Il y a quelques mois, alors que la première vague de covid-19 était en cours en France et pour l'essentiel en Europe (voire dans le monde), j'avais tenté quelques spéculations sur ce qui arriverait par la suite. Maintenant qu'une seconde vague épidémique est en train de se produire, il est temps de revisiter ces spéculations.
(Petite note typographique et linguistique : on
m'a convaincu
de retirer
la majuscule à covid
, qui effectivement n'en mérite pas
plus que la grippe ou le rhume. Pour ce qui est du genre grammatical
de ce mot en français,
j'ai décidé
d'écrire de façon plus ou moins aléatoire le
ou la
, et
même pas de manière cohérente au sein d'un texte, juste pour provoquer
les gens qui ont un avis très tranché sur cette question,
c'est-à-dire, ceux qui n'arrivent pas à comprendre le concept
de l'un ou l'autre se dit ou se disent
en matière de
langage.)
Les choses sur lesquelles j'ai eu raison, ou je pense avoir eu
raison, dans ce texte (mais bon, elles n'étaient pas bien difficiles à
voir et j'étais loin d'être le seul à les dire) est qu'il y aurait
environ 30 000 morts lors de la première vague, que les mécanismes de
suivi des contacts seraient un échec complet (mais je n'ai pas été
clair : je pensais au suivi par smartphone, pas au traçage manuel),
que le nombre et la disponibilité des tests serait amélioré mais
resterait insuffisant, que ce qui marcherait le mieux est la
distanciation sociale causée par la peur, et, qu'au bout d'un moment,
il y aurait une seconde vague, mais progressant plus lentement que la
première et avec une létalité
moindre[#0]. Il y a des points
qui restent
encore tout à fait incertains ou discutables. J'écrivais qu'on en
saurait de plus en plus de choses sur les modes réels de
contamination, ce qui est partiellement vrai, mais ça reste décevant :
il semble que les peurs de contamination par les surfaces (qui ont
conduit à mettre du gel hydro-alcoolique partout) étaient exagérées
(se laver les mains régulièrement est bien, mais il n'est pas utile de
désinfecter ses courses en rentrant du supermarché), mais concernant
la transmission du virus dans l'air ou l'efficacité du port des
masques on reste scandaleusement ignorants
(cf. aussi ceci).
Le principal point sur lequel j'ai eu tort, c'est quand j'écris que la
seconde vague commencerait peu après
la levée du confinement :
il a fallu deux ou trois mois (ce n'est pas très clair quand il faut
la faire commencer), je pensais que ça viendrait plus vite. J'ai
trouvé ça vraiment mystérieux que l'épidémie s'obstinait à ne pas
repartir en juin, puis en juillet, et même encore début août.
[#0] Ajout
() : Dans mon texte d'avril,
j'écrivais comme les protocoles médicaux seront un peu mieux rodés,
les options thérapeutiques un peu mieux connues et les mystères
entourant la maladie un peu dissipés, cette seconde vague enregistrera
un taux de létalité plus faible
. Il y a d'autres raisons à la
létalité plus faible (population touchée plus jeune notamment,
cf. ci-dessous), mais il semble bien
que la
meilleure prise en charge joue un rôle important.
Maintenant je pense que mon analyse était substantiellement correcte : l'immunité acquise lors de la première vague n'était pas suffisante pour arrêter durablement l'épidémie ; elle a été suppléée pendant un temps par le fait que les gens ont pris peur (pour eux ou pour leurs proches) et se sont tenus à distance les uns des autres ; mais cette peur s'est largement dissipée et, fatalement, l'épidémie reprend (en commençant par ceux qui ont le moins peur, donc globalement les moins à risque, ce qui est plutôt une bonne chose car en devenant immuns ils protégeront les autres).
Globalement, je ne crois pas du tout, et je l'ai plusieurs fois répété ici, à l'idée qu'on puisse arrêter durablement une épidémie par des mesures comportementales (distanciation sociale, par exemple) : à moins d'éradiquer complètement le pathogène, ce qui n'est plus envisageable s'agissant de SARS-CoV-2 (alors qu'on a apparemment réussi pour SARS-CoV-1), l'épidémie repartira toujours, parce que les mesures comportementales tiennent un petit moment, puis les gens reprennent leurs habitudes. Qu'on cherche à imposer ces changements par la contrainte (le confinement en étant le cas le plus violent) ou par la pédagogie, ce n'est pas tenable dans la durée — ou alors il faut arriver à un changement réel des mentalités voire de la société, mais celui-ci prend plus de temps que l'épidémie n'en laisse. Il me semble donc inévitable que l'épidémie persiste jusqu'à ce qu'il y ait suffisamment d'immunisés pour qu'elle reflue. (Ce nombre est vraiment difficile à calculer pour les raisons que j'ai déjà expliquées. Mais comme de toute façon on continue à n'avoir qu'une très mauvaise idée du nombre d'immunisés, que les tests sérologiques IgG ne détectent que très mal, parce que l'immunité c'est compliqué et que tout le monde ne fait pas des anticorps, connaître ce seuil ne servirait pas tant que ça.)
Bien sûr, on peut espérer qu'un vaccin aide à atteindre ce nombre d'immuns (la vitesse à laquelle le développement se fait est assez impressionnante, il faut bien le dire), mais je pense que c'est surestimer à la fois la vitesse à laquelle on peut les développer + tester + distribuer, l'efficacité qu'auront sans doute les premiers vaccins et surtout la proportion de la population qu'on arrivera à vacciner, que d'espérer que ce soit un game changer spectaculaire.