David Madore's WebLog: 2017-08

Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le reste de ce site web, parle de tout et de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait), des maths à la moto et ma vie quotidienne, en passant par les langues, la politique, la philo de comptoir, la géographie, et beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas, ainsi que d'occasionnels rappels du fait que je préfère les garçons, et des petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le nom collectif de fragments littéraires gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes traduites dans les deux langues) ; il est maintenant presque exclusivement en français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut). Cette page-ci rassemble les entrées publiées en août 2017 : il y a aussi un tableau par mois à la fin de cette page, et un index de toutes les entrées. Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs « catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le texte de l'entrée elle-même.

You are on David Madore's blog which, like the rest of this web site, is about everything and anything (mostly anything, really), from math to motorcycling and my daily life, but also languages, politics, amateur(ish) philosophy, geography, lots of ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders of the fact that I prefer men, and some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the collective name of gratuitous literary fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning (some entries were in English, others in French, and a few translated in both languages); it is now almost exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top). This page lists the entries published in August 2017: there is also a table of months at the end of this page, and an index of all entries. Some entries are classified into one or more “categories” (indicated at the end of the entry itself), but this organization isn't very coherent. The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced before and after the text of the entry itself.

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Entries published in August 2017 / Entrées publiées en août 2017:

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(jeudi)

Petit guide bordélique de quelques ordinaux intéressants

Méta / avant-propos

L'écriture de cette entrée aura été assez chaotique, et un peu un échec : j'ai changé plusieurs fois d'avis sur ce que je voulais y mettre, et du coup le résultat est parti un peu dans tous les sens. Cela faisait longtemps que je me disais que je devrais écrire quelque chose sur des ordinaux remarquables (comme une suite de l'entrée d'introduction à leur sujet), j'y ai repensé en écrivant l'entrée sur la programmation transfinie, je m'y suis remis en reprenant (et en copiant-collant) des bouts de choses que j'avais écrites antérieurement et laissées de côté, mais ça s'est enlisé. Je commence par expliquer pourquoi — et dans une certaine mesure, comment lire cette entrée.

Ajout : j'aurais sans doute ajouter quelque part un lien vers ce billet passé où je parle de l'aspect psychologique de pourquoi les ordinaux me fascinent.

Mon idée initiale était d'aider le lecteur à situer un certain nombre d'ordinaux intéressants (dont j'ai pu parler par le passé ou dont je pourrais parler ultérieurement) en les classant dans l'ordre (ce qui est bien avec les ordinaux, c'est qu'ils sont, justement, bien ordonnés) : j'ai déjà écrit cet autre texte à ce sujet (lié depuis l'entrée précédente), mais il est un plutôt technique, son but étant surtout de rassembler des pointeurs vers la littérature mathématique publiée, alors qu'ici je voulais donner un aperçu plus intuitif de (certains de) ces ordinaux intéressants.

Je me suis dit que j'allais faire un plan en trois parties, que j'appellerai domaines : (1) les ordinaux calculables (et a fortiori dénombrables), c'est-à-dire les ordinaux strictement inférieurs à l'ordinal de Church-Kleene ω₁CK, (2) les ordinaux non calculables mais néanmoins dénombrables, c'est-à-dire ≥ω₁CK mais néanmoins <ω₁ (qui, en gros, ne sont intéressants que s'ils sont « admissibles »), et (3) les ordinaux non dénombrables (qui, en gros, ne sont intéressants que s'ils sont des cardinaux). Ce plan a le bon goût de permettre d'insister sur le fait que, par exemple, certains ordinaux, bien que monstrueusement grands et complexes à définir, sont néanmoins encore calculables (domaine (1), c'est-à-dire <ω₁CK), ce qui donne une petite idée de combien ω₁CK est gigantesque.

Mais ce plan a aussi l'inconvénient que l'ordre naturel sur les ordinaux (la taille, quoi) n'est pas du tout la même chose que l'ordre d'importance, d'intérêt, ou de difficulté à les définir (je peux définir ω₁ en disant que c'est le plus petit ordinal indénombrable, ou que c'est l'ensemble des ordinaux dénombrables triés par ordre de taille : ça ne laisse peut-être pas comprendre à quel point il est riche et complexe, mais au moins, c'est une définition nette et précise, alors que certains ordinaux beaucoup plus petits, quoique structuralement moins riches, sont beaucoup plus subtils à définir, puisqu'on veut les définir, justement, de façon beaucoup plus précise et complète). Plus subtilement, d'ailleurs, mon plan par taille des ordinaux a aussi l'inconvénient que l'ordre de taille n'est même pas l'ordre de dépendance logique des ordinaux : c'est ce phénomène qu'on appelle imprédicativité qui veut qu'on fasse appel, pour construire certains ordinaux, à des ordinaux encore plus grands ; ainsi, la construction de l'ordinal de Bachmann-Howard (qui est <ω₁CK, donc dans le domaine (1) de mon plan) fait appel à une « fonction d'écrasement », qui présuppose de savoir ce que c'est que ω₁CK ou peut-être ω₁ (l'un ou l'autre peut servir, et on lui donne le nom de Ω dans les notations), et c'est encore pire dans la construction d'ordinaux calculables encore plus grands, qui nécessitent d'invoquer des ordinaux récursivement grands ou de grands cardinaux.

Je le savais, bien sûr, mais je pensais pouvoir contourner ces difficultés en fournissant au fur et à mesure des informations minimales sur les grands ordinaux des domaines (2) et (3) alors que je décrivais le domaine (1), quitte à y revenir plus tard. Finalement, c'est une très mauvaise idée, et cette partie (1) a beaucoup trop gonflé et est devenue, du même coup, assez illisible. (Un autre problème est que ce qui rend les ordinaux calculables vraiment intéressants est leur lien avec certaines théories logiques, et il faudrait vraiment beaucoup de place pour expliquer ce que sont exactement des théories telles que la « théorie des ensembles de Kripke-Platek », l'« arithmétique du second ordre limitée à la Δ¹₂-compréhension », la « théorie des définitions inductives ».) En même temps que ça, j'ai commencé à en avoir vraiment marre d'écrire sur des ordinaux de plus en plus techniques à expliquer. Du coup, j'ai calé sur la partie (1), ce qui casse vraiment l'intention initiale, puisque j'avais surtout envie (pour rester sur la lancée de la programmation transfinie) d'essayer de dire des choses sur les ordinaux nonprojectibles, stables et compagnie, qui sont résolument dans la partie (2).

Au final, c'est un peu n'importe quoi : cette entrée me fait l'effet d'une moussaka géante où on ne comprend plus rien. Mais je pense qu'il y a quand même un certain intérêt à ce que je publie ce « n'importe quoi » plutôt que de le ranger dans mes cartons, c'est-à-dire dans le vaste cimetière des entrées que j'ai commencées et jamais publiées. Car après tout, ce que j'écris est correct (enfin, je crois), et même si vers la fin je lance dans l'air de plus en plus de termes non définis faute de patience pour les définir, ou que je pars complètement dans l'agitage de mains, certains en tireront quand même quelque chose.

Finalement, les différentes sous-parties de cette entrée sont, je l'espère, assez indépendantes les unes des autres, donc comme d'habitude, et même plus encore que d'habitude, j'encourage à sauter les passages qu'on trouve incompréhensibles ou trop techniques (beaucoup d'entre eux ne servent, finalement, à rien).

Comme expliqué ci-dessus, je vais d'abord faire quelques remarques générales sur les ordinaux intéressants, expliquer plus précisément le plan que j'avais en tête, puis parler d'ordinaux calculables (i.e., <ω₁CK, le domaine (1)), et m'arrêter en queue de poisson.

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(vendredi)

Ruxor apprend (péniblement) à conduire

Ayant obtenu le code le mois dernier, je profite du fait que je n'ai pas de cours à donner pour quelque temps pour prendre des cours de conduite. Je ne peux pas dire, après 10 heures de leçons (plus 3 heures sur simulateur) que je sois franchement enthousiasmé par l'expérience. Ni le moniteur par mes progrès : La formation sera longue…

Il trouve notamment que je suis trop crispé sur le volant, ce qu'il interprète comme une forme de peur. Je ne dis pas qu'il ait tout à fait tort (la voiture individuelle est certainement un moyen de transport passablement dangereux, mais enfin, je suis déjà monté dans les voitures de gens conduisant plutôt dangereusement, je n'étais pas recroquevillé de terreur, il n'y a pas de raison que je n'arrive pas, à terme, à être plus prudent qu'eux, et en tout cas, pour l'instant, je suis avec quelqu'un qui est bon pour rattraper les erreurs[#]) ; mais ce que je ressens surtout, c'est l'impression d'être débordé par les choses qui demandent mon attention en même temps, ne serait-ce que le nombre d'étapes pour faire des choses aussi débiles que démarrer ou s'arrêter (sans caler[#2]…) sur une voiture à conduite manuelle.

Ce n'est pas que ce soit difficile, mais j'ai un peu l'impression de jouer à un jeu comme Jacques a dit : du genre avant de prononcer une phrase qui commence par une consonne, vous devez lever le bras droit, à chaque fois que vous utilisez le mot le vous devez claquer des doigts, et tous les sept mots exactement vous devez taper du pied : ceci étant, racontez-moi vos vacances (mais pourquoi allez-vous si lentement ?) — oui, merci, je crois que j'ai compris et retenu les règles (celles auxquelles j'ai eu droit pour l'instant, du moins), mais avant d'en faire un automatisme, avant de me les approprier[#3], comme dit mon moniteur, il me faudra effectivement du temps. Je comprends pourquoi ce n'est pas une bonne idée d'attendre 40+ ans pour ça. Et je comprends aussi pourquoi les Américains n'aiment pas les boîtes de vitesse manuelles et les embrayages. Sans même parler des règles de la circulation à respecter en même temps, et de tous les gens à surveiller autour : je suis très mauvais pour le multitâche, et si je perds le fil, j'ai tendance à ne plus du tout savoir où j'en suis et à faire vraiment n'importe quoi, ce qui est une très mauvaise idée en voiture.

Le simulateur devrait permettre d'acquérir ces automatismes par la répétition d'exercices faciles. Mais le simulateur ne sanctionne pas certaines mauvaises pratiques (il ne vérifie pas qu'on tient le volant correctement, qu'on garde le pied sur le frein à l'arrêt, ce genre de choses), et mon moniteur n'a pas l'air convaincu par son utilité.

Bon, après, mon moniteur a aussi l'air de penser que le seul vrai permis de conduire est celui qu'on obtient à Paris (où la route n'arrête pas de changer de direction et de largeur, où les gens arrivent dans tous les sens, où il y a tellement d'inspecteurs à l'examen qu'on ne peut pas bachoter selon les habitudes de chacun, etc.) ; en tout cas, il n'a pas l'air de penser grand bien de celui qu'on obtient en des plus petites villes en France ni dans certains autres pays.

(Je n'attends pas non plus avec impatience la voiture qui se conduit toute seule : vu le niveau désastreux de la sécurité informatique en général, elle sera certainement moins dangereuse qu'une voiture conduite par un humain… jusqu'au jour où un pirate russe prendra le contrôle de 100000 voitures simultanément dans le monde et les enverra toutes foncer n'importe où, et en comparaison les guignols de terroristes qui font peur à faire ça un par un ils paraîtront bien anodins. L'avenir ne m'enthousiasme donc pas trop.)

En attendant, ce qui est sûr, c'est que je connais maintenant très bien le parking du cimetière de Chevilly-Larue pour en avoir fait plein de fois le tour (et il a l'air très populaire auprès des auto-écoles, vu que nous n'étions pas les seuls).

Ajout : pour la suite de mes aventures de permis de conduire, c'est ici et .

[#] Ce qui m'amène d'ailleurs à me demander comment on forme les moniteurs d'auto-école : est-ce qu'ils ont des leçons pratiques où un méta-moniteur s'asseoit à la place de l'élève (i.e., du conducteur) et fait volontairement des erreurs de débutant pour vérifier que le moniteur arrive à les rattraper à temps ? Et du coup, comment forme-t-on les méta-moniteurs (et ainsi de suite, comme le fameux problème de la construction des grues de chantier) ? Que de questions sans réponse !

[#2] Mon problème à ce stade, ce n'est pas tellement que je cale, c'est plutôt que je suis tellement précautionneux lorsque je relâche l'embrayage pour ne pas caler en démarrant que le chauffeur derrière moi s'énerve et me double dangereusement.

[#3] Déjà, juste la façon dont on me dit que je dois manier le volant dans les tournants importants (genre, à angle droit) ne me semble pas du tout naturelle : à part qu'il ne faut pas que je sois crispé, on m'apprend qu'il faut chevaucher les mains, moi je trouverais beaucoup naturel de les faire glisser — rien que ça, ça me mobilise de l'espace mental pour rien.

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(vendredi)

Un peu de programmation transfinie

Ça fait très longtemps que j'ai envie d'écrire cette entrée, parce que je trouve le sujet extrêmement rigolo : en gros, ce dont je veux parler, c'est comment définir et programmer un ordinateur transfini ? (comment concevoir un langage de programmation considérablement plus puissant qu'une machine de Turing parce qu'il est capable de manipuler directement des — certains — ordinaux ?). Techniquement, ce dont je veux parler ici, c'est de la théorie de la α-récursion (une branche de la calculabilité supérieure qui a fleuri dans les années '70 et qui semble un peu moribonde depuis) ; sauf que la α-récursion n'est jamais présentée comme je le fais ici, c'est-à-dire en décrivant vraiment un langage assez précis dans lequel on peut écrire des programmes pour certains ordinateurs transfinis. Ces ordinateurs ont le malheur de ne pas pouvoir exister dans notre Univers (encore que, si on croit certaines théories complètement fumeuses que j'avais imaginées… ?) ; mais même s'ils n'existent pas, je pense que le fait d'écrire les choses dans un style « informatique » aide à rendre la théorie mathématique plus palpable et plus compréhensible (en tout cas, c'est comme ça que, personnellement, j'aime m'en faire une intuition).

Bref, ce que je voudrais, c'est que cette entrée puisse plaire à la fois à ceux qui aiment la programmation et à ceux qui aiment les ordinaux ; ce que je crains, c'est qu'en fait elle déplaise à la fois à ceux qui n'aiment pas la programmation et à ceux qui n'aiment pas les ordinaux — ce qui est logiquement différent. On verra bien.

Il faut que je précise que tout ce que je raconte est un territoire relativement mal couvert par la littérature mathématique (il y a certainement des gens qui trouveraient tout ça complètement évident, mais je n'en fais pas partie, et comme je le disais, je soupçonne que la plupart étaient surtout actifs vers '70 et sont maintenant un peu âgés ou sont passés à autre chose), et jamais de la manière dont je le fais (comme un vrai langage de programmation : il y a des gens qui ont « redécouvert » des domaines proches comme avec les machines de Turing infinies ou les machines ordinales de Koepke, mais c'est un peu différent). Du coup, il faut prendre tout ce que je raconte avec un grain de sel : je n'ai pas vérifié chaque affirmation avec le soin que j'aurais fait si j'étais en train d'écrire un article à publier dans un journal de recherche.

Une autre remarque : cette entrée contient un certain nombre de digressions, notamment parce que je pars dans plusieurs directions un peu orthogonales. Je n'ai pas voulu les mettre en petits caractères comme je le fais souvent, pour ne pas préjuger de ce qui est important et ce qui ne l'est pas, et je n'ai pas eu le courage de tracer un leitfaden, mais tout ne dépend pas de tout : donc, si on trouve un passage particulièrement obscur ou inintéressant, on peut raisonnablement espérer(!) qu'il ne soit pas vraiment important pour la suite.

*

Pour faire une sorte de plan ce dont je veux parler, je vais décrire un langage de programmation assez simple (dont la syntaxe sera imitée de celle du C/JavaScript) et différentes variantes autour de ce langage. Plus exactement, je vais définir quatre langages : un langage (0) « de base » et deux extensions qu'on peut appliquer à ce langage (les extensions « forward » et « uloop », qui seront définies après), de sorte qu'à côté du langage (0) de base, il y aura le langage (1) avec extension « forward », le langage (2) avec extension « uloop », et le langage (3) avec les deux extensions à la fois ; tout ça peut encore être multiplié par deux si j'autorise les tableaux dans le langage, ce qui, finalement, ne changera rien à son pouvoir d'expression, et c'est peut-être surprenant.

Chacun de ces langages pourra servir dans le « cas fini » (le langage manipule des entiers naturels, et chacun des langages (0)–(3) peut être implémenté sur un vrai ordinateur et servir de vrai langage de programmation) ou dans le « cas transfini » (le langage manipule des ordinaux). J'expliquerai plus précisément en quoi consiste ce cas transfini, mais je veux insister dès à présent sur le fait que les langages de programmation (0)–(3) seront exactement les mêmes dans ce cas transfini que dans le cas fini (plus exactement, leur syntaxe sera exactement la même ; la sémantique pour les langages (0)&(1) sera prolongée, tandis que pour les langages (2)&(3) elle sera raffinée et dépendra d'un « ordinal de boucle » λ).

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(mardi)

Titus n'aimait pas Bérénice (et une digression sur Bérénice)

Titus n'aimait pas Bérénice, de Nathalie Azoulai (prix Médicis 2015) :

Ce livre m'a assez plu, mais n'était pas ce que je pensais.

La pièce de Racine, Bérénice, est une de mes œuvres littéraires préférées[#], dont j'admire à la fois la pureté de la langue, le dénuement de l'action et la force des sentiments.

Je pensais que Titus n'aimait pas Bérénice serait une sorte de fantaisie autour de cette pièce : une réadaptation moderne, une enquête autour d'elle, une analyse, une mise en abyme, quelque chose comme ça. En fait, ce n'est rien de tout ça : c'est essentiellement une biographie de Racine. Certes, cette biographie est romancée (combien, je ne sais pas : je ne suis pas historien) et l'auteure tente d'expliquer ou d'imaginer l'état d'esprit de Racine quand il écrit ses différentes pièces (dont Bérénice, donc, mais pas plus que les autres) ; finalement, je ne peux pas dire que j'aie appris grand-chose sur la pièce ou sur son sens, alors que j'en ai appris sur Racine.

La biographie de Racine est bien insérée dans une histoire-cadre en rapport avec la pièce : dans cette histoire (contemporaine), un dénommé Titus rompt avec sa maîtresse dénommée Bérénice pour rester auprès de sa femme dénommée Roma. C'est ce qui censément pousse la Bérénice en question à se renseigner sur la vie de Racine. Mais cette histoire-cadre est très mince en nombre de pages, je ne la trouve pas terriblement intéressante, sa morale, si elle en a une, est confuse ; et honnêtement, elle ne sert pas à grand-chose, car le lien qu'elle établit avec la partie biographique est ténu et artificiel. Si le but était de faire comprendre au lecteur quelque chose sur Bérénice ou sur les séparations amoureuses ou les peines de cœur, il aurait fallu s'arranger pour que cette leçon, et le lien avec la vie de Racine, soient présentés de façon moins cryptique. Là on a juste l'impression que deux histoires différentes — la véritable histoire, et un prétexte pour la dérouler — se sont mélangées, impression d'autant plus agaçante qu'il n'y a quasiment aucun élément les reliant, et aucune convention typographique les séparant (beaucoup d'auteurs, dans un cas semblable, changent de police de caractères ou font quelque chose du genre : c'est vraiment idiot de s'en être privé, cela ne fait qu'embrouiller le lecteur).

Mais prise isolément, la biographie est intéressante et bien écrite. Le personnage de Racine est rendu vraiment vivant et attachant. On est sensible à la manière dont il est tiraillé par des forces contradictoires — essentiellement la fascination pour le roi Louis XIV et l'influence de ses maîtres et de sa tante à Port-Royal — entre sa fascination pour ses héroïnes et pour les actrices qui les jouent et la condamnation du théâtre impie par les jansénistes. Peut-être que j'ai ressenti cela d'autant plus fortement que j'ai plusieurs fois fait la promenade de Chevreuse aux ruines de Port-Royal-des-Champs (a.k.a., « chemin de Racine », voir aussi ici)[#3]. Mais indépendamment de ça, je pense que cette biographie — peut-être partiellement romancée, je répète que je n'en sais rien — est plus captivante, et nous fait mieux comprendre la personnalité de l'écrivain, qu'un traité plus académique et plus long sur la vie de Racine.

Bref, je recommande ce petit livre où on ne s'ennuie pas, mais je recommande d'ignorer les intrusions de l'histoire-cadre.

*

[#] Digression (relativement à propos quand même) : Une de mes œuvres préférées, mais j'ai toujours regretté que le triangle amoureux Titus-Bérénice-Antiochus ne soit pas fermé de la façon qui en fasse vraiment un triangle, c'est-à-dire : que la raison pour laquelle Titus se sépare de Bérénice serait qu'il se rende compte qu'il aime en secret Antiochus (lequel aime Bérénice, laquelle aime Titus). • Je l'ai déjà dit mais je le répète[#2] : saloperie que l'homophobie qui nous a privé de toutes sortes de possibilités intéressantes dans la culture classique ! Saloperie d'homophobie tellement profondément ancrée dans les esprits qu'on pouvait montrer sur scène toutes sortes de crimes et de vices, mais deux hommes, ou deux femmes, qui s'aiment ouvertement, non. Et maintenant, le XVIIe siècle est passé, plus personne ne sait écrire le français comme Racine, et même si quelqu'un savait, ça ne se vendrait pas, et même si ça se vendait, ça mettrait encore des siècles à devenir un « classique » et à imprégner notre culture. • J'avais moi-même commencé à essayer de débuter d'entreprendre d'écrire une pièce de ce genre, mais il faut reconnaître que respecter toutes les règles du théâtre classique, des « trois unités » aux contraintes prosodiques de l'alexandrin et de l'alternance des rimes, c'est un exercice vraiment difficile pour lequel je n'ai qu'un talent très limité et certainement pas le temps pour mener la tâche à bien. • De façon amusante, d'ailleurs, dans l'excellente adaptation de la pièce (je parle du Bérénice de Racine) faite pour la télévision par Jean-Claude Carrière et Jean-Daniel Verhaeghe, avec Carole Bouquet dans le rôle éponyme, Gérard Depardieu en Titus et Jacques Weber en Antiochus, les artistes se sont amusés à écrire, jouer et tourner, une scène « bonus », une fin alternative, qui part à peu près exactement du postulat que j'ai décrit ci-dessus (Titus était pédé — ça fait un demi-alexandrin) : elle n'a été diffusée, je crois, qu'une seule fois, sur Arte (dans le cadre de l'émission Metropolis), quatre jours après la pièce elle-même, le 16 septembre 2000. Si quelqu'un arrive à retrouver une vidéo, ou le texte utilisé, ça m'intéresse…

[#2] D'ailleurs, je pensais que toute la digression qui précède était un radotage de ma part et que j'avais déjà raconté tout ça, mais je n'en trouve plus aucune trace. Comme quoi, parfois, il vaut mieux prendre le risque de radoter que de se taire en se disant je l'ai déjà écrit quelque part.

[L'âne et une chèvre de Port-Royal-des-Champs][#3] La dernière fois que j'ai fait cette promenade (fin octobre 2016), il y avait un âne et deux chèvres, tous les trois très amicaux, sur le terrain de l'abbaye, et mon poussinet a fait copain-copain avec eux (preuve ci-contre, cliquez pour agrandir). Ils vendaient aussi du miel des ruches de Port-Royal. Tout ça va très bien avec les vers de Racine niaisement bucoliques qui sont reproduits tout du long du chemin. [Ajout : cf. cette entrée ultérieure sur des animaux proches (et pour un avis de décès de cet âne).]

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(mardi)

Kalpa impérial

J'ai rarement trouvé un livre dont je me dise autant qu'il avait été écrit pour moi que Kalpa impérial d'Angélica Gorodischer. J'avais parlé ici de ma fascination pour les empires et les empereurs dans la science-fiction, et j'avais illustré ça ici de façon plus ou moins auto-caricaturale (voir aussi ici, ici, ici, ici et plein d'autres du genre) : Kalpa impérial est l'histoire de l'Empire le plus vaste qui ait jamais existé et de certains ses monarques. On ne sait pas très bien si on doit classer ça comme de la science-fiction, de la fantasy ou autre chose : il n'y a pas de magie (ou en tout cas, ce n'est pas clair), pas de technologie avancée ni de voyage dans l'espace, les éléments des histoires sont plutôt intemporels et se déroulent à un endroit non spécifié[#], cela ressemble plutôt au style des fables, ce qui est aussi quelque chose qui peut me plaire (et que, là aussi, j'essaie moi-même parfois de reproduire : voir ici, ici, ici, ici ou encore dans ce conte de fées ou cet autre conte). C'est un recueil de nouvelles (un genre que j'affectionne), avec tout au plus une référence de l'une à l'autre par un nom répété, lien suffisamment ténu pour qu'on ne sache même pas dans quel ordre ces histoires se déroulent. Histoires qui d'ailleurs semblent être de simples fragments épars de chroniques beaucoup plus vastes, et dont la fin est souvent une invitation au lecteur à deviner le sens de ce qu'il vient de lire. On ne peut pas ne pas comparer avec les Villes invisibles d'Italo Calvino, un livre que j'admire beaucoup (j'ai tenté de produire ma propre « ville invisible » ici, et j'ai cité mon passage préféré du livre ici) ; précisons cependant que les nouvelles de Gorodischer sont plus des récrits que celles de Calvino (disons qu'elle raconte alors que Calvino décrit). Mais un autre de mes écrivains préférés auxquels elle me fait aussi penser, c'est son compatriote Jorge Luis Borges : la ressemblance, là, n'est pas tellement dans ce qui est raconté mais plutôt dans le mode narratif… je n'arrive pas à mettre le doigt dessus exactement, mais il y a quelque chose à la fois dans le style et dans la façon de tourner les nouvelles un peu comme des énigmes, qui me rappelle Borges.

Tout ceci étant dit, il n'est pas surprenant que j'aie énormément aimé. (Comment se fait-il, d'ailleurs, avec le nombre de copains que j'ai qui lisent volume sur volume de SF, que personne ne m'ait jamais recommandé Kalpa impérial ? Je suis tombé dessus vraiment par hasard, en errant dans la librairie de la rue des Écoles qui est à peu près en face de la Sorbonne, Compagnie.) Maintenant, je ne sais pas vraiment dans quelle mesure je dois le recommander à d'autres : le fait que ce livre soit à ce point « écrit pour moi » me rend plus ou moins incapable de le juger objectivement (enfin, objectivement ne veut rien dire, mais disons, d'une manière qui se prête à des recommandations utiles) ; c'est aussi la raison pour laquelle j'ai fait ci-dessus pas mal de liens vers des fragments que j'ai moi-même écrits : s'ils sont de ceux qui vous plaisent, il y a des chances que vous aimiez Kalpa impérial (la réciproque n'étant, évidemment, pas vraie, mais ce sera au moins un indice). Mais simplement si vous en avez marre de la fantasy qui ressemble à ceci (généralement écrits en anglais par un américain barbu, typiquement en douze volumes avec un nom du genre Cycle de la Nuit de Glace de la Porte du Temps de l'Épée de Feu) et si vous voulez quelque chose d'un peu différent[#2], essayez ce petit recueil de nouvelles d'une femme argentine, ce sera au moins… rafraîchissant.

[#] À peu près la seule chose qu'on apprend de la géographie de ce très vaste empire est que le sud est plus sauvage et plus chaud que le nord (ce qui suggère qu'on est plutôt dans l'hémisphère nord, c'était d'autant moins évident que l'auteure est notohémisphérienne). Pour ce qui est de la chronologie, on en sait encore moins : il y a un indice ponctuel selon lequel cet empire existerait dans notre futur lointain, mais cela pourrait aussi bien être une blague.

[#2] Sauf pour ce qui est des noms, où manifestement Gorodischer s'amuse à en fabriquer d'aussi saugrenus les uns que les autres, par exemple Senoeb'Diaül.

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(mardi)

It's raining men

Je ne suis pas trop du genre à regarder le sport à la télé, mais il faut dire que quand je tombe sur l'épreuve de saut à la perche aux championnats du monde d'athlétisme (plim, plam, ploum)… ben ça se laisse regarder.

Ajout : blim, bloum.

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