J'aime énormément les parcs et jardins. Déjà quand j'étais jeune j'avais été énormément frappé par le texte Le Domaine d'Arnheim, une courte nouvelle d'Edgar Allan Poe (par ailleurs peut-être surtout connue par un tableau du même nom par René Magritte qui, comme il se doit, n'a aucun rapport avec son titre) ; nouvelle dans laquelle il faut certainement chercher un sens métaphorique ultérieur mais où, prima facie, il est question de l'art du jardin-paysage et de la manière dont un milliardaire donne à cet art ses lettres de noblesses. La nouvelle m'avait suffisamment marquée pour que je me fatiguasse à la taper intégralement, ainsi que sa traduction par Baudelaire :
Aucune définition n'avait été faite du jardinier-paysagiste, comme du poète ; et cependant, il semblait à mon ami que la création du jardin-paysage offrait à une Muse particulière la plus magnifique des opportunités. Là, en vérité, s'ouvrait le plus beau champ pour le déploiement d'une imagination appliquée à l'infinie combinaison des formes nouvelles de beauté, les éléments à combiner étant d'un rang supérieur et les plus admirables que la terre puisse offrir. Dans la multiplicité de formes et de couleurs des fleurs et des arbres, il reconnaissait les efforts les plus directs et les plus énergiques de la Nature vers la beauté physique. Et c'est dans la direction ou concentration de cet effort, ou plutôt dans son accommodation aux yeux destinés à en contempler le résultat sur cette terre, qu'il se sentait appelé à employer les meilleurs moyens, à travailler le plus fructueusement, — pour l'accomplissement, non seulement de sa propre destinée comme poète, mais aussi des augustes desseins en vue desquels la Divinité a implanté dans l'homme le sentiment poétique.
(Dans ce qui suit, je vais essayer d'accompagner
la mention de chaque parc d'un lien vers Google images pouvant donner
une idée de ce à quoi il ressemble. Évidemment, ce n'est pas
parfait : ce que Google images répertorie n'est pas forcément
représentatif de tout ce qu'il y a à voir ; parfois j'ai dû ajouter
des mots comme jardin
, parce que si on cherche sans, on obtient
d'autres choses à proximité qui ne sont pas ce dont je veux
parler.)
Les parcs traditionnels de Paris ne sont, très honnêtement, pas très intéressants (sans compter qu'ils sont petits et souvent noirs de monde) : le Luxembourg, par exemple, n'est que des allées de gravier et des arbres sans grand intérêt où ni l'arrangement ni la végétalisation n'ont quoi que ce soit de remarquable. Les parcs plus modernes qui ont été créés plus en périphérie sont déjà plus attrayants : le parc de la Villette au nord-est, le parc de Bercy (plus exactement le jardin Yitzhak Rabin) au sud-est, le parc André Citroën au sud-ouest, et le tout récent parc Martin Luther King (ou Clichy-Batignolles) au nord, témoignent que la fin du 20e siècle a apporté des innovations intéressantes dans l'art de la composition des parcs urbains. Quand j'ai « découvert » le parc André Citroën, avec son arrangement à la fois géométrique et un peu labyrinthique, son jeu de symétries autour des couleurs, j'ai été émerveillé. Mais ce qui est vraiment dommage, c'est qu'il n'est pas correctement entretenu (je me désole souvent de ce tropisme très français consistant à payer de belles choses et les laisser ensuite tomber à l'abandon faute d'entretien suffisant) : l'architecte avait conçu de magnifiques jeux d'eau qui sont maintenant pour l'essentiel éteints, les serres sont fermées en permanence, comme les passages aériens pour des raisons de sécurité, et même les petits jardins de couleur sont souvent inaccessibles. Quelle tristesse !
D'autres jardins intéressants se trouvent encore un tout petit peu plus loin du centre de Paris : le parc de Bagatelle, dans le bois de Boulogne, est un petit bijou, dans un style très classique ; le pré Catelan n'est pas mal du tout ; et dans le bois de Vincennes, il y a le parc floral, mais ça fait très longtemps que je n'y suis pas allé (c'est là que j'ai passé les écrits du concours d'entrée à l'ENS, le cadre était très agréable). Les jardins Albert Kahn à Boulogne sont magnifiques mais franchement pas grands (par ailleurs, je crois qu'ils sont plus ou moins fermés en ce moment). À noter que Bagatelle, le parc floral et les jardins Albert Kahn sont payants (au moins certains jours), ce n'est le cas d'aucun des autres parcs que j'ai mentionnés ; ça se défend si on veut garder l'endroit en bon état.
Pour avoir plus d'espace, et généralement moins de monde, il faut logiquement aller plus loin. Le parc de Sceaux est un grand classique du jardin à la française, et ses jeux d'eau sont très beau (et contrairement à ceux du parc André Citroën, ils fonctionnent !). Je ne vais pas mentionner Versailles, parce qu'il y a vraiment trop de visiteurs, ni Saint-Cloud, qui ne m'a pas tellement emballé (et puis on ne peut pas voir le kilogramme, c'est nul). En revanche, j'ai énormément aimé l'arboretum de la Vallée-aux-Loups (situé juste à côté de la maison de Châteaubriand, à Châtenay-Malabry, dans un ensemble de plusieurs parcs et jardins collectivement rassemblées sous le nom de parc de la Vallée-aux-Loups : tous sont intéressants, mais c'est vraiment l'arboretum qui est le plus beau) : j'en ai entendu parler tout récemment, par une série documentaire à la télé (sur Arte) consacrée aux jardins (dont il me reste d'ailleurs plein d'épisodes à regarder), et j'ai été tout étonné d'apprendre qu'il y avait ça tout près d'où j'habite ; l'arboretum est surtout connu pour son cèdre bleu pleureur de l'Atlas (Cedrus atlantica f. Glauca (Carrière) Beissn. ‘Pendula’), qui est probablement le pied mère de tous les cèdres pleureurs cultivés du monde, — mais aussi pour sa collection de bonsai assez impressionnante ; cependant, à mon avis, c'est tout l'ensemble qui est remarquable, pas telle ou telle plante.
Mais il me reste encore plein de choses à découvrir, même à courte distance de Paris. Ainsi, jusque hier, je ne connaissais pas du tout le parc départemental Georges Valbon (ou parc de La Courneuve), qui est à moins d'une heure de transport de chez moi, et je le trouve vraiment extraordinaire. D'abord, il est très grand (4.15km² = 415ha, c'est par exemple 30% de plus que Central Park à New York), et, du coup, pas trop noir de monde, en tout cas un lundi de Pentecôte où il faisait plutôt beau : on a donc l'impression de pouvoir vraiment se promener sans buter sans arrêt contre les limites du parc ou contre un groupe de pique-niqueurs. Mais ce qui m'a surtout frappé, c'est la qualité du travail de création du relief et du paysage. Si on s'intéresse à voir beaucoup d'essences de plantes différentes, il faut aller à l'arboretum de la Vallée-aux-Loups que je viens de mentionner (bien sûr, la référence en la matière est surtout les splendides Kew gardens de Londres, que j'ai aussi visités seulement récemment) : ce n'est pas trop le style ici ; si on s'intéresse aux arrangements classiques à la française, dont la référence est le jardin du château de Versailles, ce n'est pas non plus ce qu'on trouvera ; enfin, c'est encore autre chose que la géométrie carrée du parc André Citroën. Non, ce qui fait le charme du parc de La Courneuve, ce sont les lacs et les cours d'eau, le relief vallonné créé artificiellement, les points d'observation, les petits chemins qui serpentent, et tous les recoins créés par ces arrrangements. Je crois que ce panorama (étonnamment bien réussi par mon téléphone mobile), réalisé depuis un point culminant, résume très bien ce qui me plaît :
Il faut dire que la météo variable mais clémente était parfaite et, si j'ose dire, parfaitement en adéquation avec le paysage.
Le parc est, de surcroît, remarquablement bien entretenu (ou alors hier était un très bon jour ?). Les jeux d'eau fonctionnaient tous (et il faut sans doute en profiter, parce que l'espèce de petit lac au premier plan du panorama ci-dessus a l'air tout récent — il n'apparaît même pas sur Google Maps alors qu'il est sur OpenStreetMap — et je crains que les cascades soient fermées pour raisons de sécurité lorsqu'un des petits guignols qui jouaient au bord se sera cassé le cou). L'ensemble, aussi, est très varié : il y a de grandes pelouses, des sous-bois, une roseraie en terrasses, des jeux pour les enfants, des espaces pour pique-niquer, beaucoup de chaises et autre mobilier disposés de façon assez judicieuse, des fontaines pour se rafraîchir, des petits ruisseaux, un grand lac dégagé et des plus petits un peu cachés. Le parc est coupé en deux par une ligne de chemin de fer (la grande ceinture) + tram-train (future ligne T11 entre Le Bourget et Épinay-sur-Seine) : la partie au nord de cette coupure m'a semblé encore plus intéressante que la partie principale. La fête de l'Humanité a lieu dans une partie en bord du parc, l'« aire des vents » (je ne suis pas allé voir).
J'ai mis quelques photos en ligne ici (le panorama ci-dessus est un lien vers le même album, mais il pointe directement sur la photo en question dans l'album). Je n'ai pas donné de titres aux images parce que je ne voyais pas vraiment ce que j'aurais pu y mettre, mais elles sont toutes géolocalisées (cliquez sur le i en haut à gauche pour avoir un lien vers OpenStreetMap montrant l'endroit précis où la photo a été prise). Comme j'avais deux toutes petites vidéos dans le lot, j'ai rapidement bricolé un truc basé sur jPlayer pour les afficher, ça ne marche sans doute pas très bien, donc qu'on me pardonne les bugs, mais je n'ai ni le temps ni la motivation pour faire mieux.
Je suis preneur d'autres recommandations de parcs à visiter. (J'ai déjà par exemple noté le parc départemental du Sausset à Villepinte, qui a l'air un peu dans le même genre, plus petit et plus loin mais peut-être finalement plus facile d'accès.) Mise à jour : compte-rendu ici.