David Madore's WebLog: J'ai été fragmentifié

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(vendredi)

J'ai été fragmentifié

L'autre jour je suis tombé (dans la librairie Les Mots à la bouche, mais peu importe) sur le Manuscrit trouvé à Saragosse de Jean Potocki, dans la collection L'Imaginaire de Gallimard (le roman étant vendu avec le DVD d'une adaptation cinématographique). Un livre dont je pensais depuis longtemps que je devais le lire — c'est un grand classique de la littérature fantastique, après tout, à la fois récit initiatique et roman picaresque, avec une structure qui n'est pas sans rappeler les Mille et une nuits (notamment par la manière d'imbriquer des récits les uns dans les autres : les personnages n'arrêtent pas de rencontrer d'autres personnages qui leur racontent leur histoire dans laquelle, à leur tour, ils rencontrent d'autres personnages, etc.), et il se trouve que j'ai beaucoup aimé les différentes traductions que j'ai lues des Mille et une nuits.

Bref, j'ai acheté ça, j'ai sauté la préface (personne ne lit jamais les préfaces, pas vrai ? elles servent uniquement à faire croire que le livre est plus gros qu'il ne l'est vraiment, donc à impressionner plus les gens quand on dit qu'on l'a lu) et j'ai attaqué directement l'histoire — qui est organisée sous forme de journées (donc décidément il y a de l'inspiration des Mille et une nuits). Il y est question de brigands, de revenants et de cabalistes, et j'ai vite été captivé ; en fait, l'histoire-cadre (je veux dire, celle dans laquelle les autres s'imbriquent) fait apparaître un certain mystère dont on a hâte de savoir la clé : le héros est-il le jeu d'une machination ? est-il maudit ? possédé ? le met-on à l'épreuve ? et si oui, que doit-il faire ? Je n'en dirai pas plus pour ne pas spoiler, mais, décidément, je voulais savoir le fin mot de l'intrigue.

Et voilà que ça se termine en queue de poisson.

Mécontent, je commence à faire un peu plus attention aux notes de l'éditeur et à essayer de lire la préface — je dis essayer parce qu'elle semble avoir été écrite de façon à être incompréhensible par quiconque n'est pas déjà parfaitement au courant des péripéties qu'a traversé le véritable manuscrit du Manuscrit trouvé à Saragosse (qui n'a pas été trouvé à Saragosse). Sans doute parce que personne ne lit les préfaces (ou alors pour savoir que Potocki s'est suicidé avec le couvercle de sa théière).

Voici ce que j'ai fini par comprendre : le roman a été écrit en français mais, du vivant de Potocki, n'en a été publié (aux alentours de 1810 sous le nom des Dix Journées de la vie d'Alphonse van Worden) que le début ; à part cette édition publiée, on ne dispose que de quelques fragments épars, plus une mauvaise traduction polonaise (réalisée de façon posthume, en 1847, à partir d'un original maintenant disparu). Et le volume que j'ai acheté ne donne que le texte dont on dispose en français : donc si je veux lire la suite, il faudra acheter une (re)traduction de la version polonaise (Rękopis znaleziony w Saragossie) — heureusement, cela existe.

Pour résumer : j'ai été pris au piège que j'aime moi-même tendre à mes lecteurs.

Pour me venger, je pense que les deux prochains fragments que je publierai seront les deux premiers chapitres d'un roman que j'ai commencé et jamais continué.

[Ajout () : J'ai fini par avoir le fin mot de l'histoire en lisant l'intégralité du Manuscrit.]

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