On me signale un lien auquel je n'avais jamais prêté attention
sur Légifrance : c'est
ce guide
de légistique. Si, comme moi, vous ignoriez ce qu'est
la légistique
— ce qui est sans doute excusable vu que le
mot n'est pas dans beaucoup de dictionnaires —, il s'agit de
l'art de faire des lois ; et c'est là un guide très intéressant car on
y trouve des explications que je n'avais jamais vues dans des traités
de droit, notamment portant sur la rédaction proprement dite des
textes normatifs (car ce ne sont évidemment pas les députés et
sénateurs eux-mêmes qui écrivent les lois, ce sont des secrétariats au
fonctionnement assez opaque et on a là un petit aperçu des règles
auxquelles ils se conforment).
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Toujours dans le domaine du droit, je me plains souvent que les gens ne comprennent pas les modalités, mais il y a une autre chose que j'aimerais voir systématiquement éclairci et étudié (et pas, par exemple, laissé au hasard de la jurisprudence), ce sont les « méta-droits », au sens des droits sur les droits.
Par exemple, associé à un droit D, il y a le droit
de déléguer ce droit, c'est-à-dire de pouvoir l'octroyer à
une tierce partie X — éventuellement de façon
révocable. Naïvement, on pourrait dire que si on possède un droit, on
possède automatiquement le droit de le transférer, selon
l'argument je peux toujours dire à X :
. Juridiquement, ce raisonnement ne vaut
rien, et pour plein de raisons : même si servir d'intermédiaire est
possible, on peut tout de même exiger que ce soit moi qui fasse les
formalités d'exercice du droit, on peut aussi mettre des conditions
d'intention personnelle (pensez au droit de vote) ou de
confidentialité ou que sais-je, ou en tout cas faire peser sur moi la
responsabilité de l'exercice du droit, ou enfin on peut tomber sur des
problèmes
que Hofstadter
appelle des problèmes de fluidité (si je dispose du permis de
conduire, i.e., du droit de me déplacer en voiture, le raisonnement
que j'ai esquissé me permet éventuellement de déléguer à X
le droit de me déplacer en voiture, c'est-à-dire de me dire
où je dois aller, pas de déléguer le droit de se déplacer en
voiture ! donc je ne peux pas transférer le permis de conduire à
quelqu'un d'autre). Néanmoins, j'ai tendance à trouver que les droits
juridiques ont la fâcheuse tendance à être excessivement peu
transférables et délégables : c'est sans doute pour éviter les abus,
mais on se dit parfois que c'est idiot que, si deux personnes sont
toutes deux d'accord, l'une ne puisse pas se substituer à l'autre dans
(la totalité des clauses d')un contrat conclu avec une troisième
personne (sans l'accord du troisième, évidemment).si vous voulez
exercer le droit X, demandez-moi et je le ferai pour
vous
— autrement dit, servir d'intermédiaire dans l'exercice
du droit que je délègue
La meilleure analyse ou modélisation faite par les informaticiens de la possibilité de délégation des droits — qui est essentielle dans la cybernétique d'un système d'exploitation — est celle qui est faite dans le système de sécurité par capabilités (à laquelle une bonne introduction est donnée ici). Dans un système de ce style, à partir d'un droit D (une capabilité) on peut créer une « délégation révocable » de D, c'est-à-dire un nouveau droit D′, qui a exactement les mêmes effets que D, mais qui est placé sous le contrôle d'un autre droit, RD′, qu'on garde pour soi-même, et qui est le droit de révoquer D′ (lorsqu'on le fait, D′ cesse de produire un effet : ceux qui l'avaient reçu le conservent, mais il ne leur est plus d'aucun secours). Mais les juristes ne pensent pas du tout en ces termes.
Plus souvent important que le droit de déléguer un droit, il y a le droit d'abandonner un droit. (C'est une question qui est parfois posée sous la forme métaphysique : Dieu a-t-il le pouvoir de cesser d'être omnipotent ? ou constitutionnaliste : le parlement britannique a-t-il le pouvoir de limiter le pouvoir du parlement britannique ?) Là aussi, on s'attendrait à ce qu'on puisse abandonner un droit dont on dispose, mais le droit pense souvent autrement : il peut falloir un contrat, ce qui peut être pénible (ne serait-ce que parce qu'on ne peut pas contracter tout seul — comme on le pourrait si le droit était écrit par des geeks logiciens), et parfois un contrat même ne le permet pas. Souvent cette impossibilité d'abandonner un droit est justifiée pour éviter les abus, mais ça peut être un souci : je pense à nouveau au droit d'auteur — je ne vois pas comment un auteur français pourrait libérer réellement une de ses œuvres, en la protégeant de ses changements d'humeur ultérieurs (et de ses héritiers, mais là il y a peut-être moyen de s'en sortir par testament).