David Madore's WebLog: 2012-12

Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le reste de ce site web, parle de tout et de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait), des maths à la moto et ma vie quotidienne, en passant par les langues, la politique, la philo de comptoir, la géographie, et beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas, ainsi que d'occasionnels rappels du fait que je préfère les garçons, et des petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le nom collectif de fragments littéraires gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes traduites dans les deux langues) ; il est maintenant presque exclusivement en français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut). Cette page-ci rassemble les entrées publiées en décembre 2012 : il y a aussi un tableau par mois à la fin de cette page, et un index de toutes les entrées. Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs « catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le texte de l'entrée elle-même.

You are on David Madore's blog which, like the rest of this web site, is about everything and anything (mostly anything, really), from math to motorcycling and my daily life, but also languages, politics, amateur(ish) philosophy, geography, lots of ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders of the fact that I prefer men, and some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the collective name of gratuitous literary fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning (some entries were in English, others in French, and a few translated in both languages); it is now almost exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top). This page lists the entries published in December 2012: there is also a table of months at the end of this page, and an index of all entries. Some entries are classified into one or more “categories” (indicated at the end of the entry itself), but this organization isn't very coherent. The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced before and after the text of the entry itself.

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Entries published in December 2012 / Entrées publiées en décembre 2012:

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(dimanche)

Méditations sur la taille de la Terre

Supposons que je sois perdu tel Robinson Crusoë sur une île déserte, sans aucun instrument de mesure précis : aurais-je un moyen d'estimer la taille de la Terre, ou au moins d'en connaître l'ordre de grandeur ?

On connaît sans doute la fameuse expérience d'Ératosthène qui consiste à mesurer la différence d'angle entre la position du Soleil au même moment à deux villes passablement éloignées et dont la distance est connue : cette expérience donne une bonne précision, mais évidemment, sur mon île, je n'ai pas le moyen de la mener. Comment faire ?

L'observation la plus classique permettant de démontrer que la Terre est ronde consiste à regarder un bateau apparaître à l'horizon et remarquer qu'on en voit le sommet du mât avant (ou après, si le bâteau s'éloigne) la coque. Mais si je vois un bâteau à l'horizon, je serai plus intéressé à l'appeler à l'aide qu'à mesurer la taille de la Terre.

h R R α α

Ce que je peux faire en principe, en revanche, c'est utiliser un coucher de Soleil. Le principe, où l'on suppose la Terre parfaitement ronde, est le suivant : si un point à l'infini est exactement sur l'horizon au niveau du sol, alors quand on le regarde depuis une hauteur h, ce point apparaît au-dessus de l'horizon d'un angle α tel que cos(α)=R/(R+h) où R est le rayon de la Terre, c'est-à-dire, plus exactement, que l'horizon est plus bas de cet angle α. Cet angle α est aussi l'angle, mesuré au centre de la Terre, entre la base du point d'où l'on observe, et la limite de visibilité (le point le plus loin qu'on puisse voir). Lorsque h est très petit devant R, ceci donne α=√(2h/R). Si on arrive à mesurer α, on connaît donc h/R.

La difficulté, évidemment, c'est que mesurer α va être très technique. On peut essayer d'attendre un coucher du Soleil, mettre ses yeux au niveau de l'eau (puisqu'on est sur une île), attendre l'instant exact où le Soleil a fini de disparaître à l'horizon, puis se redresser de toute sa hauteur et estimer la fraction du disque solaire qu'on voit remonter au-dessus de l'horizon (ce sera vraiment très grossier parce que l'angle α sera de l'ordre de 2′, ou quelque chose comme un quinzième du diamètre apparent du Soleil ; on peut aussi l'estimer en se faisant une idée du temps qu'il faut pour que le Soleil disparaisse de nouveau complètement depuis la hauteur qu'on a prise — ce sera de l'ordre d'une dizaine de secondes — mais ceci dépend bien sûr de la latitude de l'île, encore qu'on peut estimer celle-ci en cherchant l'élévation du pôle céleste autour duquel les étoiles semblent tourner ; une autre source d'imprécision sera la réalisation du niveau de la mer, parce qu'une erreur de quelques centimètres sur celui-ci donne facilement une erreur de quelques fractions de minute sur l'angle α). Tout de même, si on cherche simplement à avoir un ordre de grandeur très grossier sur R (ou plutôt, sur R/h), c'est déjà quelque chose. Peut-être qu'une meilleure mesure consisterait, si l'île est dotée de falaises, à regarder à quelle vitesse l'ombre de la nuit monte sur la falaise.

Je ne sais pas bien dans quelle mesure la valeur assez précise trouvée par Ératosthène pour la taille de la Terre était encore connue au Moyen-Âge ou à la renaissance. On s'imagine parfois que les gens au Moyen-Âge croyaient que la Terre était plate, c'est complètement faux et je ne sais pas d'où est sortie cette légende urbaine, qui va parfois jusqu'à suggérer l'idée totalement saugrenue que Christophe Colomb aurait navigué vers l'ouest pour prouver — ou parce qu'il était le seul à savoir — que la Terre était ronde, ce qui est tout de même assez stupide comme idée. Ce qui est sans doute plus vrai, c'est que Colomb croyait pour une raison ou une autre à une valeur fausse (i.e., nettement plus petite) de la taille de la Terre, alors que tout le monde voyait bien que c'était déraisonnable, sauf à supposer rencontrer un providentiel continent en chemin, de partir de Palos de la Frontera pour arriver à Cipango (qui mûrit le fabuleux métal en ses mines lointaines) par l'ouest.

Dans cet ordre de question, je me suis toujours demandé si lors de l'expédition de Magellan on avait pensé que les membres de l'expédition verraient s'écouler un jour de moins que ceux restés en Espagne. (L'article Wikipédia suggère que ce fait a causé une grande excitation et qu'on en a même fait part au pape : ça ne dit pas vraiment si on y avait pensé avant, si le fait était controversé, si c'était une véritable découverte, ou quoi encore.) Je pense que c'est la première manière dont on a pu se rendre compte, concrètement, de l'existence d'un décalage horaire entre les parties du globe (parce que les premières horloges suffisamment précises pour permettre d'estimer correctement la longitude ne sont venues qu'assez tard — en fait, la question qui se pose concrètement est de comparer d'une part la vitesse du bateau par rapport à la vitesse de la Terre et d'autre part la précision des meilleures horloges : ce n'est que quand le premier devient supérieur au second qu'on peut apercevoir concrètement un décalage horaire sans faire le tour de la Terre).

J'ai toujours trouvé assez fascinant de me demander quels phénomènes astronomiques, ou quels ordres de grandeur, on peut réussir à estimer, au moins grossièrement, par des expériences extrêmement simples. Notre Robinson Crusoë sera peut-être plus intéressé à estimer sa latitude (ou déjà à chercher, s'il ne le sait pas, dans quel hémisphère il se trouve, en voyant si le Soleil va plutôt de la gauche vers la droite ou de la droite vers la gauche dans le ciel) qu'à mesurer la taille de la Terre, mais admettons. Peut-on estimer d'autres choses ? Il semble qu'historiquement la taille de la Lune ait été estimée — par Aristarque de Samos — lors d'une éclipse de Lune : on peut alors remarquer que l'ombre de la Terre est très grossièrement trois ou quatre fois plus grosse que la Lune, ce qui donne à la fois un ordre de grandeur de sa taille et de sa distance (puisqu'on connaît son diamètre apparent) ; je ne vois pas trop d'autre moyen d'y arriver sans connaître les lois de Newton. Quant à la distance ou la taille du Soleil, je ne vois qu'une façon d'en obtenir une minoration (très très grossière) en constatant que lors d'un quartier de Lune (c'est-à-dire lorsque l'angle Soleil-Lune-Terre, mesuré à la Lune, est droit) la séparation angulaire entre le Soleil et la Terre (c'est-à-dire l'angle Soleil-Terre-Lune, mesuré à la Terre) est à peu près aussi droit qu'on peut le juger : ceci ne permet que de se rendre compte que le Soleil est beaucoup plus loin de la Terre que ne l'est la Lune, mais il semble que la première détermination à peu près précise de la distance Soleil-Terre n'a été faite qu'en 1672 par Cassini et Richer (par mesure du parallaxe de Mars entre Paris et Cayenne).

L'estimation, extrêmement grossière, de la distance à une étoile proche, a été faite une vingtaine d'années plus tard par Huygens en partant du principe que les étoiles avaient la même luminosité intrinsèque que le Soleil (ce qui est complètement faux en général, et assez faux pour l'étoile qu'il avait choisie, mais pas déraisonnable comme principe si on veut se faire une idée des distances cosmiques) : il a cherché à réaliser un trou dans un disque de métal d'une taille telle que le Soleil vu à travers ce trou soit à peu près de la même luminosité, jugée à l'œil, que Sirius ; c'est une estimation incroyablement difficile à faire, et de fait, Huygens s'est trompé d'un ordre de grandeur : il a trouvé que Sirius vu depuis la Terre était environ 30000² fois moins lumineux que le Soleil (i.e., qu'il fallait faire un trou de 1/30000 du diamètre apparent du Soleil pour obtenir la même luminosité) alors qu'en fait il est plutôt 100000² (c'est-à-dire 1010) fois moins lumineux ; comme en plus il ne savait pas que Sirius est intrinsèquement 25 fois plus lumineux que le Soleil, il a trouvé une distance Terre-Sirius de 30000 unités astronomiques (distances Terre-Soleil) au lieu de 540000 : mais peu importe, le principe de l'idée est absolument génial, et je ne vois pas comment on aurait pu faire mieux à son époque. (On a pu commencer à mesurer vraiment la distance aux étoiles en observant leur parallaxe, mais ça a été plus compliqué que prévu parce que Bradley, en cherchant à y arriver vers 1725, est d'abord tombé sur le phénomène d'aberration de la lumière.)

Je redescends sur Terre, ou du moins, plus près d'elle.

Parlons un peu de la station spatiale internationale. Beaucoup de gens s'imaginent sans doute qu'elle est très loin de la Terre, et que la raison pour laquelle les astronautes à l'intérieur sont en état d'impesanteur est que cette distance est suffisamment grande pour que la gravité soit très faible. C'est tout à fait faux : la station spatiale internationale est à une altitude très faible par rapport au rayon de la Terre (autour de 400km : c'est certes 50 fois la hauteur de la plus haute montagne du monde — le K2 — mais c'est à peine 6% du rayon de la Terre) : l'accélération de la gravité y est donc quasiment la même qu'à la surface (plus exactement, elle est 11% plus faible). La raison pour laquelle l'intérieur de l'ISS est en impesanteur est simplement le principe d'équivalence : la station spatiale est en chute libre (au sens où elle n'est soumise qu'à la gravitation), et plus exactement, en orbite, ainsi que tout ce qui est à l'intérieur.

Quelle est la vitesse (horizontale, bien sûr) de la station spatiale par rapport au sol ? En fait, l'altitude n'a guère d'importance vu qu'elle est faible, on pourrait se poser la question au niveau du sol : à quelle vitesse faut-il se déplacer à la surface de la Terre pour être en orbite au niveau du sol, c'est-à-dire, ne plus sentir de poids ? La réponse est simplement, à la vitesse v telle que l'accélération centrifuge ressentie du fait de parcourir le tour de la Terre à vitesse v compense justement l'accélération g de la pesanteur. C'est-à-dire v²/R = g ou v=√(R·g). Comme R vaut environ 6400km (soit 6.4×106m) et g vaut 9.8m/s², on en déduit une vitesse de 7900m/s (ou 28000km/h) : juste en allant tout droit à cette vitesse on est en état d'impesanteur. (Pour la station spatiale, c'est un chouïa moins, 7700m/s.) C'est amusant parce que, à un chiffre significatif, le calcul se fait vraiment de tête, sans rien savoir : je pense que c'est un bon test pour savoir si quelqu'un a compris sa physique de lycée, « quelle est la vitesse de la station spatiale internationale ». On peut aussi y arriver avec la troisième loi de Kepler ou avec le principe que, pour un objet en orbite circulaire, l'énergie cinétique égale −½ fois l'énergie potentielle gravitationnelle.

Et il y a un rapport avec la première chose que je racontais. En effet, mettons que je monte à une certaine hauteur h (très petite devant le rayon R de la Terre) : depuis cette hauteur, je vois le sol jusqu'à une distance d=√(2R·h) (c'est-à-dire R·α avec mes notations précédentes) ; eh bien cette distance est justement celle v·t que parcourt la station spatiale (ou du moins un objet en orbite au niveau du sol) dans le temps t=√(2h/g) qu'il faut pour qu'un objet en chute libre (sans frottements) tombe depuis la hauteur h. Pour dire ça de façon plus imagée : si je monte en haut d'une tour et que quand la station spatiale est à mon niveau je fais tomber une balle du haut de cette tour, la balle touche le sol au même moment que la station arrive au niveau de mon horizon de visibilité. Ce n'est pas un hasard : c'est justement ce que fait la station : de façon très imagée, elle est en chute libre et, pour compenser cette chute libre, elle doit se déplacer à juste la distance qu'il faut pour que la convexité de la Terre crée la même hauteur sous ses pieds.

Ça me fait penser à une autre égalité astucieuse un peu dans la même ligne de pensée : si la Terre s'arrêtait brutalement sur son orbite, combien de temps faudrait-il pour qu'elle tombât dans le Soleil ? (Je pose la question avec la Terre et le Soleil plutôt qu'avec un objet qui orbiterait la Terre au niveau de la surface, parce qu'il faut que la source de gravité soit ponctuelle.) La réponse est : à peu de choses près, trois mois. Pourquoi ? parce que la troisième loi de Kepler s'applique encore pour décrire la trajectoire elliptique dégénérée de la chute en question, dont le demi-grand-axe est quasiment le même que la trajectoire orbitale précédente, c'est-à-dire une distance Terre-Soleil, donc la période orbitale doit être la même, et le temps de tomber dans le Soleil correspond à un quart de période, i.e., le quart de douze mois. (Cette question avait été posée au Concours général de physique l'année où je l'avais passé, et j'avais été assez content de trouver cette réponse.) [Correction () : Je dois mal me rappeler la question, parce que, comme on me le signale en commentaire, j'ai mélangé grand-axe et demi-grand-axe dans cette histoire : la trajectoire de chute a un grand-axe égal au demi-grand-axe (rayon) de la trajectoire normale de la Terre (et par ailleurs le temps de chute est une demi-période), donc on ne peut plus rien dire d'intelligent (à moins d'invoquer la relation précise dans la troisième loi de Kepler, ce qui fait 3/√2 mois, mais n'est clairement pas l'esprit donc le problème devait être différent ; peut-être qu'il s'agissait simplement de trouver un ordre de grandeur).]

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(vendredi)

Mes projets de dictateur fou

Si un jour je deviens Maître du Monde et Dictateur de la Terre (ce n'est pas dans mes plans immédiats, ça a l'air plutôt pénible comme boulot, mais on ne sait jamais, je garde toujours un CV au chaud des fois que), j'ai quelques projets de grandeur à réaliser, au chapitre des grands travaux du régime :

  • Creuser un tunnel sous le détroit de Béring, de manière à pouvoir ensuite réaliser une ligne de chemin de fer à grande vitesse entre Le Cap et Ushuaïa (en passant par Le Caire, Téhéran, Oulan-Bator, Vancouver, Mexico, Panamá, Lima et Santiago).
  • Construire une tour haute de 250m au sommet du K2 — la deuxième plus haute montagne du monde — de manière à le rendre plus haut que l'Everest. La tour servira d'hôtel six étoiles (pressurisé et climatisé, évidemment), et au 75e étage j'insisterai pour faire installer une piscine avec jacuzzi.
  • Et toujours dans le rayon des piscines, et dans l'esprit du Dubaï Ski Resort : mettre une piscine olympique, chauffée (et éclairée en hiver), exactement au pôle sud. J'envisage un solarium et des grandes serres tropicales juste à côté, aussi.

J'ai éventuellement d'autres idées, comme une ville flottante (ça c'est juste piqué à Jules Verne) de la taille de Paris, mais ces trois projets-là sont les plus importants. Je me demande à combien il faudrait les chiffrer, et lequel est le plus (resp. le moins) irréaliste des trois.

Un peu plus sérieusement, je me sers de ces exemples lorsque des gens me parlent de terraformer d'autres planètes : je leur dis, écoutez, je prendrai les projets pour habiter Mars un peu plus au sérieux quand ces petites broutilles auront été faites et plus généralement que des humains habiteront en nombre en Antarctique, qui reste très largement plus hospitalier que Mars — parce que pour l'instant, malgré le réchauffement climatique, je ne trouve pas encore de fraises antarctiques (antarctiquiennes ?) en vente dans mon supermarché, ni de représentant du continent aux épreuves de natation des JO.

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(jeudi)

Pourquoi les Allemands se passionnent-ils pour les culs-de-sac ?

Et voici le mystère de l'année. Quelqu'un a compilé les pages les plus consultées sur Wikipédia en 2012 dans différentes langues. Beaucoup d'entre elles sont peu surprenantes : en anglais la plus consultée est celle sur Facebook, sans doute entre autres parce que des gens cherchent Facebook sur Google et clickent sur le mauvais résultat ou quelque chose du genre (il suffit que ça se produise une fois sur N pour que la page obtienne déjà un nombre impressionnant de visites) ; on consulte beaucoup les pages sur les pays ; beaucoup de gens (i.e., d'adolescentes ou de jeunes homos ☺️) dans beaucoup de langues s'intéressent au boyz band One Direction ; etc.

Et puis il y a des choses vraiment surprenantes, par exemple le fait que la page la plus consultée de Wikipédia en français en 2012 soit celle sur le houx crénelé, qui sous le nom Ilex crenata aurait été vue plus de quatre millions de fois pendant une semaine en début avril : poisson d'avril ? référence faite dans un grand journal ou à la télé ? robot devenu fou ? blague de 4chan ?

Allez comprendre, aussi, pourquoi la page en allemand sur la lettre G reçoit des dizaines de milliers de consultations par jour (sauf le 11 décembre où il y a eu un grand creux) alors que les autres lettres ne semblent pas bénéficier d'un tel engouement. Ou pourquoi la page la plus consultée de la Wikipédia en néerlandais en 2012 est celle sur une montagne en Chine, environ douze fois plus visitée que la page sur les Pays-Bas eux-mêmes, et sans que les dernières statistiques d'accès donnent la clé (le pic des tout derniers jours est sans doute du à la publication du document que je commente).

Mais je crois que la plus bizarre de toutes est la page en allemand sur les Sackgassen, autrement dit, les impasses, qui aurait été vue 10 millions de fois en 2012 : cette page n'a rien d'intéressant ou de remarquable, la page de discussion associée ne laisse aucune idée sur la cause d'un tel intérêt, et surtout, l'histogramme des statistiques (par exemple ici pour octobre) présente une régularité incroyable avec des dizaines de milliers de consultations par jour du lundi au vendredi et presque rien le week-end. Autant on peut soupçonner que certaines des autres bizarreries notées sont des erreurs de décompte, autant il est invraisemblable qu'un bug puisse produire des variations de ce genre.

[Ajout () : On suggère que Sackgasse pourrait être simplement dû à une traduction de One Direction (one way [street] ?). Mais ça n'explique pas le motif hebdomadaire des accès.]

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(samedi)

Le fastidieux apprentissage du nombre zéro

En ce jour de 13.0.0.0.1 du Compte Long maya (qui, contrairement à ce que certains racontent sans rien savoir, n'est pas du tout terminé et n'a même pas cyclé : précisions ici et  ; c'est juste le chiffre le plus élevé qui est passé hier de 12 à 13), les anciens Mayas ont un message important à nous faire parvenir, un point sur lequel ils étaient incroyablement en avance sur nous :

Ils connaissaient le zéro.

[Stupid people: y u no understand zero?]Je ne veux pas juste dire qu'ils connaissaient le chiffre zéro dans le cadre d'un système positionnel pour écrire les nombres, je parle aussi — et plus généralement — du nombre zéro. Par exemple, ils avaient la bonne idée de numéroter les jours dans un mois à partir de 0, alors que nous autres en sommes encore à numéroter comme des cons les jours du mois à partir de 1, les mois de l'année à partir de 1 et les années à partir de 1 (avec ce système inimaginablement stupide où l'année 1-avant-notre-ère est suivie de l'année 1-de-notre-ère, ce qui veut dire qu'il ne faut surtout pas les appeler −1 et +1 mais ~1 et 1 ou quelque chose comme ça). Et aussi les siècles à partir de 1, ce qui fait que notre siècle courant porte le numéro XXI alors que l'année commence par 20. Quelle connerie !

Bon, il y a quand même eu un progrès depuis l'antiquité. Les Anciens étaient apparemment tellement obstinés dans l'idée que le zéro n'existait pas qu'ils disaient dans huit jours (i.e., au huitième jour) pour dire dans sept jours, comptant à la fois le jour présent et le jour d'arrivée. Par exemple, quand (dans le crédo de Nicée-Constantinople) Jésus est dit être ressuscité le troisième jour (tertia die, τῇ τρίτῃ ἡμέρᾳ), il faut comprendre : deux jours plus tard (il est crucifié le vendredi, il ressuscite le dimanche). Et nous continuons d'ailleurs à dire une quinzaine ou dans quinze jours pour parler de quatorze jours (et même dans huit jours pour dire dans sept).

Dès qu'on a fait un peu d'informatique, on comprend la vertu de compter à partir de zéro : le premier élément d'un tableau doit porter l'indice 0, le suivant l'indice 1, etc. Et le nombre d'éléments du tableau est le plus petit indice non utilisé. Ceci permet de faire beaucoup mieux marcher un nombre incroyable de formules. Que soient maudits les langages de programmation qui numérotent leurs tableaux à partir de 1 et causent ainsi des confusions sans fin !

Par chance, nos minutes et secondes sont numérotées, à l'intérieur d'une heure, à partir de 0. Je n'ose imaginer la confusion si ce n'était pas le cas. Les heures sont aussi numérotées à partir de 0 si on compte sur 24 heures : en revanche, les civilisations retardées qui continuent à compter sur 12 heures s'obstinent à commencer leur journée à 12AM pour passer ensuite à 1AM, 2AM, 3AM, etc., jusqu'à 11AM puis 12PM, 1PM, 2PM, etc. Quel système merdique !

Le problème est que l'incompréhension du zéro est enracinée de façon assez profonde dans notre culture. Pour commencer, l'indexation ordinale des items dans une série se dit, en français et de façon analogue dans toutes les langues que je connais : premier, deuxième, troisième, etc. Alors qu'on devrait commencer par un dérivé du nombre zéro (la personne la mieux placée à un concours devrait s'appeler zéroième). Les ordinaux au sens mathématique ne marchent correctement que si on les commence à zéro. Mais du coup, si quelque chose est numéroté (correctement) à partir de zéro, on ne sait jamais si l'item numéroté 3 doit s'appeler le quatrième (en suivant la convention usuelle du français) ou le troisième (pour éviter un décalage inutile).

De même, la façon logique de désigner les nombres 6, 7, 8, 9, 10 (par exemple) serait de dire les nombres de 6 à 11 avec la convention qu'une borne est toujours incluse et l'autre toujours exclue : de cette manière, le nombre d'items s'obtient en faisant simplement 11−6=5. Mais notre habitude d'inclure toutes les bornes rend le décompte plus pénible : il faut ajouter 1 à la différence, et on ne s'y retrouve plus.

Il y a au moins une chose qui est bien, c'est la numérotation des étages : en français, on parle de rez-de-chaussée puis de premier étage (et dans l'autre sens, premier sous-sol), ce qui signifie que le rez-de-chaussée est associé implicitement au numéro zéro. Pour compter le nombre d'étages dont on doit descendre pour aller du troisième sous-sol au quatrième étage, on fait donc 3+4=7. Les gens qui n'ont pas compris le zéro et qui appellent premier étage celui qui est au niveau de la rue doivent soustraire 1.

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(vendredi)

Quelques remarques sans intérêt sur la géographie sphérique

On a souvent du mal à visualiser la géométrie d'une sphère, et en particulier la géographie de la Terre telle qu'elle est vraiment. Je pense notamment aux points qui sont quasiment antipodaux : les gens sont censés savoir que pour aller aux antipodes on peut partir en ligne droite dans n'importe quelle direction et on devra parcourir la même distance (en oubliant que la Terre n'est pas exactement une sphère) ; mais si on présente la chose de façon epsilonesquement différent, j'ai remarqué que cela provoquait souvent une certaine surprise : pour aller aux antipodes en passant par, disons, Rio, il suffit (1) d'aller en ligne droite à Rio, puis (2) de continuer tout droit dans la même direction et on arrive à l'endroit voulu.

Notamment, comme Madrid et Wellington sont quasiment aux antipodes l'une de l'autre, je peux demander pourquoi il n'existe pas un vol « Madrid-Wellington avec escale à Rio » et quand je suggère ça on a tendance à me répondre que ce serait un sacré détour, ce qui est évidemment idiot : on peut aller de Madrid à Wellington en passant par n'importe où sans faire énormément de détour. (La vraie raison, évidemment, c'est que les avions ne suivent pas exactement des grands cercles, qu'on va beaucoup plus vite en allant vers l'est à cause des jet streams, et que par ailleurs la demande commerciale n'est bien sûr pas la même pour toutes les destinations.)

Encore une autre variante de ce « paradoxe des antipodes » est que, toujours parce que Madrid et Wellington sont antipodaux, le chemin le plus court pour aller à Wellington consiste à s'éloigner de Madrid. Donc pour aller en ligne droite de Paris à Wellington, on part en gros vers le nord-est (le cap initial est de 38° ; on passe par le sud de la Suède et le sud du Japon), pour aller de Dublin à Wellington on part quasiment plein nord (cap 356° : on passe par l'est du Groënland et le détroit de Bering), tandis que pour aller de Casablanca à Wellington, on part vers le sud-sud-ouest (cap initial de 193° ; on passe par la Guinée et l'Antarctique). Je pense que quasiment tout le monde aurait une réaction initiale fausse quant à ces directions, si on ne pense pas à réfléchir à l'antipode.

Le fait est surtout qu'on a tellement vu des projections de Mercator qu'on se figure souvent que les parallèles sont des droites alors que ce sont des cercles (d'autant plus courbés qu'ils sont éloignés de l'équateur) : si on va perpétuellement droit vers l'est, on ne suit pas une droite, mais on tourne soit vers la gauche (si on est dans l'hémisphère nord) soit vers la droite (si on est dans l'hémisphère sud). Ou a contrario : si on part droit vers l'est et qu'on continue tout droit, on finit par couper l'équateur — au bout d'une distance qui, d'ailleurs, c'est amusant, ne dépend pas du point de départ, c'est toujours un quart de circonférence de la Terre, soit assez précisément 10000km : on coupe l'équateur à un point situé 90° de longitude plus loin, et avec un angle égal à la latitude du point de départ, ce qui peut aider à visualiser comment les choses sont foutues. Par exemple, Madras Chennai est pratiquement directement à l'est de Paris en ligne droite (et Teheran se trouve en chemin ; et en continuant encore plus loin on arrive en Tasmanie), et Panamá est pratiquement directement à l'ouest : je pense que la plupart des Parisiens n'imaginent pas trop Chennai et Panamá dans ces directions-là.

On a aussi tendance à très mal imaginer les distances, toujours à cause de Mercator : prenez le point le plus au nord de la Russie continentale (au nord de la chaîne Byrranga) : il est quasiment deux fois plus près de Paris que Le Cap (5000km contre 9300km), mais la projection de Mercator donnera facilement l'impression du contraire.

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(dimanche)

La petite famille s'agrandit (encore et toujours)

[Peluches]Juste pour embêter les gens qui trouvent que les couples homosexuels ne devraient pas pouvoir adopter, nous accueillons deux nouveaux membres dans notre petite famille, tous deux du genre Balænoptera : voici donc, de gauche à droite, Coinky (le poussin obèse), Daisy (la vache-bouboule toute contente), Naughty (le chat tout plat un peu grognon), Mozzy (le lézard navigateur un peu instable), Dotty (la vache placide et débonnaire), Squishy (la baleine bleue patapouf), Mini-Bluby (la petite baleine souriante) et Bluby (la moyenne baleine souriante).

L'histoire de Mini-Bluby, c'est que nous étions à Bordeaux pour la soutenance de thèse du poussinet (qui est maintenant un Docteur Poussinet, donc), que nous sommes passés devant le magasin où il avait recueilli Bluby trois ans plus tôt (quand il venait de commencer sa thèse), et que nous avons vu qu'elle avait des petites cousines. Le plus épatant, c'est que la vendeuse se souvenait du poussinet ! Il faut croire que ce n'est pas souvent que des adultes y achètent des peluches pour eux-mêmes (ou en tout cas, qu'ils l'avouent).

Quant à Squishy, on la voit mieux ici. C'est marqué sur l'étiquette qu'elle convient aux enfants de 3 à 200 ans, alors nous rentrons pile-poil dans l'intervalle. Il faut reconnaître qu'elle est un chouïa encombrante, mais bon, qu'est-ce que vous voulez, c'est une baleine bleue… Et mon poussinet n'arrêtait pas de l'admirer sur le site de Squishable, alors j'ai fini par lui dire de l'acheter.

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(samedi)

Ce que « vrai » veut dire en mathématiques

Une des difficultés que rencontrent les gens qui font un peu de logique mathématique mais qui n'en ont pas trop l'habitude — et une difficulté qui sous-tend beaucoup de discussions sur la philosophie des mathématiques — c'est que les gens ne savent plus ce que « vrai » veut dire. Par exemple, quand on discute du théorème de Gödel ou de la différence entre l'ensemble des théorèmes de l'arithmétique de Peano et l'ensemble des énoncés vrais de l'arithmétique, ceci cause souvent un certain malaise (voir par exemple la note #2b de l'entrée précédente). J'ai souvent tourné autour de cette question dans ce blog, mais je n'ai jamais essayé de présenter les choses de façon synthétique. En réponse à une question, je vais donc essayer de dissiper la confusion (ce qui me permettra de renvoyer à la présente entrée quand la question se reposera à l'avenir).

(Eh oui, ce qui suit est très long. Je croyais avoir trois fois rien à raconter, et une fois de plus j'ai pondu des pages… et des pages… et des pages, en essayant de « parler » à la fois à plusieurs niveaux d'expertise différents. J'ai mis en plus petits caractères les passages qui sont une digression par rapport à l'essentiel de mon propos, mais de façon générale j'ai essayé de faire en sorte qu'on puisse comprendre un passage même en ayant lu ce qui précède en diagonale. Peut-être que j'aurais dû publier tout ça sous forme de feuilleton, en plusieurs entrées de blog, mais je trouvais que ça nuisait à la cohérence de l'ensemble.)

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(lundi)

Problème de l'arrêt de problème de Post

Je voudrais à nouveau tenter un peu de vulgarisation autour de la calculabilité, cette fois-ci pour parler du problème de Post dont je regrette qu'il soit trop mal connu des matheux et informaticiens. Bon, déjà le nom pose une difficulté, parce qu'il y a deux choses différentes connues sous le nom de problème de Post (pas totalement sans rapport, toutes les deux du domaine de la calculabilité et liées au problème de l'arrêt, mais néanmoins bien distinctes). Celle dont je ne veux pas parler est le problème de correspondance de Post : comme ce dernier est nettement plus connu que le problème de Post dont il est question ici, cela cause un certain nombre de confusions désagréables. Une autre difficulté tient de façon plus générale à la terminologie du domaine (comme le faisait remarquer il n'y a pas longtemps mon ami David Monniaux) : ce qu'on appelle problème décidable s'appelle aussi ensemble récursif (et problème semi-décidable aussi ensemble récursivement énumérable). Bref, essayons d'y voir plus clair.

D'abord, il faut expliquer ce qu'on entend par un problème de décision : en bref, c'est une question mathématique bien définie et dont la réponse doit être oui ou non. En un peu plus précis, c'est un problème qui prend en entrée une donnée finie (c'est-à-dire, par exemple, un entier, ou une chaîne finie de caractères, ou une donnée combinatoire finie par exemple un graphe) et qui doit répondre à une question mathématiquement précise sur cette donnée. Un exemple de tel problème serait : le nombre p que voici (la donnée du problème) est-il un nombre premier ? Ou encore : exise-t-il un circuit hamiltonien dans le graphe que voici ? Il est toujours possible — c'est même la définition ce que j'entends par donnée finie — de coder[#] la donnée sous la forme d'un entier naturel (par exemple, une chaîne de caractères peut se coder comme une suite finie d'entiers, et une suite finie d'entiers peut elle-même se coder sous la forme d'un entier par exemple en utilisant la décomposition en facteurs premiers ou diverses manipulations sur l'écriture binaire ou décimale). À cause de ça[#2], on peut tout simplement considérer qu'un problème de décision est un ensemble d'entiers naturels : le problème est alors simplement de savoir si tel ou tel entier donné appartient ou non à l'ensemble. On peut aussi préférer considérer — de la même manière — qu'on a affaire à un ensemble de chaînes (finies) de caractères, ce qu'on appelle un langage : les notions de problème de décision, d'ensemble d'entiers naturels, ou de langage, sont essentiellement équivalentes.

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