Je ne sais pas ce que je m'attendais à trouver dans les urgences d'un grand hôpital, mais certainement pas ce que j'ai vu. En fait, je crois que je pensais trouver des salles d'attente bondées et vaguement crasseuses où les lits s'entassent et où on poireaute des heures pendant que les médecins et infirmiers courent dans tous les sens pour s'occuper de tout ce monde. Comme dans la série, quoi. Eh bien absolument pas. D'abord, ce n'est pas crasseux, c'est incroyablement propre : en fait, je n'ai jamais vu, nulle part, un endroit aussi impeccable que les couloirs des urgences de la Pitié-Salpêtrière ; c'est rassurant, évidemment, s'agissant d'un hôpital, mais je pouvais imaginer un bon niveau d'asepsie sans une telle propreté — apparemment les deux vont ensemble. Ensuite, ce n'était pas bondé : c'était même plutôt désert quand je me suis pointé vers 8h30, et ce n'était toujours pas très chargé quand je suis reparti vers 13h. En revanche, comme on peut le constater sur ces horaires, on attend effectivement. Beaucoup. Longtemps. Et on ne sait pas très bien quoi : tout le personnel a l'air très affairé, mais il a aussi l'air de beaucoup ignorer les patients, comme si ceux-ci étaient des spectateurs, autorisés à regarder mais sûrement pas à participer, dans leurs tâches ésotériques. Ce qui ne veut pas dire qu'ils ne soient pas gentils : les quatre soignants à qui j'ai principalement eu affaire étaient tout à fait amicaux et souriants. Mais affairés.
Revenons donc au début : j'ai commencé à me sentir nauséeux hier soir, et pendant que j'étais au cinéma (voir C.R.A.Z.Y. — j'essaierai d'en parler plus en détail plus tard — que du coup je n'ai pas vraiment pu apprécier) je me suis trouvé de plus en plus mal, j'ai pensé que rentrer à pied (depuis Bercy) me ferait du bien, mais ça n'a fait qu'empirer, puis j'ai commencé à vomir énormément, et du coup je n'ai à peu près pas dormi de la nuit. Comme je ne sais pas distinguer, moi, les symptômes d'une gastro-entérite de ceux d'un empoisonnement alimentaire ou de quelque chose de plus grave, je me suis dit que j'allais pointer aux urgences (où, par exemple, ils pourraient faire des analyses qu'un médecin en consultation ne pourrait pas faire). Bon, c'était peut-être exagéré (d'un autre côté, quand je vois la plupart des autres gens qui étaient là, aux urgences, je ne crois pas) mais j'avoue que je me sentais vraiment mal et que j'appréciais l'idée d'être pris en charge.
On commence donc vers 8h30. Je passe sur le premier problème qui
est de trouver les urgences dans cet immense dédale qu'est la Pitié
(je ne sais pas s'il y a un classement quelque part des hôpitaux par
leur taille, mais il est certainement en bonne place) : en fait, une
fois qu'on a la bonne idée de se rendre compte que c'est fléché au
sol, c'est facile. Une fois dans le bon bâtiment, on est déjà étonné
de trouver l'endroit désert (je veux dire, le hall d'accueil). On
demande à être admis : mais avant cela il faut poireauter une bonne
vingtaine de minutes pendant que la secrétaire (seule, appparemment, à
sa machine) s'occupe de trouver le dossier informatique du Monsieur
qu'une demi-douzaine de beaux pompiers musclés ont amené (le Monsieur,
apparemment, est un habitué, rigolent les pompiers, mais trouver son
dossier s'avère un peu compliqué puisque l'orthographe de son nom est
au mieux incertaine — est-ce Caquelin, Caquelain,
Caclain… ? — et que la date de naissance ne coïncide
pas). Après quoi, on vous fait passer devant une infirmière (ou
peut-être pas une infirmière, je ne sais pas, en fait) qui fait une
première interrogation rapide sur les symptômes (et prend température,
tension et pouls — seul le pouls est un peu rapide) et qui
trouve manifestement très exagéré (même si elle reste impeccablement
professionnelle) qu'avec un tableau comme nausées, vomissements,
diarrhée
on se présente aux urgences. Ce en quoi elle n'a pas
forcément tort, en tout cas elle dit qu'elle va demander un
avis
, mais voilà que passe un grand ponte des urgences (enfin, je
pense), le docteur Mohamed B. (praticien attaché de sa fonction), qui
fait un grand sourire et qui dit que, évidemment qu'il faut admettre
cette personne : Monsieur se présente à l'hôpital pour être soigné,
Monsieur sera soigné à l'hôpital
(phrase prononcée avec un brin
d'humour — mais pas moqueur — et on verra dans un instant
pourquoi).
Ensuite on vous fait attendre devant le poste infirmier 2
,
et une grosse demi-heure passe sans qu'on sache au juste à quoi on
doit s'attendre. Là, une charmante jeune personne vient vous mener
dans une chambre qui, ici, s'appelle un box
: elle explique
qu'elle s'appelle Katharina H., qu'elle est élève externe (et
allemande en bourse Erasmus — mais elle parle plus que
correctement le français), qu'elle va poser un certain nombre de
questions et quelques examens sommaires, dont les réponses seront
notées et ensuite présentées à un interne. (À ce stade-là, il est
environ 9h30.) Elle, elle ne semble pas penser que ce soit absurde
d'être venu aux urgences pour des nausées (ou, si elle le pense, elle
le cache fort bien). L'interrogatoire est mené avec précision (on
apprendra ensuite qu'elle a oublié quelques questions, comme savoir
s'il y avait du sang dans mes selles), je m'efforce d'y répondre de
façon claire et fonctionnelle, et toutes les réponses sont saisies
dans mon dossier informatique. Puis on me laisse un moment dans le
box, et l'interne arrive et se présente, il s'agit du docteur
Anne L. (et elle est également tout à fait charmante) : elle me pose
une ou deux questions que l'externe avait oubliées, elle conclut que
tout va bien, mais elle explique qu'avant de me laisser partir elle
doit faire approuver le dossier par un sénior
, et qu'elle va le
chercher.
Le sénior
en question, c'est le docteur Mohamed B. déjà
évoqué plus haut. Il se pointe et il dit que tout va bien mais que
pour en être sûr on va se livrer à quelques analyses
supplémentaires
(i.e., une prise de sang, pour vérifier que je ne
fais ni d'anémie — il paraît que j'ai le teint pâle — ni
de déshydratation). En fait, on comprend vite que son idée est de
profiter d'un patient sans complication particulière (moi, donc) pour
se servir de moi pour permettre à une élève infirmière de s'exercer à
la prise de sang et pour expliquer à l'externe comment mener l'examen
neurologique sommaire qu'elle avait omis (mais que l'interne n'avait
pas non plus pensé à mener). Du coup, je gagne une petite
prolongation de parcours (et le droit de porter pendant un moment
l'uniforme bleu ciel des patients), à laquelle je me soumets de bonne
grâce (surtout que je vais y gagner un bilan sanguin, ce qui est
toujours bon à prendre). Une élève infirmière, donc, me pose un
cathlon
, qui est un petit orifice placé dans une veine et qui
sert à ne piquer qu'une fois même si on aura besoin de faire plusieurs
prises de sang, une perfusion, etc. (enfin, dans mon cas, ça n'a servi
à rien) : elle est plutôt timide, elle semble assez paniquée à l'idée
de me faire mal, ou de mal faire, et du coup elle est d'un soin
méticuleux presque maniaque pour ce qui est d'asurer l'asepsie. Mes
échantillons de sang partent au laboratoire, et on me laisse seul un
moment, puis le sénior
revient avec l'externe (il doit être
environ 11h15) et lui montre comment faire le fameux examen
neurologique (genre, ensuite vous lui dites de se lever et de se
tenir debout les pieds reserrés et les yeux fermés
, maintenant
on teste ses réflexe, là la réflexe au tendon d'Achille <bim>,
là au genou <boum>
, etc.), ce qui était plutôt rigolo :
j'aurai pu servir à l'instruction des futurs médecins (allemands, en
plus).
Ce qui est moins rigolo, c'est qu'il me faut ensuite encore
poireauter plus d'une heure et demie devant le poste infirmier en
attendant que mes résultats d'analyse reviennent, soient lus par
l'interne (qui confirme que tout va bien et que le diagnostic est :
gastro-entérite virale) et approuvés par le sénior
. Mon
conseil, donc, si on va aux urgences par ses propres moyens, c'est d'y
apporter de quoi bouquiner, parce que même en regardant les pompiers
qui amènent de temps en temps des nouveaux patients (ou, selon les
goûts de chacun, les charmantes internes/externes/infirmières), on
finit par s'ennuyer ferme. Il est vrai que dans la copie que j'ai
reçue du dossier hospitalier il est écrit priorité 4
, qui est
sans doute le plus bas possible (et c'est normal, évidemment —
mais je n'ai pas non plus vu de gens qui avaient vraiment l'air
d'avoir besoin de soins terriblement urgents).
J'en ressors, donc, avec plein de papiers (dont le bilan sanguin et
un compte-rendu très détaillé de la journée) et un petit trou dans une
veine qui va me donner un joli look de junkie. Et surtout le
conseil : Buvez du jus de pomme !