Voici qui me donne l'occasion entre autres de vérifier que je n'ai pas cassé le système qui produit la version PDF de mes fragments, et que le système de catégories de mon nouveau moteur de blog fonctionne.
Comme on vit dans un Univers où il est impossible de rien inventer, je suppose que l'idée que j'expose ci-dessous a déjà été exploitée, soit dans la réalité (les anthropologues nous apprennent qu'il y a plus de choses sur terre qu'il n'en est rêvé dans notre philosophie), soit dans une œuvre de fiction dont je suis sûr qu'un commentateur va me sortir l'auteur. Quoi qu'il en soit, je me suis amusé à écrire ceci :
Mais la caractéristique la plus frappante des Qriqrx, et celle qui leur a valu leur célébrité, est assurément leur conception de la vie et de l'immortalité. Les Qriqrx se disent éternels parce qu'ils pratiquent la réincarnation. Il n'est pas suffisant d'affirmer qu'ils croient à la réincarnation, à la façon des hindous : ils la pratiquent activement, c'est-à-dire que, pour les Qriqrx, il ne s'agit pas d'une loi cosmique plus ou moins métaphysique mais d'une invention humaine tangible, par laquelle la mort a été vaincue.
La réincarnation est choisie, c'est-à-dire qu'au moment de l'adolescence (soit vers l'âge de 15 ans), le jeune Qriqrx se voit attribué par les sages, de concert avec la famille de l'intéressé, en tenant compte de la personnalité de ce dernier, un mort en « attente de réincarnation ». L'adolescent va passer trois ans à découvrir et à devenir celui qu'il sera, pour finalement le réincarner formellement lors d'une cérémonie de passage à l'âge adulte — ou plutôt une cérémonie de passage à l'immortalité, au cours de laquelle il reçoit son nom éternel.
Le réincarneur est considéré comme en tout point le même individu que le réincarné : il reçoit tout de lui — biens et dettes, amis, statut social, conjoint. Le lien avec son enfance n'est pas pour autant coupé : le nom d'enfance, ou nom éphémère, qui identifie la réincarnation de l'individu, est accolé au nom éternel, et les deux existences (celle, infinie, de l'éternel qui se réincarne et celle, brève, de l'adolescent qui le devient) sont considérées comme s'ajoutant l'une à l'autre. Les parents du réincarneur sont vus comme des alliés, mais comme des alliés parmi d'autres, puisque le Qriqrx éternel s'allie à des parents à chaque fois qu'il se réincarne, et il garde normalement des contacts avec six ou sept successions de parents (et, symétriquement, d'enfants). La relation de parent, ou d'ancien parent, à enfant adulte est une relation d'égal à égal, puisque l'âge n'a pas de sens entre individus éternels. On acquiert de nouveaux parents comme on acquiert de nouveaux enfants, et il est considéré comme un honneur d'être le père ou la mère d'un héros ou d'un sage. Il n'est pas particulièrement surprenant de devenir, par exemple, le père de son père (c'est-à-dire, qu'un individu se réincarne dans son petit-fils).
Le réincarné peut être mort postérieurement à la naissance du réincarneur (mais toujours avant l'âge de 15 ans de ce dernier) : les Qriqrx n'y voient pas de paradoxe ; il arrive même, quoique cela soit inhabituel, qu'un mourant choisisse lui-même un enfant dans lequel se réincarner (ce choix n'est cependant pas forcément accepté par les sages). Une femme peut se réincarner en homme et vice versa : le sexe, comme l'âge, est envisagé comme une propriété éphémère de l'individu ; le tempérament, au contraire, est essentiel, et il importe que ceux du réincarneur et du réincarné soient aussi compatibles que possible.
La tribu prend collectivement garde que sa population ne varie pas trop. Si elle diminue, cela signifie que la liste des morts en attente de réincarnation s'allonge : cela est gênant, car ces personnes sont alors absentes, leur fonction sociale vacante et leurs biens séquestrés (même si une gérance ou un usufruit temporaire peut en être attribué). À l'inverse, si la population augmente, cela signifie qu'il faut attendre plus longtemps avant de pouvoir devenir éternel. Les Qriqrx qui meurent avant d'avoir atteint l'âge adulte sont considérés comme des existences imparfaites ou des « faux réveils » : si un réincarné avait déjà été attribué, alors il s'agit d'une existence imparfaite de ce Qriqrx éternel connu, tandis que pour un enfant plus jeune on ignore jusqu'au nom de celui dont il est existence imparfaite.
On l'a signalé, la réincarnation n'est pas pour les Qriqrx une opération de magie ou une croyance religieuse : il s'agit d'un acte social, comme le mariage ou le divorce. Le réincarneur a pour mission de devenir celui qu'il réincarne, mission qu'il accomplit en apprenant tout ce qu'il le peut de celui qu'il va devenir, notamment en conversant avec son conjoint (qui sera le sien), ses amis, ses enfants, ses parents et anciens parents (qui souvent ont eux-mêmes été réincarnés), en apprenant son métier, en se familiarisant avec ses biens, etc.
Le résultat de cette organisation est que la mort est vue comme une période d'absence, assurément désagréable, mais néanmoins temporaire, et qui ne fait pas obstacle à ce qu'on puisse prendre des engagements pour l'avenir. Le Qriqrx a la certitude qu'il sera là dans cent ans, dans mille ans et au-delà, et même s'il finira par oublier son existence présente, il sait qu'il s'inscrit dans une chaîne infinie de réincarnations qui forment le même individu éternel. À l'inverse, notre culture lui semble incompréhensible, dans laquelle nous laissons les individus vivre sans passé et mourir définitivement.
Ajout : voir cette entrée ultérieure pour une sorte d'analyse.