moins de cinquante ans, les mathématiciens n'ont même pas l'air de savoir expliquer ce qu'ils font à d'autres mathématiciens qui ne sont pas spécialistes de leur branche étroite de la discipline. Et même : je ne crois pas que j'assisterai aux exposés de demain, parce qu'à la lecture du polycopié, même celui qui parle de géométrie algébrique, pourtant mon domaine de recherche, risque fort de m'être incompréhensible (je suis trop ignorant des motifs).
Je trouve aussi dommage que l'esprit blagueur et canularesque de
Bourbaki se perde. (Pour ceux qui ne connaissent pas, Nicolas
Bourbaki est le pseudonyme collectif d'un groupe de mathématiciens
fondé par Henri Cartan, Claude Chevalley, Jean Coulomb, Jean Delsarte,
Jean Dieudonné, Charles Ehresmann, René de Possel, Szolem Mandelbrojt
et André Weil. En principe, l'identité des membres — actuels
— du groupe est secrète, et la démission est obligatoire passé
un certain âge. On fait semblant de croire que les Éléments de
mathématique sont l'œuvre d'une vraie personne nommée
Nicolas Bourbaki.) La moindre des choses serait que chaque séminaire
Bourbaki commence par une annonce officielle, Monsieur Nicolas
Bourbaki, organisateur de ce séminaire, vous prie de l'excuser de ce
qu'il n'a pas pu être présent aujourd'hui parmi nous pour <telle ou
telle raison totalement pipo et qui changerait à chaque séance> ;
en son absence, il m'a chargé d'inviter <tel orateur> à
parler…