On a souvent du mal à visualiser la géométrie d'une sphère, et en particulier la géographie de la Terre telle qu'elle est vraiment. Je pense notamment aux points qui sont quasiment antipodaux : les gens sont censés savoir que pour aller aux antipodes on peut partir en ligne droite dans n'importe quelle direction et on devra parcourir la même distance (en oubliant que la Terre n'est pas exactement une sphère) ; mais si on présente la chose de façon epsilonesquement différent, j'ai remarqué que cela provoquait souvent une certaine surprise : pour aller aux antipodes en passant par, disons, Rio, il suffit (1) d'aller en ligne droite à Rio, puis (2) de continuer tout droit dans la même direction et on arrive à l'endroit voulu.
Notamment, comme Madrid et Wellington sont quasiment aux antipodes l'une de l'autre, je peux demander pourquoi il n'existe pas un vol « Madrid-Wellington avec escale à Rio » et quand je suggère ça on a tendance à me répondre que ce serait un sacré détour, ce qui est évidemment idiot : on peut aller de Madrid à Wellington en passant par n'importe où sans faire énormément de détour. (La vraie raison, évidemment, c'est que les avions ne suivent pas exactement des grands cercles, qu'on va beaucoup plus vite en allant vers l'est à cause des jet streams, et que par ailleurs la demande commerciale n'est bien sûr pas la même pour toutes les destinations.)
Encore une autre variante de ce « paradoxe des antipodes » est que, toujours parce que Madrid et Wellington sont antipodaux, le chemin le plus court pour aller à Wellington consiste à s'éloigner de Madrid. Donc pour aller en ligne droite de Paris à Wellington, on part en gros vers le nord-est (le cap initial est de 38° ; on passe par le sud de la Suède et le sud du Japon), pour aller de Dublin à Wellington on part quasiment plein nord (cap 356° : on passe par l'est du Groënland et le détroit de Bering), tandis que pour aller de Casablanca à Wellington, on part vers le sud-sud-ouest (cap initial de 193° ; on passe par la Guinée et l'Antarctique). Je pense que quasiment tout le monde aurait une réaction initiale fausse quant à ces directions, si on ne pense pas à réfléchir à l'antipode.
Le fait est surtout qu'on a tellement vu des projections de
Mercator qu'on se figure souvent que les parallèles sont des droites
alors que ce sont des cercles (d'autant plus courbés qu'ils sont
éloignés de l'équateur) : si on va perpétuellement droit vers l'est,
on ne suit pas une droite, mais on tourne soit vers la gauche
(si on est dans l'hémisphère nord) soit vers la droite (si on est dans
l'hémisphère sud). Ou a contrario : si on part droit vers l'est et
qu'on continue tout droit, on finit par couper l'équateur — au bout
d'une distance qui, d'ailleurs, c'est amusant, ne dépend pas du point
de départ, c'est toujours un quart de circonférence de la Terre, soit
assez précisément 10000km : on coupe l'équateur à un point situé 90°
de longitude plus loin, et avec un angle égal à la latitude du point
de départ, ce qui peut aider à visualiser comment les choses sont
foutues. Par exemple, Madras Chennai est
pratiquement directement à l'est de Paris en ligne droite (et
Teheran se trouve en chemin ; et en continuant encore plus loin on
arrive en Tasmanie), et Panamá est pratiquement directement à
l'ouest : je pense que la plupart des Parisiens n'imaginent pas
trop Chennai et Panamá dans ces directions-là.
On a aussi tendance à très mal imaginer les distances, toujours à cause de Mercator : prenez le point le plus au nord de la Russie continentale (au nord de la chaîne Byrranga) : il est quasiment deux fois plus près de Paris que Le Cap (5000km contre 9300km), mais la projection de Mercator donnera facilement l'impression du contraire.