David Madore's WebLog: Réflexions de café de comptoir pour sauver l'euro

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(mardi)

Réflexions de café de comptoir pour sauver l'euro

La doublure d'argent (silver lining, à 24€ l'once 😉) de la crise de la dette souveraine européenne, c'est que ça m'aura au moins incité et permis d'en apprendre plus sur l'économie (ou au moins, sur l'économie monétaire et financière) que jamais auparavant. Ce n'est peut-être pas très utile en présence de la fin du monde de savoir au juste pourquoi elle se produit, mais au moins on peut dire qu'on vit une époque intéressante. Je lis maintenant régulièrement le bulletin mensuel de la Banque centrale européenne, et je recommande : c'est beaucoup moins aride ce que ce que le titre peut laisser penser, même si on ne lit pas les 200 pages c'est quand même un résumé assez bien fait de l'actualité monétaire et financière du mois.

J'avoue quand même avoir beaucoup de mal à suivre la comptabilité, parce que je n'ai jamais suivi de cours de compta et j'essaie de deviner les choses en regardant les intitulés et en cherchant quels nombres s'ajoutent pour former quoi, mais ça ne marche pas très bien. Par exemple, chaque bulletin comporte une situation financière consolidée de l'Eurosystème (tableau 1.1 de l'annexe statistique) et un bilan agrégé des institutions financières et monétaires de la zone euro, dont l'Eurosystème (tableau 2.1). Dans les deux cas, donc, il s'agit d'un tableau indiquant l'actif et le passif de la BCE (réunie avec les autres banques centrales de la zone euro), mais je ne comprends pas ce qui rentre dans l'un et ce qui rentre dans l'autre, et je ne suis pas aidé par le fait que même un intitulé exactement identique peut donner des valeurs différentes (pour prendre un exemple assez ridicule, la monnaie fiduciaire en circulation fin octobre 2011 est indiquée à 863.1G€ dans la situation financière et à 889.2G€ dans le bilan comptable comme dans les indicateurs-clés : je sais que trente milliards d'euros ce n'est pas grand-chose, mais quand même, je serais curieux de savoir où ils sont passés). Je suis incapable de trouver, notamment, dans quelle case comptable la BCE fait figurer les obligations d'État des pays de la zone euro qu'elle a achetées sur le marché secondaire (je crois que sur le tableau 1.1 c'est dans la case titres en euros émis par les résidents de la zone euro détenus à des fins de politique monétaire et pas créances en euros sur les administrations publiques comme on pourrait le croire, mais du coup c'est mélangé avec d'autres choses et je n'en connais pas le montant).

Tout ceci m'incite à me livrer à quelques réflexions du style café du commerce à 0.02¤ (le zorkmid est coté à 1729¤ pour 1€, profitez-en) sur la « conjoncture » (comme on dit).

Un peu d'économie de comptoir, donc. Je crois qu'à ce point personne n'a plus de doute sur le fait que la dette des pays de l'UE n'est plus soutenable (sauf sans doute celle de l'Estonie qui est de 7% d'un an[#] de PIB alors que son budget est excédentaire… ça fait rêver), et que la seule façon de limiter les dégâts commence par le fait que la BCE en rachète de façon beaucoup plus active que ce qu'elle a fait jusqu'à présent, et fonctionne en prêteur de dernier ressort.

Les économistes n'ont pas l'air capables de prévoir le risque d'inflation associé à de telles mesures (ce qui est peut-être normal, mais limite assez sérieusement la crédibilité de toute prédiction qu'ils puissent faire pour le reste). Mais même en laissant de côté le cas des États-Unis qui ont pour eux l'avantage que le pétrole est coté en dollars et que les bons du Trésor américain sont encore très demandés (si la Fed les achète, c'est plutôt pour fournir des liquidités que pour soutenir l'État fédéral), on peut au moins constater empiriquement que la politique assez souple de la Banque d'Angleterre, qui a pourtant aussi pour objectif primaire la stabilité des prix, ne conduit pas à une inflation galopante (elle est tout de même de deux points supérieure à celle de la zone euro) : je renvoie d'ailleurs à cette interview de Mervyn King où il défend l'opportunité économique de mesures de quantitative easing (j'aime cet euphémisme…) et le fait que le risque d'inflation n'est que modéré. Un point de vue plus nuancé est apporté par ce discours, pourtant vieux de deux ans, d'un membre du directoire de la BCE, qui évoque les différents aspects techniques des mesures non conventionnelles. La question de savoir si et comment on peut stériliser une telle intervention de la banque centrale pour limiter le risque d'inflation est intéressante : j'aurais imaginé que la seule solution consistait à ce qu'elle vendît des réserves (de l'or, par exemple ?) pour absorber les liquidités qu'elle aurait créées, mais ce discours évoque une autre piste intéressante, qui serait, si je comprends bien, pour la BCE d'émettre et de vendre elle-même des obligations étiquetées en euros, dont la sécurité ne ferait aucun doute, la BCE pouvant toujours repayer des euros, mais qui seraient moins liquides que de la monnaie (ou de façon équivalente, en exigeant des vendeurs des instruments de la dette de déposer les liquidités obtenues sur un compte à terme). Je doute cependant que la stérilisation puisse durer longtemps, ni éviter une hausse des matières premières, notamment le pétrole, mais il y a des gens qui pensent que cette hausse serait salutaire (sauf pour l'Allemagne qui veut abandonner le nucléaire, hu, hu, hu, pardon, c'est nerveux). Et évidemment la dépréciation de l'euro sur le marché des changes nuirait différemment à un pays qui vit beaucoup du tourisme et à un pays qui importe des matières premières hors zone euro et exporte beaucoup dans la zone euro (suivez mon regard).

D'où une question politique. L'Allemagne a certainement beaucoup à perdre à ce que l'euro s'affaiblisse. Un cliché dont je ne mesure pas bien la véracité veut que les petits Allemands apprennent dès leur plus jeune âge que l'inflation consécutive à une crise économique est le moyen infaillible pour arriver à une dictature (de fait, j'ai remarqué que dans le film Die Welle, lorsque le prof demande à ses élèves quels sont les différents éléments qui rendent possible l'autocratie ou la dictature, un des élèves répond l'inflation : je ne suis pas sûr que cette réponse aurait été très plausible de la part d'un lycéen en France) ; je suis tenté d'ironiser que les interventions de la Banque d'Angleterre n'ont pas l'air d'avoir encore transformé Londres, malgré les 99% de révoltés, en un paysage tiré d'une BD d'Alan Moore, mais ce serait un peu facile. Plus sérieusement, si l'Allemagne a le choix entre la disparition de l'Union européenne et une inflation à 6%, il semble que même son intérêt le plus égoïste devrait lui faire préférer la seconde option, par égard pour ses exportations (en clair, si l'euro cesse d'exister parce que l'Allemagne veut qu'il soit trop fort, elle aura de toute façon des monnaies très faibles face à elle). D'autant plus que ses banques ne sont pas en position de soutenir le défaut que constituerait le réétiquetage des dettes espagnole, italienne et française dans une nouvelle monnaie nationale instantanément dévaluée. Je dis l'Allemagne parce que tout le monde dit l'Allemagne, mais je suppose que les Pays-Bas et la Finlande sont dans une position à peu près comparable. Même le gouvernement du Royaume-Uni souhaite ardemment que l'euro continue à exister[#2]. Une autre possibilité (que je souhaiterais sans doute, mais qui a autant de chances de se produire que que je sois élu président de la République en 2012) serait de mettre en place un vrai fédéralisme européen avec les transferts d'argents et la solidarité que le fédéralisme implique entre entités fédérées, mais je ne crois hélas pas non plus que l'Allemagne soit politiquement prête à ça, ni aucun autre pays de l'Union (sauf peut-être le Luxembourg).

En fait, le simple risque que l'euro éclate, même si au final cela ne se produit pas, est extrêmement coûteux, car cela oblige à prévoir des montages juridiques compliqués pour maximiser les chances de ne pas se retrouver avec une monnaie nationale faible après un tel éclatement[#3]. Du coup, cela fragilise encore un secteur bancaire déjà en difficulté.

Je ne crois pas que ces considérations aient échappé à qui que ce soit. Je crois que tout le monde est capable de comprendre le concept du moindre mal, aussi amer soit-il, surtout s'il peut être utilisé comme monnaie d'échange diplomatique pour obtenir des concessions sur d'autres domaines (comme la rigueur budgétaire). Je ne crois pas non plus sérieusement que les objections juridiques soient vraiment problématiques[#4]. Je suis relativement optimiste, en fait, sur le fait que l'Allemagne finira par céder : elle demandera des contreparties budgétaires très sérieuses, sans aucun doute, mais je pense que ni Mme la chancelière Merkel ni qui que ce soit d'autre ne voudra rester dans les livres d'histoire comme celui qui a mis fin à l'euro (et probablement, du même coup, à l'Union européenne[#5]). Autrement dit, un compromis pourra probablement être trouvé dans lequel on permettra à la BCE d'intervenir pour limiter le taux des obligations italiennes (espagnoles, portugaises…), quitte à stériliser vigoureusement cette intervention, et/ou à l'Union d'émettre de la dette mutualisée, en échange d'un pacte de stabilité juridiquement opposable et sans doute d'autres contreparties (comme un rôle de contrôle budgétaire accru donné à la Commission et au Parlement européens, des garanties sur le fait que les mesures d'intervention de la banque centrale resteront non-reproductibles, le renommage symbolique des Eurobonds en Stabilitätsbonds, etc.).

Le risque de « mal moral » qui voit dans le sauvetage des dettes souveraines une incitation à la gabegie (tel serait le point de vue allemand) ne tient plus guère depuis la chute de Silvio Berlusconi et surtout depuis que les gouvernements européens, et même dans une large proportion les opinions publiques, se sont tous ralliés, ou plutôt résignés, à l'orthodoxie budgétaire. On peut encore imaginer des garanties supplémentaires. Je suis par exemple persuadé qu'il y a moyen de trouver un montage comptable ou financier qui reviendrait à ce que la BCE couvre uniquement la dette souveraine déjà émise, et son renouvellement, sans pour autant sanctionner un déficit primaire pour l'avenir (je ne prétends pas que ce soit facile, ni que je sache faire, vu que les euros sont interchangeables, mais je suis sûr qu'il y a moyen d'obtenir quelque chose d'équivalent à ça, et que la BCE a tous les instruments statistiques nécessaires) : cette idée a forcément dû être envisagée, et si elle est faisable je serais étonné qu'elle ne pût pas servir à la base d'un compromis de raison. Et de fait, si on commence à monétariser la dette, il est d'autant plus important de contrôler les déficits pour l'avenir, sous peine que l'inflation rende les taux d'emprunt encore plus exorbitants : il est donc cohérent, à la fois politiquement et économiquement, d'allier souplesse monétaire et rigueur budgétaire.

Mais le fait est simplement que personne ne propose d'autre solution, sauf peut-être la sortie de l'euro de tel ou de tel pays (ou de tous, i.e., sa dissolution), que ce soit « par le bas » (Grèce, Portugal…) ou « par le haut » (Allemagne, peut-être Finlande et Pays-Bas). Même ceux qui, en Allemagne ou ailleurs, sont opposés à toute intervention de la BCE et à toute mutualisation de la dette, ne proposent pas de commencement de début d'une autre solution pour éviter la faillite de l'Italie et de la France. S'il y avait deux propositions concurrentes, il y aurait matière à débat, mais on est face au choix entre une pilule amère et simplement nier qu'il y a un problème pour ne rien faire du tout[#6]. Même la sortie de l'euro de tel ou tel pays individuel ne résout rien car, comme il faudrait de toute façon finir par en faire sortir la France, la monnaie unique ne pourrait pas continuer à exister : il faudrait donc avoir l'honnêteté de dire que c'est ça qu'on demande, et en explorer sérieusement les conséquences (qui, je l'ai dit, ne sont certainement pas bonnes pour l'Allemagne ou pour le monde).

La danse diplomatique actuelle est-elle un petit spectacle destiné aux électeurs allemands pour leur faire voir qu'on s'occupe sérieusement d'imposer la rigueur budgétaire avant de céder sur les fameuses lignes rouges ? Ou bien y a-t-il un réel aveuglement face au risque ? Je ne sais pas, et je serais curieux d'avoir des avis de politologues spécialistes de l'Allemagne[#7] sur ce sujet, parce que je suis réduit à des conjectures. La seule chose que tout le monde semble convenir, c'est que Mme Merkel, comme d'ailleurs M. Draghi, sont des pragmatiques, capables de changer d'avis lorsque les circonstances l'exigent, ce qui incite à un optimisme prudent — mais sera-t-il encore temps ? On peut éventuellement imaginer, aussi, une crise diplomatique majeure, par exemple si le Conseil des gouverneurs de la BCE prenait une décision lourde contre l'avis[#8] de l'Allemagne (i.e., du représentant de la Bundesbank).

J'ai acheté le Spiegel (celui paru hier), ainsi que The Economist[#9], dans l'espoir de trouver des idées nouvelles que je n'aurais pas eues moi-même, ou quelque éclairage sur le débat politique allemand : guère. Sans surprise, The Economist se déclare franchement favorable à une intervention de la BCE, et le Spiegel ne prend pas vraiment position malgré un long article (sauf, en fait, par le résumé dans le sommaire qui est ainsi rédigé : Es gibt nur noch zwei Möglichkeiten, den Euro zu retten — beide sind furchtbar : Il n'y a plus que deux possibilités pour sauver l'euro [une intervention de la BCE ou une mutualisation de la dette] — et les deux sont effrayantes). Il finit quand même comme ceci :

Fällt der Euro, fällt Europa — das ist Angela Merkels Credo. Und wenn sie diesen Satz ernst meint, dann spricht vieles dafür, dass sie alles tun wird, um die Gemeinschaftswährung zu retten. Auch das, was sie bis jetzt noch ausschließt.

Dann werden auch die letzten Grundsätze fallen, die Merkel bislang eisern verteidigt: dass die Währungsunion keine Schulden- und Haftungsunion ist und dass der Euro nicht mit der Notenpresse verteidigt werden darf.

(Si l'euro tombe, l'Europe tombe — c'est le credo d'Angela Merkel. Et si elle le pense vraiment, alors beaucoup de choses suggèrent qu'elle fera tout pour sauver la monnaie unique. Même ce que jusqu'à présent elle exclut.

Alors tomberont aussi les derniers principes que Merkel défend jusqu'à présent de façon inflexible : que l'union monétaire n'est pas une union de dettes ou de responsabilités et que l'euro ne doit pas être défendu avec la planche à billets.)

Quant au débat politique, tout ce que j'en comprends, c'est ceci : que si l'opposition à une intervention de la BCE ou à une mutualisation de la dette est assez généralisée à la fois dans la classe politique et l'opinion publique allemandes (mais par ailleurs je ne trouve toujours pas l'ombre d'une autre solution qui permettrait d'éviter que l'euro n'éclatât), il va de soi que les avis ne sont pas complètement uniformes, même au sein des partis au pouvoir. Si Mme Merkel, la chancelière, est réputée indécise et pragmatique, elle se situe plutôt à l'écart de la ligne principale de son parti de la CDU. Wolfgang Schäuble, ministre des finances, semble être quant à lui le principal poids lourd europhile du gouvernement, mais je ne sais pas exactement ce qu'il préconise. L'opposition (à une confusion entre le monétaire et le budgétaire) est beaucoup plus forte de la part de Jens Weidmann, président de la Bundesbank (et donc ex officio membre du conseil des gouverneurs de la BCE), qu'elle (la chancelière) a fait nommer à ce poste. Mais surtout, c'est chez le FDP (parti libéral et partenaire minoritaire de la coalition au pouvoir) que cette opposition est la plus forte et, notamment, dans un courant au sein de ce parti, mené par un certain Frank Schäffler, qui est en passe de provoquer une scission, ce qui remettrait en cause la coalition. (Il faut voir que le FDP risque de ne même plus être représenté au Bundestag lors des prochaines élections fédérales — dans les dernières élections pour le Land de la ville de Berlin il a fait même moins que le parti pirate — et ce genre de risques a tendance à entraîner des soubresauts dans un parti politique.) Le Frank Schäffler en question, qui affichait d'ailleurs hier la figure de Frédéric Bastiat sur son blog, ça ferait plaisir à des gens que je connais, appelle à ce que la Grèce quitte la zone euro mais je n'arrive pas à comprendre s'il propose quelque chose pour l'Italie et la France, et si oui, quoi.

Quant au SPD, aux Grünen, à die Linke et au Piratenpartei (ce dernier pourrait devenir une force politique non ridicule en 2013), je n'arrive tout simplement pas à savoir quelles sont leurs positions (faut-il sauver l'euro, et si oui, comment et à quel prix ?). Comme ma lecture de l'allemand est passablement laborieuse, je suis handicapé pour rechercher rapidement des documents pertinents (je suis certes tombé sur cette interview du chef du SPD Sigmar Gabriel, mais il ne fait apparemment référence ni au rôle de la BCE ni à la mutualisation de la dette).

En France, la classe politique, à l'exception de Marine Le Pen, est assez unanime pour vouloir sauver l'euro et appeler pour cela à ce que la BCE intervienne plus : les désaccords entre partis se font sur la nécessité de la rigueur budgétaire ou sur le sens du mot rigueur (sans surprise, la droite veut baisser les dépenses alors que la gauche veut augmenter les recettes, même si les choses sont rarement dites aussi schématiquement). Comme je le suggérais, The Economist n'est pas tellement en désaccord avec ce que pourrait dire Jean-Luc Mélenchon (ils appellent dans l'éditorial à créer une nouvelle tranche d'impôt sur le revenu, si, si, je vous assure). Mais un point de vue différent, donc notamment allemand, est complètement inaudible en France. Je trouve complètement lamentable que, pour un débat par essence européen, les journalistes (français) ne soient pas foutus de faire se répondre des hommes politiques d'autres pays européens, au lieu de se contenter de regarder les images de Merkel et Sarkozy se faisant la bise et spéculer sur ce qu'ils ont pu se dire (quand on n'en est pas à se pencher sur les jours de carence des fonctionnaires). C'est si difficile que ça, de trouver un traducteur allemand ou néerlandais ? Dans ce cas, j'ai une bonne nouvelle : quand d'ici quelques mois l'Union européenne aura cessé d'exister, il y en aura plein sur le marché, du côté de Bruxelles.

[#] Je profite de l'occasion pour rappeler que, contrairement au déficit, la dette ne s'exprimer pas en pourcentage du PIB mais en pourcentage d'un an de PIB, ou, si on veut, en semaines, mois, années, décennies de PIB. Ça a une importance très grande, parce que le chiffre de 100% n'a rien de magique. On pourrait décider de doubler la longueur de l'année, notre dette en pourcentage d'un an de PIB serait réduite de moitié, mais ce serait toujours exactement la même. Je préférerais qu'on dît que la France a une dette de 10 mois, l'Italie de 14, les Pays-Bas de 7½, l'Estonie de moins d'un mois (25 jours).

[#2] Ainsi que beaucoup d'autres, évidemment. Au hasard, la Chine a des réserves extérieures massives en euros, et a besoin du marché européen pour écouler sa production. Je crois qu'il est totalement clair que la fin de l'euro, même sans compter les difficultés techniques et juridiques qu'elle entraînerait, serait une catastrophe économique non seulement (évidemment) pour l'Europe mais pour le monde entier.

[#3] Là aussi, les scérnarios envisagés sont fort flous. Je serais assez curieux de savoir comment s'est faite la séparation monétaire entre la République tchèque et la Slovaquie, par exemple, mais il est sûr que cela n'a rien de commun avec ce que pourrait présenter comme problèmes l'éclatement de l'euro, sachant qu'il doit exister des contrats étiquetés en euros et relevant de régimes juridiques extrêmement variés (voyez par exemple cette note au sujet de la conversion de l'écu en euro). Une possibilité qui serait sans doute assez sûre juridiquement serait de ne pas supprimer l'euro mais de cesser d'en créer, et de recréer des monnaies nationales à côté, tout en réétiquetant la dette souveraine dans ces monnaies : cela aurait au moins le bénéfice de la clarté et d'éviter la ruée vers les banques des déposants qui voudraient récupérer de la monnaie banque centrale en euros avant que leur compte soit dégradé en monnaie nationale. D'un autre côté, cela provoquerait le risque de créer une économie parallèle massive.

[#4] Les deux objections qu'on peut soulever sont les articles 123 et 127 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Le premier prévoit que : Il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées banques centrales nationales, d'accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l'Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres ; l'acquisition directe, auprès d'eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite. Mais cela ne concerne que l'acquisition directe des obligations d'État, sans rien préjuger quant aux opérations sur le marché secondaire, et on l'a d'ailleurs pragmatiquement déjà admis (sous le doux euphémisme de programme pour les marchés de titres / securities markets programme), raisonnement juridique à l'appui. Comme il me semble que même la Bundesbank achète du Bund (l'obligation allemande), cela peut difficilement être pésenté comme une objection absolue. L'article 127 règle que : L'objectif principal du Système européen de banques centrales, ci-après dénommé SEBC, est de maintenir la stabilité des prix. Sans préjudice de l'objectif de stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans l'Union. Or cet article est complètement parallèle au texte correspondant qui régit, par exemple, la Banque d'Angleterre : In relation to monetary policy, the objectives of the Bank of England shall be — (a) to maintain price stability, and (b) subject to that, to support the economic policy of Her Majesty's Government, including its objectives for growth and employment (Bank of England Act 1998, article 11). Je profite d'ailleurs de l'occasion pour commenter l'article 125, Un État membre ne répond pas des engagements des administrations centrales […] d'un autre État membre, ni ne les prend à sa charge, qu'on invoque parfois pour expliquer que la mutualisation de la dette serait interdite : pour moi il est évident que l'interdiction de cet article (shall not be liable en anglais, haftet nicht en allemand) signifie qu'un État membre ne peut pas être tenu responsable des dettes contractées par un autre, ou être forcé d'en prendre, pas qu'il aurait l'interdiction de lui prêter volontairement !

[#5] Formellement, l'Union ne disparaîtrait sans doute pas. Mais elle serait réduite à une coquille vide, comme l'État belge aujourd'hui. Une Union comme les Anglais la veulent.

[#6] On me signale à ce sujet un discours tenu hier par le ministre des affaires étrangères polonais, Radosław Sikorski, à Berlin, où il a cette phrase extraordinaire : I will probably be [the] first Polish foreign minister in history to say so, but here it is: I fear German power less than I am beginning to fear German inactivity.

[#7] Ainsi que des juristes, parce qu'on entend régulièrement dire que la cour constitutionnelle allemande veille sourcilleusement au respect des traités, mais j'aimerais bien comprendre au juste dans quelles conditions elle pourrait être saisie à l'endroit de la BCE qui, à mes yeux de juriste amateur, semble évidemment hors de sa juridiction : personne ne daigne éclaircir ce point.

[#8] Tels que je comprends les statuts, le vote au Conseil des gouverneurs se fait à raison de une personne une voix (la modification de ce point pourrait d'ailleurs être une monnaie d'échange à proposer à l'Allemagne en échange de concessions de sa part), sauf dans des matières financières assez limitées, comme la répartition des dividendes, et dont je ne crois pas que l'achat de dette souveraine sur le marché secondaire fasse partie, où les votes sont pondérées par la part des actionnaires (et les membres du directoire ne votent pas du tout), ainsi que certaines questions qui demandent une majorité des deux tiers. Il n'est donc pas du tout impossible que la BCE, dont l'indépendance est si fortement réclamée par lui, agisse contre la volonté du gouvernement fédéral allemand, dont les recours juridiques seraient alors inexistants et qui ne pourrait que menacer de quitter simplement l'euro en représailles.

[#9] En n'oubliant pas de prendre un peu de dompéridone, parce que la lecture de The Economist provoque toujours chez moi une vague nausée, et ça n'aide pas qu'ils soient du même avis que moi en la matière.

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