David Madore's WebLog: Ce qui fait une année

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(lundi)

Ce qui fait une année

Je reviens sur ce fragment littéraire gratuit que j'ai écrit il y a un certain temps, et je me dis que même s'il est assez peu réussi[#], c'est une expérience intéressante que j'aimerais tenter de façon plus sérieuse : en un texte court (disons de l'ordre de deux ou trois pages[#2]) capturer l'« esprit » d'une année. Une tentative qui ne serait ni littéraire ni historique ni « nostalgique », juste de créer une petite capsule temporelle, retrouver ce que les gens pensaient, quelles étaient leurs préoccupations et leurs références, en une année précise. À un endroit précis aussi[#3], bien entendu (Paris, pour ce qui m'intéresse).

En fait, j'imaginerais de faire ça pour cinq années précises à intervalles de six ans : 1970, 1976, 1982, 1988 et 1994. Si les intervalles sont trop rapprochés, on ne voit pas assez la différence ; après 1994 il y aurait 2000, mais on n'a pas encore assez de recul pour mesurer vraiment ce qui est différent entre 2000 et 2005 (en tout cas, pas sur le plan qui intéresse le type de texte que je recherche) ; et avant 1970 on franchit quelque chose d'important avec mai '68 et j'ai trop de mal (mais c'est sans doute purement personnel et lié à mon âge) à retrouver l'odeur de l'époque : en un sens, avant '70, pour moi, c'est de l'Histoire. Et il y a certainement une considération personnelle (1976 est l'année où je suis né, 1994 celle où j'ai passé le bac). Mais il faut voir aussi, pour le choix des extrémités de l'intervalle, que notre façon de voir une année dépend beaucoup du présent : je veux dire, si on écrit en 2005 sur l'année 1988 il faudra peut-être rappeler que les téléphones mobiles n'existaient pas encore — si on écrit en 1994 ce ne sera pas une chose à souligner. Donc les portraits devraient être refaits avec le temps, pas parce que le passé change mais parce que le présent bouge. (En un sens, le texte de Victor Hugo ne nous renseigne pas vraiment sur l'année 1817 : plutôt sur la façon dont on elle différait d'un demi-siècle plus tard.) À la limite il pourrait faire partie de l'expérience de décrire le regard qu'on avait, dans chacune de ces années, sur une année encore antérieure.

Mais tout ceci n'est pas facile à faire : l'actualité est facile à retracer, mais il faudrait aussi se replonger dans les journaux de l'époque (surtout les hebdomadaires, en fait, qui sont une bonne façon de prendre le pouls de la société), revoir des archives d'émissions de télé et écouter des extraits de radio, essayer de se rappeler qu'à ce moment-là on connaissait tel film mais pas tel autre (car il est sorti après), tel artiste mais pas tel autre, etc. À cela il faut encore rajouter des données statistiques (le prix du pétrole, ça fait une grosse différence entre 1970 et 1976 !) et toutes sortes de choses plus subtiles auxquelles qu'on ne pense pas à noter en temps réel parce qu'elles sont tellement évidentes qu'on ne les voit plus, et dont on est surpris de se rendre compte qu'elles ont pu changer. Ce sont peut-être celles-là les choses les plus intéressantes. Ce sont elles la physionomie des années [dont] se compose la figure des siècles.

[#] Au moins parce que j'ai oublié des choses importantes : Le Grand Bleu, la mort de Dalida l'année précédente… et sans doute encore plein d'autres.

[#2] Le modèle d'origine est le chapitre intitulé En l'année 1817 dans Les Misérables.

[#3] On pourrait aussi varier l'endroit… mais les lieux s'influencent mutuellement alors que les années s'influencent seulement dans un sens, ce qui rend l'expérience asesz différente.

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