David Madore's WebLog: Et maintenant, un peu de rétrofuturisme

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(mercredi)

Et maintenant, un peu de rétrofuturisme

J'ai déjà dit un mot de ma fascination pour le rétrofuturisme (appelé aussi paléofuturisme), c'est-à-dire la nostalgie de la vision du futur qu'avaient les époques passées, et j'ai recommandé au passage le blog Paleofuture. Chaque époque passée avait sa vision particulière de l'avenir, dont on tire un courant esthétique associé au « futur antérieur » correspondant : notamment le steampunk pour l'avenir imaginé, par exemple par Jules Verne, l'époque de la seconde révolution industrielle où règnent le fer et le charbon (avec une variante pour la période autour de 1900 et le tout début de l'électricité), le decopunk pour la vision de l'entre-deux-guerres à l'esthétique Art Deco et Bauhaus, et l'atompunk pour les rêves de l'ère atomique et de la conquête spatiale ; on commence même à parler de solarpunk pour évoquer rétrospectivement la vision de l'avenir qu'a notre société actuelle, avec des plantes vertes et des panneaux solaires partout. (Et je sais que je me répète, mais les expositions universelles sont un bon archétype de ces différentes visions du futur : celle de 1900, celle de 1937 et celle, techniquement pas universelle, de 1964, auxquelles on peut peut-être ajouter celle de l'an dernier pour comparaison.) Bien sûr, tout cela se mélange un peu facilement si on veut faire du rétrofuturisme fictionnel (c'est-à-dire une imitation dans la fiction de l'esthétique du futur imaginée par le passée : vous suivez ?), par exemple dans l'œuvre de François Schuiten (j'aime énormément ses dessins, malheureusement pas trop les scénarios qu'il illustre), qui mélange volontiers le steampunk et le decopunk.

Mais ce que j'aime particulièrement, ce sont les petits films didactiques que produisaient les années '60 et '70 sur ce que l'avenir nous (leur ?) réservait : des documentaires presque eschatologiques dans leur vision radieuse d'un avenir meilleur, et touchants par le ton certain sur lequel ils assènent leurs prévisions devenues maintenant largement ridicules. Le futurisme des époques plus ancienne était, il me semble, plus marginal en termes d'audience, et aussi plus enclin à se concentrer sur le présent qu'à extrapoler sur l'avenir, ou encore moins sérieux ou moins sûr de lui quand il se permettait d'extrapoler ; et les périodes plus récentes ont également évité de faire des prévisions trop directes, sachant bien maintenant qu'elles seraient certainement fausses. Bref, c'est pour moi sans doute le milieu des années '60 que je qualifierais d'âge d'or du futurisme (devenu maintenant rétro). Il y a certainement aussi des raisons historiques à ça, lire la guerre froide, qui rendait à la fois psychologiquement nécessaire et politiquement idoine la promesse d'un avenir de paix et de prospérité.

Je suis notamment tombé récemment sur ce petit bijou qu'est Year 1999 AD, un film de 1967 qui imagine la vie quotidienne en 1999, et qui ressemble à un concentré très puissant de tout ce qu'on pouvait rêver à l'époque : une sorte de résumé de tous le la première saisons des Jetsons mais qui se veut sérieux. On aura beau jeu de se moquer de toutes les prévisions ratées, ou, ce qui est encore plus frappant, manquées, à commencer par l'idée que la femme en 1999 ne serait plus forcément la femme au foyer qui prépare les repas et s'occupe de la maison pendant que Monsieur s'occupe de choses plus sérieuses et fait entrer l'argent. Il est facile de se moquer de l'interface des différents gadgets électroniques : plein d'écrans qui semblent chacun remplir une unique fonction et entre lesquels il est apparemment nécessaire de se déplacer physiquement quand on veut changer d'activité, et plein de boutons dont il est douloureusement évident que les acteurs appuyent aléatoirement sur l'un ou l'autre (et le plus ridicule est une des consoles sur lesquelles le petit garçon passe des tests de ses leçons, qui a douze paires de boutons tous étiquetés X et Y, d'ailleurs dans un ordre inexplicablement inversé).

Mais je trouve qu'il est aussi intéressant de se demander si, en fait, certaines des idées ou des possibilités évoquées dans ce petit film ne sont pas finalement plus rationnelles et logiques que les solutions que notre monde réel a adoptées.

Si on se moque du fait que le 1999 évoqué en 1967 a plein de gadgets dans la maison qui remplissent chacun une seule fonction et entre lesquels il est nécessaire de se déplacer, eh bien il faut reconnaître que dans le 2017 réel, j'ai toujours un écran de télé séparé de mon écran d'ordinateur et ils ne sont pas complètement interchangeables, je ne peux toujours pas facilement passer un coup de téléphone depuis mon ordinateur par le simple fait que j'y aurais branché mon mobile (ou même sans le faire), je dois encore me lever pour actionner l'interrupteur des lumières chez moi, le contenu de mon frigo n'est pas informatisé bien que tous les produits que j'achète portent des identifiants sous forme de codes barres, mon autotensiomètre n'exporte pas les mesures qu'il fait, etc. Pour toutes ces choses, il existe des solutions bien réelles, mais souvent elles sont merdiques ou bourrées de trous de sécurité et de problèmes voisins (voir ce que je racontais ici, et voir aussi la déprimante discussion dans les commentaires de cette entrée). En un certain sens, donc, on pourrait dire que ce film de 1967 avait bien raison d'imaginer les gens faire des choses comme se déplacer de manière apparemment absurde d'un appareil à un autre : même s'ils ne s'en rendaient pas compte et ne l'ont certainement pas fait consciemment, c'est presque d'autant plus visionnaire d'imaginer des absurdités de la sorte, parce que tout progrès technologique viendra forcément avec ses dysfonctionnements, ses standards stupidement non interopérables, ses problèmes de compatibilité, ses interfaces mal conçues, etc.

Voici un autre film dans le même genre, un peu plus ancien (1961), produit par AT&T, plus orienté business, et moins spéculatif, mais néanmoins intéressant (on peut sauter les 6 ou 7 premières minutes qui ne font que poser les problèmes et n'apportent pas grand-chose). Et enfin, je me dois de mentionner le court métrage Libra de 1978 (ici sur IMDB) : c'est un peu tard pour ce que j'ai appelé l'âge d'or du futurisme, mais celui-ci est vraiment gratiné, parce qu'il s'agit à la fois de futurisme et de propagande libertarienne ; c'est l'histoire, racontée avec des effets spéciaux style épisode original de Star Wars d'une station spatiale qui réalise le paradis anarcho-capitaliste — la monnaie de la station s'appelle le hayek, les grands méchants terriens étatistes s'appellent la International Planning Commission, je n'invente rien, tout ça semble sorti d'un wet dream d'Ayn Rand, c'est absolument grandiose.

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