David Madore's WebLog: De l'intérêt de tout photographier

[Index of all entries / Index de toutes les entréesLatest entries / Dernières entréesXML (RSS 1.0) • Recent comments / Commentaires récents]

↓Entry #2412 [older| permalink|newer] / ↓Entrée #2412 [précédente| permalien|suivante] ↓

(mardi)

De l'intérêt de tout photographier

Je voudrais me donner à moi-même un conseil tout con, un conseil que je n'arrive pas à me forcer à le suivre autant que je devrais, et tant qu'à faire autant le rendre public (même si ce conseil me vise avant tout moi-même) : celui de tout photographier.

Pendant longtemps, je n'ai pas vraiment compris l'intérêt d'avoir un appareil photo dans un téléphone. C'est sans doute parce que je restais sur l'idée d'un tel appareil comme quelque chose qui sert à immortaliser des souvenirs ou à réaliser des images artistiques, choses pour lesquels il est douteux que l'appareil d'un téléphone soit très adapté. Pour prendre des belles photos on va vite se rendre compte que l'optique est complètement pourrie (nonobstant le nombre de « mégapixels » — un mot à la con que je déteste particulièrement — dont l'appareil dispose). Prendre des photos de ses vacances, pourquoi pas, mais si on le fait pour quelque chose comme la tour Eiffel, Big Ben ou la grande Pyramide, on va vite se rendre compte que des millions de gens l'ont fait avant, et en mieux. Et prendre des photos pour les mettre sur les réseaux sociaux et guetter les like sur VisageLivre, pourquoi pas, mais ce n'est pas trop mon truc.

Non, ce dont je parle, c'est plutôt de photographier les choses les plus quotidiennes et les plus banales. Il y a plein de raisons à ça, mais pour les synthétiser en une seule phrase : ça ne coûte essentiellement rien, et on ne sait pas ce qui pourra resservir. Il faut imaginer qu'on a un bloc-note ou une mémoire eidétique dont on peut disposer comme on veut, et il est bon de s'en servir.

J'ai commencé à comprendre l'intérêt de la chose en montant et démontant des ordinateurs (voir par exemple ici). Quel que soit le soin avec lequel on s'y prend, quelle que soit l'habitude qu'on ait de la chose, il y aura toujours un moment où on ne sera plus très sûr de la manière dont tel ou tel câble ou composant était branché, ce qui était relié à quoi, ce qui passait où… avoir des images auxquelles se référer est très précieux. Maintenant, dès que je dois faire quoi que ce soit dans un ordinateur, je prends plein de photos avant de débrancher quoi que ce soit, avant d'ouvrir, avant de retirer quoi que ce soit de l'intérieur, une fois que j'ai retiré ce que je voulais retiré, et ainsi de suite à chaque étape de la manipulation.

Mais ce n'est qu'un exemple parmi d'autres, et je continue à me rendre compte régulièrement que je me simplifierais la vie si je photographiais tout ou n'importe quoi avant de faire n'importe quelle action dessus, et après l'avoir fait. Une discussion de maths au tableau ? Photographier le tableau après, même si on croit se souvenir de tout ce qui a été dit. Je reçois un objet dans un colis ? Photographier avant d'ouvrir, et avant de retirer chaque morceau d'emballage, on ne sait jamais ce qui pourrait casser ou ce que je ne saurais pas ranger, ou je pourrais avoir un doute sur le fait que quelque chose était inclus dans le colis ou aurait dû y être. Du ménage ou du rangement à la maison ? Tout photographier avant et après permettra parfois d'éclaircir le mystère d'un objet disparu ou de quelque chose qu'on ne sait plus comment remettre en place. Se photographier avant et après un passage chez le coiffeur ne sert pas qu'à mettre le selfie sur les réseaux sociaux, ça peut aussi servir à demander plus tard je veux cette coupe-là. Et pour les hypocondriaques comme moi, se photographier sous toutes les coutures a un intérêt évident (est-ce que j'avais déjà un grain de beauté à cet endroit-là ? est-ce qu'il était aussi gros ?).

De même qu'il est certainement utile de prendre l'habitude de scanner tous les courriers qu'on reçoit (en tout cas tous ceux qui sont un peu officiels) et tous ceux qu'on envoie, pour à peu près tout ce qui n'est pas document papier, il faut penser à l'appareil photo. L'espace disque coûte très peu, surtout si on n'utilise pas une résolution délirante, il faut en profiter.

Et je ne parle pas que d'un aspect pratique. Tiens, il me semble que quelque chose à changé depuis la dernière fois que je suis passé ici, mais quoi donc ? — voilà le genre de questions qui me rend fou. Google Street View permet parfois d'y répondre (notamment à quel est ce commerce qui vient de fermer ?), mais avoir ses propres photos est aussi intéressant. Depuis le 1er janvier 2001, je tiens (sur ordinateur) un journal précis de ce que je fais quotidiennement, qui me permet de répondre à plein de questions comme quand est la dernière fois que j'ai vu Untel, ou que j'ai fait ceci-cela (et remédier aux limitations de ma mémoire) : prendre des photos est naturellement complémentaire de cette démarche autodocumentaire.

Et pour ce qui est de la vie en général, ce ne sont pas forcément, ou en tout cas pas seulement, les moments les plus mémorables qu'il faut enregistrer dans l'appareil : les moments mémorables, par définition, on va plus facilement les mémoriser — mais ce qu'on risque de regretter de ne pas avoir plus tard, c'est un souvenir de moments banals du quotidien. Quand il fallait payer pour le développement des pellicules, je comprends qu'on ne prenne en photo que ce qui était vraiment important : mais ce n'est plus le cas.

Je n'ai presque aucune photo de moi-même entre l'âge de neuf ans (environ) et le moment où les appareils photos numériques ont commencé à apparaître. C'est quelque chose que je regrette énormément, de ne presque pas avoir d'image de moi ado. Mes parents, comme beaucoup de gens, m'ont énormément photographié quand j'étais bébé ou petit enfant, et ensuite presque plus rien : tout ce qui me reste, ce sont des photos de classe où je suis une tête dans un groupe. (Certes, j'étais très moche quand j'étais ado, mais ce n'est pas une raison : je m'intéresse quand même plus à mon moi d'alors qu'à mon moi de quand j'avais deux ans avec lequel il m'est difficile de m'identifier.) Pas non plus beaucoup de photos, d'ailleurs, de mes parents eux-mêmes, de leur maison, de leur chat, etc., pendant cette période : des photos de vacances, oui, mais très peu de photos du quotidien. Pourtant, c'est le quotidien qui m'intéresse plus : les vacances, je les ai vécues une fois, le quotidien, je l'ai vécu cent fois, il m'importe plus. All those moments have been lost in time… like tears in rain… Si je dois donner un conseil aux jeunes parents, ce sera ceci : photographiez moins vos enfants quand ils sont tout petits, et plus quand ils grandissent, ils vous en sauront gré plus tard. Et photographiez aussi leur chambre, la maison, photographiez-vous vous-mêmes… ces images auront un intérêt plus tard même si vous ne le voyez pas maintenant parce que ce sont des choses que vous voyez tout le temps.

Même maintenant, je n'arrive pas à me forcer à tout photographier systématiquement : j'écris tout ce qui précède comme un plaidoyer envers moi-même, dans l'espoir d'arriver à me convaincre d'en faire plus.

(Après, il reste le problème d'arriver à classer toutes ces photos, par exemple retrouver les photos qu'on a pu faire de X si on ne se souvient plus de la date ni du lieu ; et aussi, comment faire une telle classification sans vendre son âme à Google/Apple/quidlibet. Je ne rentre pas là-dedans.)

↑Entry #2412 [older| permalink|newer] / ↑Entrée #2412 [précédente| permalien|suivante] ↑

[Index of all entries / Index de toutes les entréesLatest entries / Dernières entréesXML (RSS 1.0) • Recent comments / Commentaires récents]