J'ai déjà dû à plusieurs reprises sur ce blog dire du bien de la
méthode Assimil : pas
spécialement que je pense qu'elle soit meilleure qu'une autre dans
l'absolu mais je trouve que, avec ses enregistrements de textes
parlés et avec le principe d'apprendre instinctivement en s'efforçant
de comprendre ce qu'on entend/lit, elle convient très bien à quelqu'un
qui, comme moi, a une mémoire
essentiellement auditive, un goût
pour retenir des fragments de phrases, une satisfaction à comprendre
« naturellement » ce que j'entends, et aucune envie de parcourir des
listes de vocabulaire hors contexte ; par contre, il faut souvent que
j'y ajoute une grammaire pour satisfaire ma curiosité de geek pour les
règles complètes avec des myriades de cas et de sous-cas.
L'ennui, c'est que je suis aussi immensément paresseux. La méthode
Assimil est probablement la moins mauvaise pour les gens paresseux,
aussi, parce qu'elle demande assez peu d'efforts actifs, juste du
temps à trouver, mais même comme ça la patience d'arriver au bout de
quoi que ce soit que je commence me manque systématiquement. Surtout
que l'apprentissage d'une langue n'a pas de fin. Au contraire, c'est
une tâche dans laquelle les retours sur investissement tombent
rapidement. Ce n'est pas surprenant, d'ailleurs : quelle que soit la
langue, la fréquence des mots suit quelque chose comme
une loi de
Zipf, donc avec cent cinquante mots de vocabulaires on déchiffre
peut-être la moitié d'un corpus, mais il en faudra peut-être deux
mille pour comprendre les trois quarts du corpus et huit mille pour
les neuf dixièmes — bref, plus on progresse, moins on progresse
vite. Enfin, ça n'explique pas que je n'arrive pas au bout des
méthodes Assimil qui, elles, contiennent un nombre fini (et connu à
l'avance) de leçons et, même si la difficulté en va croissant, c'est
normalement surmontable ; et quand on finit, si jamais on finit, on
doit arriver pour la plupart des langues à baragouiner quelque chose
d'assez potable tout de même.
Le dilettante comme moi fait contre mauvaise fortune bon
cœur : apprendre une langue est difficile ? Qu'à cela ne
tienne : dès que ça deviendra trop difficile, on changera de langue.
Je présente ça comme un choix de paresseux, mais ce n'est pas
forcément idiot. Ou du moins, il faut savoir dans quel but on apprend
une langue. Quand je vois les difficultés que j'ai à lire le moindre
texte allemand, je renonce à peu près, pour ma part, à l'idée de
maîtriser complètement autre chose que le français et l'anglais ; et
même mon anglais je me décourage de la façon dont il fout le camp
quand il s'agit de le parler ou de l'écrire (mais au moins je le lis
aussi bien que le français). Bref, si j'entreprends d'apprendre une
autre langue, ce n'est pas pour la parler, ni même vraiment pour la
lire, c'est pour m'en faire une idée, c'est pour regarder un petit peu
sa beauté propre, ou peut-être simplement pour assouplir mes neurones
sur sa grammaire et exercer mon oreille et ma langue à ses sons. Ou,
si c'est pour comprendre des textes dans cette langue, ce seraient des
textes accompagnés de leur traduction : il n'y a rien d'absurde à lire
une œuvre en traduction mais, quand on rencontre une phrase
mémorable, une phrase particulièrement forte ou qui nous touche
spécialement, d'aller faire l'effort d'en retrouver la version
originale pour la décortiquer, mot par mot, et savoir ce que l'auteur
a vraiment écrit dans ses propres termes — or, pour cela, une
connaissance assez faible de la langue suffit, puisqu'on a déjà la
traduction, il s'agit juste de reconstituer les structures
grammaticales. (À titre d'exemple, j'avais apprécié que
la RATP, à une époque, mettait dans les couloirs du métro
des poèmes dans toutes sortes de langues, avec leur traduction
française ; ça m'avait permis d'apprécier un poème en russe, chose que
normalement je ne pourrais pas faire.)
Depuis que j'ai commencé ce blog, j'ai essayé avec la méthode
Assimil d'apprendre un peu de japonais, puis d'arabe. Dans les deux
cas j'ai arrêté, mais je garde l'espoir ou l'intention de reprendre
(surtout l'arabe, dont la grammaire m'intéresse plus, et qui ne pose
pas le problème des kanji que je ne pourrai jamais retenir puisque je
n'ai essentiellement aucune mémoire visuelle) : ce n'est d'ailleurs
pas forcément une mauvaise chose d'apprendre quelque chose, de se
donner le temps de l'oublier, et de le réapprendre ensuite — je
sais que quand il s'agit de maths, ça me permet de bien mieux
comprendre la deuxième fois (ou souvent, la trente-douzième fois).
Là, je viens de commencer l'étude du suédois. En fait, c'est plus
une blague qu'autre chose, je n'ai pas vraiment l'intention de m'y
mettre sérieusement. Le truc, c'est qu'il m'est arrivé plusieurs fois
que des gens (dans la rue, dans le métro, ou pendant que je faisais
les courses) s'étonnassent de la blondeur de mes cheveux et de la
couleur de mes yeux, refusassent de croire que je pusse être français
(pourtant, les blonds aux yeux bleus, en France, ce n'est quand même
pas si rare ! je veux bien que mes cheveux soient très clairs, mais de
là à m'apostropher à ce sujet…) et insistassent pour que je
dusse avoir des origines scandinaves. (Si j'en
crois cette
carte-ci ainsi
que celle-là,
ils n'ont statistiquement pas complètement tort, même si ce serait
plutôt la Finlande qu'il faudrait soupçonner.) Alors si les gens
veulent absolument croire que je suis Suédois je devrais peut-être
entretenir leurs illusions. Peut-être devrais-je me faire faire un
tee-shirt sur lequel serait écrit (en jaune sur bleu évidemment) :
Innan en idiot frågar:
Ja, jag är egentligen blond och
blåögd.
Men nej, jag är inte från Sverige.
(Avant qu'un idiot ne demande : Oui, je suis vraiment blond aux
yeux bleus. Mais non, je ne viens pas de Suède.
Ou faudrait-il ajouter
une interjection ?)
Pourquoi le suédois plutôt que le danois ou le norvégien, voire
l'islandais ? Simplement parce qu'il fallait bien faire un choix, et
que le suédois est le plus parlé (et peut-être le plus plausible pour
un blond aux yeux bleus ?), et peut-être que sa prononciation est plus
intéressante que celle du danois. Mais bon, mon but serait plutôt
juste d'arriver à comprendre la phonologie du suédois, qui a l'air
assez intéressante, et surtout d'arriver à l'articuler avec autre
chose qu'un accent allemand à couper au couteau (ce que j'ai
spontanément tendance à faire). Si ma paresse ne me dépasse pas,
après quelques semaines, je reprendrai l'arabe en alternance (en
gageant que le suédois et l'arabe sont assez différents pour ne pas
risquer de les mélanger).
Sinon, j'ai découvert qu'Assimil avait lancé la méthode de grec
ancien. Je savais déjà qu'ils avaient fait le latin, avec des textes
aussi mémorables que nous partons en vacances en voiture
(non,
je n'ai pas le manuel sous la main pour vous vérifier comment ils ont
traduit voiture
) : mais c'est vrai qu'il y a, en latin, une
tradition assez respectable de créer des mots pour tous les concepts
modernes (ne serait-ce que parce que le pape doit bien avoir un moyen
d'écrire une encyclique condamnant la dépravation sur Internet,
n'est-ce pas ? ), et même Harry Potter est traduit en
latin. Mais le grec classique, c'est encore bien mieux. Hélas, ils
n'ont pas poussé la blague au même niveau, et on ne parle pas, dans
l'Assimil grec ancien, de partir en vacances en voiture. Mais il y a
quand même une geek-valeur ajoutée certaine, c'est que la
prononciation utilisée dans les enregistrements est la prononciation
restituée où même les accents (mélodiques) sont respectés : le φ
est prononcé [pʰ] et pas [f], le ζ est prononcé [zd] et pas
[dz], etc.
Parlant de prononciation des langues anciennes, en errant sur
YouTube, je suis tombé
sur cette lecture
des 19 premiers vers de Beowulf en anglo-saxon
(Hwæt, wē Gār-Dena in geārdagum, /
þēodcyninga þrym gefrūnon, / hū ðā æþelingas
ellen fremedon
, etc.) : c'est assez amusant à écouter. Et typique
de ce que je veux dire quand j'explique que ça peut être intéressant
d'apprendre une langue juste assez pour pouvoir la comprendre quand on
met le texte en regard de sa traduction.