David Madore's WebLog: Quelques remarques sur les modes de scrutin

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(lundi)

Quelques remarques sur les modes de scrutin

Les élections en France[#] font l'objet d'une forme de ritualisation qui me fait penser à la consultation de l'Oracle de Delphes : après des incantations propitiatoires d'usage, on interroge le Peuple Souverain, qui s'exprime, comme la Pythie, de façon totalement absconse, et ensuite chacun interprète la réponse de la manière qui l'arrange, c'est-à-dire en expliquant que le Peuple Souverain l'a adoubé pour exercer le pouvoir, ou bien que les adversaires sont Trop Méchants et ont faussé le jeu par leurs viles manœuvres politiciennes. (Cela ne se fait pas, en revanche, de dire que les électeurs sont des cons, ce que pourtant bon nombre de politiciens doivent penser en leur for intérieur.)

[#] Pas seulement en France, bien sûr : je suppose que c'est le cas dans n'importe quelle démocratie où aucun parti n'est hégémonique et où une alternance est effectivement possible au sens où l'issue d'un scrutin fait peser une incertitude significative sur comment et par qui le pays sera dirigé.

Et au milieu de ça, il y a occasionnellement une petite musique qui se fait entendre selon laquelle on devrait changer de mode de scrutin, parce que le mode actuel est injuste ou souffre de tel ou tel défaut. Ceci m'amène à faire les remarques et réflexions (pas très profondes) suivantes sur les modes de scrutin et l'opportunité de réformer ceux qui sont utilisés en France.

  1. Oui, les modes de scrutin utilisés en France, au moins dans les élections présidentielle et législatives, sont assez pourris. Ce ne sont pas le pire (le pire est sans doute celui utilisé aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni ou ailleurs, dans lequel on fait un seul tour de scrutin et on donne le poste à la personne arrivée en tête : c'est le plus simple, et c'est aussi le plus épouvantable qui soit formellement démocratique), mais peut-être que justement parce que ce ne sont pas le pire il est plus facile de ne pas faire attention à leurs défauts.

    Notamment, le fait de voter par circonscriptions indépendantes lors des législatives fait que la composition de l'assemblée élue s'écarte typiquement beaucoup d'une représentation proportionnelle (i.e., le nombre de sièges reçus au parlement par les différents partis n'est pas dans les proportions où on a voté pour eux) ; et le mode de scrutin uninominal à deux tours ne permet pas d'exprimer des préférences ordinales et ne vérifie généralement pas le critère de Condorcet (qui demande que si un candidat est préféré par une majorité des électeurs à tout autre candidat alors ce candidat sera forcément élu).

  2. Néanmoins, il faut immédiatement préciser qu'aucun mode de scrutin n'est idéal.

    Il y a des théorèmes mathématiques précis à ce sujet (celui d'Arrow, celui de Gibbard-Satterthwaite, celui de Duggan-Schwartz, celui de Chichilnisky-Heal, et sans doute plein dont je n'ai jamais entendu parler).

    Mais en fait, ce n'est pas clair que ces théorèmes soient vraiment pertinents ici : ils reposent généralement sur une variante ou une autre du paradoxe de Condorcet (à savoir : même si les préférences de chaque électeur sont cohérentes, il est possible qu'une majorité d'électeurs préfère A à B, qu'une majorité d'électeurs préfère B à C et qu'une majorité d'électeurs préfère C à A, ce qui posera manifestement un problème sérieux à tout mode de scrutin), or je ne suis pas sûr qu'il existe beaucoup de situations réelles du monde réel où le paradoxe de Condorcet apparaisse dans les préférences de l'électorat (en tout cas, je n'en vois pas dans le fond du débat politique français actuel ; mais n'hésitez pas à me détromper en commentaire).

  3. Le problème dans le monde réel et non mathématique est plutôt qu'on ne sait pas très bien ce qu'on attend d'un mécanisme de vote, et les choses qu'on attend (par exemple, la lisibilité des résultats) sont assez difficilement réductibles à une formalisation mathématique, voire carrément mal définies, ou bien ne dépendent pas tant du mode de scrutin que de tout le contexte politique, la pratique des institutions, etc., et à un niveau encore plus large, de la psychologie des votants, de la sociologie de l'électorat, du système médiatique, etc.

    Notamment, attendre d'un mode de scrutin qu'il rende le résultat de l'élection facile à comprendre et à interpréter est certainement naïf.

    Après tout, même s'agissant du type de scrutin le plus simple possible, c'est-à-dire un referendum dont les seules réponses possibles sont oui et non, les commentateurs arriveront à se disputer sur ce que le Peuple Souverain a voulu dire en choisissant l'un ou l'autre, parce que, justement, une seule réponse binaire n'apporte pas les éléments d'information nécessaire pour comprendre et interpréter la réponse. Les électeurs votent pour mille et une raisons, veulent exprimer mille et une choses différentes, utilisent leur droit de vote comme ils le peuvent et parfois sans aucun rapport avec la question posée (p.ex., pour exprimer leur mécontentement), et si le mode de scrutin fournit un résultat, il ne fournit pas une réponse oraculaire utilisable sur les souhaits ou intentions du Peuple Souverain.

    À titre d'exemple, je suis persuadé que si dans une élection entre deux candidats A et B les électeurs avaient le choix non pas entre deux bulletins (pour A et pour B), ils en avaient quatre, pour A, pour B, contre A et contre B, même si pour le mode de scrutin au sens strict voter contre A était traité exactement identique à voter pour B et symétriquement, au moins pour peu que la différence soit reflétée dans la présentation des résultats (par exemple, on compare les totaux pour_A − contre_A et pour_B − contre_B, ce qui revient mathématiquement au même que de comparer pour_A + contre_B et pour_B + contre_A, mais symboliquement c'est très différent, surtout si quelqu'un se retrouve élu avec un nombre de voix négatif), les électeurs se comporteraient différemment face à ces quatre bulletins que face à deux. Ceci montre que l'abstraction d'un mode de scrutin par une formalisation mathématique de la chose ne dit certainement pas tout.

    À l'appui de cette affirmation, je peux par exemple évoquer le fait que lors du second tour de la dernière élection présidentielle française, j'ai rencontré un certain nombre d'électeurs — de gauche — qui m'ont expliqué qu'ils ne pensaient voter pour Emmanuel Macron que s'il avait des chances sérieuses d'être battu par Marine Le Pen. Or mathématiquement, et pour ce qui est du seul résultat du scrutin, dans une élection portant sur un choix binaire, le vote tactique n'a pas d'intérêt (un électeur rationnel vote pour son choix préféré, et c'est tout) : c'est la preuve que ces électeurs se préoccupaient d'autre chose que de l'issue du mode de scrutin stricto sensu, par exemple de l'interprétation qui en serait faite, du symbole, ou, bien entendu, de l'effort nécessaire pour aller jusqu'au bureau de vote.

  4. En tout état de cause, c'est impossible de savoir ce qu'on veut comme mode de scrutin sans considérer l'ensemble de du fonctionnement des institutions et de la pratique du pouvoir (chose qui m'intéresse aussi, bien sûr). Ces questions sont profondément inséparables.

    Par exemple, si le parlement est élu par un mode de scrutin donnant un résultat largement proportionnel, il faut au minimum soit que la culture politique soit capable de former des coalitions (parce que probablement aucune majorité absolue ne se dégagera au parlement) soit que l'exécutif puisse fonctionner sans majorité au parlement (soit que le régime soit présidentiel avec un exécutif indépendant, soit que différents mécanismes, par exemple une élection du chef du gouvernement par le parlement avec un mode de scrutin qui garantit un gagnant, et ensuite l'exigence que les motions de censure soient constructives, assurent une stabilité même d'un exécutif minoritaire). De façon contraposée, si la constitution exige une majorité stable au parlement, le mode de scrutin doit favoriser son dégagement, même si cela présente d'autres inconvénients : prime à la majorité, ou scrutin par circonscriptions (ce qui ne suffit pas forcément, comme on vient de le constater en France !).

    Inversement, le mode de scrutin influe forcément sur la pratique du pouvoir, et pose forcément toutes sortes de questions sur le type de démocratie qu'on souhaite avoir. Certains modes de scrutin favorisent un petit nombre de grands partis (voire le bipartisme, comme aux États-Unis), auquel cas il faudra être d'autant plus sourcilleux sur la démocratie interne de chacun de ces partis. D'autres, au contraire, favorisent l'émiettement entre petits partis, ce qui est peut-être préférable si le but est d'obtenir un parlement représentatif de la diversité des opinions de l'électorat, mais forcément plus compliqué quand il s'agit de favoriser un exécutif stable (et la France risque de le constater malgré un mode de scrutin plutôt favorable aux grands partis).

  5. D'autre part, on peut certainement souhaiter qu'un mode de scrutin soit compréhensible par les électeurs (ou au moins que ses principales caractéristiques le soient). Or ceci place une contrainte énorme sur ce qu'on peut imaginer mettre en place : car visiblement beaucoup de gens ont déjà du mal à comprendre la différence entre tel parti a remporté le plus grand nombre de voix dans le plus grand nombre de circonscriptions et tel parti a remporté le plus grand nombre de voix au niveau national, et si quelque chose d'aussi basique n'est déjà pas évident, c'est un peu difficile de concevoir un mode de scrutin qui le soit.

    Ceci m'amène d'ailleurs à la remarque suivante : on aime bien dire aux mathématiciens que les mathématiques ne servent à rien hors des métiers spécialisés et hors du fait de savoir ajouter, soustraire, multiplier et diviser et peut-être calculer un pourcentage. Pourtant, comprendre des choses comme la différence entre tel parti a remporté le plus grand nombre de voix dans le plus grand nombre de circonscriptions et tel parti a remporté le plus grand nombre de voix au niveau national ou l'équivalence entre comparer pour_A − contre_A avec pour_B − contre_B, et comparer pour_A + contre_B avec pour_B + contre_A, c'est justement ce que le raisonnement mathématique et logique permet de saisir. Bref, c'est un peu contradictoire d'affirmer (et ce sont bien parfois les mêmes personnes qui le disent) que les mathématiques ne servent à rien et que des modes de scrutin un tant soit peu sophistiqués sont inacceptables car le grand public n'a pas le bagage mathématique pour les comprendre.

    (Au demeurant, il y a déjà des modes de scrutin assez sophistiqués utilisés en France : celui des régionales, qui fonctionne avec une répartition proportionnelle des sièges entre les listes, puis une répartition proportionnelle des sections départementales au sein de chaque liste, est un exemple.)

  6. Les partisans des modes de scrutin alternatifs sont généralement pénibles, parce qu'au lieu d'accepter d'avoir une conversation nuancée autour de différents modes de scrutin, leurs avantages et inconvénients (il y en a toujours, comme je l'ai dit), ils ont tendance à avoir un mode de scrutin préféré (déjà c'est un peu suspect d'en avoir un et un seul) et ils veulent juste parler de celui-là et en faire la pub, expliquer qu'il va sauver la démocratie, et surtout, dire du mal de tous les autres modes de scrutin alternatifs. Il n'y a pas pire ennemi d'un mode de scrutin alternatif que les partisans d'un autre mode de scrutin alternatif, ils passent leur temps à se tirer dans les pattes, c'est assez triste.

    (Si vous voulez entendre le plus grand mal sur le jugement majoritaire, demandez leur avis aux gens qui militent pour le vote par assentiment, par exemple — ou réciproquement. C'est un peu comme les gauchistes : s'ils mettaient autant d'énergie à améliorer la société qu'à défendre la pureté idéologique de leur camp, à traquer les sociaux-traîtres et à ergoter sur la différence entre un revenu universel et un salaire à vie, toutes ces promesses seraient déjà réalité.)

    C'est dommage, parce qu'il y a vraiment des bonnes idées dans certains de ces modes de scrutin, et ce serait intéressant d'avoir une conversation sérieuse sur ce qu'un mode de scrutin doit faire, ce qu'on en attend ou pas, qui doit le choisir, quels inconvénients sont acceptables, etc. Mais entre les électeurs qui ne s'intéressent pas à ces questions « techniques » (et refusent d'apprendre le minimum de maths pour y réfléchir) sauf quand les résultats du mode de scrutin en cours posent problème, les politiques qui veulent évidemment juste ce qui les avantage le plus, et les partisans de modes de scrutin alternatifs qui ont en fait simplement leur marotte dont ils veulent parler à tout le monde, personne ne peut vraiment tenir cette conversation, et on n'avance pas.

  7. Il y a aussi un certain nombre de fausses idées sur les modes de scrutin, résultant de malentendus techniques ou de confusions entre des choses qui n'ont rien à voir, qui parasitent la discussion.

    À titre d'exemple, l'idée souvent entendue qu'un mode de scrutin proportionnel empêcherait d'avoir un député par circonscription est fausse : on peut tout à fait imaginer toutes sortes de modes de scrutin qui assurent une représentation parfaitement proportionnelle des partis au parlement mais donne quand même à chaque circonscription « son » député (je ne me prononce pas sur la question de savoir si ceci est souhaitable). D'ailleurs, l'Allemagne utilise un tel mode de scrutin (bon, le mode de scrutin à la diète fédérale allemande souffre de divers inconvénients et je n'ai d'ailleurs jamais compris exactement comment il est implémenté dans les détails[#2]) mais peu importent les détails, je veux surtout dire que c'est faisable en principe

    [#2] Des éléments d'explications sur le problème du décalage entre élections à la proportionnelle et élections par circonscriptions sont fournis dans cette page (ainsi que celle-ci) mais, outre qu'elle est en allemand, elle n'est pas super clairement expliquée, et les choses ont l'air d'autant plus confuses qu'il y a eu des réformes et décisions de justice faisant évoluer la situation dans tel ou tel sens — ce qui montre que tout ceci n'est pas anecdotique. Bref, ce système ne permet pas aisément de concilier l'équité de la représentation proportionnelle et l'absence d'effets pervers ou de possibilité de vote tactique.

    Personnellement, si je devais proposer un mode de scrutin proportionnel par circonscriptions, je partirais de quelque chose comme ceci. Chaque liste présente un député dans chaque circonscription (mais il n'y a pas d'ordre au sein de ces députés, pas de « tête de liste »). Les électeurs votent pour une liste, représentée par le candidat qu'elle a investi dans la circonscription. Le nombre de sièges de chaque liste est réparti proportionnellement au score au niveau national selon la méthode de la plus forte moyenne avec le système de D'Hondt (c'est ce qui est déjà fait en France pour diverses élections à la proportionnelle ; je renvoie à ce billet pour les détails de ce mode de scrutin, ainsi qu'au suivant pour des illustrations). Mais au lieu d'attribuer les sièges aux députés en haut de la liste (comme on le fait pour des listes nationales ordonnées, par exemple aux européennes), ici on les attribue en gros à ceux ayant eu (enfin, dont la liste qu'ils incarnent a eu) le plus haut score dans la circonscription où ils se présentaient. Plus exactement, je peux proposer la chose suivante : le système de D'Hondt attribue, par construction, les sièges dans un certain ordre aux listes (le premier siège attribué va à la liste qui a eu le plus haut score, puis à chaque étape suivante le siège est attribué à celle qui a le plus grand quotient score÷(sièges+1)), on va les parcourir dans cet ordre et, à chaque étape, attribuer le siège au député de la liste qui a eu le plus haut score local parmi les circonscriptions non encore attribuées (donc, par exemple, le premier siège attribué va au candidat ayant eu le plus haut score local parmi ceux de la liste ayant eu le plus haut score national).

    Le système que je viens de décrire au paragraphe précédent (je l'avais peut-être déjà évoqué précédemment, je ne sais plus ; mais j'imagine qu'il a déjà été décrit par plein d'autres gens avant moi tant il est évident) est strictement proportionnel au niveau national, et attribue un député à chaque circonscription, et plus vous avez de voix dans votre circonscription plus vous avez de chances d'être élu ; évidemment, certains peuvent quand même être élus avec moins de voix qu'un adversaire, mais ça c'est inévitable si on veut garantir la proportionnalité du résultat final au score national. Il faudrait que je fasse la simulation sur les données des dernières élections françaises pour voir ce que ça donne, mais la difficulté est que tout le monde n'est pas de façon évidente affilié à une liste. Or ça c'est un reproche plus sérieux à faire à ce mode de scrutin : ce n'est pas évident de trouver comment le modifier pour permettre à une liste de ne présenter des députés que dans un sous-ensemble des circonscriptions, et même à quelqu'un de se présenter à titre individuel dans une circonscription isolée.

    (Sur cette dernière phrase, petite précision. L'idée évidente serait de dire si quelqu'un se présente de façon isolée, ce n'est pas grave, on le considère comme une liste à lui tout seul, sur laquelle il n'y a qu'un nom, il obtiendra son siège si l'élection à la proportionnelle lui en donne un, mais en fait ce serait quasiment impossible d'être élu à titre individuel de cette façon. En effet, s'il y a N sièges à pourvoir, la proportion des voix de l'électorat national qu'il faut recueillir pour obtenir un premier siège est de l'ordre de 1/N, plus exactement il me semble que c'est 1/N moins quelque chose de l'ordre de 1/(2p·N²) où p est la proportion obtenue par une des « grosses » listes, et donc rapporté à une des N circonscriptions ça veut dire qu'il faut obtenir quasiment 100% des voix dans cette circonscription si on veut être élu à titre individuel, sans même parler d'un éventuel seuil de représentation. On peut certainement imaginer des moyens de corriger ça, mais tout le problème est de s'assurer que ces moyens n'incitent pas, du même coup, une liste unique à se présenter comme N candidats individuels en prétendant qu'ils sont tous indépendants. Enfin voilà, je ne veux pas m'éterniser sur ce qui est une sorte de digression, mais c'est le genre de situation où il faut faire des compromis pas évidents et se demander ce qu'on veut permettre au juste. Évidemment, un compromis plus évident et plus simple à comprendre, même s'il est intellectuellement moins satisfaisant, serait simplement qu'une partie des députés soient élus nationalement — ou régionalement — à la proportionnelle et qu'une autre partie soient élus individuellement dans des circonscriptions ; mais je cherchais ici à montrer que même avec une proportionnelle intégrale on peut très bien avoir des circonscriptions.)

  8. De toute façon, il faut rester réaliste : le mode de scrutin est choisi par les députés qui, par définition, ont été élus avec le mode de scrutin existant, donc n'ont probablement pas envie d'en changer.

    Par exemple, pendant longtemps, en France, le Front National n'a eu aucune ou presque aucune représentation au parlement, parce que le mode de scrutin par circonscriptions faisait qu'il leur était très difficile d'obtenir la majorité ne serait-ce que dans une seule circonscription. Ils étaient, logiquement, favorables à un scrutin à la proportionnelle qui leur aurait donné une représentation à mesure de la part des voix qu'ils ont dans l'électorat. Et quoi qu'on pense du Front National (je me suis déjà exprimé à ce sujet ici), cela soulève une question sérieuse pour la démocratie si un parti représentant une part significative de l'électorat n'obtient aucun, ou quasiment aucun, député au parlement. (Les scrutins par circonscriptions favorisent lourdement les partis ayant une implantation locale par rapport à ceux qui représentent une proportion significative de l'électorat mais diluée sur tout le territoire.) D'un autre côté, on peut aussi considérer que la volonté d'électeurs de faire barrage à ce parti mérite considération démocratique, ce qui soulève aussi des questions sur le mode de scrutin. Toujours est-il que maintenant que la représentation du Front National (devenu depuis Rassemblement National) s'approche de ce que donnerait une élection à la proportionnelle, ils parlent beaucoup moins de réforme électorale — même s'ils semblent continuer à subir cet effet « barrage ». À l'inverse, les députés élus par « barrage » au Rassemblement National n'ont probablement pas envie de changer pour un mode de scrutin proportionnel qui annulerait cette possibilité.

    D'autre part, même si les députés devaient avoir envie de changer le mode de scrutin, l'opération serait forcément, et surtout dans un climat politique très divisé, entourée d'une odeur de soupçon : changer les règles du jeu donne toujours l'impression (souvent juste, comme je viens de le dire) qu'on cherche à les manipuler à son propre avantage.

    D'autant plus que les électeurs non-geeks, majoritairement, ne s'intéressent pas aux questions ni de droit constitutionnel, ni de théorie du vote, ni de politique des institutions, sauf lorsque celles-ci ont un impact directement sur des questions de fond (par exemple l'usage de l'article 49-3 de la Constitution par le gouvernement, ou l'élection d'un parlement sans majorité). C'est assez bête : refuser de voir une question sauf quand elle est vraiment un problème, c'est une façon de ne jamais faire progresser cette question, et s'assurer qu'elle restera toujours aussi problématique.

    Je suis donc assez pessimiste sur la possibilité de faire un jour changer le mode de scrutin en France. Pas complètement désespéré, cependant : après tout, il a changé par le passé (même si j'ai bien du mal à trouver des informations fiables et précises sur les modes de scrutin passés), et c'est une question qui est au moins de temps en temps évoquée par des gens qui pourraient avoir le pouvoir de le changer. Je suis en revanche à peu près convaincu que si changement un jour il y a, ce sera plus le résultat de petits calculs politiciens que d'une réflexion sérieuse sur ce que pourrait être un mode de scrutin pertinent.

Vaguement en rapport : ce billet passé sur le tirage au sort (qu'on peut, après tout, considérer comme un mode de scrutin particulier, et qui, en tant que tel, a plutôt de bonnes propriétés mathématiques, même si politiquement cela reste à discuter).

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