Quatre Histoires d'amour très courtes

Note : Ces quatre nouvelles sont à mettre en parallèle avec quatre autre nouvelles (par Aylleté Fonnome) qu'elles ont inspirées.

PIQUE

Thringor, le plus puissant magicien du monde, tomba amoureux du jeune étudiant Loïc. Loïc vouait à Thringor une admiration sans borne, mais Thringor savait que ce serait briser à jamais l'esprit du garçon que de lui déclarer sa flamme : car Loïc avait construit toute sa vie autour de la figure parfaite de Thringor, modèle ultime de toute la vertu, magicien par excellence, au-delà des soucis humains ordinaires. Thringor savait qu'il était un vieillard repoussant tandis que Loïc était jeune et beau : Thringor eût échangé les sept Cercles pour cette jeunesse. Thringor savait encore qu'il pouvait prendre toute apparence physique ; mais il savait aussi que ce serait là mensonge, renoncement de tout ce pour quoi il avait combattu, et en quoi Loïc croyait. Thringor savait enfin qu'il pouvait séquestrer ce jeune homme et le soumettre à son pouvoir, et que nul n'oserait demander des comptes à un magicien qui faisait et défaisait les empereurs ; mais il savait aussi que celui qui avait sauvé le monde n'avait pas pour autant le droit de justifier ainsi de faire le mal.

Thringor eût pleuré, mais il savait que ses larmes risquaient de blesser Loïc en le culpabilisant. Il se retint donc, posa la couronne de lauriers sur la tête du plus brillant étudiant de l'école de magie, et continua d'attendre patiemment la mort. Lui qui avait dédié sa vie à aider les autres, à combattre pour eux et pour les protéger, n'en éprouvait pas la moindre consolation.

CŒUR

David venait de finir d'écrire son roman La Larme du Destin, quand on frappa à sa porte. C'était Voleur de Feu, le héros de l'épopée, en quête de son démiurge. David avait créé Voleur de Feu à l'image de son idéal et de ses fantasmes, et il l'aimait plus qu'il pourrait jamais aimer un autre. David savait aussi que Voleur de Feu l'aimerait, lui, David, parce qu'il était ce créateur — comme Voleur de Feu avait aimé l'Elfe Avethas, le guerrier Wolur, et son propre frère l'Empereur Quentin II. Mais David savait que Voleur de Feu était un personnage de fiction.

L'auteur se tourna donc vers sa créature, lui sourit, lui dit simplement, « merci, mon garçon » et ferma le livre — alors Voleur de Feu disparut. David soupira.

CARREAU

Enfin, Garath ut Sarma donna le coup fatal à son adversaire. Lui-même était mortellement blessé, mais cela n'importait pas : Garath vengeait son père, son grand-père et tous ses ancêtres en tuant le dernier descendant du clan des Isihroï. Toute sa vie, Garath l'avait consacrée à cette vengeance. Dans quelques instants, Arfrid ut Isihroï mourrait, et Garath avec lui, et la querelle était enfin vidée.

Garath tomba à terre aux côtés de son ennemi, et se rendit alors compte de son profond amour pour celui qui avait donné son sens à son existence. Arfrid ouvrit les bras, Garath l'étreignit, leurs bouches se rencontrèrent et ils moururent l'un contre l'autre et en s'embrassant.

TRÈFLE

Loïc, modeste étudiant de l'école de magie de Neshpont, certes le meilleur d'entre eux, n'osait avouer la passion qu'il éprouvait pour le plus grand de tous les magiciens, le grand Thringor en personne. Ce n'était pas seulement l'admiration de l'apprenti pour le maître mille fois accompli — c'était une attirance charnelle que Loïc éprouvait pour ce visage ridé mais ferme, ce corps usé mais encore vigoureux, ce regard si puissant. Mais la honte était immense que Loïc éprouvait, à désirer celui qu'il aurait dû vénérer.

Le jour où il reçut, de la main même de cet être aimé, la consécration de sa réussite académique, Loïc prit la décision de s'engager comme magicien auxiliaire, aux côtés de l'armée du nord, pour combattre l'ennemi noir, et sans doute y trouver la mort. La paix. Dédier sa vie à aider les autres, à combattre pour eux et pour les protéger, voilà ce qu'il lui fallait faire.