Il y a toutes sortes de sujets frivoles dans ma TOBLOG-list qui attendent que je trouve le temps de les traiter, mais en voici un de la plus grave importance parce qu'il est question de typographie et de logique, et dont je dois donc m'emparer sur-le-champ :
Que faut-il faire de la ponctuation après les formules mathématiques centrées ?
Par exemple, si j'écris :
On a ainsi démontré l'égalité fondamentale :
— et que ceci finit une section du texte, est-ce que je devrais
mettre un point final après le 4
(pour finir la phrase
commencée par on a ainsi démontré
) ? Et si oui, à quel
endroit ?
C'est, un peu comme la question de savoir si 0 est un entier
naturel, un des points de désaccord importants entre mathématiciens,
susceptibles de dégénérer en flamewar. (Comme
l'écrit un
commentaire sur MathOverflow, it turns out that
one can start an internet flamewar merely by mentioning that one can
start an internet flamewar by asking whether zero is a natural
number
, et
je suis
en train de constater qu'il en va de même pour la ponctuation en
fin de formule.)
Parmi les options possibles pour cette ponctuation, on peut envisager de : la supprimer purement et simplement, la mettre après la fin de la formule (quitte à ergoter sur le centrage, par exemple peut-être qu'on centrera la formule hors ponctuation et qu'on ajoutera la ponctuation derrière, éventuellement séparée par plus ou moins d'espace), voire à la fin de la ligne où se trouve la formule, ou on peut encore la reporter au début de la ligne suivante.
Divulgâchons : la convention la plus habituelle dans les documents
mathématiques semble être de mettre la ponctuation à la fin de la
formule (donc, dans l'exemple ci-dessus, il y aurait un point à la
droite du 4
). Je n'aime pas cette façon de faire (même si, en
matière de typographie et de conventions éditoriales, le plus
important est d'être cohérent), et je voudrais longuement expliquer
pourquoi.
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En résumé, ma position est la suivante : ① que le plus logique (et préférable dans l'absolu) serait de reporter la ponctuation à ligne suivante, mais ② que, comme il est disgracieux d'avoir un signe de ponctuation en début de ligne et que beaucoup de gens trouvent ça vraiment insupportable, le mieux, comme compromis, est de supprimer purement et simplement la ponctuation.
En tout état de cause, ce qui me semble le plus important est de traiter une formule exactement de la même manière qu'on traiterait une image ou une citation centrée : c'est-à-dire que si on va mettre une ponctuation après quelque chose comme
On doit à Euler la magnifique formule suivante :
— alors on traitera exactement de la même manière
On doit à Vinci le magnifique tableau suivant :
![]()
— ou encore
On doit à Montaigne la magnifique interrogation suivante :
Que sais-je ?
Autrement dit, si on décide qu'il faut mettre un point final à la droite de la formule, alors la même logique exactement commande d'en mettre un à droite de l'image et à droite du point d'interrogation de la citation (je vais revenir ci-dessous sur l'interaction entre ponctuation « interne » et ponctuation « externe »). Réciproquement, si on considère qu'il n'est pas opportun d'ajouter un point final à mes deux derniers exemples, par exemple au motif qu'ils interrompent le cours de la phrase ou que l'œuvre citée centrée est un tout complet auquel il ne faut rien ajouter, alors la même logique s'applique au premier cas.
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Mais revenons en arrière d'un cran. Avant de parler des formules et citations centrées, parlons des guillemets. Quand on cite un bout de texte entre guillemets, il y a deux sortes de ponctuations qui peuvent exister (au moins conceptuellement) : la ponctuation externe, c'est-à-dire celle qui appartient à la phrase citante, et la ponctuation interne, c'est-à-dire celle qui appartient à la phrase citée.
La chose la plus logique à faire serait de conserver les deux dans tous les cas. Par exemple :
― Il a dit
Je viens..― Tu es sûre qu'il a dit
Je viens.? Il n'aurait pas plutôt demandéJe viens ??― Tu as raison, quand j'y repense, il a plutôt demandé
Je viens ?.
Les deux points[#] de la première réplique sont justifiés ainsi : le premier, à l'intérieur des guillemets, sert à marquer la fin de la phrase citée (et à montrer qu'il s'agit d'une affirmation et pas d'une interrogation), et je l'appelle ponctuation interne, tandis que le second, à l'extérieur des guillemets, sert à marquer la fin de la phrase citante (et, là aussi, à montrer qu'il s'agit d'une affirmation), et je l'appelle ponctuation externe. Mon petit dialogue montre que chacune des quatre combinaisons entre les deux ponctuations ‘.’ (point) et ‘?’ (point d'interrogation) pour la ponctuation interne et externe est possible.
[#] Comme je vais dans
ce billet parler parfois de deux points (‘.’) qui se suivent et aussi
du signe ‘:’, je vais suivre la convention de nommer le second un
deux-points
. Un deux-points est donc un signe de ponctuation
unique, analogue à un point-virgule mais formé de deux points
superposés verticalement (alors que le point-virgule est formé d'un
point sur une virgule). Au contraire, si je parle de deux points, ce
sont normalement deux points qui se suivent horizontalement.
La distinction entre ponctuation externe et interne sera peut-être
plus claire si je cite une langue qui s'écrit de la droite vers la
gauche (je ne sais pas s'il est idiomatique, en arabe, de dire
juste انا قادم؟
pour demander je
viens ?
ou s'il faut écrire هل انا
قادم؟
, ni même si انا قادم
est la
bonne/meilleure façon de dire je viens
, mais peu importe, pour
les besoins de l'illustration, on va faire avec) :
― Il a dit
انا قادم..― Tu es sûre qu'il a dit
انا قادم.? Il n'aurait pas plutôt demandéانا قادم؟?― Tu as raison, quand j'y repense, il a plutôt demandé
انا قادم؟.
Sur cet exemple, la ponctuation interne fait partie du texte arabe et suit donc les conventions de l'arabe, notamment pour le sens d'écriture, ce qui commande donc de la mettre à gauche des mots arabes, alors que la ponctuation externe fait partie du texte français et suit donc les conventions du français, ce qui commande donc de la mettre à droite des mots arabes.
Mais oublions l'arabe et revenons au cas général. Si on suit la logique, donc, on a une double ponctuation : interne et externe. Si les deux langues vont dans la même direction, elles se suivent, une à l'intérieur des guillemets et l'autre à l'extérieur.
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Je n'ai aucun problème à écrire ça sur le plan de la logique, mais c'est vrai que c'est un peu lourd et moche d'avoir régulièrement deux points qui se suivent, l'un à l'intérieur des guillemets et l'autre à l'extérieur des guillemets (ce qui est quand même le cas le plus fréquent).
Pour éviter cette mocheté, il y a une convention qui s'est créée et qui vise à éviter la double ponctuation en supprimant l'une des deux (c'est-à-dire qu'on évite ce que je viens d'écrire et qui est, pourtant, logique).
Cette convention n'est pas super bien formalisée. Le
passage guillemets et ponctuation
de l'entrée citations
du Lexique des règles typographiques en usage à l'Imprimerie
nationale est, comme d'habitude, incohérent et mal expliqué (ce
bouquin est épouvantablement mal écrit, je ne cesse de le dire), mais
l'idée générale, avec laquelle je suis à peu près d'accord, semble
être grosso modo la suivante.
On va éviter la double ponctuation en utilisant l'une ou l'autre des conventions suivantes :
- lorsque le passage cité constitue une phrase complète (et de préférence introduit par un deux-points), on peut supprimer la ponctuation externe à condition que ce soit un simple point (ou une virgule ?) ; et
- à défaut, on peut supprimer la ponctuation interne en faisant cesser la citation juste avant elle, à condition que cette ponctuation interne ne soit pas indispensable à la compréhension.
Appelons ces deux conventions la convention de suppression de ponctuation externe (celle qui permet de supprimer la ponctuation de la phrase citante sous certaines conditions) et la convention de suppression de la ponctuation interne (celle qui permet de supprimer la ponctuation de la phrase citée, ou, plus exactement, de terminer la citation un peu avant).