David Madore's WebLog: 2012-09

Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le reste de ce site web, parle de tout et de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait), des maths à la moto et ma vie quotidienne, en passant par les langues, la politique, la philo de comptoir, la géographie, et beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas, ainsi que d'occasionnels rappels du fait que je préfère les garçons, et des petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le nom collectif de fragments littéraires gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes traduites dans les deux langues) ; il est maintenant presque exclusivement en français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut). Cette page-ci rassemble les entrées publiées en septembre 2012 : il y a aussi un tableau par mois à la fin de cette page, et un index de toutes les entrées. Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs « catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le texte de l'entrée elle-même.

You are on David Madore's blog which, like the rest of this web site, is about everything and anything (mostly anything, really), from math to motorcycling and my daily life, but also languages, politics, amateur(ish) philosophy, geography, lots of ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders of the fact that I prefer men, and some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the collective name of gratuitous literary fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning (some entries were in English, others in French, and a few translated in both languages); it is now almost exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top). This page lists the entries published in September 2012: there is also a table of months at the end of this page, and an index of all entries. Some entries are classified into one or more “categories” (indicated at the end of the entry itself), but this organization isn't very coherent. The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced before and after the text of the entry itself.

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Entries published in September 2012 / Entrées publiées en septembre 2012:

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(mercredi)

Réflexions sur un réveil mal conçu

Mon réveil est un réveil lumineux, c'est-à-dire qu'en plus de faire bip-bip à l'heure programmée, il s'allume progressivement en commençant ~30 minutes avant de façon à atteindre son intensité maximale en même temps qu'il se met à sonner. J'aime bien ce principe, qui aide à se réveiller un peu moins brutalement (mon poussinet, en revanche, n'aime pas du tout, et c'est vrai que si on est deux à se réveiller à des heures différentes, ce n'est pas du tout idéal).

Mais autant le principe me plaît, autant l'objet lui-même souffre d'un nombre impressionnant de défauts. (C'est peut-être parce que c'était un des premiers à apparaître sur le marché : ce genre de réveils semble être beaucoup plus courant, maintenant, que quand j'ai eu le mien.) Je ne parle pas seulement de bugs bizarres dont il souffre (par exemple, de temps en temps, il se met à avancer d'une heure, voire de plusieurs ; une fois il m'a réveillé à quelque chose comme 5h du matin parce qu'il croyait qu'il était 8h ; une autre fois il s'est déclenché alors que je suis certain de ne pas l'avoir activé) : il y a aussi que l'interface elle-même est horriblement mal conçue.

Les réveils basiques semblent être très uniformes dans leur interface : il y a typiquement cinq boutons (heure, minute, réglage heure, réglage réveil et le gros bouton snooze) et un curseur qui sert à activer ou désactiver le réveil ; malgré quelques variations (parfois réglage heure et réglage réveil sont des positions du curseur, parfois il y a deux positions différentes selon que le snooze doit être possible ou non, parfois il y a un curseur pour choisir entre l'affichage AM/PM et l'affichage 24h), la plus grosse variation semble concerner le temps de snooze (généralement entre 5 et 9 minutes). Je ne sais pas si cette uniformité vient du fait qu'ils se copient les uns les autres ou s'il y a une sorte de puce programmable pour réveils que tout le monde utilise. Un indice dans ce sens serait le fait que beaucoup de réveils de ce genre souffrent du même bug mineur à savoir : si on appuie sur le bouton réglage réveil, qu'on le garde appuyé, qu'on appuie ensuite sur le bouton minute (pour incrémenter d'une minute l'heure du réveil) et qu'ensuite sans lâcher le bouton minute on relâche le bouton réglage réveil, alors l'heure est modifiée et avance d'une minute bien qu'on n'ait jamais touché au bouton réglage heure (et le même effet se produit pour incrémenter d'une heure) ; en tout cas, j'ai vu quatre réveils différents qui avaient exactement ce même bug alors qu'ils semblaient complètement différents de l'extérieur.

Mais pour un réveil lumineux, l'interface n'est pas aussi claire. Et il faut reconnaître que ce qu'on veut n'est pas toujours très clair non plus : pour le snooze, je pourrais vouloir, par exemple, couper le son pour quelques minutes en laissant la lumière, ou bien couper la lumière et le son, mais aussi couper la lumière avant que le son ait commencé à sonner. Toujours est-il que le réveil que j'ai semble avoir fait les pires choix possibles à peu près partout. Par exemple, quand il se met à sonner, on peut soit appuyer brièvement sur snooze pour couper juste le son pour quelques minutes, soit appuyer longuement pour couper aussi la lumière pour un peu plus longtemps : ça c'est raisonnable ; ce qui l'est nettement moins, en revanche, c'est que (1) rien n'est prévu pour couper la lumière avant que le son se soit déclenché (sauf à désactiver complètement la sonnerie), et (2) si on a utilisé le snooze-court, il n'y a aucun moyen de changer d'avis pour avoir le snooze-long (i.e., couper la lumière). Autre connerie pénible : quand on veut activer la sonnerie, il tient absolument à faire une démonstration de la sonnerie qu'on aura (il y en a deux possibles, bip-bip ou bruits d'oiseaux) ; ça c'est pénible, parce que ça veut dire que si je me couche après mon poussinet, si je mets mon réveil ça va le réveiller pour rien ; et inversement, on ne peut pas non plus désactiver (couper) le réveil sans qu'il fasse du bruit, ce qui est pénible pour la même raison (mais au moins, dans ce sens là, on peut limiter à une fraction de seconde la durée du bruit). Ce n'est pas tout : le réglage de l'heure ou de l'heure de réveil se fait non pas par des boutons heure et minute mais par des boutons plus et moins qui, quand on les garde appuyés, commencent par changer par incréments/décréments de une minute puis, au bout de 15 comme ça, passent à des incréments de 15 minutes : ça peut sembler une bonne idée, mais ce qui se passe c'est que si on veut changer l'heure de réveil de 8:00 à 8:15, on attend patiemment qu'elle passe à 8:01, 8:02, 8:03, 8:04, 8:05…, et au moment où elle passe à 8:15, un instant d'inattention fait qu'elle saute à 8:30, et du coup il faut revenir en arrière, et exactement la même chose se produit dans l'autre sens ! Il m'est arrivé de devoir faire deux ou trois quatre allers-retours autour de l'heure voulue avant d'arriver à enfin l'atteindre. Enfin le plus absurde, même si ce n'est pas tellement gênant : le réveil a un bouton test, qui doit servir à vérifier le niveau d'éclairage et la sonnerie qui seront utilisés, mais ce bouton qui doit servir une fois en tout et pour tout, au lieu d'être caché à un endroit discret au dos du réveil, est quasiment le plus gros, et on appuie régulièrement dessus par erreur, ce qui déclenche un allumage progressif et cause une certaine confusion.

Bref. Mon but n'est pas spécifiquement de me plaindre de ce réveil (même si ça fait du bien de me défouler un peu !). Je me demande qui programme ce genre de choses, comment se fait cette programmation (en assembleur pour un microcontrôleur ?), et s'il y a des gens qui réfléchissent vraiment à l'interface humaine ou si juste le programmeur qui improvise. Mais surtout, je pense que la morale est que concevoir une bonne interface utilisateur, même pour quelque chose d'aussi évident a priori qu'un réveil, ce n'est pas forcément facile.

Je pense aussi, en particulier à la lecture de cet article, aux téléphones mobiles et à leurs modes silencieux : a priori ça n'a pas l'air difficile d'avoir un mode silencieux sur un téléphone, mais en fait il y a tellement de choses différentes qu'on peut vouloir (seulement vibrer, ne même pas vibrer, couper absolument tous les sons ou seulement la sonnerie d'appel…) que je me sentirais bien incapable, pour ma part, de définir une interface sensée et cohérente. (Remarquons que si je mets mon téléphone en mode silencieux, les alarmes continuent à marcher, ce qui est heureux, mais même le choix d'une sonnerie d'alarme provoque le son de celle-ci : est-ce souhaitable ? ce n'est pas évident, justement…)

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(mardi)

Courrier retourné

C'est un peu du foutage de gueule :

[Courrier retourné]Bon, je sais que j'ai écrit 75234 par erreur au lieu de 75243, je comprends que du coup ça n'arrive pas immédiatement, mais quand même, avec 72–76 rue Régnault et Paris 13, normalement, ils auraient dû pouvoir trouver le destinataire ! Surtout que, franchement, le ministère de l'Éducation nationale, c'est pas comme si je demandais à la poste de trouver Madame Duschmock, dans le 13e : avec uniquement cet intitulé je trouve que ça devrait finir par atterrir au bon endroit.

Il est loin, le temps où on pouvait écrire À celui qui fait des miracles, Paris et ça arrivait chez M. Pasteur !

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(dimanche)

Objets mathématiques fascinants

Un jour il faudra que je fasse un petit catalogue des objets mathématiques qui me fascinent le plus. Ça peut être pour l'élégance hypnotique de leurs symétries (E8, le réseau de Leech) ou pour l'universalité protéenne de leurs structures (l'ensemble de Mandelbrot, l'ensemble des degrés de Turing, le compactifié de Stone-Čech des entiers naturels), ça peut être pour leur existence exceptionnelle (les octonions) ou leur valeur de contre-exemple qui surprend l'imagination (la longue droite), pour la simplicité naturelle de leur construction (l'algèbre de Grassmann-Cayley), ou encore leur centralité pour tout un domaine (le groupe de Galois absolu des rationnels). Si je fais des mathématiques, c'est sans doute beaucoup pour avoir le droit de visiter et admirer ce petit musée des formes extraordinaires (l'ensemble de Mandelbrot est visible pour n'importe qui, il y en a quantité de vidéos, mais les autres objets que j'ai cités sont à mon avis encore plus beaux, simplement ils sont plus difficiles à voir).

À côté de ça, il y a aussi les situations où les maths sont surprenantes. L'exemple le plus bateau est le paradoxe de Banach-Tarski (on peut découper une boule en un nombre fini de morceaux, et déplacer ces morceaux sans changer leur taille de manière à les réassembler pour former deux boules chacune de la taille de la boule d'origine — sans laisser de trous), mais il y en a d'autres. Là aussi, je devrais faire un petit catalogue. Par exemple, saviez-vous que la somme de deux régions convexes du plan dont le bord est C (ou même analytique) est toujours C6 (=six fois continûment dérivable) mais pas forcément C7 ? (Un exemple est formé par les épigraphes de x4/4 et x6/6 ; en fait, la régularité de la somme est C20/3.)

Il y a une célèbre citation de von Neumann : Young man, in mathematics you don't understand things. You just get used to them. (Mon père prétend d'ailleurs que von Neumann l'a piquée à Robert Musil, mais il n'a jamais été capable de me trouver la référence précise, et Google ne semble pas lui donner raison, donc je reste sur von Neumann.) Je ne sais pas si c'est vrai, ou, plus exactement, je ne sais pas s'il y a une différence entre comprendre les choses et s'y habituer. En lisant une démonstration du paradoxe de Banach-Tarski (la référence classique à ce sujet est l'excellent petit livre de Stan Wagon), j'ai l'impression de comprendre pourquoi et comment ce truc fonctionne ; et certainement, depuis le temps que je le connais, il ne me surprend plus trop. Disons qu'on se fait une intuition de la manière dont les objets mathématiques fonctionnent, cette intuition est essentielle pour rechercher ce qui a des chances d'être vrai et ce qui ne l'est probablement pas, cette intuition est parfois prise en défaut et à ce moment-là il faut la modifier, ce qui est d'autant plus facile si on comprend un peu en détail le pourquoi et le comment.

Et parfois les mathématiques sont à la fois très surprenantes et élégantes. Dans mon petit musée des objets mathématiques fascinants, il faut que je mette la sphère de Gromoll-Meyer et la sphère de Kervaire.

En voici une définition concise pour ceux qui la comprendront : on considère le groupe Sp(2) des matrices 2×2 à coefficients dans les quaternions et qui sont unitaires ; là-dessus, on fait agir le groupe Sp(1) des quaternions unité (=de module 1) comme ceci : si u est un quaternion unité et T est dans Sp(2), on définit uT comme la matrice 2×2 obtenue en multipliant T à gauche par u (c'est-à-dire la matrice diagonale (u,u)) et à droite par la matrice diagonale (1,u*) où u* désigne le conjugué (=l'inverse) de u ; ceci définit une fibration de Sp(2) en Sp(1)≅S3, et la base de cette fibration est la sphère de Gromoll-Meyer. Ce qui est incroyablement surprenant, à mes yeux, c'est que l'objet ainsi obtenu est homéomorphe à la sphère de dimension 7 mais pas difféomorphe : il s'agit donc d'une sphère exotique. (Il y a plusieurs choses surprenantes dans l'histoire : l'existence même des sphères exotiques, mais aussi le fait qu'on puisse en donner une construction aussi élégamment algébrique. On peut aussi définir la sphère de Gromoll-Meyer, en tant que variété différentielle, comme l'ensemble des quintuplets (f,p,x,y,z) de nombres complexes tels que f5+p3+x2+y2+z2=0 — j'espère que le 5 est correct — et |f|²+|p|²+|x|²+|y|²+|z|²=1, ce qui est plus simple à comprendre mais assurément moins élégant.)

Quant à la sphère de Kervaire (de dimension 9, disons), elle s'obtient en prenant deux copies de l'espace total du fibré en 5-disques tangentes à la 5-sphère et en les recollant ensemble en identifiant, sur un voisinage d'un point identifié à un 5-disque (sur lequel on a trivialisé le fibré), le 5-disque base d'une copie avec le 5-disque fibre de l'autre copie : le bord de la variété ainsi obtenue est la sphère de Kervaire. (On peut aussi la définir comme l'ensemble des sextuplets (p,x,y,z,u,v) de nombres complexes tels que p3+x2+y2+z2+u2+v2=0 et |p|²+|x|²+|y|²+|z|²+|u|²+|v|²=1.) Elle aussi est homéomorphe mais non difféomorphe à la sphère standard (en dimension 9, cette fois).

Bref, il faudra que je parle un jour de structures exotiques sur les sphères et sur ℝ4, je mets ça dans ma TORANT-list. Parce que ça fait partie de ces choses que je n'arrive vraiment pas à comprendre, ou disons, auquelles je ne me suis pas habitué.

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(dimanche)

Et encore un rhume…

Cette fois c'est mon poussinet qui me l'a refilé. (Chez lui ça se manifeste comme une angine, mais chez moi c'est clairement un rhume.)

Ça tombe particulièrement mal parce que mardi je donne sept heures de cours. Déjà en temps normal j'ai tendance à avoir des symptomes de rhume après trois heures de cours (sans doute parce que je ne bois pas assez). Il y a des micros dans les amphis, à Jussieu ?

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(lundi)

Stress maladif saisonnier

La rentrée et son déferlement de stress (ce n'est pas un hasard si ce post vient un an après celui-ci). J'ai un emploi du temps d'enseignement passablement lourd jusqu'à mi-novembre, avec tous ces cours généraux qui se concentrent en début d'année (David, tu veux bien faire un cours expliquant toute la crypto en quatre heures pour le master TrucMuche de Paris 42 ? — Oui, pas de problème), et notamment un cours d'Analyse que je fais pour la première année et dont je ne sais pas pourquoi je l'ai accepté parce que je suis nul en Analyse et que du coup je dois le préparer un peu sérieusement. (Quand je vois la fatigue que je ressens après trois heures de cours, je dois dire que j'admire comme des véritables héros les profs de lycée qui non seulement endurent un rythme très lourd toute l'année mais en plus ont souvent face à eux des élèves véritablement hostiles et pas seulement indifférents.) Un entretien d'évaluation annuel où il va de nouveau falloir que je défende mon choix de ne pas publier des merdes pour faire du chiffre (i.e., on va me dire que je ne fais rien depuis des années). Et des tracasseries administratives (il y a eu des conflits d'emploi du temps à régler, mais surtout je n'ai pas de nouvelles de mon détachement, ce qui fait que depuis le 1er septembre je suis dans les limbes administratifs).

Le fait est que je somatise. J'ai la tension qui frôle les 15/8 (c'est uniquement l'adrénaline, je ne suis pas « intrinsèquement » hypertendu) et j'ai fait plusieurs petits craquages nerveux. (Ce qui rend peut-être la chose pire, d'ailleurs, c'est qu'en-dehors de certains moments précis, je donne l'apparence d'être plutôt calme : je peux dire je suis hyper stressé, surtout en ce moment et les gens, en fait, ne me croient pas.) Mon poussinet me pousse à aller voir un médecin, mais si on me mettait en arrêt maladie ça ne ferait que repousser les problèmes de quelques jours (et sans doute les empirer s'il faut se demander comment je peux me faire remplacer pour tel ou tel cours, sans compter la culpabilisation insidieuse qu'on fait facilement autour de ça) ; peut-être le médecin du travail de mon École.

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(lundi)

Hydraulique

Hier, pendant les journées du Patrimoine, mon poussinet et moi avons visité la caserne de pompiers de la rue de Sévigné (disons que nous avons vu de la lumière alors nous sommes rentrés ; les pompiers, eux, avaient l'air de s'ennuyer et de trouver rigolo de présenter leur caserne pour passer le temps). Ce n'est pas vraiment ça mon propos (ni raconter qu'un des pompiers était très mignon dans le genre petit timide, et faisait d'ailleurs clignoter le gaydar de mon poussinet et le mien). Alors qu'un des pompiers (très bavard, appelé en renfort par le timide pour faire la présentation à sa place) était en train de montrer les grosses lances et d'expliquer à notre groupe de visiteur quel tuyau ils utilisent pour quel débit, ou pour charger le camion depuis une borne, j'ai demandé combien une borne incendie pouvait tirer. Je m'attendait à ce qu'il me donne un chiffre standard (bon, en fait, apparemment, ça varie pas mal selon les bornes), mais au lieu de ça, il m'a donné la pression typique et a calculé la vitesse d'eau avec le théorème de Bernoulli. Voilà qui m'a fait plaisir.

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(mercredi)

Comment peut-on courber un espace galiléen ?

La convergence entre le hasard de divagations mathématiques auxquelles je m'étais livré récemment (et qui passaient notamment par le concept de géometrie de Cartan) et du fait qu'on me propose de faire un exposé de vulgarisation sur la relativité (j'en parlerai une autre fois) m'a conduit à d'autres divagations entre la physique et les maths, et à me poser la question parfaitement idiote — et assez technique — suivante, que je vais néanmoins tâcher de raconter : comment peut-on courber un espace galiléen ?

Grossièrement, l'idée est de faire à la « relativité galiléenne » (c'est-à-dire la cinématique de la physique classique, telle qu'elle existait avant Einstein) la même chose qu'on fait pour passer de la relativité restreinte à la relativité générale : courber l'espace-temps.

L'espace-temps galiléen (« plat ») correspond à l'idée naïve qu'on est censé se faire de l'espace et du temps, ou l'idée qu'on s'en faisait avant le passage de MM. Lorentz, Poincaré, Einstein et Minkowski (et le terme d'espace-temps n'était pas utilisé parce qu'il n'est pas particulièrement utile, dans le cadre galiléen, de mettre les deux ensemble : un point de l'espace-temps est juste la donnée d'un point de l'espace à un moment précis). À savoir : le temps est le même pour tous les observateurs ; et les lois de la physique sont invariantes par les transformations suivantes : (0) une translation dans l'espace ou dans le temps, (1) une rotation (constante) de l'espace, et (2) un changement de référentiel donné par un mouvement de déplacement uniforme (=à vitesse constante). Soit concrètement : le résultat d'une expérience physique ne doit pas changer lorsque (0) on la fait à un autre endroit ou un autre moment (à condition bien sûr de déplacer tout ce qui intervient dans l'expérience, y compris la Terre si elle intervient !), (1) on oriente différemment ce sur quoi on mène l'expérience (même remarque), ou (2) on effectue l'expérience dans un laboratoire se déplaçant à vitesse constante ; le point (2) est le moins évident, il constitue le génie de Galilée qui a (au moins selon la légende) effectué des expériences dans des bateaux pour le prouver (du genre : une balle lâchée du haut du mât touche le sol au pied du mât — au moins en l'absence de frottement de l'air — et pas un peu derrière comme on pourrait le penser). Remarquons qu'une conséquence du point (2) est que dire que deux points de l'espace-temps sont « au même endroit » n'a aucun sens à moins qu'ils soient aussi au même moment (j'ai peut-être l'impression d'être assis au même endroit qu'hier, mais la Terre, pendant ce temps, a parcouru quelque chose comme 2.5 millions de kilomètres par rapport au système solaire qui lui-même, etc.). Les transformations de l'espace-temps (translations, rotations, changements de vitesse uniforme) décrites ci-dessus engendrent un groupe appelé groupe de Galilée (ou en fait, deux groupes : le groupe de Galilée homogène, de dimension 6, engendré par (1) et (2), qu'on peut imaginer comme opérant sur les vitesses, et qui est d'ailleurs isomorphe au groupe des déplacements d'un espace euclidien de dimension 3 ; et le groupe de Galilée inhomogène, ou complet, de dimension 10, engendré par (0)–(2), qu'on peut imaginer comme opérant sur les points de l'espace-temps).

L'espace-temps de la relativité restreinte, ou espace-temps de Minkowski, est construit selon des principes analogues à ceci près que maintenant le temps n'est plus absolu, c'est la vitesse de la lumière qui l'est (i.e., quelle que soit la vitesse à laquelle je cours derrière un rayon de lumière, il avancera toujours aussi vite par rapport à moi), et ce simple principe, avec les invariances par translation, rotations et changement de référentiel, correctement interprétées, suffit à fonder toute la cinématique relativiste. Si on a la vision de Felix Klein dans son célèbre programme d'Erlangen, ce qui importe vraiment est le groupe des transformations sur l'espace-temps, et en relativité restreinte les analogues du groupe de Galilée sont le groupe de Lorentz (de dimension 6, analogue du groupe de Galilée homogène) et le groupe de Poincaré (la variante inhomogène, c'est-à-dire incluant aussi les translations, il est de dimension 10).

La relativité générale part du principe que l'espace-temps est un espace courbe (et sans torsion ; cf. une entrée précédente sur le sens de ces deux mots) qui « ressemble localement » à l'espace-temps de Minkowski, et que les objets en chute libre suivent des géodésiques (c'est-à-dire des courbes « aussi droites que possible ») dans un espace-temps courbe. Normalement, il n'y a pas grand-chose à dire, en plus de ça, pour arriver à la relativité générale (il faut cependant bien dire quelque chose de plus car, comme j'aime bien le rappeler, sinon la théorie de Nordström convient aussi). La question que je me suis ingénument posée est : que donnerait une théorie physique fictionnelle partant du principe que l'espace-temps est courbe (et sans torsion) mais ressemble localement à l'espace-temps galiléen (toujours avec le principe que les objets en chute libre suivent des géodésiques). Il est assez facile de se convaincre que cette théorie fictionnelle contient au moins la gravitation à la Newton, mais elle contient plus, parce que l'espace lui-même peut être courbe, parce qu'il y a une sorte de champ « gravitomagnétique », et par ailleurs, comme la relativité générale, elle permet de décrire des changements quelconques de coordonnées et de référentiels (y compris accélérés, en rotation, etc.).

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