Certes, je suppose que tout le monde aimerait savoir comment son cerveau marche — ou, en fait, peut-être que non parce que ce serait trop effrayant. (Souvent, je me sers joyeusement de quelque chose, notamment en informatique, jusqu'à ce que j'apprenne comment ça fonctionne et que je découvre ainsi avec horreur que c'est contraire à tous les principes de bonne conception, et que rien qu'à entendre le principe je devine une pléthore de bugs, et du coup je ne veux plus m'en servir. Sans doute une raison de ne pas apprendre la médecine quand on est geek perfectionniste : la conception du machin est à chier. Bon, c'est vrai que mon cerveau ne me sert pas trop.)
Non, plus sérieusement, je veux dire que j'ai une impression
introspective de pouvoir identifier des processus cognitifs
récurrents, et je serais curieux de savoir s'ils correspondent
réellement à l'activation d'un groupe de neurones localisable. Des
sensations, par exemple — mais par sensation
, je veux
parler de quelque chose de beaucoup plus précis que, disons, la
peur
: j'identifie déjà un assez grand nombre de peurs bien
distinctes.
Par exemple il y a la peur provoquée par une sensation
de mystère inquiétant et qui dont je me demande s'il n'a pas une
composante surnaturelle, comme une peur
ancienne et ancestrale devant l'inconnu
qui apparaît
essentiellement, mais difficilement, quand je lis de la fiction et
nettement plus souvent dans
mes cauchemars (zut, en relisant
cette entrée, je me rends compte que je radote vraiment) ; quand
j'étais petit, je l'appelais la peur surnaturelle
; cette peur
précise ne provoque pas une accélération de mon rythme cardiaque mais
des frissons glacés. Je suis vraiment tenté de penser qu'il y a un
groupe de neurones très ciblé qui s'active quand j'ai cette peur. Je
pourrais aussi mentionner la peur provoquée par la prise de
conscience du fait que je suis mortel et que l'Univers cessera
d'exister avec ma mort, qui viendra inéluctablement
(je ne dis pas
juste la peur de la mort
, parce que ce n'est pas du tout la
même que celle que je vais ressentir si quelqu'un commence à me courir
après en essayant de me tuer), qui semblerait presque être une sorte
de garde-fou placé là par l'évolution pour éviter que les créatures
devenues trop intelligentes raisonnent contre leur propre survie.
S'agissant de ces deux exemples, d'ailleurs, j'aurais vaguement envie
de prendre un gamma-knife et de blaster les neurones en
question.
Mais sinon, il y a le sentiment que j'éprouve quand on évoque,
notamment de façon inattendue ou en faisant une connexion qui me
surprend et me plaît, mais avec quelque solennité, quelque chose ou
quelqu'un envers quoi j'ai un profond respect, et qui s'accompagnerait
volontiers d'une musique d'Elgar
: ma description est totalement
grotesque, parce que je ne sais pas quels mots mettre dessus (disons
que c'est le sentiment du respect majestueux
), mais ce
sentiment chez moi est très précis et très fort, et
il me met à coup sûr les larmes aux yeux. (Dans la fiction, c'est le
sentiment que j'éprouve quand le chevalier inconnu s'avère être
Richard Cœur-de-Lion ou dans ce genre de scène.)
Il y a aussi le sentiment émanant de la contemplation de la beauté en mathématiques, mais là je suis moins sûr de sa constance : mon appréciation de la beauté combinatoire des corps finis est-elle la même que mon appréciation de la grandeur des tours d'ordinaux ? Je ne sais pas.
J'aurais bien envie de passer dans un appareil à IRM fonctionnelle en activant toutes sortes de ces processus cognitifs (du moins ceux que je peux activer à la demande, ce qui n'est pas le cas de tous) pour savoir où ils se positionnent dans mon cortex (et peut-être découvrir que je suis bien naïf et que j'ai totalement tort de penser que ce sont des choses localisées et constantes). Malheureusement, l'IRM fonctionnelle est bien trop coûteuse pour qu'on puisse s'en servir pour faire joujou.