David Madore's WebLog: 2024-12

Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le reste de ce site web, parle de tout et de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait), des maths à la moto et ma vie quotidienne, en passant par les langues, la politique, la philo de comptoir, la géographie, et beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas, ainsi que d'occasionnels rappels du fait que je préfère les garçons, et des petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le nom collectif de fragments littéraires gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes traduites dans les deux langues) ; il est maintenant presque exclusivement en français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut). Cette page-ci rassemble les entrées publiées en décembre 2024 : il y a aussi un tableau par mois à la fin de cette page, et un index de toutes les entrées. Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs « catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le texte de l'entrée elle-même.

You are on David Madore's blog which, like the rest of this web site, is about everything and anything (mostly anything, really), from math to motorcycling and my daily life, but also languages, politics, amateur(ish) philosophy, geography, lots of ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders of the fact that I prefer men, and some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the collective name of gratuitous literary fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning (some entries were in English, others in French, and a few translated in both languages); it is now almost exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top). This page lists the entries published in December 2024: there is also a table of months at the end of this page, and an index of all entries. Some entries are classified into one or more “categories” (indicated at the end of the entry itself), but this organization isn't very coherent. The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced before and after the text of the entry itself.

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Entries published in December 2024 / Entrées publiées en décembre 2024:

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(jeudi)

Des stylos et des couleurs il faut bien discuter

Il m'arrive bien sûr souvent de parler dans ce blog de sujets légers et frivoles comme le passage du temps ou le déclin des libertés fondamentales ou le réchauffement climatique ou même pourquoi l'Univers existe, mais de temps en temps il faut bien que je dise un mot des choses vraiment importantes et profondes, comme le choix des couleurs des stylos de la marque Pilot.

C'est un fait que j'aime bien écrire : pas juste aligner des mots comme ceux-ci que je tape avec un clavier, mais faire le mouvement d'écrire des caractères sur un vrai papier avec un vrai stylo. J'ai bien essayé l'écriture à la tablette graphique, et question écriture c'est effectivement plaisant (et ça me donne accès à un nombre illimité de couleurs avec lesquelles écrire, et je peux ensuite imprimer le PDF que j'ai écrit, et le résultat est très satisfaisant[#]), mais il présente le problème pratique qu'il faut avoir le matériel informatique avec soi, ce qui est quand même plus délicat qu'un tas de stylos et un bloc de papier, et aussi qu'on est limité dans ce qu'on peut relire par la taille de l'écran, contrairement à du papier où on peut étaler trois ou quatre feuilles simultanément sous ses yeux.

[#] Le PDF directement écrit à la tablette a aussi l'avantage d'être nativement vectoriel, alors que je ne sais toujours pas quoi faire d'un scan d'un texte manuscrit pour le rendre agréable (l'image de page manuscrite ci-dessous, par exemple, est une bête image rasterisée ; il y a peut-être moyen d'en tirer un PDF vectoriel, mais au mieux c'est fastidieux et pas quelque chose que je pourrais raisonnablement faire de façon automatisée pour toutes les maths que j'écris sur papier).

[Page de maths manuscrites]Bref, quand il s'agit de réfléchir à des questions de maths (et pas uniquement pour ça, mais notamment pour ça), j'aime vraiment sortir un bloc de papier et des stylos. Souvent plusieurs papiers[#2], d'ailleurs : ne serait-ce qu'un brouillon et un papier sur lequel je rédige de façon à pouvoir me relire ultérieurement. (Parfois même avec plusieurs niveaux de « propreté », c'est-à-dire que je réécris encore plus proprement ce que je viens de trouver/vérifier quand j'en suis un peu content, histoire de le revérifier et que ce soit plus clair plus tard.)

[#2] Papiers ou cahiers, d'ailleurs, parce qu'il y a quelque chose de satisfaisant à écrire dans un cahier qui aurait une unité thématique. Mais à ce moment-là j'ai toujours un peu la peur de l'énervement qui va avec le fait d'avoir « gâché » un cahier par une page dont on n'est pas content (j'aime bien les grands Koverbook de Clairefontaine, par exemple, parce que les pages sont détachables, donc on peut retirer celles dont on n'est pas content).

Obiter : Sur le sens ou l'intérêt de la réflexion ci-contre, voir ici sur Twitter ou ici sur Bluesky.

Mais quels stylos ? C'est là que ça se complique. D'une part, j'aime bien trouver des stylos qui me donnent une jolie écriture. Enfin, joli est tout relatif, mais disons qu'avec un Bic j'ai une écriture vraiment très moche, avec un stylo à encre gel, nettement moins (cf. ci-contre). Il y a une question d'épaisseur, aussi : un compromis à trouver entre trop épais ⇒ impossible d'écrire petit et on manque vite de place sur la feuille et trop fin ⇒ conduit à écrire en pattes de mouche.

Et j'aime bien avoir plusieurs couleurs à ma disposition. Pas trop, parce qu'il faut qu'elles contrastent raisonnablement bien les unes avec les autres. Mais quand même un certain nombre. Je me fais des conventions quand j'écris des maths : le rouge me sert à écrire la date et l'heure (toujours en haut à droite au format ISO-8601, pour faciliter le tri après coup) et aussi à barrer des choses complètement fausses ou à souligner quelque chose de très important ; le vert me sert souvent à écrire la question principale à laquelle je vais réfléchir ; le bleu sert aux définitions et énoncés principaux, le noir à la réflexion et aux démonstrations ; et les autres couleurs éventuelles (rose, violet, cyan) me servent à des choses comme des annotations, des exemples, des remarques complémentaires. Varier les épaisseurs peut aussi être agréable quand je veux mettre des choses plus ou moins en relief ou au contraire les marquer comme des sortes de digressions.

J'ai essayé différentes sortes de stylos. Par exemple, à un certain moment j'avais opté pour les stylos à encre gel de Muji (無印良品) qui existent (existaient ?) en 15 couleurs différentes, mais finalement je n'étais pas si content, parce qu'ils se bouchent facilement (et ensuite il n'y a plus rien à en tirer), et je ne suis pas très content de l'écriture qu'ils me donnent. Et les 15 couleurs ne sont pas si utiles parce que certaines sont quasi invisibles et d'autres sont peu évidentes à discerner.

[Divers stylos Pilot]Finalement (mais il n'est pas exclu que je change d'avis ultérieurement), j'ai opté pour les stylos de la marque Pilot. Spécifiquement : les V5 Hi-Tecpoint (le V5 signifie qu'ils sont d'épaisseur 0.5mm), les V7 Hi-Tecpoint (donc de 0.7mm), et les V Sign Pen (encore plus épais, là ce sont carrément des sortes de feutres).

L'avantage des outils d'écriture, c'est qu'à moins d'aller chercher dans les stylos plumes de luxe (qui, franchement, ne m'intéressent pas), ça reste vraiment à la portée de mes moyens[#3]. Ce n'est pas complètement négligeable, non plus, parce que si je tiens à me faire un pack avec chaque combinaison disponible (couleur, épaisseur), plus encore des choses comme un ou deux porte-mine, une gomme, une petite règle, quelques Bic (ou un quatre couleurs) parce que quand même ça peut servir aussi, et éventuellement des surligneurs ou une paire de ciseaux, et surtout, que je veux avoir un exemplaire d'un tel lot à chaque endroit où je risque d'avoir envie d'écrire, donc un devant mon ordinateur, un sur mon bureau chez moi, un dans une trousse[#4] chez moi au cas où je décide de travailler dans le salon, un chez ma maman, un dans mon bureau à Télécom, un autre dans une trousse à Télécom au cas où je décide de travailler en bibliothèque, un dans une trousse dans mon sac à dos, idem dans un autre sac, etc., ça finit par faire beaucoup de stylos, finalement, et il faut compter un stock de rechange aussi, parce que de temps en temps il y en a qui se bouchent[#5], même à quelques euros le stylo ce n'est pas complètement insignifiant au bout du compte.

[#3] J'aime bien flâner dans les papeteries et acheter toutes sortes de trucs qui ne me serviront à rien. Ça tombe bien, il y a un Rougier & Plé qui a ouvert au centre Italie 2 à côté de chez moi, et il y a un Office Dépôt pas loin. (Notez que ceci n'est pas un appel du pied à ce qu'on m'offre des accessoires d'écriture pour Noël : d'abord parce que je suis très difficile et que c'est délicat de savoir ce qui me plaira, et d'autre part parce que le plaisir de flâner dans une papeterie est justement de décider ce que je veux acheter.)

[#4] Ce que je veux dire c'est qu'en plus des stylos qui sont posés tout prêts à servir sur le bureau, j'en ai aussi un lot dans une trousse que je prends quand je veux me poser à un endroit moins habituel comme la table du salon. C'est plus commode que si je veux prendre tous ceux qui sont sur le bureau (forcément un peu dispersés) pour les déplacer ailleurs.

[#5] La solution dans ce cas (pour les Hi-Tecpoint) semble être de passer la pointe du stylo dans un courant d'eau très chaude, ce qui débloque le flux de l'encre. (Avant de trouver ça, j'ai essayé toutes sortes de tentatives consistant à les agiter, et ça n'a réussi qu'à me mettre de l'encre partout sur les doigts.)

Bon, en vrai, je n'ai pas forcément toutes les épaisseurs partout. En revanche, je tiens beaucoup à avoir toutes les couleurs de chaque épaisseur. Ça fait partie des maniaqueries un peu compulsives qui vont avec ma fascination pour les séries : si une série pourrait être complète mais qu'il manque juste un peu pour qu'elle le soit, ça m'énerve au plus haut point. (Par exemple, ma maman avait pris pour son propre usage un des stylos du lot que j'avais déposé chez elle et je lui ai fait part de mon vif mécontentement à ce sujet : qu'elle les prenne tous me gênerait finalement moins que d'en séparer un seul du lot.)

Mais c'est là que ça se corse, parce que Pilot semble avoir fait un choix exprès pour m'énerver. Il y a sept couleurs dans leur système :

noir vert cyan bleu violet rouge rose

(C'est moi qui écris cyan : je ne sais pas si Pilot leur donne des noms officiels, mais j'ai plutôt vu écrit bleu ciel là où ils sont vendus. D'une part ça rompt la symétrie parce que ça fait deux mots au lieu d'un pour toutes les autres, et d'autre part plein de langues considèrent de façon tout à fait raisonnable que le bleu et le cyan sont des couleurs différentes, cf. ce billet passé à ce sujet, alors autant profiter de l'existence d'un mot qui permet au français de faire la même chose.)

Ce choix de sept est très raisonnable : les couleurs sont suffisamment distinctes et faciles à identifier et à séparer, et même si mon sens de la symétrie pourrait s'émouvoir qu'elles ne soient pas bien réparties dans l'espace des teintes, c'est quand même compliqué de faire quelque chose de lisible avec du jaune, donc il est sensé de faire un choix qui l'évite. On peut dire qu'on a une non-couleur (le noir), trois couleurs principales (vert, bleu et rouge) et trois couleurs auxiliaires (cyan, violet et rose), et je suis assez content. Mais toutes les combinaisons épaisseur × couleur ne sont pas disponibles : il semble qu'il y ait exactement ceci (en tout cas c'est ce que j'ai réussi à acheter) :

noirvertcyanbleuvioletrougerose
V5 Hi-Tecpoint
V7 Hi-Tecpoint
V Sign Pen

Pourquoi tant de haine ? Pilot aurait voulu faire exprès de m'énerver qu'ils ne s'y seraient pas pris autrement. Que les V7 soient disponibles dans seulement quatre couleurs (le noir et les trois couleurs « principales ») est raisonnable. Mais les V Sign Pen sont disponibles dans toutes les couleurs sauf une. Il leur manque le rose[#6] et uniquement le rose.

[#6] Normalement, le rose est une couleur que je n'aime pas trop. Mais là, pour rendre leur décision encore plus irritante, je trouve que leur encre rose est vraiment très agréable, ça ressort bien, ça attire l'œil et c'est suffisamment différent du rouge pour qu'on le distingue nettement. (C'est plutôt le violet qui pose problème en ce qu'il est trop semblable au bleu. Donc s'il fallait vraiment omettre une couleur c'est celle-là que j'aurais désignée.)

Qu'avez-vous fait du V Sign Pen rose, Pilot ? Vous avez détruit toute l'harmonie de l'Univers !

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(samedi)

Sur le passage du temps et la manière dont je le ressens

(⬇ Attention, réflexions de café de comptoir. ⬇)

Le passage du temps est la première des illusions, la marque de notre condition humaine. Physiquement, le temps est une dimension comme une autre[#], il n'y a pas plus de raison de dire qu'il passe que pour l'espace. Et il n'y a pas plus de raison d'être nostalgique de ma jeunesse ou effrayé de ma mort qu'il n'y a de l'être de l'extrémité gauche ou droite de mon corps, qui sont aussi des points au bord de la région que j'occupe dans l'espace-temps. Mais bien sûr une comparaison plus apte est sans doute celle avec un livre, qui a beau être un objet qui existe en bloc, nous le découvrons par tranches, c'est-à-dire par pages, créant l'illusion d'un écoulement, qui peut rendre la première page une occasion de joie parce que nous entrons dans un nouveau monde et la dernière une occasion de tristesse parce que nous le quittons. Le passage du temps est dans notre tête, pas dans le monde, mais il est tellement lié à notre façon de percevoir le monde qu'il est impossible de penser autrement[#2].

[#] OK, je simplifie/caricature au point qu'on peut dire que c'est complètement faux… il y a au moins un ordre partiel de causalité donné par les cônes de lumière, et une direction donnée par l'augmentation de l'entropie. Pour une réflexion un (tout petit) peu plus scientifique sur tout ça, je renvoie à cet autre billet.

[#2] On peut faire toutes sortes d'expériences de pensée un peu idiotes et un peu dénuées de sens. Par exemple, et si le temps s'écoulait en fait dans l'autre direction (i.e., nous allons, en fait, vers notre enfance, en sachant très bien ce qui nous attend mais en pensant à tort que ce sont des chose passées alors qu'elles sont à venir alors qu'au contraire ce qui est derrière nous est aussitôt oublié car obsolète) ? Est-ce que ça a même un sens de dire ça ? (Physiquement, c'est exactement la même chose que la vision « normale ». Vous avez bien sûr le droit de lire un livre à l'envers, ça n'en reste pas moins le même livre. Néanmoins, ça a un sens de dire qu'on le perçoit différemment.) Ou bien, si le temps ne s'écoulait pas du tout et que le passé et le futur n'existaient tout simplement pas, si nous étions coincés dans un éternel présent avec de faux souvenirs d'un état antérieur qui n'a jamais existé et de fausses illusions d'un état postérieur qui n'existera jamais ? Après tout, notre seule raison de croire à l'existence du temps est notre souvenir de l'écoulement de celui-ci, lequel souvenir appartient au passé, qu'il ne convient de croire que si, justement, on croit à l'existence du temps ; et notre seule raison de croire à des lois de la physique qui décrivent le monde au temps t′>t en fonction de son état au temps t viennent, précisément, d'expériences qui ont été faites dans cet endroit hypothétique appelé le passé, donc peut-être que la position minimaliste est de dire qu'il n'y a aucune raison sérieuse de croire à son existence.

Mais si cette impression de passage du temps est tellement forte à l'échelle « locale » (d'une seconde à l'autre), à l'échelle plus globale, les choses sont, au moins pour ce qui me concerne, nettement plus confuses.

⏳︎

Déjà j'ai expliqué précédemment que ma mémoire de la chronologie fonctionne mal : j'ai des souvenirs généralement assez précis des événements passés, mais, quand il n'y a pas un lien causal clair qui m'aide à m'y retrouver, l'ordre dans lequel ils se sont déroulés m'est souvent totalement confus. Certains souvenirs récents me paraissent remonter à une époque incroyablement ancienne, et réciproquement, des souvenirs très anciens me semblent dater de seulement hier.

Et quand ce n'est pas un problème de chronologie, c'est au moins un problème de perception des durées relatives : je suppose que je ne suis pas le seul dans ce cas, mais mes années d'école primaire, collège et lycée me paraissent incroyablement longues, alors qu'il ne s'agit que de 5+4+3 ans, et des événements qui se sont déroulés il y a 12 ans me paraissent, finalement, relativement récents[#3]. C'est sans doute parce que ma situation changeait beaucoup plus souvent quand j'étais enfant et ado (chaque année apportait des profs différents, des copains différents, etc.) que maintenant que je suis adulte, et que nous rythmons le passage du temps aux changements qui se produisent (cf. ce que je dis plus bas sur les « barrières mentales »).

[#3] Pour donner un autre exemple, j'ai fait dans ma vie 4 séjours à Toronto : en 1984–1985, en 1988, en 1995 et en 2007. En 1995 j'ai pensé ça fait très longtemps que je ne suis pas venu à Toronto alors que ça faisait 7 ans. En 2007, j'ai pensé je suis venu il n'y a pas si longtemps que ça, finalement, alors que ça faisait 12 ans : mais mon précédent séjour me paraissait beaucoup plus proche du présent que du séjour précédent. Et maintenant je continue à penser ça ne fait pas si longtemps que ça que j'y étais, alors que ça fait… 17 ans. Si je devais y retourner demain, dans ma tête Toronto serait un endroit où je vais de plus en plus souvent, alors qu'en réalité c'est exactement le contraire.

Mais l'autre chose qui me rend le passage du temps confus est que l'identification à l'individu que j'ai été par le passé ne va pas de soi. J'ai déjà eu l'occasion de souligner que la manière dont nous prolongeons notre identité à l'ensemble de notre vie (enfin, justement, pas forcément de notre vie, mais de la vie d'un certain individu humain avec lequel nous nous identifions), de la naissance à la mort (et pas au-delà !) est plus une convention culturelle qu'une réalité matérielle, et que nous pourrions parfaitement devenirs éternels, sans magie ni miracle technologique, en changeant simplement cette convention sociale, en pratiquant culturellement la réincarnation comme les Qriqrx de mon petit texte. Mais ça marche aussi dans l'autre sens : si nous pourrions nous identifier à d'autres individus après nous, nous pouvons aussi ne pas nous identifier à la totalité de la vie de l'individu dont nous occupons le corps.

Et de fait, j'ai un peu de mal avec ça. Je ressens certainement une continuité du « moi » d'une seconde à l'autre, et globalement d'un jour à l'autre (même s'il y a déjà une qualification à faire quant à savoir si je suis tellement convaincu, quand je m'endors, que je ne meurs pas tranquillement pour être remplacé par un autre le matin), mais sur des années, c'est beaucoup moins clair. Forcément, la frontière est floue, je ne peux pas dire que le David Madore de 2018 m'est étranger alors que celui de 2019 est moi, néanmoins il y a quelque chose de la sorte, et je ne choisis pas ces dates au hasard mais parce que j'ai l'impression que j'ai véritablement une durée de permanence de l'identité qui tourne autour de 6 ans (disons vers le passé, parce que vers l'avenir c'est évidemment plus compliqué à sonder).

Bien sûr, j'ai les souvenirs de toutes sortes de David Madore plus anciens (souvenirs fort abondants, d'ailleurs, parce que j'ai une mémoire plutôt précise et qu'en plus de ça je possède une abondante documentation sur ces David Madore passés), et j'ai hérité non seulement de leurs souvenirs mais aussi de leurs biens matériels, de leurs décisions, etc. Je ne prétends certainement pas qu'ils me sont totalement étrangers. Mais ces David Madore d'autres temps sont plutôt, dans mon esprit, des êtres proches, peut-être des frères, que « moi-même, ailleurs dans le temps ». Un peu comme si j'avais des jumeaux vivant dans d'autres pays. Parfois ils m'embarrassent par l'héritage qu'ils m'ont laissé, parfois je suis fier d'eux (et embarrassé quand on me félicite pour leur compte). Généralement je vois ces « moi passés » plutôt avec une sorte de tendresse mêlée de nostalgie douce-amère : un mélange entre j'étais mignon quand j'étais jeune et innocent, je suis jaloux de ce David Madore qui a vécu ce moment heureux et surtout je suis triste de la disparition de ce être qui m'était proche et dont il ne reste que des souvenirs. Sur ce dernier point, par exemple, quand je repense à une conversation que le David Madore de 8 ans a tenue avec son père, j'éprouve une forme de tristesse non pas seulement parce que mon père est décédé mais le petit garçon que j'ai été a aussi cessé d'exister, et en fait tout l'Univers que mon souvenir retient (le monde des années 1980) a disparu, et ces trois sensations sont en fait essentiellement la même[#4]. J'avais essayé de l'exprimer de façon un peu poétique dans ce billet.

[#4] Il y a deux malédictions concernant le passé : le fait qu'on ne peut pas le modifier et le fait qu'on ne peut pas le revivre. La première est rendue par ce quatrain des Rubáiyát d'Omar Khayyám, dans leur traduction anglaise par Fitzgerald, qui était justement sans doute le préféré de mon papa : The Moving Finger writes; and, having writ, / Moves on: nor all thy Piety nor Wit / Shall lure it back to cancel half a Line, / Nor all thy Tears wash out a Word of it. Mais le regret que j'ai généralement, moi, concernant le passé, ce n'est pas celui de ne pas avoir fait les choses autrement, ce n'est même pas l'idée qu'il était mieux que le présent, c'est tout simplement qu'il ait disparu ou en tout cas qu'il nous soit inaccessible, et c'est ça que j'essaie de dire ici.

⏳︎

Peut-être cette façon de refuser(?) de m'identifier complètement à ces David Madore trop lointains dans le temps est-il une façon de nier le cours du temps lui-même. Par exemple, si je n'existe que sur un intervalle de temps d'environ 6 ans autour du moment présent, alors il est vraisemblable que je ne mourrai pas : je cesserai d'exister de façon plus paisible, sans m'en rendre compte, en devenant quelqu'un d'autre, de même je ne ne suis jamais né, je suis apparu progressivement par transformation d'un autre David Madore en moi. (Est-ce que ceci rend l'expérience du temps plus effrayante ou moins ? Je n'en sais rien : symétriquement, je souligne que mes Qriqrx sont éternels, mais ce n'est pas pour autant qu'ils n'éprouvent pas une douleur lors du passage d'un individu à un autre ; et à l'extrême inverse, si on est convaincu d'être un individu différent chaque jour, alors chaque endormissement est une mort, mais une mort paisible dont on sait par les souvenirs hérités de nos prédécesseurs qu'il n'y a rien à redouter.)

C'est certain, en tout cas, que quand je relis mon journal, j'éprouve une sensation de gêne assez difficile à expliquer quand je remonte trop loin dans le passé (je relis régulièrement ce que j'ai fait il y a 1 an, 2 ans, 3, 4, 5, et je m'arrête généralement autour de 6 parce que je commence à me sentir vraiment désagréablement déconnecté de ce que je lis[#5]). J'approche d'ailleurs du moment (le ) où la moitié de ma vie (enfin, la vie de la moitié des David Madore qui m'ont précédés) sera consignée dans ce journal, et je ne sais pas bien ce que je dois faire de cette information qui sonne à la fois comme un exploit et comme un signe un peu terrifiant. Il serait aussi intéressant, peut-être, que je retrace les références arrières dans ce blog : parce que là aussi, je me sens parfois mal à l'aise (ou embarrassé, ou carrément pas du tout d'accord) quand je lis un billet un peu ancien.

[#5] Je parle ici de relire de façon un peu systématique (par exemple, chaque week-end j'ai tendance à relire ce que je faisais le week-end analogue des quelques années précédentes, ne serait-ce que comme source d'inspiration sur ce que je peux faire à cette saison). Quand je fais des recherches pour retrouver la date à laquelle tel ou tel événement s'est produit, c'est différent et je n'éprouve pas trop de gêne à relire la description d'un jour que, par définition, je cherchais (en revanche, j'ai souvent la surprise de découvrir que l'événement est soit beaucoup plus ancien soit beaucoup plus récent que je ne l'aurais pensé).

⏳︎

Cette durée de permanence de mon identité, que je place assez pifométriquement autour de 6 ans (chiffre à ne pas prendre trop au sérieux) me semble reliée à un phénomène plus général que j'ai tendance à appeler les barrières mentales temporelles. Ce que je veux dire par là, c'est qu'il y a des événements qui, par leur importance (soit en bien soit en mal) m'empêchent de concevoir, ou au moins d'appréhender émotionnellement, le temps qui se situe au-delà.

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(jeudi)

Seize ans après, je remets en ligne mes feuilles de TD du cours d'Algèbre II à l'ENS

Ce billet de blog a essentiellement comme seule raison d'être de porter un lien, que voici : feuilles de TD d'Algèbre II à l'ENS en 2004–2007. Il faut bien que je lie cette page quelque part, sinon Google ne va pas tomber dessus ; or la structure de mon site Web est complètement inexistante (il n'y a rien qui ressemble à une table des matières ou à un plan du site cohérent, c'est vraiment trop difficile à faire et surtout à maintenir dans le temps, je n'y arrive pas, c'est bien pour ça que j'ai commencé à tenir un blog, pour ne plus avoir à me préoccuper de ces questions), donc ce billet sert juste à créer ce lien.

Mais puisque j'y suis, racontons un peu l'histoire derrière ce lien.

Comme je l'ai raconté dans l'autobiographie mathématique que j'ai écrite récemment, j'ai été agrégé-préparateur (ou comme on le dit dans le jargon de la maison, caïman) à l'ENS de septembre 2004 à l'été 2007. À part gérer la préparation des normaliens à l'agreg de maths, ma principale charge d'enseignement dans cette fonction était d'assurer les travaux dirigés du cours d'Algèbre II, lequel était assuré par Marc Rosso de 2004 à 2006, puis par Bernhard Keller en 2006–2007, et qui portait sur des sujets tels que : anneaux, modules, produits tensoriels, extensions de corps, théorie de Galois, polynômes et divers sujets apparentés. J'ai donc rédigé des feuilles d'exercices, toujours intégralement corrigées (et j'ai d'ailleurs fait ma propre classe LaTeX pour les écrire, et produire systématiquement la double version avec et sans corrigés ; cf. notamment ce vieux billet) ; et j'ai mis ça en ligne, non pas sur mon site personnel (celui-ci), mais sur ma page professionnelle à l'ENS (à l'adresse http://www.dma.ens.fr/~madore/algebre2/), parce que je voulais un peu séparer les choses.

Et autant je fais énormément d'efforts pour préserver la stabilité des liens Web sur ce site-ci, autant s'agissant d'un site professionnel je suis beaucoup moins soigneux, l'argument (assez fallacieux, certes) étant que ce n'est pas moi le webmaster.

Or en 2008 ou 2009, l'ENS m'a fermé mon compte informatique (et a notamment cassé l'adresse mail @ens.fr que j'utilisais depuis 1996). De façon fort cavalière et sans vraiment prévenir, d'ailleurs, ce qui m'a mis assez en colère. Donc le lien en question a cassé, et comme je n'avais aucun moyen de le réparer, que j'étais plutôt fâché et que j'avais autre chose à faire, j'ai laissé filer.

Mais il est aussi vrai que j'étais persuadé, et c'était à tort, que la Wayback Machine de l'Internet Archive avait archivé la page, donc je me disais que les gens intelligents seraient assez grand pour aller chercher la version archivée. Or ce n'était que partiellement vrai : la Wayback Machine avait certes archivé la page index, mais (presque ?) aucune des feuilles de TD en PDF qui sont liées depuis elle et qui constituent, justement, le contenu intéressant à sauvegarder. Donc ce contenu a disparu du Web, ce qui est justement le genre de choses que je n'aime pas du tout.

Correction partielle : Juste après avoir publié ce billet, je m'aperçois que les choses sont un peu plus compliquées que je croyais, parce que l'adresse http://www.dma.ens.fr/~madore/algebre2/ a été renommée en http://www.math.ens.fr/~madore/algebre2/ à peu près à ce moment-là, et la Wayback Machine s'en est mieux tirée sur celle-ci ; donc en fait les documents n'avaient pas autant disparu que je croyais, et ça faisait en fait moins de 16 ans que les liens ne marchaient plus. (Reste que ceci est un exemple intéressant du fait que même avec une redirection propre, changer d'URL pose problème : ça complique les choses quand, bien des années plus tard, on essaie de retrouver les documents sur l'Archive.)

Et c'est particulièrement con parce que non seulement je n'aime pas que l'information disparaisse, mais en plus, je pense qu'il y a dans ces feuilles de TD des exercices vraiment intéressants, beaucoup d'entre eux sont d'ailleurs originaux (soit je les ai imaginés moi-même soit, au moins, je les ai reformulés à ma façon) et j'en étais assez content. Et je crois que les normaliens (enfin, au moins certains normaliens) les appréciaient assez.

Ils sont généralement assez auto-contenus. Bien sûr, ils font appel aux notions mathématiques sur lesquelles portait le cours, mais je ne pense pas qu'ils fassent appel aux détails des définitions données dans le cours, donc on doit pouvoir les utiliser indépendamment du cours.

Et il n'y a pas beaucoup d'autre endroit où vous trouverez des explications sur, par exemple, comment calculer le groupe de Galois de polynômes tels que t8 – 8⁢t6 + 7⁢t4 + 5⁢t2 – 3 et t8 – 4⁢t6 – 8⁢t4 + 11⁢t2 + 9 et t8 + 6⁢t6 – 2⁢t2 – 3 (oui, il y a des vrais calculs avec des vrais nombres) sur ℚ — ils sont tous les trois d'ordre 192, mais ils ne sont pas isomorphes ; je pense qu'on ne comprend vraiment la notion de groupe de Galois que quand on commence à mettre un peu les mains sur de tels exemples (les détails sont dans cette feuille-ci ; bon, ceux-là sont peut-être un peu tarabiscotés, mais je pense que comparer le groupe de Galois de ℚ(√(2+√5)), de ℚ(√(2+√2)) et de ℚ(√(2+√3)) et se rendre compte qu'ils sont différents et comprendre pourquoi, est vraiment éclairant : pour ça, voyez cette feuille-ci).

(Idéalement, il faudrait recycler ces exercices dans un livre. Un copain m'a proposé de coécrire un tel livre, et nous en avons pondu un certain nombre de pages, mais le travail progressant à une cadence logarithmique, s'il est fini un jour ce sera quand nous serons à la retraite (cf. la note #77 de ce billet). Don't hold your breath.)

Bref, après 16 ans d'absence du Web (mieux vaut tard que jamais…), ces documents sont revenus en ligne, et cette fois-ci je me suis bien assuré que l'Internet Archive garde une copie des PDF.

Reste à voir si je peux faire rétablir le lien http://www.dma.ens.fr/~madore/algebre2/ et/ou http://www.math.ens.fr/~madore/algebre2/ et obtenir que quelqu'un le redirige vers cette nouvelle adresse. Comme je connais quelqu'un qui est sysadmin à l'ENS, les chances dans ce sens sont bien meilleures qu'en 2009. • Mise à jour () : c'est fait, donc les liens anciens doivent de nouveau marcher.

Tant que j'y suis, et sans rapport avec ce qui précède, un autre lien que j'aimerais faire rediriger vers mon site Web, c'est http://www.eleves.ens.fr:8080/home/madore/ (qui était l'ancienne adresse de ce site jusqu'en avril 2005, et qui eut fonctionné comme redirection — au moins par intermittence — jusque vers 2021 ; notez que la version sans le :8080 fonctionne). Je crois comprendre que la responsabilité en appartient à un groupe de normaliens appelés la DGNUM, mais je n'ai pas réussi à les contacter : si par hasard il y a parmi mes lecteurs des gens qui connaissent, n'hésitez pas à nous mettre en contact.

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