David Madore's WebLog: L'avenir n'est-il plus ce qu'il était ? (Tomorrowland et le paléofuturisme)

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(vendredi)

L'avenir n'est-il plus ce qu'il était ? (Tomorrowland et le paléofuturisme)

J'avais oublié de mentionner que je suis aller voir Tomorrowland (À la poursuite de demain en français), un film qu'on pourrait qualifier de paléofuturiste parce qu'il évoque la vision de l'avenir que nous avions autrefois (ou du moins, que les Américains avaient dans les années '60), en l'occurrence spécifiquement celle incarnée par l'exposition [techniquement pas] universelle de New York de 1964 (et dont il reste un immense globe terrestre dans le parc de Flushing Meadows).

Et j'avoue que je suis bon public pour ce genre de choses, parce que j'ai tendance à regarder les images de cette exposition universelle (ou d'autres expositions universelles passées, comme celle de Paris de 1900 ou de 1937) avec la nostalgie si particulière d'une époque que je n'ai pas connue. Pourtant, je ne suis pas spécialement tenté d'aller à Milan où a lieu une exposition universelle en ce moment (disons-le franchement, nourrir la planète, c'est chiant, ça ne me fait pas rêver) : est-ce parce que notre vision de l'avenir, l'optimisme qu'on a pu avoir d'être sur le droit chemin vers le meilleur des mondes[#], a changé, ou est-ce simplement une question de nostalgie qui fait que l'avenir paraît toujours plus radieux dans le passé que celui que notre présent nous propose ? (ou, variante, une question de génération : que l'avenir promis par les époques qu'on n'a pas connues paraît toujours plus rose que celui de la nôtre).

Je n'ai pas vraiment de réponse à cette question, qui est sans doute trop vague pour en admettre une. Mais j'ai tendance à soupçonner que deux ans après la crise des missiles de Cuba, l'avenir paraissait un peu plus inquiétant que le Duck and Cover de la décennie précédente ; j'ai tendance à penser que si le steampunk (et ses variantes pour les époques suivantes : decopunk, atompunk et autres choses rigolotes à chercher dans Google images) a du succès, c'est parce que nous gardons de ces futurs antérieurs exactement ce que nous voulons en garder. Peut-être que les générations futures (s'il y en a !) garderont comme souvenir de notre époque non pas notre mélange de défaitisme et d'incapacité à agir concernant les problèmes écologiques et géopolitiques majeurs, mais les zoulies images qu'on peut trouver dans certains films de science-fiction que nous produisons encore (ou qu'on peut trouver en ligne et qui prouvent que les gens rêvent encore de quelque chose).

Le film, cependant, part de l'idée que nous avons effectivement perdu une forme d'optimisme dans l'avenir qui eut prévalu autrefois. Forcément, j'ai aimé l'évocation de cette forme d'optimisme, et j'ai globalement bien aimé le film, mais il y avait quelque chose qui me dérangeait, et la critique qu'en fait le blog Paleofuture (que j'ai peine à croire que je n'ai encore jamais mentionné ici, et que j'en profite donc pour recommander) met exactement le doigt dessus (je recopie juste le passage concerné, qui ne contient guère de spoiler) :

The movie becomes an ouroboros of retro-futurism — a jetpack eating itself. We hear again and again that nobody dreams about the shiny, fantastic futures anymore. But instead of showing viewers those futures, they spend the better part of two hours complaining that nobody dreams of those shiny, fantastic futures anymore.

Tomorrowland is a mere shadow of the future we wanted to see. It could've been a film about a fantastic, futuristic world come to life. Instead it was a 2-hour lecture about our lack of optimism, only hinting briefly at the fun and excitement we're supposed to be dreaming of.

Il y a néanmoins quelques séquences — relativement courtes — où les personnages s'amusent effectivement dans un monde qui combine l'optimisme de l'avenir des années '60 et le raytracing des ordinateurs modernes, et rien que pour ces séquences, ça vaut peut-être la peine de voir le film.

[#] Je paraphrase ici formulation tirée d'un texte que j'aime beaucoup de Stefan Zweig (Die Welt von Gestern (Erinnerungen eines Europäers), c'est-à-dire Le Monde d'hier (Souvenirs d'un Européen)), entièrement consacré à l'esprit, à la fois optimiste mais en même temps incapable de comprendre ses propres tâches aveugles, de la Vienne du début du XXe siècle, vu à travers le regard du témoin de la montée du nazisme et qui ne va pas tarder à se suicider. Voici ce qui pourrait sans doute caractériser l'esprit de l'exposition universelle de 1900 :

Das neunzehnte Jahrhundert war in seinem liberalistischen Idealismus ehrlich überzeugt, auf dem geraden und unfehlbaren Weg zur „besten aller Welten“ zu sein. Mit Verachtung blickte man auf die früheren Epochen mit ihren Kriegen, Hungersnöten und Revolten herab als auf eine Zeit, da die Menschheit eben noch unmündig und nicht genug aufgeklärt gewesen. Jetzt aber war es doch nur eine Angelegenheit von Jahrzehnten, bis das letzte Böse und Gewalttätige endgültig überwunden sein würde, und dieser Glaube an den ununterbrochenen, unaufhaltsamen „Fortschritt“ hatte für jenes Zeitalter wahrhaftig die Kraft einer Religion; man glaubte an diesen „Fortschritt“ schon mehr als an die Bibel, und sein Evangelium schien unumstößlich bewiesen durch die täglich neuen Wunder der Wissenschaft und der Technik. In der Tat wurde ein allgemeiner Aufstieg zu Ende dieses friedlichen Jahrhunderts immer sichtbarer, immer geschwinder, immer vielfältiger. Auf den Straßen flammten des Nachts statt der trüben Lichter elektrische Lampen, die Geschäfte trugen von den Hauptstraßen ihren verführerischen neuen Glanz bis in die Vorstädte, schon konnte dank des Telephons der Mensch zum Menschen in die Ferne sprechen, schon flog er dahin im pferdelosen Wagen mit neuen Geschwindigkeiten, schon schwang er sich empor in die Lüfte im erfüllten Ikarustraum.

Tentative de traduction par mes soins :

Le dix-neuvième siècle, dans son idéalisme libéral, était sincèrement convaincu d'être sur la route rectiligne et infaillible vers le « meilleur des mondes ». C'est avec dédain qu'on considérait les époques antérieures, avec leurs guerres, leurs famines et leurs révoltes, comme un temps où l'humanité était encore mineure et insuffisamment éclairée. Ce n'était désormais qu'une question de décennies jusqu'à ce que le dernier mal et la dernière violence soient définitivement surmontés, et cette croyance en un « Progrès » ininterrompu et irrésistible avait véritablement en ce temps-là la force d'une religion ; on croyait en ce « Progrès » déjà plus qu'en la Bible, et son évangile semblait irréfutablement démontré à travers les merveilles quotidiennement nouvelles de la Science et de la Technique. En effet, une ascension générale, à la fin de ce siècle paisible, devenait toujours plus visible, toujours plus rapide, toujours plus variée. Dans les rues, la nuit, au lieu des lumières pâles, brillaient des lampes électriques ; les magasins portaient leur nouvel éclat tentateur depuis les grandes artères jusque dans les banlieues ; déjà, grâce au téléphone, les hommes pouvaient parler au loin, déjà ils s'y élançaient dans des voitures sans chevaux avec une vitesse nouvelle, déjà ils se projetaient dans les airs en accomplissant le rêve d'Icare.

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