Considérons les questions suivantes, dont l'énoncé ne fait
pratiquement appel qu'à des notions de niveau collège (quitte à les
reformuler ou spécialiser un tout petit peu : par exemple, j'ai
écrit convexe
dans la seconde, mais si on veut, on peut
considérer des cas particuliers comme un triangle, rectangle ou
ellipse, pour simplifier) :
- Une valise est contenue dans une autre : montrer que la somme des trois dimensions de la valise contenue est inférieure à la somme des trois dimensions de la valise contenante. Ou, plus formellement : si un parallélépipède rectangle (dans l'espace euclidien de dimension 3) est inclus dans un autre (on ne demande pas que les côtés des deux parallélépipèdes soient parallèles), alors la somme des trois côtés du contenu est inférieure [i.e., inférieure ou égale] à celle des trois côtés du contenant.
- Si deux courbes fermées sans intersection (i.e., des courbes de Jordan) dans le plan délimitent des domaines convexes, l'une étant complètement contenue dans l'autre (i.e., le domaine convexe délimité est inclus), montrer que la longueur de courbe contenue est inférieure à la longueur de la courbe contenante. Idem dans l'espace : si deux convexes de l'espace sont inclus l'un dans l'autre, alors la surface du bord du convexe contenu est inférieure à la surface du bord du convexe contenant. Idem en n'importe quelle dimension.
- On projette un cube orthogonalement sur un plan choisi aléatoirement (uniformément) : quelle est l'espérance de la surface de la projection ? (I.e., quelle est l'« ombre moyenne » d'un cube ?) On pince un cube entre deux plans parallèles dont la direction est choisie aléatoirement : quel est l'écart entre ces deux plans ? (I.e., quel est la largeur moyenne d'un cube selon une direction tirée au hasard ?)
Ces questions ont ceci en commun que, selon le niveau de réflexion
qu'on leur accorde, elles semblent faciles (leur énoncé est tout à
fait élémentaire), puis difficiles (on ne sait pas par quel bout les
aborder), puis faciles (quand on les prend bien) : elles ont aussi
ceci en commun qu'elles sont toutes résolubles grâce à la même notion
mathématique, celle de volume intrinsèque d'un convexe
(ou intégrale de quermaß, c'est la même chose à une constante
et une renumérotation près) : c'est une notion que je trouve très
jolie et naturelle, pas du tout compliquée à expliquer, et qui semble
bizarrement peu connue même des mathématiciens en-dehors des
spécialistes de la convexité ou de la géométrie
intégrale/stochastique, alors qu'on peut en tirer des choses très
simples (comme l'illustrent les problèmes ci-dessus). Bon, peut-être
qu'en fait tout le monde connaît, et que j'étais le dernier à être mis
au courant (il y a environ quatre ans, quand j'ai entendu parler de
ces choses-là pour la première fois), mais ma réaction a
été pourquoi aucun cours de maths que j'ai suivi ne m'a présenté ce
concept vraiment naturel et intéressant ?!
. Il y a toutes sortes
de façon de l'approcher, je vais me contenter de donner les résultats
basiques qui me semblent les plus importants.
Très grossièrement, l'idée est qu'à côté du volume (de dimension n) et de la surface (de dimension n−1, où n est la dimension ambiante — en fait, on prendra plutôt la demi-surface pour une raison de cohérence d'ensemble), on peut définir (pour un convexe compact) une sorte de « mesure » en chaque dimension entre 1 et n ; dans le cas d'un parallélotope (pas forcément rectangle, mais imaginons-le rectangle pour fixer les idées), le i-ième volume intrinsèque est égal, à une constante près (1/2i) à la somme des volumes i-dimensionnels (longueur, surface, volume, etc.) de toutes les faces de dimension i du parallélotope.
Voici une façon d'approcher cette notion. Si K est un convexe compact dans l'espace euclidien de dimension n, on peut considérer K+B(ρ) (où B(ρ) désigne la boule fermée centrée en l'origine et de rayon ρ, c'est-à-dire) l'ensemble des points situés à distance ≤ρ de K, autrement dit l'épaississement de K jusqu'à distance ρ, ou simplement la « boule » (mais j'éviterai ce terme) centrée sur K et de rayon ρ. On s'intéresse au volume [i.e., à la mesure de Lebesgue] V(K+B(ρ)) de cet ensemble de points : on peut montrer que c'est un polynôme en ρ (pour ρ≥0), et ce sont les coefficients de ce polynôme qui vont m'intéresser. Il est évident, en considérant séparément les cas ρ=0 et ρ très grand, que le coefficient constant (donc la valeur pour ρ=0) est simplement le volume V(K) de K, et que le terme dominant est le volume V(B(ρ)) de la n-boule de rayon ρ, que je vais noter 𝒱n·ρn avec 𝒱n le volume de la n-boule unité (qui vaut πn/2/(n/2)!, mais ce ne sera pas très important). On peut aussi se convaincre, en considérant le comportement pour ρ très petit mais non nul (disons, la dérivée en ρ=0), que le coefficient de degré 1 est la surface de K (c'est-à-dire la mesure (n−1)-dimensionnelle de son bord).
Pour imaginer les choses un peu plus clairement, on peut considérer par exemple le cas où K et un parallélépipède rectangle P dans l'espace de dimension 3, de côté a,b,c : alors l'ensemble V(P+B(ρ)) des points à distance ≤ρ du parallélépipède P se décompose assez facilement en géométrie élémentaire : on a le parallélépipède P lui-même (de volume a·b·c), on a un parallélépipède d'épaisseur ρ à côté de chaque face de P (donc six au total, de volume total 2(a·b+b·c+a·c)·ρ), on a un quart-de-cylindre de rayon ρ placé à côté de chaque côté de P (donc douze au total, de volume total π·(a+b+c)·ρ²), et enfin huit huitièmes de sphère placées à côté de chaque sommet de P (donc au total le volume d'une sphère, (4/3)π·ρ³). Cet exemple suggère qu'il est raisonnable de considérer les différents termes du volume de V(K+B(ρ)), chacun divisé par le volume de la boule dans la dimension correspondant à la puissance de ρ en question : sur le pavé P considéré, on obtient les quantités a·b·c, a·b+b·c+a·c et a+b+c (et 1, bien sûr), c'est-à-dire, si on veut, les polynômes symétriques élémentaires en a,b,c, et en tout cas des quantités homogènes à un volume, une surface, une longueur (et le nombre 1).
De façon générale, pour 0 ≤ i ≤ n, le i-ième volume intrinsèque Vi(K) d'un convexe compact K de l'espace euclidien de dimension n est défini par le fait que V(K+B(ρ)) est la somme des Vi(K) · 𝒱n−i · ρn−i (je rappelle que 𝒱n · ρn = V(B(ρ)), volume de la boule en dimension n). Autrement dit, Vi(K) est le coefficient de degré n−i en ρ du polynôme V(K+B(ρ)), divisé par le volume de la boule unité de la dimension correspondante. Avec ce que j'ai dit, Vn(K) (le n-ième volume intrinsèque) est simplement V(K) (le volume), V0(K) vaut toujours 1, et Vn−1(K) est la moitié de la surface de K. Ce coefficient ½ est un peu déplaisant, ici, mais il rend d'autres choses plus agréables ; une façon d'y penser est de voir que les Vi(K) ne changent pas si on plonge K dans un espace euclidien de dimension plus grande (dans lequel l'espace euclidien de dimension n est vu comme un plat, i.e., comme un sous-espace affine de dimension n) : en particulier, la surface intrinsèque d'un disque de rayon r doit bien être π·r², même si c'est la moitié de la surface du disque vu dans l'espace (puisqu'il faut alors compter les deux faces), et on peut être d'accord que π·r² est une meilleure mesure.
Pour un parallélotope rectangle de
côtés a1,…,an,
le i-ième volume intrinsèque est
le i-ième polynôme
symétrique élémentaire des ai, ce
qui est aussi assez naturel ; notamment, le i-ième volume
intrinsèque d'un cube de côté c
vaut n!/(i!·(n−i)!)
· ci
(j'écris n!/(i!·(n−i)!)
pour le coefficient du binôme parce que personne n'a encore été
capable de lui trouver une notation qui ne soit pas épouvantablement
pourrie). Pour un parallélotope non nécessairement rectangle
(c'est-à-dire l'ensemble des combinaisons linéaires à coefficients
dans [0;1] d'un ensemble de n vecteurs linéairement
indépendants mais non supposés orthogonaux), le i-ième
volume intrinsèque est encore égale à 1/2i fois
la somme des volumes i-dimensionnels de toutes les faces de
dimension i (on peut encore dire ça ainsi : la somme des
volumes de dimension i des faces de cette dimension, en
comptant une seule fois chaque jeu de faces parallèles entre elles —
et qui ont donc évidemment la même taille et forme). Pour un polytope
convexe plus général, il y a une formule qui fait intervenir les
angles externes du polytope aux différentes faces. Pour ce qui est de
la sphère de rayon r, en développant
(r+ρ)n avec la formule du
binôme, on voit que son i-ième volume intrinsèque
vaut n!/(i!·(n−i)!) ·
𝒱n/𝒱n−i
· ri.
Plus généralement, on peut introduire la notion
de volume
mixte de n convexes
compacts K1,…,Kn,
qui est 1/n! fois le coefficient
de t1⋯tn dans
ce qui s'avère être un polynôme,
V(t1·K1 + ⋯
+ tn·Kn) :
le i-ième volume intrinsèque de K est, à une
constante muliplicative près (à
savoir n!/(i!·(n−i)!·𝒱n−i)),
le volume mixte
de K,…,K,B,…,B, où on a
mis i fois K et n−i fois
la boule unité Quermaß
signifie quelque chose
comme mesure à travers
.)
Pour répondre aux deux premières questions que j'ai posées ci-dessus, il suffit de montrer que si K⊆K′, où K,K′ sont deux convexes compacts, alors 0 ≤ Vi(K) ≤ Vi(K′) (la monotonicité [et positivité] des volumes intrinsèques). Ce qui n'est pas totalement évident (le fait que V(K+B(ρ)) ≤ V(K′+B(ρ)) pour tout ρ n'entraîne pas immédiatement une inégalité sur les coefficients), mais néanmoins vrai en général (la preuve standard de la monotocité des volumes intrinsèques passe par celle des volumes mixtes en général, et celle-ci se fait par approximation par des polytopes ; mais on doit pouvoir s'en tirer aussi par la formule de projection moyenne, cf. ci-dessous). Pour la première question ou la première partie de la deuxième, néanmoins, c'est très facile : comme les polynômes V(K+B(ρ)) et V(K′+B(ρ)) ont le même coefficient de degré n (à savoir 𝒱n), l'inégalité V(K+B(ρ)) ≤ V(K′+B(ρ)) entraîne l'inégalité correspondante sur les coefficients de degré n−1 (en faisant la différence et en regardant le comportement à l'infini).
Je vais maintenant donner quelques formules basiques de ce qu'on appelle la géométrie intégrale, et qui relient ces volumes intrinsèques à des espérances (=valeurs moyennes) de différentes grandeurs géométriques aléatoires (projections aléatoires, intersections aléatoires), elles-mêmes pouvant être des volumes ou plus généralement d'autres volumes intrinsèques.
La formule de la projection moyenne affirme que
le i-ième volume intrinsèque de K est
proportionnel au volume i-dimensionnel moyen de la
projection orthogonale de K sur un plat (=espace affine) de
dimension i de direction aléatoire. La constante de
proportionalité (ne dépendant que des dimensions n
et i, et pas de K, donc)
vaut : n!/(i!·(n−i)!) ·
𝒱n/(𝒱i·𝒱n−i)
(ce coefficient a lui-même un certain nombre de propriétés
intéressantes, d'ailleurs : c'est un analogue sur les réels
du coefficient
gaussien, et par transitivité du coefficient du binôme).
Notamment : la largeur moyenne [=espérance de la largeur d'une
projection orthogonale sur une droite de direction aléatoire] d'un
convexe compact du plan est égale à 1/π fois sa circonférence (on
retrouve facilement ce facteur de proportionalité en pensant au cas
d'un disque, dont le diamètre vaut 1/π fois la circonférence) ; la
largeur moyenne d'un convexe compact de l'espace de dimension 3 est
égale à ½ fois sa longueur intrinsèque
(=1er volume
intrinsèque), et la surface moyenne de sa projection est égale à ½
fois sa surface intrinsèque
, qui est elle-même la moitié de sa
surface, donc au final, ¼ fois la surface (on retrouve facilement ce
facteur de proportionalité en pensant au cas d'une boule, dont la
surface de projection vaut ¼ fois la surface). Ceci répond à ma
dernière question : un parallélépipède rectangle de
côtés a,b,c a une surface de
projection sur un plan de direction aléatoire qui vaut
½(a·b+b·c+a·c)
et une largeur dans une direction aléatoire qui vaut
½(a+b+c), et dans le cas particulier
d'un cube de côté c, on obtient (3/2)·c² et
(3/2)·c respectivement (plus généralement, le volume
volume i-dimensionnel moyen de la projection orthogonale
d'un cube de côté c en dimension n sur un plat
de dimension i de direction aléatoire vaut
(𝒱n−i·𝒱i)/𝒱n
· ci).
Plus généralement, la formule de projection moyenne se généralise en formule de Kubota, qui relie le i-ième volume intrinsèque d'un convexe compact K à celui [i.e., le i-ième volume intrinsèque] d'une projection orthogonale aléatoire en dimension j : de nouveau, ces deux quantités sont proportionnelles par une constante qui ne dépend que de la dimension, et qui vaut (n!·(j−i)!)/(j!·(n−i)!) · (𝒱n·𝒱j−i)/(𝒱j·𝒱n−i). (Cas particulier : la largeur moyenne d'un convexe compact en dimension 3 est égale à 1/π fois la circonférence de sa projection orthogonale sur un plan de direction aléatoire. Mais bon, ce n'est pas spécialement intéressant, là, parce que c'est essentiellement ce que j'ai déjà dit.)
Il y a aussi des formules intéressantes pour non pas une projection aléatoire mais une intersection aléatoire. En voici un exemple : si K⊆K′,L sont trois convexes compacts (le premier inclus dans le deuxième) de l'espace euclidien de dimension n, on peut se demander avec quelle probabilité un déplacement aléatoire g(L) de L (où g est une isométrie affine directe, i.e., un déplacement de l'espace euclidien), qui se trouve intersecter K′, intersecte aussi K. La réponse est apportée par la formule cinématique principale : c'est le rapport entre la somme des i!·(n−i)! · 𝒱i·𝒱n−i · Vi(K) · Vn−i(L) pour i allant de 0 à n et la même somme en remplaçant K par K′ (mon K′ ne sert donc pas à grand-chose dans l'histoire : je l'ai mis essentiellement parce que je ne voulais pas expliquer comment normaliser les choses, voir la note ci-dessous). À titre d'exemple, si L est un segment de longueur ℓ, on obtient ainsi la probabilité qu'un segment de longueur ℓ aléatoire intersectant K′ intersecte aussi K, à savoir le rapport entre n·(𝒱n/𝒱n−1)·V(K) + ℓ·surf(K) (où surf(K) est la surface de K) et la même quantité avec K′ à la place ; notamment, pour n=2, la probabilité qu'un segment de longueur ℓ qui intersecte K′ intersecte aussi K vaut π·V(K) + ℓ·circ(K) (où circ(K) est la circonférence de K) divisé par la même chose avec K′, et pour n=3, cette probabilité vaut 4·V(K) + ℓ·surf(K) divisé par la même chose avec K′. On peut aussi considérer une limite quand le j-ième volume intrinsèque de L écrase tous les autres : si la probabilité qu'un j-plat (=espace affine de dimension j) aléatoire qui intersecte K′ intersecte K vaut Vn−j(K) / Vn−j(K′) (formule de Sylvester). On peut donc donner l'explication intuitive suivante du i-ième volume intrinsèque de K, au moins à constante près : c'est la proportion des (n−i)-plats qui intersectent K (de la même façon que le volume est, intuitivement et à une constante près, la « proportion des points qui sont dans K »).
Note : Ma façon de raconter les
choses est peut-être un peu bizarre, parce que pour rester à un niveau
assez intuitif je ne veux pas introduire de mesure autre qu'une mesure
de probabilité. Ça ne se passe pas trop mal pour les projections
aléatoires, parce que le groupe spécial orthogonal est compact, donc a
une mesure de Haar normalisée en probabilité, ce qui donne un sens
clair à une projection orthogonale aléatoire, mais c'est évidemment
plus déplaisant quand il s'agit d'espaces non compacts, d'où mon
introduction d'un K′ de normalisation dans la formule
cinématique principale, et ma façon de glisser de la poussière sous le
tapis. Klain et Rota (référence ci-dessous) définissent
le i-ième volume intrinsèque de K comme la
mesure, dans la grassmannienne correctement normalisée, de l'ensemble
des (n−i)-plats qui intersectent K,
et ça n'a rien d'approximatif (mais il s'agit bien sûr de dire ce
que correctement normalisé
veut dire). D'autre part, ce qui
n'est peut-être pas très intuitif, c'est que la notion
de déplacement aléatoire de L
intersectant K
, et donc notamment segment aléatoire
de longueur ℓ intersectant K
ou plat de
dimension j intersectant K
, est celle
définie par la mesure de Haar sur les déplacements de l'espace
euclidien, conditionnée par la condition d'intersection — ce n'est
pas la même chose de prendre une droite aléatoire qui se trouve
intersecter K (parfois appelée une droite μ-aléatoire) que
de prendre deux points aléatoires de K et considérer la
droite qui les relie (parfois appelée droite λ-aléatoire) ou encore de
prendre un point aléatoire de K et considérer la droite
passant par ce point dans une direction aléatoire (parfois appelée
ν-aléatoire). Les densités (dérivées
de Radon-Nikodym)
des droites ν-aléatoires, resp. λ-aléatoires, relativement aux
μ-aléatoires, sont proportionnelles à la longueur de la corde coupée
sur K, resp. la longueur de la corde à la
puissance n+1. Par exemple, pour la boule de dimension 3,
la longueur moyenne d'une corde μ-aléatoire [donc, de l'intersection
de la boule avec une droite qui se trouve intersecter la boule] vaut
4/3 (cf. ci-dessous), la longueur moyenne d'une corde λ-aléatoire
[définie par deux points aléatoires uniformes dans la boule] vaut
12/7, la longueur moyenne d'une corde ν-aléatoire [définie par un
point aléatoire de la boule et une direction aléatoire] vaut 3/2, et
ce ne sont évidemment pas les seules façons de tirer une corde au
hasard ; soit dit en passant, la distance moyenne entre deux points
tirés au hasard dans la boule est encore autre chose, c'est 36/35.
(Pour un disque, les valeurs sont respectivement π/2, 256/(45π),
16/(3π) et 128/(45π).)
Cf. le paradoxe
de Bertrand.
Voici une autre formule intéressante : si on intersecte K avec un j-plat aléatoire qui se trouve l'intersecter, le volume (j-dimensionnel, ou de façon équivalente, le j-ième volume intrinsèque) de l'intersection a pour espérance n!/(j!·(n−j)!) · 𝒱n/(𝒱j·𝒱n−j) · Vn(K) / Vn−j(K) (et plus généralement, le i-ième volume intrinsèque de l'intersection a pour espérance (n+i−j)!/(i!·(n−j)!) · 𝒱n+i−j/(𝒱i·𝒱n−j) · Vn+i−j(K) / Vn−j(K), c'est la formule d'intersection de Crofton). Dans le cas particulier de la boule de rayon r, on trouve simplement 𝒱n/𝒱n−j · rj comme espérance du volume j-dimensionnel de l'intersection de la boule avec un plat de dimension j aléatoire qui l'intersecte (et plus généralement, j!/(i!·(j−i)!) · (𝒱n+i−j·𝒱j)/(𝒱n−j·𝒱i·𝒱j−i) · ri pour l'espérance du i-ième volume intrinsèque de l'intersection). À titre d'exemple, la longueur moyenne d'une corde de la boule de rayon r en dimension 3, c'est-à-dire plus exactement (cf. la note ci-dessus) la longueur moyenne de l'intersection avec cette boule d'une droite aléatoire qui se trouve l'intersecter, vaut (4/3)·r, et la surface moyenne du disque coupé par un plan aléatoire qui se trouve intersecter la boule vaut (2/3)·π·r². Pour le cube de côté c, l'espérance correspondante vaut 𝒱n/(𝒱n−j·𝒱j) · cj (et plus généralement j!/(i!·(j−i)!) · 𝒱n+i−j/(𝒱n−j·𝒱i) · ci). En dimension 3, on trouve que la longueur moyenne de l'intersection d'un cube de côté c avec une droite aléatoire qui se trouve l'intersecter vaut (2/3)·c, et la surface moyenne du polygone coupé par un plan aléatoire qui se trouve couper le cube vaut (2/3)·c².
Certaines (mais pas toutes) des formules ou résultats évoqués ci-dessus se généralisent aux ensembles polyconvexes, c'est-à-dire les réunions finies de convexes compacts (qui sont aussi stables par intersection, donc sont l'anneau booléen engendré par les convexes compacts), ou même aux différences booléennes de tels ensembles, lorsqu'on y étend les volumes intrinsèques par additivité. Ces fonctions ne sont néanmoins pas très agréables : le 0-ième volume intrinsèque est la caractéristique d'Euler (ou un des avatars de la caractéristique d'Euler…) et elle peut tout à fait être négative (par exemple pour l'intérieur d'un cube de dimension n c'est (−1)n — on voit d'ailleurs que ce n'est pas la caractéristique d'Euler topologique la plus évidente — et même pour un compact non convexe elle peut être négative).
Par ailleurs, même sur les convexes compacts les plus simples, les mesures intrinsèques sont compliquées à calculer en général : on sait que la simple longueur d'une ellipse fait appel à une intégrale elliptique (« complète de seconde espèce », j'ai même su ce que ça signifiait), et que la surface d'un ellipsoïde ne s'exprime en termes élémentaires que s'il est de révolution. Donc même pour une forme aussi simple qu'un ellipsoïde généralisé, il n'y a pas chances qu'on puisse exprimer complètement (ou en tout cas, pas sans faire appel à des fonctions spéciales) les volumes intrinsèques.
Ceci dit, il s'agit peut-être là d'une fonction intéressante : que peut-on dire (algébriquement ou analytiquement) de la fonction fi qui à a1,…,an associe le rayon r de la boule qui a le même i-ième volume intrinsèque que l'ellipsoïde de demi-axes a1,…,an ? Notamment, comment se compare-t-elle à la fonction hi (facilement reliable au i-ième polynôme symétrique élémentaire) qui à a1,…,an associe le côté c du cube qui a le même i-ième volume intrinsèque que le parallélotope rectangle de côtés a1,…,an ? (J'ai formulé mes deux fonctions fi et hi de façon à ressembler à des sortes de moyennes des aj, notamment hi est la racine i-ième de (i!·(n−i)!)/n! fois le i-ième polynôme symétrique élémentaire, pour i=1 on trouve la moyenne arithmétique, pour i=n la moyenne géométrique, et ça porte certainement un nom en général. En revanche, si fn est aussi la moyenne géométrique, les autres sont plus inattendues.) Du point de vue de la géométrie algébrique (ou semi-algébrique), le bord de E(a1,…,an) + B(ρ) (somme de Minkowski de l'ellipsoïde de demi-axes a1,…,an et de la boule de rayon ρ) est peut-être intéressant à étudier aussi (même dans le cas de la somme d'un disque et d'une ellipse, qui a certainement un nom classique). (Hum, bien sûr, je ne suis pas le premier à me poser ce genre de question.)
Bref, pour ceux qui veulent en savoir plus, je peux recommander le
très joli petit livre de Daniel Klain & Giancarlo
Rota, Introduction to Geometric Probability
(et qui, contrairement à ce que le titre peut laisser penser, est
beaucoup plus algébriste que probabiliste dans son approche ; de toute
façon, quelle que soit la branche des maths qu'on préfère, le style de
Giancarlo Rota est toujours très agréable à lire). Pour aller plus
loin, il y a le livre de Schneider, Convex Bodies:
the Brunn-Minkowski Theory, mais il est assez aride (et les
choses les plus élémentaires sont difficiles à trouver tellement elles
sont noyées dans le tout). À part le livre de Klain et Rota que je
viens de citer, je ne connais aucun endroit où les choses soient
traitées de façon vraiment pédagogique, et il n'y a pas non plus
d'article Wikipédia sur les volumes intrinsèques qui présenterait les
différentes choses que j'ai dites ci-dessus (hint,
hint), ce qui est bien dommage parce qu'il s'agit quand même de
choses qui mériteraient d'être mieux connues. En plus de ça, la
terminologie a l'air assez aléatoire, et ce que j'ai appelé
la formule de projection moyenne
n'est pas référencé, par
exemple, dans l'index du livre de Schneider (elle est cachée dans la
formule de Kubota, et même pas signalée comme cas particulier
notable), ou de l'encyclopédie Handbook of Convex
Geometry de Gruber & Wills.