David Madore's WebLog: L'argent du contribuable, l'argent du consommateur

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(dimanche)

L'argent du contribuable, l'argent du consommateur

Il m'arrive assez rarement de regarder la télé. Ce soir, dans un moment de désœuvrement (je ne suis pas allé travailler, parce que j'ai cru qu'on ne me laisserait pas entrer dans mon bureau), je l'ai allumé, et je suis tombé sur l'émission Capital consacrée au patrimoine de l'État (le mobilier national). I.e., on parle beaucoup de l'argent du contribuable, de la manière dont il est employé, du train de vie des ministres (est-il excessif, etc.).

Je suis tout à fait favorable à ce genre d'enquêtes et à la transparence dans ce domaine (l'exemple de la Suède, proposé dans un des reportages, était d'ailleurs fort instructif pour ce qu'on peut atteindre en matière d'économie et de transparence). Mais il y a une chose que je n'ai jamais bien comprise, c'est l'obsession pour l'argent du contribuable par rapport à l'argent du consommateur.

Je m'explique. Une partie de l'argent que je dépense va dans les caisses de l'État, que ce soit par les impôts directs ou par des taxes ; en « échange » (plus ou moins) de cet argent, je reçois des services de l'État. Une autre partie, nettement plus importante, de l'argent que je dépense, va dans les caisses de groupes privés (typiquement, des entreprises), et en échange je reçois différents services ou différents biens de consommation. Dans le premier cas, on parle de mon argent en tant que contribuable, dans le second, en tant que consommateur. Une partie de l'argent du contribuable sert à payer ce que les reportages appellent les ors de la République, les voitures et appartements de fonction des ministres, ce genre de choses ; mais une partie de l'argent du consommateur sert aussi à payer des choses de ce genre : les voitures et appartements des dirigeants des entreprises. Personnellement, je ne vois pas fondamentalement la différence. Or il me semble que pour ce qui est de l'argent public, le niveau de transparence est loin d'être aussi mauvais que pour l'argent privé : il n'est certes pas facile de savoir où vivent les ministres et combien ça coûte au contribuable, mais il est encore plus difficile de savoir où vivent les PDG et combien ça coûte au consommateur, et quand un ministre a un appartement jugé trop luxueux, payé par l'État, et que la presse le révèle, au moins, il est forcé à démissionner, alors que pour un PDG je n'ai le souvenir d'aucune histoire de ce genre (même s'il y a ponctuellement des petits scandales, mais uniquement sur des épiphénomènes locaux). Pourtant, moi, je ne me sens pas vraiment plus gêné par un cas que par l'autre. (Et je précise que je cite les grosses voitures comme un exemple anecdotique : je parle de transparence financière en général.)

La réponse classique serait de dire que je n'ai pas le choix de payer des impôts alors que j'ai le choix d'acheter mes yaourts dans la marque X ou Y. Je trouve ça assez pipo : premièrement, je fais mes achats dans la grande surface la plus proche de chez moi et je n'ai pas de choix à ce sujet (les autres sont trop loin), donc ce que je paie à Champion est exactement pareil qu'un impôt, de mon point de vue, et deuxièmement, de toute façon, je n'ai pas assez d'information pour savoir si l'argent est mieux dépensé quand il rentre dans les caisses de la marque X que de la marque Y, car aucune ne fait preuve de la moindre transparence quant à sa gestion de ses recettes.

Et bizarrement, ça semble normal à la plupart des gens : autant l'État est perçu comme quelque chose qui doit être sous le contrôle de tout le monde (la République est, étymologiquement, la chose publique), sinon les citoyens-contribuables protestent, autant un organisme privé a, moralement, le droit d'être opaque, et ses clients-consommateurs ne s'en offusquent pas, ils regardent juste l'argent qui entre et le service qui sort et considèrent le reste comme une boîte (pun unintended) noire. Attention, je ne dis pas forcément que les entreprises devraient avoir une obligation légale de transparence financière vis-à-vis de leurs clients ! Rendons à César ce qui est à César, à l'État ce qui est la loi : je dis que je trouve malsain de la part de la société de tolérer d'acheter des biens à des fournisseurs dont elle n'exige pas la transparence financière la plus totale, alors qu'elle l'exige des gouvernants de l'État. Malheureusement, ce n'est pas quelque chose qui semble en passe de rentrer dans les mœurs, que de refuser d'acheter un produit lorsque celui à qui on l'achète n'est pas en mesure de fournir un compte-rendu détaillé de ce qu'il va faire avec l'argent qu'on lui verse. (Et je souligne que je me place volontairement dans la situation du client face à un fournisseur et pas de l'actionnaire : car il semble mieux compris que l'actionnaire peut exercer un contrôle sur le groupe dont il est actionnaire, alors qu'il n'y a pas vraiment plus de raison que pour le client. L'actionnaire a le pouvoir de vote dans les assemblées générales, mais le client a le pouvoir de refuser d'acheter, et c'est un contrôle censément au moins aussi efficace.)

Le commerce équitable est un début de réponse, mais il met la charrue avant les bœufs : c'est surtout le commerce transparent que je voudrais voir. Et jusqu'à présent, je n'ai jamais vu un yaourt qui comporterait une étiquette détaillant, à côté des ingrédients (et de façon contractuelle !) la répartition du prix de ce yaourt. S'il y a des associations de consommateurs qui militent pour forcer l'apparition de telles mentions, j'adhère.

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