Sans aller jusqu'à dire que j'ai un dialecte vraiment original du
français, la langue que je parle accumule un certain nombre
d'idiomatismes, de néologismes (l'emploi du mot idiomatisme
en
étant lui-même un), de glissements
de sens, d'orthographes singulières, de marques d'activisme
typographique, bref, de petits traits personnels dont j'ai parfois —
mais pas toujours — conscience. Je ne parle pas du « français++ » qui
est une blague récurrente avec des amis que j'utilise pour désigner
toutes sortes de modifications que je serais tenté de faire à la
langue française pour la rendre plus logique ou plus agréable à mes
yeux, ou simplement pour m'amuser, comme le fait que j'y
ajouteraie [sic !] un subjonctif futur. Je parle de la langue que
j'emploie vraiment, ou du moins, de certaines des formes de langue que
j'emploie, parce que je ne m'exprime pas de la même manière dans un
mail à un ami, dans une entrée de ce blog, à l'oral, etc. Je ne
prétends pas être singulier (je veux dire, je ne prétends pas que mon
français soit singulièrement plus original que celui d'un
autre), mais j'aime me livrer à une petite introspection
linguistique.
Certains de ces traits sont à peu près involontaires : je fais
évidemment des fautes d'orthographe (sur l'emploi de ce mot,
voir ici : une faute est
précisément une bizarrerie dont je n'ai pas conscience et que je
corrigerais si je m'en rendais compte). Ou j'abuse de certains mots
et certaines expressions (parfois on me les signale, et parfois je
décide de faire un effort pour moins les employer) : mon poussinet
s'énerve, par exemple, de la fréquence avec laquelle je lui
dis éventuellement
à des questions qui voudraient qu'on
répondît oui
ou non
(le éventuellement
ayant pour
sens quelque chose comme pourquoi pas, je n'y suis pas foncièrement
opposé si tu veux faire ça, mais je ne suis pas enthousiaste non
plus
, généralement accompagné de j'aimerais bien ne pas prendre
cette décision immédiatement
). Je pense que j'utilise le
mot certes
plus fréquemment que la moyenne, et je signale cet
exemple parce que je sais précisément d'où ça me vient, c'était mon
professeur d'histoire-géographique en classe de 3e qui
l'affectionnait.
Il y a des mots que j'emploie à dessein et qui sont jugés douteux,
incertains, ou d'orthographe incorrecte (ou juste vieillotte) par les
dictionnaires : soit parce que je trouve le terme plus précis, plus
heureux, plus correct étymologiquement, plus compréhensible, plus
juste, ou pour n'importe quelle raison plus agréable. Ou parfois sans
raison, mais en étant conscient qu'il s'agit d'une petite bizarrerie
personnelle. J'écris québecois
et
pas québécois
, referendum
et
non référendum
, événement
et
jamais évènement
, chausse-trape
plutôt
que chausse-trappe
, parfois mais pas toujours réglement
pour règlement
; je régularise le verbe arguer
en arguër
et je n'aurais aucun scrupule à écrire que nous
arguöns
ou même que nous avons arguë́
(j'avoue que là ça
s'approche un peu du français++). J'écris autant pour moi
juste pour énerver les gens qui insistent obstinément sur le au
temps pour moi
. Parmi les néologismes ou quasi-néologismes, j'ai
déjà cité idiomatisme
, décevamment
(et toutes sortes
d'autres adverbes du même modèle dont je refuse d'admettre qu'ils
n'existent pas), confuser
(j'assume complètement les
anglicismes qui corrigent une lacune du français). Dans les
bizarreries grammaticales, j'écris par exemple vus les résultats
déjà obtenus
en accordant ce participe passé que la plupart des
grammairiens recommandent de garder invariable. Syntaxiquement, je
n'ai aucun problème à faire une phrase comme il est plus
vraisemblable qu'il ait été surpris que qu'il soit véritablement
choqué
en préservant le double que
que la logique demande
mais que des grammairiens, me semble-t-il, recommandent de simplifier
en un seul. Ah, et tant que j'y suis, je prononce [bɔnsaj] et pas
[bɔ̃zaj] pour les arbres miniatures de tradition chinoise et
japonaise : ce n'est pas la prononciation du ‘n’ que je souligne mais
la surdité du ‘s’, parce que, que je sache, le mot bonsoir
ne
se prononce pas comme s'il s'écrivait bonzoir
et il n'y a
aucune raison de faire une entorse à la fois à la langue française et
à la langue japonaise en inventant un ‘z’ dans bonsaï
; idem
dans Israël
, d'ailleurs, qui n'est pas Izraël
.
Ajouts : j'écris en-dessous
(comme adverbe)
avec un trait d'union, pour la logique avec au-dessus
, alors
que les dictionnaires prescrivent de l'écrire en deux mots ;
j'écris compte-rendu
avec un trait d'union (et il fut un temps
où j'écrivais aussi court-métrage
, mais j'en suis revenu ; je
me demande si je ne devrais pas pousser la logique jusqu'à
écrire trait-d'union
).
Mais le plus grand ensemble de bizarreries de ma façon de parler
vient incontestablement du fait que j'importe beaucoup de vocabulaire
soit matheux soit geek (i.e., hacker Unix) dans le langage courant.
Souvent sans y penser : j'ai tellement l'habitude de m'adresser à des
gens dont je suis sûr qu'ils comprendront que je ne prête plus
attention au fait qu'il ne s'agit pas de français « standard ». Je
peux dire de deux idées qu'elles sont isomorphes
pour signifier
qu'elles sont équivalentes dans leur structure ; je peux parler
de pinguer
(pinger
?) quelqu'un au sens de demander
un signe de vie
.
Parfois je ne sais vraiment pas si c'est compréhensible. Par
exemple, il est tout à fait courant, pour moi, d'utiliser le
mot modulo
comme une préposition : son sens est quelque chose
comme en ignorant
, à ceci près
(par exemple : modulo
les incertitudes sur la météo
) ou parfois, plus
abusivement, sauf
(comme dans modulo erreur de ma part
).
Je n'ai aucune idée, en vérité, de l'effet que produit l'audition de
ce mot sur un Français n'ayant pas eu de contact particulier avec des
matheux.
Et je passe sur des mots comme pipoter
, crackpot
, ou,
en fait, geek
(celui-là semble devenu mainstream en français,
mais plutôt avec le sens de gamer
, ce qui, du coup, est
problématique).
Bref, si vous ne comprenez rien à ce que je dis, c'est certainement ma faute !