Quelques illustrations pour rendre plus claire mon entrée précédente : dans chacun des diagrammes suivants, on a 12 sièges à répartir à la proportionnelle entre 3 listes ; le triangle représente les différentes proportions de voix possibles entre ces trois listes (les sommets représentent l'unanimité pour une des listes et 0 voix pour les deux autres, les côtés du triangle représentent les répartitions où une liste a 0 voix, et plus généralement les nombre de voix recueillies par les trois listes sont proportionnels aux distances aux trois côtés). Les (centres des) 78 gros points de couleur claire marquent les endroits où on a une représentation proportionnelle exacte (par exemple, le point jaune au milieu de la 3e ligne de points en partant du haut — celle qui a trois points — représente une répartition où une liste a exactement 10/12=5/6 des voix et les deux autres chacune 1/12 ; tandis que le point blanc au centre exact du triangle représente la répartition où chaque liste a exactement 4/12=1/3 des voix). Enfin, les régions de couleur qui divisent le triangle représentent chacun une configuration possible des sièges dans l'assemblée : la région marque donc l'ensemble des répartition de votes pour lesquelles le mode de scrutin considéré attribue cette configuration des sièges à l'assemblée. Par exemple, la région jaunâtre vers le sommet supérieur du triangle (celle qui contient le point jaune précédemment mentionné) représente les répartitions possibles des voix pour lesquelles le mode de scrutin représenté attribuera 10 sièges sur 12 à une liste et 1 siège à chacune des deux autres. Comme a priori on veut que la représentation proportionnelle donne à l'assemblée le nombre de sièges entiers exact évident si les voix sont dans des proportions exactes en 12e, évidemment, chaque région contient un et exactement un des points marqués (les exceptions étant si on ne permet pas à une liste d'obtenir zéro sièges, dans la méthode de Huntington-Hill).
Dans le cas de la méthode du plus fort reste de
Hare-Niemeyer/Hamilton, les régions sont de bêtes hexagones réguliers,
centrés sur les points de représentation exacte, chaque répartition de
votes étant envoyée sur la configuration de l'assemblée correspondant
au point de représentation exacte métriquement le plus proche (ou, si
l'on veut, il s'agit
du diagramme de
Voronoï des points de représentation exacte). C'est pour cette
raison que la méthode est assez naturelle et intuitive. Notons que
les hexagones au bord du triangle sont tronqués (ils n'ont donc pas la
même aire que les autres) : si on tire uniformément au hasard la
répartition des votes, on a moins de chances de tomber sur une
situation où la configuration de l'assemblée ne donnera aucun siège à
une liste que pour les autres configurations.
Le paradoxe de l'Alabama ne se voit pas sur un seul dessin comme ça : pour le voir, il faut en imaginer deux superposés. Je ne vais pas montrer cette superposition, parce que c'est un peu bordélique, mais ça s'imagine très bien. Considérez par exemple l'hexagone cyan situé autour du milieu du côté gauche du triangle, et prenez un point P très proche du sommet de cet hexagone le plus éloigné du côté en question du triangle : cet hexagone représente une configuration de l'assemblée où deux listes ont 6 sièges chacune et la troisième n'en a aucun. La ligne brisée (en dents de scie) formée par les bords des hexagones tronqués par le bord du triangle représente la ligne à partir de laquelle cette troisième liste obtient un siège : notre point P (qui serait typiquement : 47.3% et 47.2% des voix pour deux des listes et 5.5% pour la troisième) est près d'une bosse de cette ligne brisée, c'est-à-dire dans une situation à peu près aussi éloignée que possible du bord du triangle (i.e. : avec le plus grand nombre possible de voix pour la troisième liste) sans qu'elle obtienne pourtant de siège. Maintenant, si au lieu d'avoir 12 sièges à l'assemblée on en a seulement 11, alors le milieu du côté est à cheval entre deux hexagones, donc le point P passe de l'autre côté de la ligne brisée puisque maintenant elle a un creux à cet endroit-là : les deux listes majoritaires obtiennent 5 sièges chacune, et la troisième en obtient 1 (l'idée étant en quelque sorte qu'on n'arrive pas à le partager entre deux listes très proches, donc on le donne à la troisième !).
Petit exercice : en dimension 3, quel genre de solide obtient-on à la place d'hexagones ?
Dans le cas de la méthode du plus fort
reste de Hagenbach-Bischoff/Droop, les régions sont toujours des
hexagones réguliers, mais cette fois ils ne sont plus centrés sur les
points à représentation exacte — ils sont placés de sorte que
les côtés du triangle, au lieu de les couper en deux par le milieu,
passe par deux sommets (donc les hexagones du bord sont aussi près que
possible de l'intérieur, si on veut, sans pour autant qu'un nouvel
hexagone ne menace de rentrer dans la figure : cela rétablit un peu le
rapport de proportions entre les régions, et on se rapproche beaucoup
plus de la méthode de D'Hondt).
Dans le cas de la méthode de plus forte moyenne de
D'Hondt, les hexagones sont d'autant plus déformés qu'on est proche du
bord, et au bord ce sont presque des parallélogrammes : c'est en
quelque sorte ce qui permet d'éviter le paradoxe de l'Alabama, car la
ligne brisée à partir de laquelle une liste obtient 1 siège n'est
presque pas brisée, donc il n'est pas surprenant que la ligne brisée
pour 1 siège de plus au total dans l'assemblée, qui sera un peu plus
en retrait vers le bord du triangle, ne la coupe jamais. En fait, si
cette figure titille vos neurones à 3D, c'est normal : les régions
sont bien des cubes vus en perspective (dont les points de
représentation exacte sont un des sommets, le plus proche de
l'œil), cela résulte d'une des descriptions que j'avais faites
de la méthode de D'Hondt. Il faut aussi remarquer que toutes les
régions ont la même aire : c'est la propriété de non-biais de la
méthode de D'Hondt.
Le fait qu'une liste puisse obtenir, avec la méthode de D'Hondt, plus de sièges que l'arrondi supérieur de sa proportion des sièges se voit bien sur ce diagramme : par exemple, le parallélogramme bleu qui contient le sommet supérieur du triangle (la région des situations où la méthode attribue la totalité des sièges à une des listes) passe largement en-dessous de la ligne horizontale, presque la diagonale de ce parallélogramme, qui relie les deux points à répartition exacte (le rouge et le magenta) juste en-dessous du sommet en question — cette ligne représentant les répartitions où la liste majoritaire obtient 11/12 des voix : donc on peut obtenir moins de 11/12 des voix (presque jusqu'à 10/12, en fait) et tout de même avoir 12 sièges sur 12, si les voix sont à peu près également divisées entre les deux autres listes.
La méthode de Sainte-Laguë n'est pas très différente :
maintenant les points sont au centre des cubes (et ceux qui sont sur
le bord sont tronqués).
La méthode de Huntington-Hill, enfin, diffère
sérieusement au niveau des bords du triangle car, cette fois, elle ne
permet pas qu'une liste n'obtienne aucun siège (si elle a ne serait-ce
que ε voix).