Ce matin, j'ai fait passer des oraux d'examen (il s'agissait d'oraux pour des candidats n'ayant pas pu se présenter à l'examen écrit normalement prévu) : à cause d'obligations de mon côté et de contraintes extrêmement serrées dans la planification de ces oraux (aucun créneau n'avait été réservé à l'avance, et les résultats doivent être finalisés en très peu de temps), je les ai fait passer par visioconférence. C'est l'occasion de compléter ce que j'avais écrit l'an dernier sur l'enseignement à distance : en l'occurrence, je veux surtout dire que les oraux par vidéo, c'était une très très mauvaise idée et je regrette de ne pas avoir fait plus d'efforts pour trouver une solution en présentiel.
En fait, ça ressemblait un peu à la caricature de la réunion par vidéo dont on a vu plein de versions pendant la pandémie (un participant n'a pas le son, un autre n'a pas l'image, un troisième parle au groupe en oubliant qu'il a le micro coupé, un quatrième parle à son chien en oubliant qu'il n'a pas le micro coupé, etc.). Je pensais pourtant avoir assez essuyé les plâtres, mais visiblement pas.
J'ai prévu la visio par BigBlueButton. (J'évite d'utiliser Zoom, à la fois par principe, mais aussi parce que j'ai plus l'habitude de BigBlueButton, que j'ai utilisé avec succès pour échanger avec mon doctorant et son co-encadrant pendant la pandémie, et à diverses reprises pour toutes sortes d'autres raisons, y compris pour faire des rencontres virtuelles entre copains ; mais surtout, je peux facilement créer et paramétrer une conférence à ma convenance sur le BigBlueButton qu'un collègue a installé pour notre département, alors que pour Zoom il faut que je passe par la direction des études de l'école, c'est beaucoup plus lourd pour moi. Mais avant qu'on me dise que c'est ma faute et que je n'avais qu'à utiliser Zoom comme tout le monde, je précise qu'aucun des problèmes que je vais évoquer n'est imputable à BigBlueButton.)
J'avais d'ailleurs fait une petite séance de questions-réponses par BigBlueButton pour permettre aux élèves de l'ensemble du cours de me poser des questions avant l'examen final (qui a eu lieu par écrit sauf pour les quelques dispensés auxquels je faisais passer un oral ce matin), et tout s'était bien déroulé.
Pour les oraux, j'avais cru prévoir les choses correctement : j'ai ouvert la salle de conférence virtuelle plusieurs jours à l'avance, j'ai communiqué le lien + code d'accès aux candidats, en leur demandant de vérifier qu'ils arrivaient à se connecter et que le son marchait correctement. Mais surtout, je leur ai demandé de s'assurer d'avoir bien un moyen d'écrire de manière à ce que je puisse lire ce qu'ils font. Car le sujet sur lequel portait ces oraux demande de faire des schémas.
Il y a plusieurs façons de s'en tirer : la solution « high-tech » consiste à avoir une tablette graphique et utiliser un logiciel spécialisé (personnellement j'utilise Xournal, mais il y en a d'autres) pour pouvoir gribouiller avec la tablette sur un tableau blanc virtuel : BigBlueButton permet alors de partager la fenêtre ou l'écran tout entier, et ainsi de montrer à tout le monde ce qu'on gribouille. C'est comme ça que je faisais cours à distance pendant la pandémie, et j'ai continué à écrire mes cours sur tablette graphique depuis (avec un vidéoprojecteur en lieu de tableau). La solution « lo-tech » consiste à écrire simplement sur un papier et à filmer le résultat avec une webcam. J'ai dit aux candidats de vérifier qu'une de ces solutions, ou une autre, leur convenait, de contacter les services informatiques de l'école pour se voir prêter du matériel si besoin (tablette et/ou webcam), et de me contacter en cas de problème. Bref, je pensais avoir bien préparé les choses pour éviter les emmerdes.
(Bon, il y a une chose que j'ai assurément mal faite, c'est de ne prévoir que 5min de battement entre deux oraux, et une seule salle virtuelle pour tous, donc pas de possibilité de rattaper le temps en cas de problème technique.)
La première personne qui passait son oral avait prévu d'écrire sur une tablette mobile et de partager via son ordinateur. Malheureusement, elle a vu son ordinateur s'éteindre au bout d'une minute ou deux (surchauffe, peut-être ?). Tout a fini par remarcher, mais le temps que la machine redémarre a été perdu (et je n'ai pas pu le rattraper en décalant les oraux suivants parce que je n'avais pas prévu de marge). Comme en plus la tablette était petite, et son utilisation visiblement un peu malcommode, il était difficile de faire des figures complexes.
La deuxième personne avait prévu de filmer un papier avec une webcam, mais la webcam qu'on lui avait prêtée voyait double : je ne sais pas si c'était une caméra prévue pour faire de la 3D ou si c'était un problème de format vidéo, mais l'image était divisée verticalement en deux moitiés qui correspondaient chacune à une vue à peu près normale. C'était assez difficile pour moi de suivre dans ces conditions.
La troisième personne candidate a d'abord eu un problème de son (elle m'entendait mais je ne l'entendais pas ; puis elle s'est connectée une deuxième fois par téléphone, mais ça a causé un effet Larsen très pénible) qui a été un peu long à régler et le son était mauvais tout du long, peut-être parce que la connexion réseau n'était pas très bonne. Puis elle avait prévu d'utiliser une tablette (avec un truc comme Microsoft Whiteboard je crois), mais manifestement ça marchait mal, les traits ne s'affichaient pas comme elle voulait, bref, c'était insupportable pour écrire, et elle a dû se replier sur la solution consistant à filmer son cahier avec la webcam, et j'ai dû lire à l'envers ce qu'elle écrivait.
Évidemment, mon rôle est d'arriver à faire abstraction de ces
difficultés techniques, et j'ai quand même assez entendu les trois
personnes candidates pour les évaluer de façon — je pense — honnête
sur le fond. Mais tout ça a diminué le temps effectivement disponible
pour les oraux et c'était au mieux stressant pour les candidats et
frustrant pour moi. (Un autre aspect frustrant est qu'il est
difficile d'attirer l'attention sur un bout de ce qu'ils ont tracé
comme figure quand je ne peux pas physiquement mettre le doigt
dessus : j'ai dû avoir recours à des périphrases compliquées
comme la transition étiquetée ‘b’ qui relie l'état qui n'a pas de
nom vers le milieu de votre dessin et celui qui est étiqueté ‘4’ mais
je veux dire le ‘4’ de gauche parce que vous avez deux états ‘4’ à
cause du copier-coller
.)
La moralité, c'est que les solutions de type « écriture à la tablette graphique » nécessitent un certain temps de prise en main (pour s'assurer qu'on sait s'en servir, que la tablette marche bien, etc.), et qu'il ne faut pas improviser ça pendant un oral, même si on a pris le soin d'encourager à vérifier à l'avance. Quand j'ai commencé l'enseignement en hybride (occasionnellement devenu purement à distance) à la rentrée 2020–2021, j'ai pris le soin de vérifier très soigneusement à l'avance que je savais utiliser la tablette, que je savais utiliser Xournal, que je savais utiliser Zoom, que le wifi passait bien dans les salles de cours et que je pouvais m'y connecter et que la connexion était stable, que je savais me reconnecter en cas de déconnexion du wifi, que je savais utiliser le vidéo-projecteur, et que je savais combiner tous ces éléments ; et quand j'ai testé la tablette et Xournal, j'ai testé plus qu'écrire un petit trait et vérifier que ça marche — j'ai écrit au moins une page entière de texte et de dessin pour me familiariser avec la réponse du stylet, les outils d'édition, les limites de ce que je pouvais écrire, etc.
Si je dois malgré tout faire de nouveau passer des oraux par visio, je pense que j'adopterai l'approche suivante : c'est moi qui tiens le stylo, en l'occurrence avec ma tablette et en partageant ma fenêtre Xournal, et c'est la personne qui passe l'oral qui me dit quoi écrire et comment faire ma figure. (En plus, comme ça je pourrai corriger tout seul les erreurs extrêmement mineures qui ne méritent pas d'être pénalisées mais qui font perdre du temps pour rien, et je pourrai montrer des régions de la figure sans avoir à passer par des périphrases pénibles.)
D'un autre côté, peut-être que la compétence « être capable de se débrouiller devant de solutions informatiques parfois frustrantes ou mal configurées » devrait faire partie des choses qu'on enseigne aux élèves de la grande école française des technologies numériques. Il y a un mythe tenace selon lequel la « génération Z » sait de façon presque innée comment utiliser un ordinateur (voire, que ce sont eux qui vont tout expliquer à leurs profs complètement largués par ces nouvelles technologies ; cf. aussi ce fil Twitter) : si c'était vrai, nous n'aurions pas grand-chose à leur enseigner, mais en tout cas, s'ils arrivent peut-être avec une grande familiarité de certaines interfaces graphiques, je n'ai pas l'impression qu'ils soient si doués pour prévoir les emmerdes possibles et les contourner.