L'élection présidentielle française se déroule en deux tours : au
premier tour peuvent se présenter tous les candidats ayant recueilli
un certain nombre de « parrainages » (d'élus), et chaque électeur vote
pour un et un seul de ces candidats ; ne sont qualifiés pour le second
tour que les deux candidats ayant obtenu le plus grand nombre de voix
(sauf si l'un obtient déjà la majorité absolue au premier tour, auquel
cas il est élu immédiatement) ; les électeurs ont donc, au second
tour, qui a lieu deux semaines après le premier, le choix entre deux
et seulement deux candidats, parmi lesquels ils doivent en choisir un,
et l'élection se fait de façon évidente (à la majorité, forcément
absolue puisqu'il n'y a plus que deux candidats).
Je ne sais pas quelle est l'histoire de ce mode de scrutin
« uninominal à deux tours », et Google comme Wikipédia me renseignent
fort peu. L'élection présidentielle au scrutin universel direct a été
introduite en France en 1962 (auparavant, le président était élu par
un collège électoral), mais il est probable que le mode de scrutin en
question ait été utilisé antérieurement, pour d'autres élections, ici
ou ailleurs dans le monde, et je serais curieux d'avoir des
informations sur les débats qui ont présidé à ce choix précis.
J'entends dire qu'il est apparu dans l'empire allemand de 1870, mais
les détails sont confus (je ne sais ni pour quelles élections au
juste, ni quelles auraient été les conditions d'accès au second tour).
Actuellement, beaucoup de scrutins en France se font en deux tours,
mais les conditions d'accès au second tour changent de façon
incompréhensible d'élection en élection. (Il n'y a que la
présidentielle pour laquelle le critère est d'arriver dans les deux
premiers au premier tour : d'autres élections fixent un minimum de
voix en pourcentage des suffrages exprimés ou des inscrits, selon une
insupportable absence de cohérence ; par voie de conséquence, ces
élections rendent possibles des « triangulaires », voire théoriquement
des « quadrangulaires », au second tour.) Beaucoup d'autres pays
utilisent une variante ou une autre de ce mode de scrutin.
Ce scrutin uninominal à deux tours est un net progrès par rapport
au scrutin uninominal à un seul tour (utilisé, par exemple,
pour la plupart des élections aux États-Unis, pour les députés à la
Chambre des Communes au Royaume-Uni, pour les députés au Canada même
si l'actuel Premier ministre a promis de changer ce mode d'élection,
et dans toutes sortes d'autres pays). Le scrutin uninominal à un seul
tour est le plus simple qu'on puisse imaginer (ou demande à chaque
électeur de choisir un et un seul nom, et celui ayant le plus de voix
est élu), et il est catastrophiquement mauvais : ne serait-ce que
parce qu'un candidat presque unanimement détesté peut se retrouver élu
parce que ses adversaires sont divisés (voir le cas
de l'élection
de Rodrigo
Duterte comme président des Philippines en 2016). Dans la
pratique, le scrutin uninominal à un seul tour tend à conduire au
bipartisme, parce que s'il y a plus que deux partis politiques, les
résultats des élections sont assez aléatoires et profondément
injustes. En contrepartie du bipartisme, on peut espérer que les deux
partis mettent en place des systèmes de « primaires » pour choisir
leurs candidats et compenser ainsi (un peu) l'injustice du système :
c'est ce qui s'est passé aux États-Unis, assez récemment à l'échelle
de l'histoire du pays ; mais le fait d'avoir des primaires pose de
nouvelles questions, à commencer par les règles de ces élections-là et
de comment elles sont décidées.
Le scrutin uninominal à deux tours, donc, est un progrès
par rapport à celui à un seul tour. Il permet au moins dans une
certaine mesure l'expression d'une pluralité d'opinions que ne permet
pas le scrutin à un seul tour : s'il y a grosso modo deux blocs dans
l'opinion, typiquement, la droite et la gauche, on peut espérer, et il
arrive souvent (mais pas toujours !) dans la pratique, que ces deux
blocs soient représentés au second tour, ce qui permet un ralliement
de chaque bloc au candidat arrivé en tête du bloc et qui le représente
au second tour. Le premier tour tient donc un rôle vaguement
semblable à celui que tiennent les primaires dans un scrutin
uninominal à un seul tour. Très vaguement.
Dans l'idée du général De Gaulle (qui a introduit l'élection
présidentielle au scrutin universel direct en France), l'idée était
probablement surtout d'assurer que le second tour « rassemble » les
électeurs : comme le mode de scrutin garantit que le gagnant de
l'élection a obtenu une majorité des suffrages exprimés au second
tour, il peut se targuer de l'adhésion de la majorité — majorité assez
factice en vérité, surtout si le candidat en face de lui au second
tour ne représente pas grand-chose, mais l'idée n'est pas complètement
stupide.
En fait, le système n'a pas si mal marché en France entre 1962 et
1995 (même si 1969 est discutable), ainsi qu'en 2007 et 2012.
Mais l'élection de 2002 a montré ses limites : les voix de la
gauche s'étant dispersées au premier tour entre un trop grand nombre
de candidats, ce camp n'a pas été représenté au second tour qui s'est
déroulé entre la droite et l'extrême-droite ; Jacques Chirac a été élu
contre Jean-Marie Le Pen avec une majorité écrasante après des
manifestations de protestation contre les résultats de ce premier
tour. En 2002, c'était une surprise (au moins pour ceux
qui ne savaient pas lire les
sondages et leurs marges d'erreurs, i.e., essentiellement tout le
monde). En 2017, on s'attend généralement à ce que le même phénomène
se reproduise, et ce ne sera, cette fois-ci, une surprise pour
personne si le second tour voit s'affonter François Fillon et Marine
Le Pen.
Il est difficile de nier qu'il s'agit d'un problème réel. Ce n'est
pas tellement que la droite et la gauche doivent, par
principe, être représentées au second tour. Des signes objectifs
que les candidats représentés au second tour ne sont pas « les bons »
sont plutôt à chercher dans le score écrasant que l'un d'entre eux
obtient (s'il n'a pas déjà eu une forte majorité au premier tour)
et/ou dans un taux de participation très bas : ce sont autant de
signes que les électeurs sont insatisfaits du choix qu'il leur reste,
et soit qu'ils refusent de faire ce choix, soit qu'ils s'estiment
contraints. Ou bien par le fait que les deux candidats qui passent au
second tour ne totalisent qu'une proportion modeste (disons, <50%)
des suffrages exprimés au premier. L'élection de 1969, où la gauche
n'était pas non plus représentée au second tour, n'était pas forcément
problématique selon ces critères ; celle de 2002 l'était
indubitablement. Et le scénario risque de se reproduire fréquemment à
l'avenir : même s'il n'a pas lieu en 2017, le fait que
l'extrême-droite soit devenue une force politique très importante
suggère que le mode d'élection n'est plus adapté. En fait, même si le
second tour voit s'affronter la gauche et la droite, ou la gauche et
l'extrême-droite, il y aura de toute façon un problème de
représentativité.
Ce n'est sans doute pas un hasard si les partis politiques français
ont commencé, en 2011 pour la gauche et en cette année pour la droite,
à jouer le jeu des primaires (ouvertes à tous les électeurs). Les
primaires devraient permettre de pallier les insuffisances du scrutin
uninominal à deux tours comme elles le permettent (dans une certaine
mesure !) pour le scrutin uninominal à un seul tour. L'idée serait
d'éviter l'éparpillement des voix au premier tour (devenu beaucoup
plus critique qu'il l'était avant) en désignant un candidat unique en
amont. Mais les primaires posent leur propre problème : outre qu'il
leur faut elles-mêmes un mode de scrutin (reconnaissons que, cette
fois, le scrutin uninominal à deux tours est adapté, et d'ailleurs
peut-être même qu'un seul tour suffirait), il y a l'inquiétude,
souvent exprimée mais sans doute exagérée, que des électeurs de
« l'autre camp » participent à une primaire qui ne les concerne pas,
inquiétude d'autant plus importante si tout le monde est convaincu de
ce que sera le camp vainqueur. Et enfin — et surtout — comme les
primaires ne lient personne, il est de toute façon possible à un
candidat de se présenter hors des primaires, renvoyant celles-ci à
l'affaire interne d'un parti plutôt que d'un camp au sens large, si
bien que la dispersion se produira quand même.
On peut donc se poser la question d'un autre mode de scrutin.
Mathématiquement, il existe toutes sortes de modes de scrutin, qui
prennent en entrée des préférences des électeurs exprimées sous une
forme ou une autre (un seul nom, un ordre de préférence, un
sous-ensemble des candidats « assentis », ou toutes sortes d'autres
variantes), et qui produisent, parfois en faisant intervenir le
hasard, un gagnant.
Un théorème
célèbre dû à Kenneth Arrow (peut-être trop célèbre, comme celui de
Gödel, du coup tout le monde aime bien l'interpréter à tort et à
travers) affirme qu'aucun mode de scrutin ne peut être parfait, où
« parfait » signifie en fait qu'il vérifie un petit nombre de critères
qui intuitivement paraissent pourtant vraiment faibles, et
certainement désirables. Un problème apparenté à l'impossibilité
énoncée par ce théorème est le suivant : si environ 1/3 des électeurs
préfèrent X>Y>Z (lire :
préfèrent X à Y et Y à Z),
environ 1/3 des électeurs
préfèrent Y>Z>X et environ 1/3
des électeurs préfèrent Z>X>Y,
alors finalement 2/3 (donc une majorité) des électeurs
préfèrent X à Y et 2/3 des électeurs
préfèrent Y à Z et 2/3 des électeurs
préfèrent Z à X, donc qui qu'on choisisse
entre X, Y et Z, il y aura 2/3 des
électeurs qui en préféreront un autre. (Cette situation porte le nom
de pardoxe de
Condorcet : la relation de préférence majoritaire n'est pas
forcément transitive.)
Néanmoins, il n'est pas vraiment acquis que le théorème d'Arrow
pose un problème réel dans la pratique : les situations de paradoxe de
Condorcet, notamment, sont sans doute rares, les électeurs votent
rarement stratégiquement, et il y a différents théorèmes de
possibilité qui montrent que sous certaines hypothèses pas franchement
farfelues sur les préférences des électeurs et/ou sur leur honnêteté,
on peut quand même former des modes de scrutin raisonnablement
satisfaisants. Mais ensuite, la question devient de savoir ce qu'on
veut exactement, et les mathématiques n'ont pas de réponse à ça.
On peut par exemple évoquer
le critère
de Condorcet : on dit qu'un mode de scrutin vérifie le
critère de Condorcet lorsque s'il y a un candidat X
tel que pour tout candidat Y une majorité d'électeurs
préfère X à Y, alors X est élu.
Autrement dit : le critère de Condorcet demande qu'un candidat qui est
majoritairement préféré à tout autre candidat soit forcément élu (un
tel candidat, X dans la phrase précédente, est
appelé vainqueur de Condorcet
; il n'y a pas forcément un
vainqueur de Codorcet, et s'il n'y en a pas, c'est-à-dire
essentiellement les situations visées par le paradoxe de Condorcet
évoqué plus haut, alors le critère de Condorcet n'exige rien du tout ;
mais s'il y en a un, le critère de Condorcet demande que ce candidat
soit élu). Ni le scrutin uninominal à un seul
tour ni celui à deux tours ne vérifient le critère de
Condorcet. La situation typique est celle où il y a trois
candidats, X (centriste), Y₁ (de droite, disons)
et Y₂ (de gauche, disons), où il y a un peu moins que la
moitié des électeurs (les électeurs de droite) qui
préfèrent Y₁>X>Y₂, un peu moins
que la moitié des électeurs (les électeurs de gauche) qui
préfèrent Y₂>X>Y₁, et le petit
restant des électeurs (les électeurs centristes) qui
préfèrent X>Y₁>Y₂ ; dans ces
conditions, si on applique un scrutin uninominal à deux tours, le
second tour aura lieu entre Y₁ et Y₂,
et Y₁ gagnera, alors qu'en fait X était
vainqueur de Condorcet.
On peut trouver des modes de scrutin qui vérifient le critère de
Condorcet. (J'aime
beaucoup celui-ci,
que j'avais « redécouvert » indépendant et mentionné plusieurs fois
sur ce blog sous le nom de scrutin de « Condorcet-Nash » ; voir
notamment cette entrée et les notes
au point (5). Il est « optimal » en un certain sens : en
contrepartie, il a l'inconvénient de faire intervenir le hasard et
d'être incompréhensible pour les non-mathématiciens.)
Malheureusement, aucun de ces modes de scrutin, à ma connaissance,
n'est compréhensible par l'électeur moyen, i.e., l'électeur
non-mathématicien. Et même si j'aimerais bien vivre dans un monde où
tout le monde comprendrait raisonnablement bien les mathématiques (au
moins des choses relativement basiques comme ça), ce n'est pas le cas,
et il est certainement important qu'une large majorité d'électeurs ait
une idée globalement correcte des principes du mode de scrutin pour
que la démocratie fonctionne. (Bon, cette affirmation est peut-être à
nuancer : le mode d'élection des élections régionales en France est
franchement assez byzantin, et ça ne pose pas de problème
particulier ; mais au moins on comprend que c'est grosso modo une
proportionnelle.) De toute façon, pour espérer pouvoir convaincre des
hommes politiques de changer le mode de scrutin, il faudrait commencer
par le leur faire comprendre (et leur faire comprendre comment ça peut
les avantager ou avantager leur parti…).
Et même sur le fond, il n'est pas certain que le critère de
Condorcet soit forcément souhaitable : c'est un critère qui,
finalement, « favorise » les centristes ; mais si on reprend l'exemple
précédent et qu'on se dit que pas loin de la moitié des électeurs (les
électeurs de droite)
préfèrent Y₁≫X>Y₂, pas loin de la
moitié des électeurs (les électeurs de gauche)
préfèrent Y₂≫X>Y₁, et le restant
des électeurs (les électeurs centristes)
préfèrent X≫Y₁>Y₂, alors peut-être
qu'il est politiquement légitime que ce soit Y₁ qui soit
élu et pas X, ce dernier fût-il vainqueur de Condorcet,
parce qu'élire Y₁ (et sans doute Y₂ la fois
suivante) c'est admettre que gouverner c'est choisir et pas forcément
faire des compromis. De nouveau, c'est une question politique à
trancher, les mathématiques ne peuvent que faire des suggestions.
Un certain nombre de pays pratiquent pour certaines élections un
mode de scrutin
appelé instant
runoff voting
, également connu sous d'autres noms
comme alternative vote
ou transferable vote
(attention cependant,
le single transferable vote
est une extension
plus complexe de ce système qui s'applique au cas où on
élit plusieurs personnes et pas une seule). L'idée est
simple et compréhensible par tout le monde : au lieu de faire 2 tours
comme en France, on en fait N−1 où N est le
nombre de candidats, chaque tour éliminant exactement un candidat
(celui le moins bien placé) : autrement dit, on fait un premier tour
entre tous les candidats, on élimine celui qui a eu le moins de voix,
et on recommence jusqu'à ce qu'il n'y ait plus qu'un seul candidat,
qui est alors le gagnant de l'élection. Seulement, faire revenir les
électeurs aux urnes pour un si grand nombre de tours serait
malcommode : à la place, on demande donc aux électeurs d'indiquer une
fois pour toutes leur ordre de préférences entre tous les
candidats, et on reporte automatiquement leur voix sur le candidat le
plus haut dans leur ordre de préférence et qui soit encore en course.
(Autrement dit, initialement, le vote de chaque électeur porte
initialement sur le premier candidat sur son ordre de préférence, on
élimine le candidat le moins bien classé ainsi, puis on recommence en
reportant les voix obtenue par le candidat éliminé sur le second
candidat de l'ordre de préférence de ses électeurs, et ainsi de
suite.) Ce mode de scrutin ne vérifie pas le critère de
Condorcet (le contre-exemple est le même que j'ai déjà donné !), mais
il a l'avantage d'être compréhensible par tous, et il remédie
globalement au problème de la dispersion des votes présenté par les
modes de scrutin uninominaux à un seul et même à deux tours, puisque
les candidats sont éliminés successivement en commençant par le moins
populaire.
Il a cependant de gros inconvénients. Le principal est qu'il est
très difficile à dépouiller : comme chaque électeur doit indiquer un
ordre complet de préférences, il faut enregistrer tous ces ordres, ce
qui est bien plus complexe que d'enregistrer un seul nom ; et
contrairement à d'autres modes de scrutin qui demandent aussi aux
électeurs de choisir un ordre de préférence, dans celui-ci, on ne peut
pas se contenter de compter, pour chaque
paire X,Y de candidats le nombre d'électeurs qui
ont préféré le candidat X au candidat Y, ni le
nombre de fois que le candidat X arrive
en k-ième place : il faut vraiment stocker tous les ordres
de tout le monde. Bref, cela se fait surtout bien avec des machines à
voter, qui posent leurs propres problèmes de transparence et de
sécurité contre la fraude. (Un autre problème possible, mais qui est
sans doute peu important dans la pratique, est qu'il ouvre la voie à
un canal de communication subliminal : s'il y a assez de candidats, un
électeur identifier son bulletin en choisissant subtilement l'ordre
dans lequel il classe les candidats « sans importance ». Un peu à la
manière dont les enchères du bridge font passer des informations en
plus du pari qu'elles annoncent ouvertement.)
Par ailleurs, comme l'instant runoff
voting se fait en un seul tour de scrutin (même si ce tour
« simule » N−1 tours), il ne permet pas, par exemple,
d'avoir des débats de second tour où les candidats repositionneraient
leur discours pour tenir compte des résultats du premier tour et
chercher à convertir des nouveaux électeurs ; et symétriquement, il ne
permet pas aux électeurs de changer d'avis entre les tours. On peut
donc se demander si la « queue » des ordres de préférence est aussi
bien réfléchie que la « tête ».
Bref, si je devais, moi, changer le mode de scrutin de la
présidentielle française, en tenant compte du fait que les électeurs
ne sont pas mathématiciens (et d'autres réalités pratiques de ce
genre), sans bouleverser la pratique existante ni le fonctionnement
des institutions, je ferais le choix suivant, qui me semble
représenter un bon compromis et un changement assez minimal par
rapport à la pratique actuelle : il s'agit simplement d'insérer un
tour intermédiaire lorsque les deux candidats arrivés en tête du
premier tour ne totalisent pas 50% des suffrages exprimés ; ou plus
exactement :
- au premier tour peuvent se présenter tous les candidats ayant
recueilli un certain nombre de « parrainages »,
- le tour intermédiaire a lieu entre les candidats les mieux classés
à l'issue du premier tour jusqu'à totaliser (strictement plus que) la
moitié des suffrages exprimés,
- le tour final a lieu entre les deux candidats les mieux classés à
l'issue du tour intermédiaire.
Il est bien entendu que si le tour intermédiaire devait ne se
dérouler qu'entre deux candidats, il est sauté (c'est le tour final
qui en tient lieu) ; et encore plus évidemment, que si un candidat
obtient la majorité absolue, il est élu d'emblée. Le tour final a
lieu deux semaines après le premier tour, le tour intermédiaire
s'intercalant sur la semaine intermédiaire s'il y a lieu.
La règle que j'indique pour le tour intermédiaire, à savoir
prendre les candidats les mieux classés jusqu'à dépasser 50% des voix
au total, est une sorte de compromis basé sur différentes idées. En
pratique, cela devrait conduire à sélectionner généralement
trois candidats pour le tour intermédiaire si les deux premiers à
l'issue du premier tour sont insuffisamment représentatifs : il faut
donc imaginer ce tour intermédiaire comme une possibilité de
rattrapage en cas de trop grande dispersion des votes au premier tour
(si on constate que les deux premiers ne totalisent pas assez de voix,
on ressaye en en mettant trois ; il faudrait une dispersion vraiment
incroyable pour qu'il y ait quatre ou plus candidats au tour
intermédiaire). Cette règle assure qu'au moins la moitié de
l'électorat du premier tour voit son choix préféré représenté au tour
intermédiaire ; et il est presque certain dans la pratique (même si ce
n'est pas logiquement nécessaire) qu'au moins la moitié de
l'électorat du tour intermédiaire voit son choix représenté au tour
final ; et évidemment, au moins la moitié de l'électorat du tour final
voit son candidat élu, puisqu'il n'y en a plus que deux. Bref, j'ai
pris un critère simple qui ne repose pas sur un chiffre trop
arbitraire : 50% est la valeur maximale qui assure que si on répète ce
processus de sélection (à savoir : prendre les candidats les mieux
placés jusqu'à dépasser 50% des suffrages exprimés), il termine
forcément en temps fini.
Si je regarde ce que cette règle donnerait sur les élections
présidentielles passées depuis 1965, il n'y a qu'en 2002 et 1995
qu'elle aurait conduit à un tour intermédiaire (avec respectivement
Lionel Jospin et Édouard Balladur comme « troisièmes hommes »), aucune
des autres élections n'aurait été modifiée ; c'est-à-dire qu'il n'y a
qu'en 2002 et 1995 que les deux candidats du second tour ont
représenté à eux deux moins de la moitié de l'électorat — le cas que
je qualifie de problématique. Il n'est même pas du tout acquis que la
réforme décrite ci-dessus, quand bien même elle devrait être adoptée,
permette à un candidat de gauche de dépasser le premier tour en 2017,
mais ça deviendrait assurément plus plausible.
Bref, le changement que j'évoque devrait être assez
consensuel : il s'agit d'une modification qui ne bouleverserait rien
et surtout pas la dynamique des institutions, et qui s'inscrirait de
façon assez cohérente dans la logique de la campagne présidentielle et
de l'élection telle qu'elles sont déjà pratiquées en France (même le
calendrier s'y prête très bien). Les différents partis pourraient
avoir des raisons tactiques de l'approuver ou non, mais il n'est pas
du tout clair qui elle favoriserait globalement (on peut trouver
toutes sortes d'arguments contradictoires, mais le fait est que,
globalement, tout le monde est susceptible d'être un jour le
« troisième homme »).
Je rassure tout le monde : je ne me fais pas l'illusion qu'une
telle mesure aurait la moindre chance d'être adoptée. À la limite,
s'il s'agissait simplement de modifier la loi électorale, je pourrais
rêver que la probabilité dépasse celle que François Fillon, Marine
Le Pen, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon, Manuel Valls, François
Bayrou et quelques autres décident en même temps d'abandonner la
politique et d'aller tous ensemble s'exiler sur une île paradisiaque
pour y pratiquer l'amour libre et y fumer du chanvre entre deux
baignades, ce qui ferait le plus grand bien au paysage politique
français. Mais là, ce n'est pas juste une loi qu'il faut changer : le
mode de scrutin de la présidentielle est inscrit dans la constitution,
ce qui est, disons-le franchement, d'une connerie assez incroyable
(surtout qu'elle impose même le calendrier, avec une marge de manœuvre
quasi nulle pour le gouvernement). Du coup, je vais plutôt compter
sur les chances côté île paradisiaque.
Cependant, je suis un peu étonné de n'avoir entendu personne ne
serait-ce qu'évoquer une réforme comme je discute ci-dessus. Il y a
bien une
pétition ici, dont l'auteur n'a manifestement pas fait la même
analyse que moi (il veut trois tours systématiquement, et sort de son
chapeau un chiffre de quatre candidats admis à passer au deuxième),
mais qui va au moins dans le même sens. Cette pétition a recueilli…
14 signatures. Ça doit être une bonne métrique de l'opportunité que
j'ai à me lancer en politique.