David Madore's WebLog: Fragment littéraire gratuit #155 (les deux jardins)

[Index of all entries / Index de toutes les entréesLatest entries / Dernières entréesXML (RSS 1.0) • Recent comments / Commentaires récents]

↓Entry #2426 [older| permalink|newer] / ↓Entrée #2426 [précédente| permalien|suivante] ↓

(jeudi)

Fragment littéraire gratuit #155 (les deux jardins)

L'organisation de la demeure est déterminée par la disposition des deux jardins qu'elle sépare. Le plan général, qui rappelle le symbole taoiste du yin et du yang, fait en sorte que, selon qu'on se tient à tel ou tel endroit, l'un ou l'autre côté donne l'impression d'être un jardin intérieur tandis que l'autre paraît nous entourer. Cette impression est accentuée par la présence de cloisons seulement face convexe, si bien que le jardin désigné comme « extérieur » n'est visible qu'à travers des fenêtres et que l'autre se situe dans la continuité de l'espace du bâtiment lui-même.

Le premier jardin, qu'entourent partiellement les salons et espaces de vie de la maison, et qui se prolonge sur le monde extérieur, porte le nom de « jardin diurne », tandis que l'autre, placé au milieu des chambres à coucher et qui finit sur le lac, est le « jardin nocturne », où l'insomniaque D… passait de longues heures à attendre de retrouver le sommeil.

Le jardin diurne est principalement un parc floral ; il est bordé d'une rangée de cyprès, et parsemé de quelques autres arbres qui apportent une ombre bienvenue les jours de grande chaleur. Une grande fontaine constituant l'« œil » du jardin fait contrepoint aux canaux de l'autre côté. Les essences plantées en massifs ont surtout été choisies pour leurs couleurs et leur odeur, comme telle rose bulgare au parfum enivrant : le jardin diurne, selon les mots de l'architecte, est conçu avant tout pour la vue et l'odorat.

Le jardin nocturne, au contraire, est un jardin pour l'ouïe et le toucher. Le moindre souffle de vent fait bruisser les hautes herbes, clapoter le lac sur ses berges, et s'entrechoquer les clochettes au tintement cristallin d'un carillon suspendu aux branches d'un arbuste. Pour vraiment apprécier le jardin nocturne, il faut s'y promener pieds nus, sentir la texture des allées de mousse, caresser les tiges des roseaux, tremper ses mains dans les ruisselets d'eau, s'asseoir dans l'herbe.

Mais la vue n'y est pas oubliée pour autant : symétriquement à la fontaine du jardin diurne, il y a un tertre au sommet duquel un banc permet à l'insomniaque de se détendre en observant les jeux d'ombre et de lumière dans le jardin — ou bien lever la tête et regarder la Lune jouer à travers les nuages.

Je m'étais pris, l'autre jour, en feuilletant des livres sur les œuvres de Frank Lloyd Wright et Mies van der Rohe, à essayer d'imaginer ce que pourrait être ma maison idéale : je ne suis ni architecte ni jardinier-paysagiste, mais si j'étais assez riche, je crois que je dirais à quelqu'un d'essayer de la réaliser en s'inspirant de ce que je viens de décrire. L'idée du jardin nocturne m'est venue pendant une longue insomnie. La fleur au parfum enivrant, la clochette au tintement cristallin, et la Lune dans le ciel qui joue à travers les nuages, sont une référence à cette ancienne entrée sur le zen. Ainsi, bien sûr, que le cyprès dans le jardin. L'image du tableau de Magritte L'Empire des lumières m'a aussi inspiré.

Il faut peut-être considérer ce fragment comme un pendant au #141 un peu comme le Domaine d'Arnheim de Poe est le pendant de la Philosophie de l'Ameublement.

↑Entry #2426 [older| permalink|newer] / ↑Entrée #2426 [précédente| permalien|suivante] ↑

[Index of all entries / Index de toutes les entréesLatest entries / Dernières entréesXML (RSS 1.0) • Recent comments / Commentaires récents]