Ça fait partie du programme imposé du format « blog » que d'avoir un système de commentaires. Mais je pense que ce n'est pas qu'une sorte de convention : permettre les commentaires apporte une vraie valeur ajoutée au blog, à la fois pour les lecteurs et pour l'auteur du blog.
Quand je lis un article de blog (et même si ce format a un petit côté dinosaure, il est quand même loin d'avoir disparu en 2024, surtout si on compte les pages medium comme des sortes de billets de blog), je trouve ça très agaçant de n'avoir aucun moyen de faire un retour à l'auteur, poser une question complémentaire, demander une précision, corriger une inexactitude — il y a quelque chose de terriblement frustrant à être face au mur d'une communication strictement unidirectionnelle. La frustration est aussi présente quand on est sur les commentaires d'un contenu tellement populaire qu'il y a déjà 299 792 458 commentaires au moment où on en prend connaissance, si bien qu'on n'a aucune chance d'être lu par l'auteur initial — au mieux on va être lu par d'autres commentateurs, ce qui n'est pas vraiment le but[#] : je ne sais pas si les commentaires ont vraiment un intérêt pour ce type de contenus (pensez à n'importe quelle vidéo YouTube modérément populaire) ; mais sur un blog de la popularité du mien (faible mais non ridiculement faible), le problème ne se pose pas : je peux lire, au moins en diagonale, tous les commentaires qui m'arrivent.
[#] Sauf peut-être s'il y a un système de scoring (à la Reddit) faisant que les commentateur peuvent marquer les commentaires les plus intéressants, et peut-être que l'auteur initial verra ceux qui ont le plus haut score. Mais je n'aime pas trop ce genre de compétition pour l'attention (et de toute façon le système de scoring va typiquement privilégier à fond les gens qui commentent en premier, donc ce sont juste eux qui se font lire en pratique).
Or justement, symétriquement, quand on écrit un blog, il y a quelque chose de bizarre à n'avoir aucune possibilité de retour des lecteurs (sauf ceux qui se fendront d'un mail, mais ils sont rares). L'effet psychologique est un peu bizarre, comme pendant cette période d'enseignement à distance où je faisais cours devant la caméra de mon portable, sans voir les visages des étudiants auxquels je m'adressais : on se rend compte que le manque de feedback est très perturbant.
Même si j'écris ce blog surtout pour moi-même, pour noter ce que j'ai compris ou réfléchi sur tel ou tel sujet et pouvoir ensuite l'oublier avec l'assurance de pouvoir le retrouver facilement en me relisant (cf. mes explications ici), j'ai quand même quelque part le lecteur en tête (disons, un lecteur idéal qui, souffrant d'une insomnie idéale, prendrait la peine de terminer mes billets), et vaguement l'idée de contaminer le cerveau de mes lecteurs avec la douteuse fermentation du mien (je dis ça depuis le début) : ne pas avoir de retour donne l'impression très désagréable qu'on parle dans le désert. Et de fait, j'avais désactivé le système de commentaires en octobre 2004 à cause d'un afflux de trolls et je n'ai pas tenu deux mois avant de le remettre (avec modération a priori).
Et surtout, avoir un système de commentaires permet d'utiliser un post de blog pour poser une question et, si on est suivi par des gens intéressants, d'espérer obtenir une réponse intelligente. (Comme exemple parmi d'autres, ce billet m'avait valu une très bonne réponse de Typhon.) Et à ce titre-là, ça peut être véritablement utile, et c'est d'ailleurs aussi la principale valeur d'avoir un certain nombre[#2] de followers sur les réseaux sociaux. Même si je ne pose pas vraiment une question, plus d'une fois mes lecteur m'ont apporté des compléments d'information très utiles à ce dont je parlais (par exemple sur ce billet).
[#2] Il y a clairement un optimum à trouver dans ce nombre, d'ailleurs. Si on n'est lu par personne, on peut poser toutes les questions qu'on veut, on n'aura jamais de réponse (sauf si d'aventure quelqu'un avec plus de poids social reposte la question) ; mais si on est suivi par trop de monde, toute question qu'on pose provoquera un déluge de réponses idiotes et sans intérêt, et on aura le plus grand mal à séparer le bon grain de l'ivraie. J'ai l'impression d'avoir une popularité qui n'est pas trop loin de cet optimum, donc je suis plutôt satisfait.
Globalement je suis généralement content des commentaires que je reçois. Certains sont d'extrêmement haute qualité, et même s'il y a pas mal de trucs sans intérêt (y compris quelques spams stricto sensu qui passent au travers de mon petit filtre JavaScript[#3]), je n'ai pas trop de mal à les séparer. Mais il y a au moins deux choses dont je ne suis pas content du tout, c'est la partie technique d'une part (celle-ci est entièrement ma faute) et la complication des choix à faire à la modération d'autre part (ça ce n'est pas vraiment la faute de qui que ce soit).
[#3] Si comme >99% des gens vous avez JavaScript activé dans le navigateur, vous ne l'avez sans doute pas remarqué, mais le moteur de commentaires demande de répondre à une question triviale, et un bout de JavaScript répond, justement, à cette question et la cache. Ça me permet de rejeter automatiquement l'essentiel de ce qui vient des robots, lesquels n'ont généralement pas de moteur JavaScript. (Évidemment, cette petite astuce ne marche que parce que j'ai un moteur personnel contre lequel personne n'a pris la peine d'écrire le script évident qui contournerait ma petite protection.)
Pour ce qui est de la partie technique, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même si c'est une horreur : le système de commentaires de ce blog résulte d'un petit programme Perl (qui tourne comme CGI) que j'ai écrit il y a 21 ans et qui n'a quasiment pas changé depuis[#4] ; du coup, il y a plein de décisions architecturales qui sont maintenant inappropriées[#5], ou que je ferais différemment, et je ne comprends plus bien comment il fonctionne, et je n'ai vraiment pas envie de remettre les mains dedans et je ne trouve pas (et ne trouverai sans doute jamais) le temps ou la motivation de le réécrire complètement. En plus de ça, j'avais initialement prévu un système de commentaires avec comptes (et validation des adresses mail), je l'ai rapidement converti en système de commentaires purement anonyme parce que les gens n'aiment pas créer des comptes (et je les comprends), mais ça se voit sans doute un peu dans la présentation du système.
[#4] Peut-être que ceci fera prendre à certains conscience du fait que ça remonte au carbonifère : ce script Perl est versionné par — gasp ! — RCS. (Je ne sais d'ailleurs plus me servir de RCS, donc les rares fois où je dois toucher à ce script, je compte sur le fait qu'Emacs sache le faire pour moi.)
[#5] Par exemple,
j'avais initialement conçu ce script comme un mécanisme de
commentaire générique, permettant de commenter n'importe
quelle page Web. J'ai rapidement compris que les spammeurs peuvent
profiter du fait d'avoir un script qui permet d'ouvrir une page ayant
pour titre commentaires sur <URL>
où
<URL> est une adresse quelconque, et qui fait un
lien vers cette adresse. Donc j'ai dû restreindre les adresses qu'on
a le droit de commenter aux pages de mon site et, pour des raisons
pratiques, aux billets de ce blog (et je l'ai fait de façon sale).
Ce script Perl est épouvantable, et j'en suis vraiment désolé.
Aucun formatage n'est possible dans les commentaires, ni gras ni
italique ni quoi que ce soit : on ne peut que créer un lien, avec une
syntaxe extrêmement rigide (il faut
écrire <URL:
puis une espace puis l'adresse
du lien puis une espace puis >
, exactement ça
et rien d'autre, et à peu près personne ne réussit à suivre des
instructions aussi rigides ; par exemple, plein de gens ajoutent un
‘/
’ final, ce qui fait un lien cassé, et c'est vraiment
fastidieux pour moi de les corriger donc souvent je ne le fais pas).
Un passage à la ligne est transformé en balise <br
/>
dans le HTML du commentaire (qui produit
bien un passage à la ligne, mais ce n'est souvent pas ce que l'auteur
voulait, en fait, et du coup beaucoup de commentaires sont difficiles
à lire). Deux passages à la ligne ouvrent un nouveau paragraphe (ce
qui, pour le coup, est assez standard et attendu, mais tout le monde
ne suit pas non plus). Il n'y a aucun moyen de prévisualiser un
commentaire. Il n'y a aucun moyen non plus d'éditer ni d'effacer ce
qui a été posté (sauf à me demander en personne). Et, ce qui est
pire, le message qui signale que le commentaire est passé à la
modération est vraiment minimaliste, beaucoup de gens pensent qu'il
s'est perdu, et du coup j'en reçois plein en double. Et il n'y a
aucune notification du fait qu'un message en instance de modération a
été rejeté, mais ça on peut peut-être dire que c'est
une feature voulue.
Il n'y a aucune intégration entre le blog (dont le moteur a subi
deux réécritures complètes depuis) et le système de commentaires, ce
qui est logique vu que (cf. plus haut) le système de commentaires
était prévu pour n'avoir rien de spécifique au blog : il y a tout au
plus une toute petite magouille permettant d'afficher le nombre de
commentaires et la date du dernier (et, dans l'autre sens, une autre
petite magouille permettant au script Perl d'avoir au moins
connaissance des titres des billets). Il n'y a pas non plus de
flux RSS des commentaires (bon, ça, je devrais quand même
essayer de me sortir les doigts du c●l pour en faire un, parce que ça
ne devrait vraiment pas être difficile). Encore un autre problème est
que les commentaires n'ont pas de vrai permalien, et d'ailleurs le
format des adresses des pages de commentaires fait que la Wayback
Machine n'arrive apparemment pas à les archiver (elle se prend les
pieds dans le niveau d'échappement du caractère ‘#
’, on
dirait).
Si je faisais les choses maintenant, ce serait certainement très différent. J'écrirais probablement le système de commentaires en Java (puisque le moteur du blog — lui-même vieillissant, mais bon — est en Java et les pages servies dynamiquement le sont par un servlet Tomcat), j'autoriserais le format markdown et/ou du HTML édité directement dans le navigateur, et peut-être que je serais pris d'ambitions grandioses et que je voudrais faire de tout ça du ActivityPub, je me plaindrais de plein de bugs dans plein de bibliothèques, et finalement je ne ferais rien du tout parce que ce serait trop compliqué et que je découvrirais que le chemin de toutes ces technologies scintillantes est pavé de petites crottes de ragondin. Au moins le script Perl a l'intérêt d'exister, ce qui est une qualité incroyablement supérieure à ne pas exister (merci à Saint Anselme).
Bon, mais l'autre chose dont je ne suis pas content, c'est la modération. Je ne suis tout simplement pas doué pour cet exercice. Et je ne suis certainement pas doué pour le faire de façon cohérente. Et en plus, juste techniquement, mon script Perl archaïque ne me rend pas la chose facile[#6].
[#6] Techniquement, je vois les commentaires en
instance de modération en plus de ceux qui ont été publiés : la seule
différence est qu'il y a des boutons Approve
et Disapprove
qui apparaissent en bas de ceux-ci
(le premier les publie, et le second les fait disparaître de ma vue
aussi). Mais il n'y a par exemple rien qui me signale spécialement
qu'il reste des commentaires à modérer.
J'essaie de partir du principe que je publie les commentaires qui ne sont pas illégaux, pas insultants, pas haineux, pas de trop mauvaise foi, pas du spam, et pas hors sujet, même si je ne suis pas d'accord avec eux. (Par exemple, on m'a récemment reproché — sur ce billet — de publier des commentaires qui étaient en désaccord complet avec ce que je pense politiquement, et à plus forte raison en désaccord avec ce que pense la personne qui m'a fait ce reproche. Mais à mes yeux le principal problème était surtout que ces commentaires s'écartaient de plus en plus du sujet du billet. Et c'est ce qui me gonfle profondément avec les sujets politiques c'est qu'il y a toujours des gens pour dérouler leurs lubies dessus et essayer de dévier la conversation sur lesdites lubies.)
Mais chacun de ces critères implique plein de frontières floues, et je ne suis décidément pas très bon pour obéir au principe du stare decisis, c'est-à-dire réappliquer ma propre jurisprudence.
Pour que les choses semblent quand même moins aléatoires, voici quelques règles que je tends à suivre quand je modère les commentaires :