David Madore's WebLog: La grave question de la ponctuation après les formules mathématiques

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(mardi)

La grave question de la ponctuation après les formules mathématiques

Il y a toutes sortes de sujets frivoles dans ma TOBLOG-list qui attendent que je trouve le temps de les traiter, mais en voici un de la plus grave importance parce qu'il est question de typographie et de logique, et dont je dois donc m'emparer sur-le-champ :

Que faut-il faire de la ponctuation après les formules mathématiques centrées ?

Par exemple, si j'écris :

On a ainsi démontré l'égalité fondamentale :

2+2 = 4

— et que ceci finit une section du texte, est-ce que je devrais mettre un point final après le 4 (pour finir la phrase commencée par on a ainsi démontré) ? Et si oui, à quel endroit ?

C'est, un peu comme la question de savoir si 0 est un entier naturel, un des points de désaccord importants entre mathématiciens, susceptibles de dégénérer en flamewar. (Comme l'écrit un commentaire sur MathOverflow, it turns out that one can start an internet flamewar merely by mentioning that one can start an internet flamewar by asking whether zero is a natural number, et je suis en train de constater qu'il en va de même pour la ponctuation en fin de formule.)

Parmi les options possibles pour cette ponctuation, on peut envisager de : la supprimer purement et simplement, la mettre après la fin de la formule (quitte à ergoter sur le centrage, par exemple peut-être qu'on centrera la formule hors ponctuation et qu'on ajoutera la ponctuation derrière, éventuellement séparée par plus ou moins d'espace), voire à la fin de la ligne où se trouve la formule, ou on peut encore la reporter au début de la ligne suivante.

Divulgâchons : la convention la plus habituelle dans les documents mathématiques semble être de mettre la ponctuation à la fin de la formule (donc, dans l'exemple ci-dessus, il y aurait un point à la droite du 4). Je n'aime pas cette façon de faire (même si, en matière de typographie et de conventions éditoriales, le plus important est d'être cohérent), et je voudrais longuement expliquer pourquoi.

En résumé, ma position est la suivante : ① que le plus logique (et préférable dans l'absolu) serait de reporter la ponctuation à ligne suivante, mais ② que, comme il est disgracieux d'avoir un signe de ponctuation en début de ligne et que beaucoup de gens trouvent ça vraiment insupportable, le mieux, comme compromis, est de supprimer purement et simplement la ponctuation.

En tout état de cause, ce qui me semble le plus important est de traiter une formule exactement de la même manière qu'on traiterait une image ou une citation centrée : c'est-à-dire que si on va mettre une ponctuation après quelque chose comme

On doit à Euler la magnifique formule suivante :

e iπ = 1

— alors on traitera exactement de la même manière

On doit à Vinci le magnifique tableau suivant :

[Mona Lisa]

— ou encore

On doit à Montaigne la magnifique interrogation suivante :

Que sais-je ?

Autrement dit, si on décide qu'il faut mettre un point final à la droite de la formule, alors la même logique exactement commande d'en mettre un à droite de l'image et à droite du point d'interrogation de la citation (je vais revenir ci-dessous sur l'interaction entre ponctuation « interne » et ponctuation « externe »). Réciproquement, si on considère qu'il n'est pas opportun d'ajouter un point final à mes deux derniers exemples, par exemple au motif qu'ils interrompent le cours de la phrase ou que l'œuvre citée centrée est un tout complet auquel il ne faut rien ajouter, alors la même logique s'applique au premier cas.

Mais revenons en arrière d'un cran. Avant de parler des formules et citations centrées, parlons des guillemets. Quand on cite un bout de texte entre guillemets, il y a deux sortes de ponctuations qui peuvent exister (au moins conceptuellement) : la ponctuation externe, c'est-à-dire celle qui appartient à la phrase citante, et la ponctuation interne, c'est-à-dire celle qui appartient à la phrase citée.

La chose la plus logique à faire serait de conserver les deux dans tous les cas. Par exemple :

― Il a dit Je viens..

― Tu es sûre qu'il a dit Je viens. ? Il n'aurait pas plutôt demandé Je viens ? ?

― Tu as raison, quand j'y repense, il a plutôt demandé Je viens ?.

Les deux points[#] de la première réplique sont justifiés ainsi : le premier, à l'intérieur des guillemets, sert à marquer la fin de la phrase citée (et à montrer qu'il s'agit d'une affirmation et pas d'une interrogation), et je l'appelle ponctuation interne, tandis que le second, à l'extérieur des guillemets, sert à marquer la fin de la phrase citante (et, là aussi, à montrer qu'il s'agit d'une affirmation), et je l'appelle ponctuation externe. Mon petit dialogue montre que chacune des quatre combinaisons entre les deux ponctuations ‘.’ (point) et ‘?’ (point d'interrogation) pour la ponctuation interne et externe est possible.

[#] Comme je vais dans ce billet parler parfois de deux points (‘.’) qui se suivent et aussi du signe ‘:’, je vais suivre la convention de nommer le second un deux-points. Un deux-points est donc un signe de ponctuation unique, analogue à un point-virgule mais formé de deux points superposés verticalement (alors que le point-virgule est formé d'un point sur une virgule). Au contraire, si je parle de deux points, ce sont normalement deux points qui se suivent horizontalement.

La distinction entre ponctuation externe et interne sera peut-être plus claire si je cite une langue qui s'écrit de la droite vers la gauche (je ne sais pas s'il est idiomatique, en arabe, de dire juste انا قادم؟ pour demander je viens ? ou s'il faut écrire هل انا قادم؟, ni même si انا قادم est la bonne/meilleure façon de dire je viens, mais peu importe, pour les besoins de l'illustration, on va faire avec) :

― Il a dit انا قادم..

― Tu es sûre qu'il a dit انا قادم. ? Il n'aurait pas plutôt demandé انا قادم؟ ?

― Tu as raison, quand j'y repense, il a plutôt demandé انا قادم؟.

Sur cet exemple, la ponctuation interne fait partie du texte arabe et suit donc les conventions de l'arabe, notamment pour le sens d'écriture, ce qui commande donc de la mettre à gauche des mots arabes, alors que la ponctuation externe fait partie du texte français et suit donc les conventions du français, ce qui commande donc de la mettre à droite des mots arabes.

Mais oublions l'arabe et revenons au cas général. Si on suit la logique, donc, on a une double ponctuation : interne et externe. Si les deux langues vont dans la même direction, elles se suivent, une à l'intérieur des guillemets et l'autre à l'extérieur.

Je n'ai aucun problème à écrire ça sur le plan de la logique, mais c'est vrai que c'est un peu lourd et moche d'avoir régulièrement deux points qui se suivent, l'un à l'intérieur des guillemets et l'autre à l'extérieur des guillemets (ce qui est quand même le cas le plus fréquent).

Pour éviter cette mocheté, il y a une convention qui s'est créée et qui vise à éviter la double ponctuation en supprimant l'une des deux (c'est-à-dire qu'on évite ce que je viens d'écrire et qui est, pourtant, logique).

Cette convention n'est pas super bien formalisée. Le passage guillemets et ponctuation de l'entrée citations du Lexique des règles typographiques en usage à l'Imprimerie nationale est, comme d'habitude, incohérent et mal expliqué (ce bouquin est épouvantablement mal écrit, je ne cesse de le dire), mais l'idée générale, avec laquelle je suis à peu près d'accord, semble être grosso modo la suivante.

On va éviter la double ponctuation en utilisant l'une ou l'autre des conventions suivantes :

  • lorsque le passage cité constitue une phrase complète (et de préférence introduit par un deux-points), on peut supprimer la ponctuation externe à condition que ce soit un simple point (ou une virgule ?) ; et
  • à défaut, on peut supprimer la ponctuation interne en faisant cesser la citation juste avant elle, à condition que cette ponctuation interne ne soit pas indispensable à la compréhension.

Appelons ces deux conventions la convention de suppression de ponctuation externe (celle qui permet de supprimer la ponctuation de la phrase citante sous certaines conditions) et la convention de suppression de la ponctuation interne (celle qui permet de supprimer la ponctuation de la phrase citée, ou, plus exactement, de terminer la citation un peu avant).

Encore une fois, aucune ne semble terriblement bien précisée, donc tout le monde ne sera pas forcément d'accord avec ma formulation, mais l'idée est que le passage que j'ai écrit plus haut sera généralement plutôt ponctué à peu près ainsi :

― Il a dit : Je viens.

― Tu es sûre qu'il a dit Je viens ? Il n'aurait pas plutôt demandé Je viens ? ?

― Tu as raison, quand j'y repense, il a plutôt demandé : Je viens ?

(Je pense que c'est plus ou moins ce que je fais sur ce blog, même si je n'ai sans doute pas été parfaitement cohérent. Notamment, l'usage des deux-points est sans doute assez aléatoire.)

À la fin de la deuxième réplique, aucun des deux points d'interrogations n'est supprimable, selon moi, parce que les deux sont essentiels à la compréhension. Le Lexique propose la phrase Pourquoi avez-vous crié Au secours ? en expliquant qu'ils suppriment le point d'exclamation car on ne peut en aucun cas utiliser ensemble un point d'exclamation et un point d'interrogation ce qui me semble être une analyse excessivement stupide, en plus d'être une règle parfaitement arbitraire (j'ai déjà dit que ce bouquin est épouvantablement mauvais ? je ne sais plus si je l'ai déjà dit). Mais pour le reste, je pense que la ponctuation que j'ai utilisée ci-dessus est assez standard et consensuelle.

Notez quand même que, quelles que soient les suppressions de ponctuation effectuées, la ponctuation qui reste doit être mise à sa place logique, sur ce point à peu près tout le monde semble d'accord pour ce qui est du français. Par exemple, on écrirait :

― Il a dit Je viens, j'ai très bien entendu.

— alors que certains manuels de style pour l'anglais américain préconisent (pour des raisons purement esthétiques) de placer les points et les virgules dans tous les cas à l'intérieur des guillemets. Évidemment, si on s'autorise à déplacer les ponctuations, ça devient vraiment impossible de savoir si on a supprimé la ponctuation externe ou supprimé la ponctuation interne pour déplacer à l'intérieur des guillemets la ponctuation externe (et ça commence à ressembler à une question théologique).

Pour ce qui est de justifier les conventions de suppression de la ponctuation, il faut faire un petit peu d'acrobatie. Mais c'est quand même intéressant de réfléchir pour voir si on peut leur trouver un semblant de logique (qui aidera ensuite à décider exactement sous quelles conditions elles s'appliquent).

La convention de suppression de la ponctuation interne peut se justifier, avec juste un petit soupçon de mauvaise foi, par le fait que, après tout, si on cite un texte, on peut en citer le bout qu'on veut, et on a parfaitement le droit de ne pas citer le point final (tant qu'on ne tient pas à souligner le fait que la phrase se termine là et qu'on n'en a pas retiré un bout, il ne joue pas un grand rôle).

Pour ce qui est de la convention de suppression de la ponctuation externe, qui va plus m'intéresser pour les formules, l'explication est, selon moi, quelque chose comme ceci : la phrase externe cède la parole à la phrase qu'elle cite. Une fois que la parole a été cédée, dans la mesure où la phrase citée constitue un tout complet, il n'y a pas besoin de reprendre la parole. Cette cession de parole est souvent, d'ailleurs, matérialisée par deux-points (ce qui est cohérent avec le fait que, même en-dehors de toute citation, un deux-points démarre une nouvelle proposition en lui cédant la parole et la responsabilité de fermer la phrase entière). En terminologie Unix, on pourrait dire que la phrase citante a fait un exec() vers la phrase citée (c'est ça qui est matérialisé par le deux-points), qui lui transfère le contrôle, au lieu de faire un fork() et d'attendre sa terminaison.

J'ajoute à ce propos une règle idiosyncratique (je veux dire qu'elle m'est propre, et pour le coup je ne tiens pas vraiment à la défendre, c'est plus un tic typographique qu'autre chose) : même si la phrase citée constitue un tout complet, typiquement introduit par un deux-points, la phrase citante peut reprendre la parole en utilisant un tiret qui attire l'attention du lecteur sur une rupture de construction. Donc l'exemple ci-dessus pourrait, dans mon style idiosyncratique, se réécrire ainsi (si pour n'importe quelle raison on tient à préserver la ponctuation interne) :

― Il a dit : Je viens. — j'ai très bien entendu.

— le tiret (see what I did there?) servant ici en quelque sorte à remplacer une virgule de ponctuation externe à un endroit où ce serait disgracieux d'en mettre une parce que j'ai tenu à préserver la ponctuation interne.

Si je reprends mon exemple en arabe, avec des suppressions de ponctuation, je pense que je l'écrirais comme ceci :

― Il a dit : انا قادم.

― Tu es sûre qu'il a dit انا قادم ? Il n'aurait pas plutôt demandé انا قادم؟ ?

― Tu as raison, quand j'y repense, il a plutôt demandé : انا قادم؟

(Je pense que la façon de faire que je viens d'illustrer est assez standard, mais je n'y mettrais pas ma main à couper.)

Encore une fois, il peut y avoir un choix entre suppression de la ponctuation interne ou de la ponctuation externe :

― Il a dit انا قادم.

― Tout à fait, il a dit انا قادم, je l'ai très bien entendu.

— équivaut à peu près à ceci :

― Il a dit : انا قادم.

― Tout à fait, il a dit : انا قادم. — je l'ai très bien entendu.

(Et encore une fois, il est plus logique de mettre à la fois la ponctuation interne et la ponctuation externe, mais c'est un peu lourd.)

Venons-en aux formules mathématiques. Il y a deux types de formules mathématiques dans un texte typographié : en anglais on parle de inline formula pour celles qui sont intégrées dans le paragraphe et de displayed formula pour celles qui sont séparées et centrées. (En LaTeX ces types de formules sont marquées par $…$ et par \[…\] respectivement, ou bien par $$…$$ qui fait quasiment la même chose que \[…\].) Ne connaissant pas la terminologie française établie s'il y en a une, je vais parler de formule en ligne pour le premier cas et de formule centrée pour le second.

Par exemple, si j'écris :

Les solutions de l'équation ax2 + bx + c = 0 sont données par :

x = b ± b2 4ac 2a

— la première formule est en ligne et la seconde est centrée.

La question qui fait polémique, donc, c'est de savoir s'il faut mettre une ponctuation après cette formule centrée, laquelle, et comment la présenter.

Une difficulté particulière du cas des formules est qu'on ne met pas de guillemets autour (sauf si on veut citer la formule pour attirer l'attention sur sa représentation textuelle) : le rôle des guillemets est joué, pour ainsi dire, par le changement de police de caractères et/ou, dans le cas des formules centrées, par le passage à la ligne et le centrage. C'est d'ailleurs cette absence de guillemets qui fait que je trouve qu'il est préférable de composer les formules mathématiques dans une police différente du texte en langue naturelle (j'aime bien utiliser une variante de Times pour le texte et une variante de Computer Modern pour les formules) ; et c'est aussi ce qui fait que je vais rapprocher, ci-dessous, la situation des formules centrées du cas des images et des citations présentées indentées sur plusieurs lignes.

Le cas des formules en ligne n'est pas particulièrement problématique : tout le monde est d'accord que, au moins en général, la ponctuation externe subsiste à son emplacement normal. Par exemple :

Les solutions de l'équation ax2 + bx + c = 0 , appelée équation générale du second degré, sont données (sur un corps de caractéristique 2 ) par la formule ci-dessus, où on rappelle qu'on a supposé a 0 .

Sur ce exemple, j'ai une virgule, une parenthèse fermante, et un point qui suivent une formule et qui font, à chaque fois, partie de la ponctuation externe, et je les ai évidemment laissés. Le seul cas éventuellement discutable serait celui d'une formule finissant une phrase et précédée immédiatement par un deux-points, où on pourrait vouloir supprimer le point final qui la suivrait, mais je ne vais pas m'attarder sur ce cas.

Pour une formule, la notion de ponctuation interne n'a pas de sens (les règles mathématiques s'appliquent et il ne s'agit pas de ponctuation au sens linguistique), donc la suppression de la ponctuation interne n'a pas lieu d'être considérée. Ce qui m'intéresse est la suppression de la ponctuation externe : quand la formule est en ligne, il n'y a pas de raison particulière de souhaiter supprimer la ponctuation externe, qui est, de toute façon, optionnelle.

Je peux quand même discuter brièvement de la situation où la ponctuation externe causerait confusion parce qu'elle pourrait être interprétée comme un signe mathématique. C'est le cas notamment du point d'exclamation, qui peut être confondu avec le symbole de la factorielle, ou vice versa. Le remède le plus simple est tout bêtement de s'arranger pour éviter de mettre une formule juste devant un point d'exclamation (voire, un point d'interrogation si la formule est autre chose qu'une seule variable ou un seul nombre, parce que le lecteur risquerait de croire que c'est un symbole spécial). De même, on s'arrangera pour ne jamais commencer une phrase par une formule mathématique, laquelle empêcherait de voir s'il y a une majuscule : c'est facile, il suffit de mettre un mot vide de sens, comme la formule ou la fonction ou la variable ou quelque chose comme ça au début de la phrase. La virgule ou le point externe suivant une formule ne causent pas de confusion en pratique, et d'ailleurs la très légère ambiguïté causée par la virgule peut même être souhaitable (je n'ai pas envie d'ergoter pour savoir si quand j'écris x1 , , xn mes virgules font partie d'une formule mathématique ou sont des ponctuations du texte français).

Dans le cas des formules centrées, je défends deux thèses :

  • primo, que si on tient absolument à mettre la ponctuation qui suit la formule, alors sa place est à la ligne (c'est-à-dire au début de la ligne qui suit la formule) et pas sur la ligne de la formule, une position qui donne malheureusement des boutons à beaucoup de gens ;
  • secundo, qu'il est acceptable et raisonnable, pour ménager ces gens, de supprimer cette ponctuation et que cela s'inscrit dans les principes généraux de la suppression de ponctuation externe après une citation complète.

Autrement dit, je trouve logique mais moche d'écrire (notez le point à la ligne après la formule) :

Les solutions de l'équation ax2 + bx + c = 0 sont données par

x = b ± b2 4ac 2a

. Cette formule se démontre facilement en réécrivant l'équation comme a ( x + b2a ) 2 + ( c b2 4a ) = 0 .

— et généralement préférable d'écrire (en supprimant simplement ce point, et en marquant le coup par un deux-points avant la formule) :

Les solutions de l'équation ax2 + bx + c = 0 sont données par :

x = b ± b2 4ac 2a

Cette formule se démontre facilement en réécrivant l'équation comme a ( x + b2a ) 2 + ( c b2 4a ) = 0 .

En revanche, je rejette la solution (traditionnelle, et courante) consistant à garder le point juste à la fin de la formule. Je ne sais d'ailleurs même pas typographier ça correctement en HTML (je vais revenir là-dessus), donc je ne vous montre pas d'exemple.

Expliquons ma raison pour chacune de ces deux thèses.

Pourquoi la ponctuation externe, si on choisit de la conserver, ne devrait-elle pas se placer à la fin de la formule ?

Pour commencer, il y a le problème de l'ambiguïté que cela pourrait poser. Ce problème n'est pas sérieux avec une formule mathématique (j'ai déjà expliqué que pour les formules en ligne je gardais sans problème la ponctuation externe qui suit parce qu'elle ne cause guère d'ambiguïté, je ne peux pas changer d'avis pour les formules centrées), mais il l'est pour du code informatique. Si j'écris :

La composition de deux fonctions f et g en Haskell se note ainsi :

f . g

— il est évidemment crucial de ne pas mettre un point final, parce que la notation est f . g et il ne faudrait pas laisser croire qu'elle fût f . g . avec un point final (et certes, la police de caractère du point devrait permettre en théorie de distinguer le point de ponctuation externe du point du code Haskell, mais honnêtement, si vous arrivez à distinguer ‘.’ et ‘.’ c'est que vous avez de bons yeux).

Mais ce problème de confusion possible n'est, je le répète, pas un très bon argument pour les formules.

Un autre problème est celui du placement de la ponctuation. Quand je parle de formule mathématique, le terme est un peu vague, et parfois il s'agit de diagrammes entiers, du genre :

La conclusion s'obtient en complétant le diagramme suivant en un pushout :

Z X Y

Où voudriez-vous placer le point final de la phrase externe dans ce dernier exemple ? À droite du X ? Du Y ? À droite de l'espace blanc en-dessous du X et sur la ligne du Y ? Autre chose ? Un diagramme n'a pas de ligne privilégiée.

Il n'y a aucune différence conceptuelle entre un tel diagramme et un graphique ou une image. Or je pense que si la phrase avait été quelque chose comme le génie de Léonard de Vinci frappe aux yeux si on regarde le tableau suivant suivi d'une image de la Joconde, personne n'aurait l'idée de réclamer un point après l'image de la Joconde. Et si on décidait d'en mettre un, on ne saurait pas bien à quel endroit le placer.

J'ai vérifié dans les premières pages d'Algèbre commutative de Bourbaki (où il y a beaucoup de diagrammes commutatifs), et l'éditeur semble avoir omis les ponctuations finales après les diagrammes commutatifs mais pas après les autres sortes de formules. Ceci introduit une distinction complètement artificielle entre certaines formules qui sont des diagrammes et d'autres qui n'en sont pas (apparemment, une suite exacte est considérée comme une formule et pas comme un diagramme… même quand la suite est coupée par un retour à la ligne parce qu'elle est trop longue).

S'il faut vraiment préserver la ponctuation, je répète, la solution que je préconise est de la rejeter à la ligne et d'envoyer paître les gens qui prétendent (au nom de je ne sais quel principe religieux ils ont adopté) qu'une ponctuation ne doit jamais commencer une ligne.

Mais mon problème quant au placement de la ponctuation est surtout celui de la logique : la ponctuation externe doit se placer en-dehors des guillemets qui marquent le début et la fin du texte cité, et s'agissant d'une formule centrée, le rôle des guillemets est joué par l'espacement vertical avec centrage ; le guillemet fermant se finit, donc, après l'espacement vertical qui suit la formule. Donc la ponctuation externe, si on tient à la conserver, a sa place à cet endroit-là : à la ligne qui suit la formule.

Ce n'est pas qu'un problème de pure logique abstraite : cette logique devient apparente dans un certain nombre de circonstances.

Regardez le présent billet : j'ai donné un certain nombre d'exemples dans rectangles sur fond gris. (J'insiste sur le fait que je n'ai pas choisi la dimension précise de ces rectangles : j'ai demandé au CSS d'utiliser le fond gris pour le bloc, et c'est le navigateur qui l'affiche.) Maintenant remontons d'un niveau d'imbrication, regardons la structure du texte du billet entourant les exemples, et imaginons que je ne veuille pas omettre la ponctuation externe suivant un de ces exemples : à quel endroit devrais-je placer cette ponctuation ? Comme elle ne fait pas partie de l'exemple, elle doit nécessairement être hors du rectangle gris ; mais à ce moment-là, les seules possibilités sont de mettre la ponctuation externe soit complètement à droite (ce qui est certes logique et pas vraiment déplaisant, mais presque personne ne fait ça) soit à la ligne.

Cela se voit aussi dans le cas des formules étiquetées, c'est-à-dire suivi d'un numéro ou autre symbole permettant de référencer ultérieurement la formule, laquelle étiquette est rejetée tout à droite sur la ligne de la formule. Du genre :

On a ainsi démontré l'égalité fondamentale :

2+2 = 4 (†)

Ici le signe (†) placé à droite ne fait pas vraiment partie de la formule, mais il l'étiquette, et il ne doit évidemment pas s'appliquer à la ponctuation finale qu'on pourrait vouloir mettre pour clore la phrase externe. Cette ponctuation finale devrait donc se placer après le (†) : encore une fois, ceci nous conduit à la conclusion qu'il faut la mettre soit à l'extrême droite soit à la ligne suivante — mais certainement pas entre le 4 et le (†).

Enfin, le problème de logique se manifeste clairement dans la manière dont on va écrire le texte informatiquement, que ce soit en LaTeX ou en HTML ou probablement en d'autres choses. En LaTeX, si je tape :

On a ainsi démontré l'égalité fondamentale~: \[ 2+2=4 \].

— alors le ‘.’ est rejeté à la ligne suivante (ce qui, je le répète, est logique !) ; tandis que si je le mets à l'intérieur du bloc \[ … \] il est inséré dans la formule (et, par exemple, la police ne sera pas la bonne). Évidemment, il y a moyen de bricoler quelque chose qui marche quand même (typiquement \rlap{\mbox{.}}), mais le fait qu'on doive, justement, bricoler, est bien le signe qu'on va à l'encontre de la logique du document.

On pourrait dire que ce n'est pas grave parce que c'est une spécificité de LaTeX, mais on a exactement le même problème en HTML+MathML : pour écrire un exemple plus haut dans le présent billet, j'ai tapé quelque chose comme ceci :

<blockquote class="typographic-example">

<p>On a ainsi démontré l'égalité fondamentale&nbsp;:</p>

<math xmlns="http://www.w3.org/1998/Math/MathML"
display="block"><mrow>
  <mrow><mn>2</mn><mo>+</mo><mn>2</mn></mrow>
  <mo>=</mo>
  <mn>4</mn>
</mrow></math>

</blockquote>

— et je ne sais même pas où je pourrais mettre un point final ! (Certainement pas dans le bloc <math> puisque ce n'est pas un symbole mathématique, mais si je le mets en-dehors, il va commencer un nouveau paragraphe.) Comme avec LaTeX, il y a sans doute moyen de bricoler une manière de placer un point final qui ne soit pas dans le MathML mais qui s'affiche quand même sur sa ligne ; mais si c'est très moche à la fois en LaTeX et en HTML c'est sans doute un signe qu'on ne devrait pas faire ça.

J'ai expliqué pourquoi si on tient absolument à mettre la ponctuation externe après une formule mathématique, sa place est à la ligne. Venons-en à la question de pourquoi il est raisonnable de la supprimer.

Je commence par le cas, utilisé à titre de comparaison, des citations un peu longues. Il est fréquent, si on cite un texte de plusieurs lignes ou qu'on veut mettre en relief, de le faire en passant à la ligne et en indentant le texte ; et je crois qu'il ne viendrait à l'idée de personne de mettre un point final en bas à droite du texte, même si le texte n'en a pas déjà un à cause de son système d'écriture. Par exemple, si j'écris :

En anglais, le premier article de la Déclaration universelle des droits de l'homme est le suivant :

All human beings are born free and equal in dignity and rights. They are endowed with reason and conscience and should act towards one another in a spirit of brotherhood.

Et en chinois :

人人生而自由,在尊严和权利上一律平等。他们赋有理性和良心,并应以兄弟关系的精神相对待。

Et en arabe :

يولد جميع الناس أحراراً متساوين في الكرامة والحقوق، وقد وهبوا عقلاً وضميراً وعليهم أن يعامل بعضهم بعضاً بروح الإخاء.

Et en hindi :

सभी मनुष्यों को गौरव और अधिकारों के मामले में जन्मजात स्वतन्त्रता और समानता प्राप्त है । उन्हें बुद्धि और अन्तरात्मा की देन प्राप्त है और परस्पर उन्हें भाईचारे के भाव से बर्ताव करना चाहिए ।

— je pense que personne n'aura sérieusement envie d'ajouter un point final externe après ces citations (qu'il soit à la ligne ou à droite du denier mot du texte). Dans le cas de l'anglais, on peut éventuellement justifier ça par l'argument qu'il y en a déjà un et qu'on ne veut pas avoir deux points qui se suivent. En chinois, c'est déjà moins clair, vu que le point chinois est dessiné un peu différemment (ci-dessus j'ai utilisé un U+3002 IDEOGRAPHIC FULL STOP), donc on pourrait imaginer le faire suivre d'un point final externe, mais on ne le fait quand même pas. En arabe, alors que la ponctuation finale interne est à gauche, la ponctuation finale externe devrait être à droite, mais je doute que qui que ce soit ait l'idée de mettre aussi un point final externe à droite (il risquerait de sembler être au début du texte arabe). Enfin, en hindi (enfin, en écriture devanāgarī), la ponctuation finale est vraiment différente (ci-dessus j'ai utilisé un U+0964 DEVANAGARI DANDA), donc l'argument de ne pas vouloir deux points qui se suivent ne peut pas s'appliquer, et pourtant, on ne mettrait pas de point (je ne sais pas à quelle hauteur on mettrait un point, mais il risquerait éventuellement de ressembler à un signe anusvāra).

Et comme je l'ai déjà fait remarquer, on ne mettrait pas non plus un point après une image.

L'explication que je propose pour unifier toutes ces situations est qu'on a affaire à une citation (ou, disons, la mise sous forme isolée) d'un « tout complet », et que c'est ceci qui autorise la suppression de la ponctuation externe.

La définition précise de ce qui constitue un tout complet n'est pas possible, ça dépend de l'interprétation de l'auteur, mais l'idée général est que c'est quelque chose qu'on pourrait imaginer accrocher au mur sans aucun texte introductif. C'est le cas pour le premier article de la Déclaration universelle des droits de l'homme en n'importe quelle langue, et c'est le cas pour une image.

Quand on passe à la ligne (surtout si on met un deux-points pour matérialiser la transition) et qu'on centre ou indente un objet (texte, image, portée musicale…), c'est qu'on veut le présenter explicitement comme un tout complet, et on retire alors la ponctuation externe qui suit, en s'arrangeant pour qu'elle ne soit pas essentielle à la compréhension. Mes exemples en différentes langues ci-dessus montrent que ce n'est pas tant le risque que deux points (un interne, un externe) se suivent immédiatement qui suggère et permet cette suppression de la ponctuation externe — c'est bien le fait de considérer la citation comme un tout complet,

Et j'applique donc la même règle de suppression de la ponctuation externe après une formule mathématique : certes, la fin d'une formule mathématique n'est pas matérialisée par une ponctuation interne finale mais par la grammaire interne des mathématiques, mais elle peut néanmoins constituer un tout complet, et le fait qu'elle soit présentée de façon centrée démontre l'intention de l'auteur de la considérer comme telle. Quand j'ai cité le texte en hindi, j'ai laissé la ponctuation finale du hindi et je n'en ai pas ajouté une autre (externe) derrière : si je citais un texte dans une langue sans ponctuation, je n'ajouterais pas non plus une ponctuation externe après, et c'est le cas d'une formule mathématique, ou, de façon plus importante, d'un bout de code informatique.

Ajout () : Après avoir publié ce billet je me rends compte qu'il y a un cas que j'aurais dû mentionner explicitement, c'est que même en-dehors d'une formule mathématique il est parfaitement possible pour un texte non terminé par une ponctuation de constituer néanmoins un « tout complet ». À titre d'exemple, j'écrirais sans ponctuation (ne serait-ce que parce qu'il n'y en a pas sur l'inscription, qui constitue un tout complet) :

En s'approchant de la pierre tombale, je pus lire le nom de celui pour qui elle avait été érigée :

David Hilbert

(Fin de l'ajout.)

Encore une fois, cette suppression de ponctuation externe n'est pas absolue ni obligatoire : je répète que si on tient à la préserver, je considère tout à fait légitime qu'on le fasse, mais dans ce cas l'emplacement normal de cette ponctuation externe est à la ligne pour les raisons que j'ai déjà expliquées. Comme beaucoup de gens ont l'air de considérer qu'il est très laid voire carrément inacceptable d'avoir une ponctuation en début de ligne, ce que j'ai proposé est une solution raisonnablement logique pour justifier la possibilité de sa suppression.

Et encore une fois, cette suppression de ponctuation externe n'est possible que si la ponctuation supprimée est un point, ou à la rigueur une virgule. La suppression du point ne pose pas de grave problème car l'information qu'une nouvelle phrase commence est apportée par la majuscule qui suit (on pourra éventuellement éviter de faire commencer la phrase suivante par un nom propre pour éviter une très légère ambiguïté dans ce cas). Pour la virgule, j'ai déjà évoqué plus haut (et abondamment employé dans ce billet) ma solution idiosyncratique qui consiste à la remplacer par un tiret, mais je conçois aussi qu'on ne mette rien du tout (et qu'on commence donc simplement la ligne suivante par une minuscule), et ça doit m'arriver. Pour un point-virgule, je pense qu'on peut s'arranger pour se ramener au cas d'un point ou d'une virgule.

En revanche, un point d'interrogation ou d'exclamation ne devraient jamais être supprimés, car ils sont porteurs d'information : si on ne veut pas les reporter à la ligne le mieux est donc sans doute de reformuler la phrase. (En tout cas, on ne peut pas les mettre à la fin de la formule car cela causerait confusion. Une solution idiosyncratique que j'eus parfois employée consiste à les mettre juste avant le deux-points qui introduit la formule ou image ou citation, mais là on est vraiment dans une ponctuation non-standard ; en fait, idéalement, j'aimerais avoir un deux-points d'interrogation et un deux-points d'exclamation, comme j'aimerais, d'ailleurs, avoir une virgule d'interrogation et une virgule d'exclamation pour des cas un peu analogues. Mais je digresse.)

Bref, je pense avoir assez justifié mon choix typographique de supprimer régulièrement la ponctuation (point ou virgule) après une formule centrée.

Mais j'insiste bien là-dessus : ce que j'ai prétendu expliquer ici est mon choix typographique et mes raisons pour ce choix. Je n'ai aucunement l'intention de faire du prescriptivisme typographique ni de dire que mon choix est le seul valable. Ce qui importe avant tout est d'être vaguement cohérent dans ses conventions et d'y avoir un peu réfléchi. Si mes arguments ne vous convainquent pas, ne les suivez pas, je lirai quand même vos articles de maths (ou peut-être pas, mais ce ne sera pas à cause de ça). Je ne vais pas m'arracher les cheveux en me lamentant : Horreur ! Un point à la fin d'une formule ! Il Ne Faut Pas ! (Surtout que la convention de garder la ponctuation après les formules est la plus fréquente[#2].)

[#2] D'ailleurs, si vous avez des exemples de livres imprimés qui suivent plus ou moins ma convention, ça m'intéresse qu'on me les signale en commentaires.

Mais symétriquement, j'entends qu'on respecte mes choix. Car s'il y a une chose qu'on peut dire avec les maniaques de la typographie, c'est qu'ils ont tendance à être pénibles et prescriptivistes, et à mêler ces deux défauts dans un cocktail vraiment insupportable. Comme on le voit, j'ai réfléchi à la question, et je suis arrivé à une certaine conclusion : j'accepte qu'on me présente des contre-arguments, mais si ces contre-arguments se limitent à c'est comme ça qu'on fait (ou, pire, voici la règle donnée par le Lexique) ils n'ont aucun intérêt. Ça m'agace au plus au point qu'on prétende me dicter la manière de taper du texte tout en me considérant comme un ignare sur la question auquel on peut fournir des arguments à 0.02¤ (comme : il faut une ponctuation finale à toute phrase, même aux formules ! — si on peut appeler ça un argument). Si vous avez une proposition différente, n'hésitez pas à la formuler, mais elle ne m'intéressera véritablement que si elle est un minimum réfléchie.

Et donc, pour répondre à la méta-question de pourquoi je prends la peine d'écrire comme ça des tartines sur une question aussi triviale, c'est qu'il m'a fallu un certain temps pour dégager pour moi-même un ensemble de règles dont je sois plus ou moins satisfait et qui concilient logique et esthétique, c'est quand même raisonnable d'essayer de les documenter un peu (et les justifier), car d'autres pourraient vouloir s'en inspirer. Si elles ne vous plaisent pas, imaginez les vôtres — mais ne vous laissez pas trop facilement dicter la manière d'écrite par les prescriptivistes qui n'ont pas sérieusement réfléchi à ce qu'ils proposent.

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